D’après le recensement général de la population et de l’habitat (RGPH) de 1991, trois ethnies cohabitaient au Rwanda. Les BAHUTU étaient environ 90 % de toute la population, les BATUTSI - environ 10 % et les BATWA - environ 1 %.
Tableau n° 2
Source: République Rwandaise, Recensement Général de la Population et de l’Habitat, Kigali, 1991
Selon l’historiographie rwandaise, ce sont les BATWA (twa) qui auraient peuplé les premiers les forêts du Rwanda. Ils vivaient alors de la chasse et de la cueillette. Les BAHUTU (hutu), d’origine bantou, seraient venus en second lieu vers le 7e S. av. Jésus Christ. Agriculteurs, ils défrichèrent presque tout le pays. Ils se déplaçaient au fur et à mesure que la fertilité du sol était menacée dans la partie occupée. Ce sont les BATUTSI (tutsi) qui seraient venus en dernier lieu au 16e Siècle. Pasteurs-nomades d’origine nilotique, ils migraient avec leurs troupeaux de vaches à la recherche de nouveaux pâturages.
L’organisation des BAHUTU sur le
territoire se caractérisait par un regroupement autour de la famille
(lignage) et les terres agricoles s’élargissaient au fur et à mesure que
le besoin se faisait sentir étant entendu que la pression démographique n’était
pas un problème à cette époque. Cette organisation avait pour conséquence
la formation de territoires plus ou moins élargis, parfois même grands,
assimilables à des unités administrativement indépendantes, avec à la
tête des chefs hutu qui à la longue furent considérés comme des rois
sacrés bantou du Rwanda (ABAHINZA avec leurs royaumes). Contrairement au roi
tutsi dont le pouvoir était totalement absolu, leur pouvoir était limité
par la coutume
[1]
. Le système socio-politique des BATUTSI étant mieux
hiérarchisé, ils vont parvenir à déstructurer le système des BAHUTU et à
les assujettir en leur imposant un système féodal basé sur le clientélisme
pastoral et foncier. Pendant le
19ème siècle, les rois tutsis ont renforcé leur domination. Au moment où
le clan royal des Nyiginya dominait tout le pays, les tutsis, éparpillés
entre les hutus, furent incorporés aux unités militaires du pouvoir central
du clan royal, même s'ils ne faisaient pas partie de l'aristocratie. Ainsi,
il s'est créé une sorte de caste militaire hiérarchisée qui comprenait
tous les tutsis et excluait les hutus. Il se dessinait une cassure qui se
développerait au siècle suivant. La structure socio-économique qui s'était
créée au 19ème siècle était totalement hiérarchisée. Les meilleures
positions étaient occupées par les tutsis, avec seulement quelques
exceptions pour les hutus, mais dans des positions inférieures. Tout au bas
de la pyramide, il y avait les hutus, les twas et quelques tutsis restants.
Vers la fin du 19ème s., une profonde scission séparait les riches et
puissants des pauvres et des faibles. La dépendance des pauvres par rapport
aux riches prenait diverses formes; deux structures de pouvoir se détachaient
surtout: l'ubuhake et l'uburetwa.
L'ubuhake, originairement des alliances avec des droits et des devoirs entre
familles de la noblesse tutsi pour protéger leurs intérêts, avait converti
cette aristocratie militaire en aristocratie terrienne d'éleveurs. En vertu
de l'ubuhake, les paysans hutus devaient payer la moitié de leur récolte à
l'umwami (le roi). Ceci contribua à l'appauvrissement de la population et
accentua la scission entre le peuple hutu et la noblesse tutsi bénéficiaire
de ce nouveau système économique.
