Lettre Pastorale de Monseigneur Perraudin, Vicaire
Apostolique de
Kabgayi, pour le carême de 1959.
S U P E R
0 M N I A C A R I T A S
L'année de la Charité.
Chers Chrétiens,
Nous voulons cette année vous entretenir
paternellement de la plus grande et de la plus nécessaire de toutes les vertus:
la charité. Si nous avons choisi pour devise de notre épiscopat
l'exhortation de Saint Paul aux Colossiens : « par dessus tout la charité »,
c'est parce que Nous somrnes persuadés, avec le grand Apôtre, que c'est par la
pratique généralisée et généreuse de cette vertu que se réaliseront la
perfection et le vrai bonheur de notre cher Ruanda, de chacune de ses familles
et de chacun de ses habitants.
Dieu est charité. Le signe de Dieu c'est la charité : Ce qui n’est pas
fait selon la charité n'est pas fait selon Dieu. Sans la charité on n'est pas
vraiment chrétien, même si l'on est baptisé. Il n'y a pas non plus ni
pour les familles, ni pour les sociétés, ni pour les peuples, d'ordre, de
tranquillité, de justice et de paix véritables en debors de la charité.
I Les enseignements de Notre Maître et Seigneur Jésus et de ses Apôtres sur
la charité sont innombrables, très clairs et extrêmement pressants. Nous vous
exhortons très vivement à les relire et à les méditer particulièrement au
cours de cette année que Nous voudrions pouvoir nommer < l'année de la
charité ». Nous demandons surtout à tous mais plus instamment aux Membres de
l'Action Catholique de faire de grands efforts de charité pendant cette année,
tant au sein des familles que dans les rapports entre personnes et entre groupes
sociaux.
L’exemple de Notre-Seigneur.
Le premier enseignement de Jésus c'est son exemple. Dans le Credo nous chantons
que c'est “ pour nous qu'il est descendu du ciel, qu'il s'est incarné et fait
homme”. Et nous voyons par l'Evangile que toute sa vie a été une vie de
charité et de dévouement. La plupart de ses miracles pour ne pas dire
tous sont des miracles de bonté et de charité. On dit dans l'Evangile
que les foules “ se précipitaient sur lui », pour le voir, pour écouter sa
parole. C'est parce qu'Il était bon. Il attirait tout le monde à
Lui, y compris les pécheurs, par sa charité et sa délicatesse.
«Il n'est pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis ». (Jo
15-13). C'est ce que Jésus a fait pour nous sauver. Il a souffert
pour nous des humiliations incompréhensibles et des tourments atroces, Il a été
flagellé, couronné d'épines, frappé ignominieusement comme un malfaiteur,
traité d'insensé, et finalement élevé sur la croix sous les yeux gonflés de
larmes de sa Sainte Mère. “ Qu'aurais-je dû faire de plus pour toi que je
n'ai pas fait ?” lisons-nous dans les textes liturgiques du Vendredi
Saint. Non vraiment Il ne pouvait faire davantage.
Et cependant Il nous donna encore une de ces marques d'amour que Lui seul
pouvait nous donner: la Très Sainte Eucharistie. Par ce Sacrement
admirable Jésus se met à la disposition des hommes de tous les temps et de
tous les lieux. Chacun peut L'approcher, Le recevoir, dans son coeur, se
nourrir de Lui et il en sera ainsi jusqu'à la fin du monde. Dieu seul
peut connaître et mesurer l'immensité et la profondeur des bienfaits accomplis
par le Christ-Jésus présent et immolé dans la Sainte Eucharistie.
L'enseignement du Christ
Nous ayant laissé pareil exemple de charité Jésus
avait bien le droit de nous donner, avec toute la force de son autorité scellée
dans le sang, ce qu'Il a appellé « son commandement »: « Voici mon
commandement : aimez-vous les uns les autres comme Je vous ai aimés » (Jo
15,12). Chers Chrétiens, Nous pourrions arrêter ici Notre lettre parce que
dans ce commandement tout est dit : « Aimez vous comme je vous ai aimés »,c'est-à-dire
jusqu’au dévouement et au sacrifice le plus complet.