Sur
l'uburetwa, C.M. Overdulve dit littéralement: «L'immense majorité du peuple
hutu était soumis à l'uburetwa, qui consistait en l'obligation pour chaque
homme de travailler deux jours par semaine (et la semaine traditionnelle
était seulement de cinq jours) au service du chef tutsi et ceci sans être
rémunéré. C'est l'umwami tutsi Kigeri IV Rwabugiri (1865-1895) qui l'aurait
instauré et imposé aux cultivateurs hutus. En général, les tutsis étaient
exempts de l'uburetwa, même s'ils n'appartenaient pas à la noblesse. Ainsi,
ils ont acquis un statut de privilégiés par rapport à la grande majorité
hutu. L'uburetwa était la manifestation la plus humiliante et la plus
étendue de la soumission du peuple. Le poids de cette charge a été un
obstacle énorme pour les hommes, interdits de travailler régulièrement et
suffisamment leurs propres champs. Ce travail, donc, retombait en grande
partie sur les femmes qui avaient déjà la lourde charge de la maison et des
enfants. En outre, elles pouvaient également être appelées pour certains
travaux à la maison du chef tutsi. Tout cela provoquait une situation de
misère sans précédent ; ils avaient beaucoup de difficultés pour nourrir
la famille et ils vivaient sous la menace constante de la faim.» Mais dans
les familles et les ménages hutu, le soir autour du feu de bois, pendant le
repas de haricots, le grand-père ou le père racontait une autre histoire, la
chronique familiale, qui remontait à plusieurs générations, transmise de
père en fils. C'est l'histoire qui dit comment, peu à peu, le lignage
perdait son autonomie et sa dignité, une histoire d'humiliation et
d'oppression croissantes de la part des seigneurs et maîtres, les Tutsi de
toutes les couches, de haut en bas. Cette tradition orale explique les
sentiments profondément enracinés de frustration et d'humiliation des Hutu
envers les Tutsi. Ces sentiments se sont accumulés au cours des siècles,
bouillon de culture d'une haine inconsciente mais toujours en veilleuse, qui
fait partie de l'inconscient collectif du Hutu, transmise, chaque fois
renforcée, de génération en génération. Les Tutsi, eux, ne connaissent
bien sûr pas ces sentiments de frustration et d'humiliation. Ils ont un
inconscient collectif formé par des siècles de pouvoir et de supériorité.
lls n'ont aucune idée de ce qui vit dans l'âme des Hutu. On peut d'ailleurs
se demander si l'Européen ne s'est pas reconnu dans une certaine mesure dans
cet état d'esprit des Tutsi, ce qui expliquerait que l'Européen moyen
éprouve un sentiment spontané de sympathie pour eux. Il est pour le moins
frappant que
presque tous les mariages mixtes soient des mariages entre Européens et Tutsi
et très rarement entre Européens et Hutu.» " Texte tiré de
l'article sur Internet"L'Afrique des Grands Lacs: Dix ans de souffrance,
de déstruction et de mort" par Joan Casoliva, Joan Manresi, Majorque,
Janvier 2000
Du point de vue de la science et de la technologie, ils n’ont rien fait progresser. Cette version des faits a toujours été celle de la cour royale et de la noblesse jusqu’au moment de la chute de leur pouvoir en 1959.
Le système de pouvoir féodal va perdurer au moins pendant trois siècles . Il sera même renforcé à l’arrivée du colonisateur puisque celui-ci va s’appuyer sur l’administration locale en place afin de pouvoir tout dominer (administration indirecte). Heureusement, cette pénétration étrangère va peu à peu désacraliser et fonctionnariser la royauté. Elle va progressivement permettre à toutes les ethnies du pays d’accéder à l’évangélisation et à la scolarisation. Cette ouverture de la majorité alors opprimée au monde extérieur sera déterminant dans l’évolution socio-politique du pays. La royauté sera alors renversée par la révolution sociale de 1959.
La Révolution Sociale de 1959 va permettre aux BAHUTU de prendre le pouvoir. Bon nombre de BATUTSI, surtout l’élite administrative qui ne voulait aucune concession, va quitter le pays pour s’installer dans les pays voisins. C’est cette élite (communément connue sous le nom d'INYENZI) qui, à plusieurs reprises va tenter de reprendre le pouvoir par la force quelques années après l’indépendance en menant des incursions à partir des pays voisins. Devant cette volonté de reprendre le pouvoir par la force, toute tentative en vue de leur de rapatriement fut un échec malgré de nombreux appels des autorités en faveur de leur rentrée au pays. Un département ministériel chargé de la question des réfugiés avait été formé à cet effet.
Tout cela a fait, même quelques années après l’indépendance (1962), que le tutsi est resté dans l’imaginaire de plusieurs hutu comme un oppresseur d’autrefois et un oppresseur potentiel de demain. Il a été longtemps connu comme un envahisseur qui avait pu finalement dominer les autochtones (twa et hutu). Cela s'est démontré et répété dans cette dernière décennie du vingtième siècle. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle, depuis la révolution sociale de 1959, son intégration semblait se faire comme celle de tous les autres étrangers. La phrase du Comité National du Parti MDR PARMEHUTU en 1960 (parti du mouvement pour l’émancipation hutu: parti majoritaire après le renversement de la monarchie) est assez éloquent: « Le Rwanda est le pays des Bahutu (Bantou) et de tous ceux blancs ou noirs, tutsi, européens ou d’autres provenances, qui se débarrasseront des visées féodo-colonialistes » [2] .
Parlant du MDR Parmehutu, il faut insister sur le fait que c'est ce parti politique qui a conduit le Rwanda à l'indépendance. Brièvement, son grand leader Grégoire Kayibanda et ses compagnons de lutte avaient pu regrouper les hutu dans des organisations catholiques de type MOC (mouvement ouvrier chrétien). Cela aura d'ailleurs une grande connotation sur le futur parti politique. A l'instar du MOC, Kayibanda avait crée le PARMEHUTU(parti du mouvement pour l'émancipation hutu). C'était donc un mouvement constitué essentiellement de paysans. Ces paysans n'étaient autres que des hutu et donc des serviteurs opprimés. Avec l'évolution des événements politiques, on a ajouté le sigle MDR afin de clarifier la politique du parti (Mouvement Démocratique Républicain). Le PARMEHUTU devint ainsi MDR PARMEHUTU. On voit ainsi que derrière ce nom, il ne se cache rien de terrifiant comme certains irresponsables tutsi veulent le faire croire. Le mouvement était né à la suite de l'existence des organisations chrétiennes (MOC). Ces organisations étaient à majorité formées par des hutu opprimés. C'est pourquoi leur émancipation était plus que jamais nécessaire. On peut même ajouter que le pas franchi dans cette émancipation a été anéanti par le FPR. Le parti MDR PARMEHUTU a été donc fondé dans des conditions sociales bien précises que l’histoire devra bien respecter.
Les premiers leaders de la jeune République, dont la majorité venait des régions du centre et du sud du pays, vont commettre des erreurs politiques qui leur seront fatales. La première erreur parmi tant d'autres date dès la naissance de la jeune république. En effet, l'une des défaillances majeures en matière de démocratie fut que les partis politiques fondés en 1959 vont se voir étouffés en douce. Bien sûr, c'étaient des petits partis politiques face au MDR Parmehutu, mais il fallait les laisser évoluer librement. Ces autres partis politiques qui avaient vu le jour étaient: APROSOMA (Association pour la Promotion Sociale de la Masse), RADER (Rassemblement Démocratique Rwandais), UNAR (Union Nationale Rwandaise) et AREDETWA (Rassemblement Démocratique des Twa ?). Le MDR resta ainsi seul sur l'échiquier politique et le pluralisme politique céda la place au monopartisme. L'autre défaillance qui est apparue vers la fin du régime est la volonté d’accaparer seuls le pouvoir politique au détriment des autres régions.
Les premières années de la première République se sont caractérisées par des attaques meurtrières des tutsi-inyenzi. La région de Ruhengeri et Gisenyi (NORD) étant naturellement habitée par des hutu seulement, le président Kayibanda avait jugé bon de recruter la majorité des militaires dans cette région des bahutu. Le reste du pays était habité par des couples avec une identité ethnique plus ou moins mixte. Ce recrutement massif d'une armée nationale dans une seule région habitée par des hutu se faisait dans l'idée de renforcer la sécurité nationale menacée par des inyenzi. En créant une armée formée majoritairement par des hutu, il avait ainsi l'espoir de bien mâter ces tutsi-inyenzi. Après quelques années, la garde nationale était presque formée par les officiers du NORD seulement. C'est ainsi qu'a commencé la menace d'un coup d'Etat. Ces officiers voulaient aussi s'approprier le pouvoir politique. Ayant remarqué ce danger, le pouvoir essaya de fondre la Police Nationale dans la Garde Nationale. La police nationale était formée par des éléments de tout le pays, ce qui permit d'équilibrer les effectifs du point de vue régionale. Mais c'était trop tard. Les officiers du NORD étaient décidé à faire ce coup d'Etat. Kayibanda essaya même de disperser ces officiers à la campagne en les nommant aux postes de directeur des usines à thé, ou directeur des établissements d'enseignement secondaires, mais ce fut en vain. Ils étaient fort tellement que la menace était plus que réelle. C'est pourquoi, les occidentaux qui accusent le Président Kayibanda de n'avoir rien fait lors des massacres des étudiants par exemple à Kabgayi en 1973 alors qu'il était chez lui, ou encore que ce putsch a été bien accueilli par la population, n'ont rien compris ou ne veulent rien comprendre. En cautionnant une "Garde Nationale hutu" plutôt régionaliste, Kayibanda avait créé un danger insurmontable qui allait coûte que coûte se retourner contre lui. Il est à noter que c'est son chef des renseignements (Kanyarengwe A.) qui fut le cerveau de ce coup d'Etat. Par ailleurs, certains accusent le président Kayibanda d'avoir mis dans son dernier gouvernement six ministres de sa préfecture Gitarama. Cela constituait évidemment un acte politique de frustration des autres régions du pays, mais ce n'était pas suffisant pour déclencher un coup d'Etat aussi sanglant que les rwandais l'ont connu. D'ailleurs, sous le régime qui a suivi, la répartition des postes politiques et administratives selon les préfectures s'est empirée. A un certain moment du régime Habyarimana, la préfecture de Ruhengeri avait 7 ministres. Cette raison n'était donc pas valable pour arriver à un putsch. Cela va entraîner le pays vers un régionalisme à outrance. En 1973, la tactique ethnisante va être employée par quelques officiers de l’armée pour renverser le régime du premier Président démocratiquement élu. Cela faisait suite aux troubles ethniques qui avaient secoué le Burundi où l'armée tutsi était entrain d'exterminer les hutu. Plus de 250.000 hutu burundais ont été massacrés en 1972. La chute de la première république rwandaise va malheureusement s'accompagner par un esprit régionaliste sans précédent. Les soldats des deux préfectures du nord du Rwanda (Gisenyi et Ruhengeri), véritables artistes de ce putsch, seront caractérisés par une politique régionaliste accentuée. Le problème régional "RUKIGA - NDUGA" venait de naître presque officiellement.
Le virus ethnique, activé ainsi au
Rwanda par les malheureux événements du
Burundi, va semer les troubles qui coûteront la vie à certains
batutsi en 1973. Malgré que les officiers putschistes rwandais étaient les
principaux agents de transmission de ce virus, ils s’en sont savamment servi
pour expliquer le bien fondé de leur coup d'état. Ils étaient évidemment
appuyé par quelques puissances impérialistes occidentales qui voulaient
renverser le régime. C’est ainsi que ces soldats-putcthistes annoncèrent
officiellement au peuple rwandais qu’ils se devaient de mettre fin au
désordre qui régnait dans le pays. En faisant aujourd'hui une analyse
historique des faits, on se rend compte que ce sont ces mêmes officiers hutu,
qui dans les années quatre vingt, vont faire des tentatives de renverser le
régime qu'ils avaient eux-mêmes mis au pouvoir et qui avait renforcé les
clivages ethniques et régionales (régime de Habyarimana). Ce sont toujours
ces mêmes officiers hutu qui reviendront dans la rébellion armée tutsi,
cette fois-ci du côté FPR en 1990. Après l'attentat mortel du président
Habyarimana, qui a conduit à la victoire militaire du FPR en 1994, les hutu
seront utilisés comme des marionnettes servant à cacher l'omniprésence des
tutsi dans tous les plus hauts postes du pays et à cautionner leurs sales
actions devant la communauté internationale. Le chef de cette bande des
officiers hutu, le Colonel Alexis Kanyarengwe, pourtant réputé être de
caractère anti-tutsi, avait été même placé à la tête de leur
organisation militaire, actuellement considérée comme politique (le FPR).
Kanyarengwe Alexis est sorti dernier de la première promotion de l'école des
officiers rwandais (EO) dont Habyarimana était le troisième. Il fut ensuite
parachuté au grade de colonel des FAR (forces armées rwandaises) et donc
dignitaire du régime Habyarimana. Il a combattu des inyenzi (FPR des années
60) et c'est pourquoi les rwandais le reconnaissait comme quelqu'un qui avait
participé à sauver plusieurs vies de ses semblables hutu. Etant devenu
prématurémént chauve, il se vantait que c'est à cause des tirs des inyenzi
que ses cheveux étaient disparus et que de son vivant, il ne composera jamais
avec les tutsi. Pourtant, lors d'une réunion avec les dignitaires du régime
tutsi dans le village URUGWIRO, sous pretexte qu'il serait UMUNYIGINYA, il nia
formellement son identité hutu. Originaire de la préfecture de Ruhengeri, il
est considéré comme le principal auteur du putch qui a porté Habyarimana au
pouvoir. Accusé de conspiration par ce régime, il fuit le Rwanda en 1981.
Récupéré soudainement par le FPR dans les années 90, il sera
malicieusement utilisé comme le chairman (figurant) de ce parti, mais le vrai
chef était KAGAME. Malgré son âge avancé et en récompense de ses actes de
confession, les tutsi lui
donnèrent en second mariage leur fille (tutsi) qu'il épousa en 1996. Après
ce mariage, il fut vite écarté de la sphère d'influence du FPR.