Réfléchissez bien, Chers Chrétiens, sur cet ordre de Notre-Seigneur et
examinez sérieusement votre vie pour voir si c'est vrai que vous aimez votre
prochain comme Jésus vous a aimés. Comme notre Ruanda serait beau si
tout le monde avait compris et mettait en pratique ce commandement de la Charité.
Il n'y a pas d'échappatoire possible : ou bien on pratique la charité et on
est chrétien, ou bien on ne la pratique pas et on n'est pas chrétien. Jésus
nous l'a dit très clairement: “ A ceci tous vous reconnaîtront pour mes
disciples, à cet amour que vous aurez les uns pour les autres” . La charité
c'est le grand signe auquel on reconnaîtra les élus, ceux qui auront été
vraiment chrétiens.
Ecoutez ce passage de l'Evangile où Jésus nous parle
du jugement dernier. Après avoir séparé les bons des méchants, Il dira
aux bons: « Venez les benis de mon Père, recevez en héritage le Royaume qui
vous a été préparé depuis la fondation du monde. Car j'ai eu faim et
vous m’avez donné à manger, j'ai eu soif et vous m'avez donné à boire, j'étaís
un étranger et vous m'avez accuelli, nu et vous m'avez vêtu, malade et vous
m'avez visité, prisonnier et vous étes venu me voir ». Alors les justes répondront
"Seigneur, quand nous est-il arrivé de te voir affamé et de te nourrir,
assoiffé et de te désaltérer, étranger et de t'accueillir, nu et de te vêtir,
malade ou prisonnier et de venir te voir ? " Et le Roi leur fera cette réponse
: “ En vérité je vous le dis, dans la mesure où vous l'avez fait à l'un de
ces plus petits de mes frères c'est à moi que vous l'avez fait ". Alors
il dira encore à ceux de gauche, (aux mauvais)- «Allez loin de moi maudits,
dans le feu éternel qui a été préparé pour le diable et ses anges.
Car j'ai eu faim et vous ne m'avez pas donné à manger, j'ai eu soif et vous ne
m'avez pas donné à boire, j'étais un étranger et vous ne m'avez pas
accueilli, nu et vous ne m'avez pas vêtu, malade et prisonnier et vous ne
m'avez pas visité ». Alors ceux-ci lui demanderont à leur tour: «Seigneur
quand nous est-il arrivé de te voir affamé ou assoiffé, étranger ou nu,
malade ou prisonnier et de ne te point secourir? » Alors il leur répondra: «
En vérité je vous le dis, dans la mesure où vous ne l'avez pas fait à l'un
de ces plus petits, à moi non plus vous ne l'avez pas fait ». Et ils s'en
iront, ceux-ci à une peine éternelle, et les justes à la vie éternelle ».
(Mt. 25,34-46).
Cette longue page de l'Evangile nous montre bien, Chers Chrétiens, que nous
serons jugés d'après la charité que nous aurons eue les uns envers les autres
surtout envers ceux qui sont pauvres et dans le besoin. Elle nous montre
aussi quel est le fondement de la charité. Ce fondement c'est que nous
sommes tous les créatures et les enfants du Bon Dieu.
Nous sommes tous appelés à faire partie de sa famille
en participant à la vie de Jésus notre grand Frère. Faire du bien à un
frère de Jésus, c'est faire du bien à Jésus lui-même, faire du mal à un frère
de Jésus, c'est faire du mal à Jésus lui-même. L'Apôtre Saint Paul,
pour expliquer l'union des chrétiens dans le Christ Jésus et avec Lui, les
compare à des membres unis entre eux et avec la tête dans un méme corps.
Les membres d'un même corps doivent s'entendre entre eux et s'entraider et non
pas se disputer et s'entre-déchirer. Saint Paul veut dire aussi que
quand on blesse un membre du Christ, un chrétien, on blesse le Christ lui-même.
C'est ce que Jésus Lui avait fait savoir sur le chemin de Damas. Saint
Paul persécutait les chrétiens. Jésus lui dit: « Pourquoi me persécutes-tu?
» Depuis ce jour-là il a compris que les chrétiens et le Christ c'était la même
chose et c'est pour cela qu'Il les a aimés d'un même amour et d'un même
dévouement.
On pourrait encore citer beaucoup d'autres passages de
la Sainte Ecriture sur la charité. Ce n'est pas possible dans une seule
lettre pastorale. Vous les chercherez vous-mêmes et vos Prêtres vous y
aideront durant cette année surtout. Voici cependant pour terminer une
des nombreuses paroles de l'apôtre bien-aimé, Saint Jean l'Evangéliste, sur
la charité: “ Quant à nous, aimons, puisque Lui nous a aimés le premier.
Si quelqu'un dit : « J'aime Dieu » et qu'il déteste son frère, c'est un
menteur : celui qui n'aime pas son frère qu'il voit, ne saurait aimer le Dieu
qu'il ne voit pas. Oui, voilà le commandement que nous avons reçu de Lui
: que celui qui aime Dieu aime aussi son frère ». ( 1Jo. 1,19-21).
Chers Chrétiens, tout ce que Nous venons de dire en citant l'exemple de
Notre-Seigneur Jésus-Christ, ses enseignements et ceux de ses Apôtres, prouve
amplement que la charité est la vertu fondamentale et l'exigence la plus impérieuse
du christianisme. Mais il ne suffit pas de le savoir ni de le croire.
Il faut le mettre en pratique. Nous voudrions vous y aider dans la deuxième
partie de cette lettre, en attirant votre attention sur certains points
pratiques de la vie quotidienne, individuelle, familiale et sociale.
II Nous ne croyons pas exagérer en disant qu'il n'y a pas assez de charité
dans notre cher Ruanda, même entre chrétiens. Quand Nous disons cela
nous ne voulons en rien diminuer les résultats acquis de dévouement et de
charité qui sont déjà magnifiques, mais Nous sommes convaincu que notre cher
pays est capable de beaucoup plus encore et Nous désirons le lui montrer le
plus clairement possible et le soutenir dans ses efforts par nos exhortations
patemelles et nos ferventes prières.
La charité doit être intérieure et surnaturelle.
Ce que Nous voulons vous dire en premier lieu c'est que la charité doit
commencer dans le coeur, dans les pensées, dans la volonté : elle doit être
intérieure. Il n'y a pas de vertu sans cela. Elle doit être aussi
surnaturelle. Il faut donc pour étre charitable bien penser des autres,
avoir de l'estime pour les autres et cela surtout parce que les autres comme
nous-mêmes sont les créatures et les enfants du Bon Dieu. Le Bon Dieu
les aime et fait tout pour les aider et les sauver. Ceux qui dans leur
coeur haïssent ou méprisent le prochain, même si c'est un ennemi, pèchent déjà
contre la charité. Ceux qui dans leur coeur jugent ou soupçonnent témérairement
le prochain, commettent aussi un péché contre la charité, de même ceux qui
interprètent en mal les intentions du prochain, ou qui entretiennent dans leur
coeur le désir de la vengeance, des sentiments de jalousie et d'envie.
Soyez charitables dans votre coeur, Chers Chrétiens, parce que le coeur est la
source de tout le reste. Notre Seigneur nous l'a bien dit: « Du coeur en
effet procèdent mauvais desseins, meurtres, adultères, débauches, vols, faux
témoignages, diffamations. Voilà les choses qui rendent l'homme impur;
mais manger sans s'être lavé les mains, cela ne rend pas l'homme impur ».
(Mt. 15,19). Examinez-vous sérieusement, Chers Chrétiens, pour voir
quelles sont les pensées de votre coeur envers votre prochain.
La charité dans les paroles.
Veillez aussi avec grand soin sur vos paroles. On peut faire beaucoup de
bien par de bonnes paroles, par des paroles de bon conseil, d'encouragements, de
consolation, de sympathie, de respect et d'affection, mais on peut aussi hélas
par ses paroles nuire gravement au prochain, en disant du mal de lui, en
colportant partout les fautes vraies ou seulement supposées qu'il a commises,
en semant la division et la discorde, en dénigrant méchamment les bonnes
actions d'autrui, en détruisant sa réputation. L'apôtre Saint Jacques
nous met en garde contre les péchés de la langue: “ Par la langue, dit-il,
nous bénissons le Seigneur et Père, et par elle nous maudissons les hommes
faits à l'image de Dieu. De la même bouche sortent la bénédiction et
la malédiction. Il ne faut pas, mes frères, qu'il en soit ainsi ». (Jc.