A l'instar de ce vieux colonel des FAR (Forces Armées Rwandaises), les hutu dans l'administration publique ont purement et simplement été utilisé pour servir les intérêts du FPR après sa victoire en 1994 et non des intérêts du pays. C'était le sauve-qui-peut pour la plupart d'entre eux.
Concernant la Révolution Sociale de 1959, il faut donner quelques précisions. En 1957, l’élite hutu avait publié un document révolutionnaire et historique qui mettait en cause les relations politico-sociales entre les hutu et le pouvoir tutsi. C’est le Manifeste des Bahutu [3] . Le pouvoir tutsi alors en place essaya de réprimer l’opposition hutu en éliminant physiquement son élite. En 1959, plusieurs partis politiques vont voir le jour. C’est suite à cette situation que la grande masse paysanne hutu, avec à sa tête des leaders hutu et quelques tutsi, va se soulever. Les hutu vont réclamer leurs droits, ce qui ne va pas être obtenu sans heurts. Dans ce climat de tensions sociales, plusieurs hutu vont être massacrés. La réaction défensive des hutu ne tarda pas et fut musclée. C'est le début de la Révolution de 1959. Dans la suite, le pouvoir de domination des tutsi sur les hutu sera anéanti. Malgré que le colon avait fort longtemps favorisé et soutenu la minorité tutsi au pouvoir, il va maintenant faire volte-face. Cette révolution sera donc finalement appuyée par les autorités coloniales ainsi que par l’Eglise Catholique. Ce revirement brusque et positif en faveur de la grande masse paysanne opprimée leur vaudra, surtout après la victoire du FPR en 1994, des critiques de toutes pièces de la part des tutsi. C'est ainsi que pendant et après la guerre qui a conduit à la défaite des hutu en 1994, l'Eglise Catholique Rwandaise va payer un lourd tribut. Tous les évêques hutu ainsi que plusieurs prêtres et soeurs vont être purement et simplement abattus (Archevêque de Kigali, Evêques de Kabgayi, de Byumba, …).
Dans les années 1990, avec à la tête certains intellectuels de la diaspora rwandaise tutsi auxquels se sont joints quelques occidentaux dont les plus acharnés sont des africanistes de l’école tiers-mondiste française (Cathérine Coquery-Vidrovitch, J. P. Chrétien, etc.) a été forgé la théorie selon laquelle les bahutu, les batutsi et les batwa forment une seule ethnie. Ils auraient alors vécu depuis longtemps dans une harmonie totale [4] . Ce serait la Révolution Sociale de 1959 qui aurait mis la poudre au feu et divisée les rwandais sur le plan ethnique, division qui serait également le chef d’oeuvre du colonisateur. Pourtant, les tenants de cette thèse ne montrent pas ce que le tutsi, qui régnait en maître absolu sur tout le pays, a fait pour contrer cette division du colon qui, selon toute vraisemblance, avait beaucoup de chances d’échouer, étant donné qu’il y avait déjà plus de quatre siècles d’intimité entre les hutu et les tutsi [5] ! Selon toujours ce nouveau courant, leur distinction ne trouverait son fondement que dans les mécanismes internes de stratification et de différenciation sociale. C’est ainsi qu’ils avancent que les différences morphologiques et culturelles propres aux tutsi et aux hutu seraient davantage le résultat d’une spécialisation économique et donc susceptible d’évoluer...
Sans toutefois vouloir affirmer que les hutu et les tutsi ne peuvent pas vivre en harmonie, ce qui est par ailleurs idéal et souhaitable, nous pensons que construire un pays sur une base de réalités historiques fausses est contre le développement de ce pays. Ici, nous considérons "développement comme étant un processus historico-systémique de longue période, construit sur des faits économiques, culturels, institutionnels, administratifs, ..., constamment en évolution" [6] . J.M.V. Higiro [7] cite quelques faits culturels qui démontrent clairement la non harmonie historique entre les hutu et les tutsi:
a) l'emblème royal, caractérisé par le tambour "KALINGA" était orné d'organes génitaux des roitelets et autres leaders hutu massacrés justement parce qu'ils étaient des hutu ou qu'ils luttaient pour la cause hutu. SINDIBONA fut l'un de ces victimes hutu dont les organes génitaux servirent à orner ce tambour (Kalinga). Quelle horreur!