3,10).
Chers Chrétiens, vous aimez beaucoup parler entre vous quand vous vous
rencontrez, et il n'y a pas de mal à cela, mais faites attention à ne pas
offenser Dieu dans ces conversations en blessant le prochain.
La charité dans les actes
Il ne suffit pas d'aimer le prochain dans son coeur et dans ses paroles; il faut
encore se dévouer pour lui réellement : “Si quelqu'un, dit l'apôtre Saint
Jean, jouissant des richesses du monde, voit son frère dans la nécessité et
lui ferme les entrailles, comment l'amour de Dieu demeurerait-il en lui?
Petits enfants, n'aimons ni de mots ni de langue, mais en actes, véritablement
». ( 1Jo. 3,17-18). Chers Chrétiens, nous savons que vous n'étes pas
riches mais nous vous exhortons de tout notre coeur à faire tout votre possible
pour aider ceux qui sont plus pauvres que vous, surtout les malades, les
infirmes, ceux qui souffrent et sont dans la peine, les petits orphelins, les
personnes abandonnées.
Rappelez-vous la parabole du bon Samaitain, qui est loué
par Notre-Seigneur parce qu'il s'est dévoué réellement, donnant de son temps
et de son argent, pour secourir le pauvre homme blessé par les brigands (Luc
10,29 sq.) Il y a des chrétiens qui passent à côté des miséreux sans les
regarder ni se soucier d'eux ; il y en a même qui se moquent des pauvres et des
infirmes ou de ceux qui tombent dans le malheur. Ceux-là ne sont pas de vrais
disciples de Jésus dont Saint Pierre a dit qu' “Il passa en faisant le
bien” , (Act. 10,38) guérissant les malades et consolant les affligés.
Nous vous conjurons aussi, Chers Chrétiens, à pratiquer la plus pure charité
dans vos familles, nous demandons aux époux séparés de vivre de nouveau
ensemble dans le support et l'amour mutuels, nous demandons aux familles où il
y a des inimitiés de se réconcilier sincèrement devant le Seigneur.
Ceux qui ne pardonnent pas ne peuvent pas étre pardonnés : ils se condamnent
eux-mêmes en récitant le Pater et en disant à Dieu: “ Pardonnez-nous nos
offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont
offensés” . Nous demandons aux parents et aux enfants de s’aimer
mutuellement toujours et de ne jamais donner le spectacle de la désunion quand
il y a des difficultés qui se présentent. Il n'y a rien de plus beau sur
la terre qu'une famille où règne la charité.
La charité est universelle.
Nous voudrions maintenant, Chers Chrétiens, insister auprès de vous sur une
caractéristique très importante de la charité, à savoir que la charité chrétienne
doit étre universelle. Le chrétien n'a pas le droit de dire d'un autre
homme, fût-il son ennemi : “ Celui-là je ne l'aime pas, celui-là je le
hais” . Cela ne veut pas dire qu'on doive aimer tout le monde de la même façon
: il est tout à fait normal et selon Dieu d'aimer davantage ceux de sa famille
que des étrangers ou des inconnus.Mais on ne peut exclure personne de sa charité.
Le coeur du chrétien doit étre à l'image de celui du Christ qui aime tous les
hommes et a donné sa vie pour les sauver tous. Nous vous demandons,
Chers Chrétiens, de vous examiner sérieusement pour voir si les choses sont
ainsi dans notre cher Ruanda. Il nous semble en effet qu'il y a
actuellement beaucoup de divisions non seulement entre les individus et les
familles, mais même entre les différents groupes sociaux qui constituent le
pays.
Il y a des haines entre individus quelquefois dans la même famille, il y a des
haines entre les familles et au lieu d'essayer de les apaiser on les cultive
quelquefois comme une mauvaise herbe qui finit par tuer le reste ; on se fait
des procès les uns aux autres, on cherche à se venger les uns des autres.
Quand un malheur arrive on soupçonne presque toujours un coupable et pour le découvrir
on va consulter le sorcier, ce grand malfaiteur de la communauté; ensuite on va
jusqu'à commettre des crimes pour se venger. Où est le christianisme en
tout cela, Chers Chrétiens ? Nous vous en supplions, abandonnez ces
pratiques qui sont directement opposées à la loi chrétienne de la charité et
qui viennent tout droit du démon, le grand semeur des inimitiés et des crimes.
“ Nous savons, nous, dit l'apôtre Saint Jean (1 Jo. 3,14) que nous sommes
passés de la mort à la vie parce que nous aimons nos frères. Celui qui
n'aime pas, demeure dans la mort. Quiconque hait son frère, est un
homicide, or vous savez qu'aucun homicide n'a la vie éternelle demeurant en
lui”
Applícations à la situation du Pays.
Il y a aussi dans notre cher Ruanda, comme dans beaucoup d'autres pays du monde,
divers groupes sociaux. La distinction de ces groupes provient en grande
partie de la race mais aussi d'autres facteurs comme la fortune et le róle
politique ou la religion. Il y a des Africains, des Européens et des
Asiatiques. Parmi les Africains il y a les Batutsi, les Bahutu et les
Batwa ; il y a des riches et des pauvres ; il y a des pasteurs et des
cultivateurs ; il y a des commerçants et des artisans ; il y a des catholiques
et des protestants, des hindous et des musulmans et il y a encore beaucoup de païens
; il y a les Gouvernants et les Gouvernés. Pour le moment le problème est
surtout agité à propos des différences de races entre Ruandais.
Cette diversité de groupes sociaux et surtout de races risque chez nous de dégénérer
en divisions funestes pour tout le monde. Chers Chrétiens du Ruanda, Nous
faisons appel à votre bon sens et à votre charité pour que Dieu nous épargne
ce malheur.
Nous sommes súrs que Notre appel, inspiré uniquement par l'amour que Nous
portons à tous et à chacun de Nos enfants, à quelque groupe qu'ils
appartiennent, trouvera un écho fidèle et généreux dans vos coeurs de chrétiens.
Nous désirons cependant vous éclairer sur ce sujet car dans le pays commencent
à se répandre toutes sortes d'idées dont beaucoup ne sont pas conformes à
l'enseignement de l'Eglise.
* Constatons tout d'abord qu'il y a réellement au Ruanda plusieurs races
assez nettement caractérisées bien que des alliances entre elles aient eu lieu
et ne permettent pas de dire toujours à quelle race tel individu appartient.
Cette diversité de races dans un même pays est un fait normal contre lequel
d'ailleurs nous ne pouvons rien. Nous héritons d'un passé qui ne dépendait
pas de nous. Acceptons donc d'étre plusieurs races ensemble et essayons
de nous comprendre et de nous aimer comme des frères d'un même pays.
* Toutes les races sont également respectables et aimables devant Dieu.
Chaque race a ses qualités et ses défauts. Personne d'ailleurs ne peut
choisir de naître dans un groupe plutôt que dans un autre. Il est
injuste par conséquent et contraire à la charité de faire grief à quelqu'un
d'appartenir à telle ou telle race, et surtout de le mépriser à cause de sa
race. La solution même purement naturelle est que des gens appartenant à
des races différentes s’entendent et s’harmonisent surtout si, par le jeu
de l'histoire, ils habitent cóte à côte sur le même territoire.
* Du point de vue chrétien les differences raciales doivent
cependant se fondre dans l'unité plus haute de la Communion des Saints.
Les chrétiens, à quelque race qu'ils appartiennent, sont plus que frères
entre eux : ils participent à la même vie dans le Christ Jésus et ont un même
Père qui est dans les cieux. Celui qui, en disant Notre Père, excluerait
de son affection un homme d'une autre race que la sienne, celui-là
n'invoquerait pas vraiment le Père qui est aux cieux et il ne serait pas
entendu. Il n'y a pas une Eglise par race, il n'y a que l'Eglise
catholique dans laquelle, comme dit l'Apôtre Saint Paul, “ il n'y a ni Juif
ni Grec, il n' y a ni esclave ni homme libre... car tous vous ne faites qu'un
dans le Christ Jésus” . (Gal. 3,28). L'Eglise n'est donc pas pour une
race plutôt que pour une autre, I'Eglise est pour toutes les races qu'elle
embrasse d'un égal amour et d'un égal dévouement.
* Dans notre Ruanda les différences et les inégalités sociales sont
pour une grande part liées aux différences de race, en ce sens que les
richesses d'une part et le pouvoir politique et même judiciaire d'autre part,
sont en réalité en proportion considérable entre les mains des gens d'une même
race. Cet état de chose est l'héritage d'un passé que nous n'avons pas
à juger. Mais il est certain que cette situation de fait ne répond plus
aux normes d'une organisation saine de la société ruandaise et pose, aux
Responsables de la chose publique des problèmes délicats et inéluctables.
Nous n'avons pas comme évêque, représentant I'Eglise dont le rêle est
surnaturel, à donner ni même à proposer à ces problèmes des solutions
d'ordre technique, mais il Nous appartient de rappeler, à tous ceux, autorités
en charge ou promoteurs de mouvements politiques, qui auront à les trouver, la
loi divine de la justice et de la charité sociales.
* Cette loi demande que les institutions d'un pays soient telles qu'elles
assurent réellement à tous ses habitants et à tous les groupes sociaux légitimes,
les mêmes droits fondamentaux et les mêmes possibilités d'ascension humaine
et de participation aux affaires publiques. Des institutions qui
consacreraient un régime de privilèges, de favoritisme, de protectionnisme
soit pour des individus soit pour des groupes sociaux, ne seraient pas conformes
à la morale chrétienne.
* La morale chrétienne demande aussi que les fonctions publiques soient
confiées à des hommes capables et intègres, soucieux avant tout du Bien de la
Communauté dont ils sont les mandataires. Il serait contraire à la justice et
à la charité sociales de confier à quelqu'un une responsabilité publique en
considération de sa race ou de sa fortune, ou de l'amitié qu'on lui porte,
sans tenir compte avant tout de ses capacités et de ses vertus.
* La morale chrétienne demande à l'autorité qu'Elle soit au service de
toute la communauté et non pas seulement d'un groupe, et qu'Elle s'attache avec
un particulier dévouement et par tous les moyens possibles au relèvement et au
développement culturel, social et économique de la masse de la population.
* L'Eglise est contre la lutte des classes entre elles, que l'origine de
ces classes soit la richesse ou la race ou quelque autre facteur que ce soit,
mais elle admet qu'une classe sociale lutte pour ses intéréts légitimes par
des moyens honnêtes, par exemple en se groupant en associations. La
haine, le mépris, l'esprit de division et de désunion, le mensonge et la
calomnie sont des moyens de lutte malhonnêtes et sévèrement condamnés par
Dieu. N’écoutez pas, Chers Chrétiens, ceux qui, sous prétexte d'amour
pour un groupe, prêchent la haine et le mépris d'un autre groupe.
* - Pour qu'ils soient légitimes, les Groupements sociaux ou autres ne
doivent pas seulement, par des moyens honnêtes, poursuivre leur bien propre et
celui de leurs membres, mais encore tendre à l'union avec les autres classes et
subordonner la poursuite de leur bien particulier au Bien Commun du Pays tout
entier.
Ce Bien Commun ne peut en effet consister finalement dans une lutte entretenue
mais seulement dans une réelle et fraternelle collaboration, faite d'une répartition
plus juste et plus charitable des biens, de charges et des fonctions.
Les catholiques, principalement les responsables de la chose publique et ceux
qui sont à la téte de groupements sociaux devraient se rencontrer et penser
ensemble les problèmes qui se posent au Pays afin d'en trouver des solutions
valables pour tous et inspirées de la doctrine sociale de I'Eglise.
* - Nous voulons citer encore cette sentence d'un sage : « Quid leges sine
moribus ? “A quoi bon les lois sans les moeurs ?” Les lois, les
institutions, les réformes sociales ou politiques n'obtiendront les résultats
qu'on en espère que si elles sont appuyées, chez les hommes, d'une réforme
des moeurs et d'un effort généreux de vertu.
* Aucun ordre social solide, aucune véritable civilisation humaine ne
peut se construire sans soumission franche et cordiale à la loi de Dieu précisée
dans l'Evangile et sans cesse prêchée par l'Eglise et son Magistère vivant.
* Nous faisons appel enfin à tous les hommes de bonne volonté et en
particulier à nos chrétiens et à nos catéchumènes, à quelque groupe qu'ils
appartiennent, pour que non seulement ils écoutent ces enseignements et y réfléchissent,
mais encore pour qu'ils les mettent en pratique courageusement dans leur propre
vie et travaillent à les faire passer dans la Communauté dont ils sont les
Membres.
Conclusion.
Chers Chrétiens, Nous terminons cette longue lettre en
vous redisant le précepte du Seigneur « Aimez-vous les uns les autres », car
c'est le resumé de la loi chrétienne ainsi que le dit de façon admirable l'Apôtre
Saint Paul dans l'épître aux Romains : “ N'ayez de dettes envers personne,
sinon celle de l'amour mutuel, Car celui qui aime autrui a de ce fait accompli
la loi. En effet le précepte : Tu ne commettras pas d'adultère, tu ne
tueras pas, tu ne voleras pas, tu ne convoiteras pas, et tous les autres se résument
en cette formule : Tu aimeras ton prochain comme toi méme. La charité ne
fait point de tort au prochain.
La charité est donc la loi dans sa plénitude” (Rom.
13,8-10).
Prions tous ensemble, Chers Chrétiens, et avec persévérance, tout le long de
cette année pour que la charité se répande sur tout le pays et pénètre au
fond des coeurs. C'est une grande grâce que nous demandons, mais elle
est si agréable à Dieu Notre Père qu'Il nous l'accordera avec empressement.
Que la Vierge Marie qu'on a appelée la « Mère du bel amour » intercède pour
nous tous afin que nous soyons dociles au grand et plus beau des commandements
que nous ait laissé son divin Fils Jésus.
Chers Chrétiens, Nous vous donnons notre paternelle bénédiction.
+ A. Perraudin
Vic. Ap. de Kabgayi
Kabgayi le 11 février 1959.
Lettre du prêtre JB Gahamanyi
Nyanza le 22 avril 1960
A Monsieur
le Président
du
Trusteeship Council
United
Nations
Lake Succes.
New York.
Monsieur le Président,
Suite aux bruits désobligeants et aux attaques, tantôt ouvertes et tantôt
sournoises, qui s'acharnent contre l'Église Catholique du Rwanda, incarnée par
son clergé et par Son Excellence Monseigneur Perraudin, Archevêque de Kabgayi,
je me vois obligé, en ma qualité de prêtre ruandais, de vous adresser cette
pétition et de vous fournir, à vous-même et à vos collègues, certaines
explications de nature à démentir ces calomnies criminelles.
Je dirai d'abord qui je suis:
Nom et Prénom: GAHAMANYI Jean Baptiste.
Date de naissance: 1922.
Lieu de naissance: Kibumbwe (Prov. Bunyambiliri) .
Nom du Père: Manzi Berchmans.
Nom de la Mère: Mukamazera Thérèse.
Race: Mututsi du Rwanda.
Situation: Prêtre et Directeur d'Ecole primaire.
Résidence actuelle: Mission Catholique de Nyanza au Ruanda.
1) Il a été dit et l'on dit encore, que Monseigneur Perraudin et, par lui,
l'Église Catholique du Ruanda et tout l'édifice missionnaire à pied d'oeuvre
dans le Rwanda, ont trahi le Rwanda, le Mwami et le Kalinga (tambour-emblè me de
la royauté).
Cette accusation, au-dedans comme au dehors, est dénuée de fondement. La
personnalité éminente, irréprochable et connue comme telle, de Monseigneur
Perraudin et son élévation par le Saint-Siège à la dignité archiépiscopale, le
rendent incapable de trahison vis-à-vis du Rwanda, son pays d'adoption, et
vis-à-vis de l'Église. les lourdes responsabilité s, dont il a pleinement
conscience, l'exposent naturellement à toutes sortes de calomnies, mais
celles-ci ne peuvent en aucune manière être justifiées. S'il prêche la charité
chrétienne et tient haut le flambeau de la foi et de la vraie civilisation, ce
qui est loin d'être une trahison mais heurte nécessairement le bas égoïsme d'un
certain nombre, il ne fait que son devoir dans la vérité et la tradition
séculaire de l'Église.
Il n'existe aucun document où il est prouvé que Monseigneur Perraudin et ses
prédécesseurs, ainsi que ses prêtres, se soient opposés à l'ordre établi, quand
celui-ci répondait aux impératifs de la justice dans le cadre des droits de
l'homme.
L'administration belge et l'autorité coutumière n'ignorent pas ce qu'elles
doivent à l'oeuvre missionnaire et à l'attitude humanitaire de ses dignes
représentants, aussi bien dans l'évolution des idées que dans la tournure des
événements. L'Église et Monseigneur Perraudin ne se sont jamais opposés au
principe du Kalinga, tambour-emblè me. Ce n'est pas trahir le Kalinga que de
soutenir que son principe doit être dégagé de l'emprise paganisante. Et jamais
l'Église ne prêchera autre chose en cette matière et n'admettra le maintien des
usages païens. Dans son allocution, à l'ouverture des fêtes jubilaires de Mutara
III, Monseigneur Bigirumwami, évêque de Nyundo, parlant au nom de l'Église du
Rwanda, ne s'est pas exprimé autrement.
2) Il est dit que la presse locale, influencée par l'Église et Monseigneur
Perraudin, sème la division et la subversion. Ce son de la cloche est de tous
les temps dans l'histoire de l'Église. On comprend aisément que, dans la lutte
contre l'égoïsme, l'Église a le devoir sacré de prendre position pour la justice
et la charité sociales. Elle se doit de soutenir ces principes, gages de paix et
de concorde entre les humains. De quel droit les agitateurs de mauvaise foi se
formalisent- ils de cette attitude?
3) On dit que Monseigneur Perraudin savait que le Mwami Mutara allait mourir à
Usumbura, en Urundi, qu'il l'aurait persuadé à s'y rendre et l'y aurait même
accompagné... S'imagine- t-on que le Mwami devait rendre compte à Monseigneur de
ses allées et venues ou de ses déplacements de service? Il est hors de doute en
tout cas que le jour du départ du Mwami, celui-ci n'était pas accompagné par
Monseigneur qui se trouvait au Rwanda. Il est certain également que, le jour de
la mort du Mwami, Monseigneur Perraudin était à Nyakibanda pour la clôture de la
retraite des Pères et des Abbés. L'accusation contre Monseigneur Perraudin
d'avoir conduit le Mwami à la mort ne tient pas debout.
4) Il est dit que Monseigneur aurait dénoncé le Mwami de détenir, entreposées
chez la reine-Mère, des armes suspectes. Ceci est pure fantaisie.
5) Les partisans de l'UNAR se sont formalisés de ce que les leaders des
mouvements Parmehutu, Aprosoma et Rader ont fait l'éloge de Monseigneur
Perraudin au Vatican. Quel mal y a-t-il à cela si Monseigneur Perraudin méritait
ces éloges pour sa ténacité à condamner les abus d'où qu'ils viennent? Que l'on
ne dise surtout pas que son Excellence n'avait fait que favoriser ces
mouvements.. .L'un ou l'autre s'est même vu condamné dans l'un ou l'autre point
qui ne cadrait pas avec l'enseignement authentique de la sainte Église.
6) Il est reproché à Monseigneur Perraudin d'avoir condamné l'UNAR. Ici les
accusateurs confondent les termes et prennent dans le même sens "mettre en garde
contre l'UNAR" et "condamner l'UNAR", ce qui n'est portant pas la même chose. On
ne peut pas non plus empêcher de constater combien ces accusateurs sont vraiment
de mauvaise foi. Ils attribuent à Monseigneur Perraudin seul ce que les Évêques
du Rwanda ont fait de concert, dans un document strictement confidentiel adressé
à leur clergé.
J'ai cru devoir vous donner ces quelques explications pour défendre mon Évêque
calomnié ainsi que la cause, injustement compromise, de l'Église catholique du
Rwanda. J'espère qu'elles seront de nature à dissiper toute espèce d'équivoque
ou de malentendu et que l'O.N.U. s'en servira sainement pour décider du sort de
mon malheureux pays.
Veuillez agréer, Monsieur le Président, l'expression de ma considération très
distinguée.
J.B. Gahamanyi
Prêtre du Rwanda.
ps.- Libre retranscription par Th. Murengerantwari
- Besoin de sources? Contacter si c'est possible les services d'archives de
L'ONU!