b) la culture rwandaise est riche en proverbes. Ces proverbes expriment bien les relations qui lient les rwandais dans leur vie quotidienne. Voici quelques exemples:
- Utuma abahutu atuma benshi (Qui veut confier une mission à des hutu doit en envoyer plusieurs, autrement dit le hutu est oublieux);
- Umuhutu ntashimwa kabili (Le hutu, on ne le félicite pas deux fois: le hutu est versatile);
- Inkunguzi y'umuhutu yivuga mu batutsi (Le hutu marqué par le sort déclame ses hauts faits parmi les tutsi: c'est s'attirer des malheurs que de provoquer un plus puissant que soi);
- Umututsi umuvura amaso akayagukanulira (Le tutsi, tu lui soignes les yeux et il te fixe d'un regard méprisant: la reconnaissance n'est pas une qualité du tutsi);
- Umututsi umusembereza mu kirambi akagutera ku bulili (Le tutsi, tu lui offres l'hospitalité et il te déloges du lit);
- Umututsi umuvura amenyo ejo akayaguhekenyera (Le tutsi, tu lui soignes les dents et le lendemain, il en grince en ton sujet);
- Umutwa ararengwa agatwika ikigega (Le twa devient opulent et il incendie son grenier: les twa sont particulièrement imprévoyants); ...
Cette richesse traditionnelle de la culture rwandaise nous montre clairement que pour mieux connaître un rwandais et plus particulièrement un umututsi (tutsi), il faut être rôdé dans sa culture. D'ailleurs, c'est l'une des raisons qui a fait que la nouvelle génération des hutu a perdu la bataille devant les tutsi. En effet, les jeunes hutu ont pensé qu'ils pouvaient mieux composer avec les tutsi qu'avec certains hutu malhonnêtes. C'est ainsi que lors de l'attaque des inkotanyi en 1990, un certain soutien même de la part des partis politiques a été sans faille. C'est justement à cause de la méconnaissance de leur partenaire que ces jeunes hutu, appelés à tort et à travers "les modérés" se sont fait surprendre. Peu de temps après avoir travaillé avec le FPR et remarqué la réalité, la majorité d'entre eux a trouvé le chemin de l'exil. La meilleure connaissance d'un umututsi et vice versa du côté tutsi envers le muhutu aidera certainement ces deux communautés à vivre ensemble.
Selon toujours les mêmes faiseurs de la nouvelle historiographie du pays, «dans le Rwanda d’avant l’ère coloniale, ressortaient trois groupes socio-économiques, à savoir: les tutsi majoritairement éleveurs du bétail, les hutu agriculteurs et les twa qui vivaient de la chasse et de la cueillette. Les frontières entre ces groupes auraient été flexibles. Il suffisait à un hutu ou twa d’augmenter l’effectif de son cheptel pour devenir tutsi». Le raisonnement inverse serait-il aussi vrai?
Comment alors peut-on objectivement comprendre cette situation? Dans toute société, la langue (expression orale) évolue avec la vie quotidienne des populations. Au Rwanda, comme les tutsi étaient les seules maîtres du pays et que leur richesse s’évaluait en troupeaux de vaches, les hutu et les twa aspiraient à avoir beaucoup de vaches (être riche comme les autres). Cela a été d’ailleurs remarquable après la révolution de 1959 où les hutu ont voulu remplacer les grands éleveurs tutsi. Avec la pression démographique, les pâturages sont vite devenus insuffisants ce qui entraîna la diminution de l’effectif du bétail par individu et le gros bétail fut concurrencé par le petit bétail qui ne demande pas beaucoup d’espaces. Ainsi, dans le langage courant , et cela même avant la révolution de 1959, un hutu qui arrivait à avoir plusieurs vaches était dit couramment qu’il était devenu tutsi (riche). Ce sont ses semblables hutu qui, voyant ses conditions économiques s'améliorer comme celles des dirigeants tutsi, considéraient qu'un hutu était arrivé à un autre stade de vie: celui des tutsi. Dans la sphère des tutsi, malgré qu'il était devenu riche comme eux, il restait foncièrement hutu. C’est cette expression que la nouvelle école sur l’ethnisme au Rwanda essaie d’exploiter non sans arrière-pensée. Il en est de même pour le terme «IMFURA » terme qui correspond à "noble" en français. Avant et même après la révolution sociale de 1959, il était devenu normal d’appeler un hutu «IMFURA ou noble» selon que celui-ci maîtrisait parfaitement la manière de se comporter des nobles, qui ne pouvaient être que des tutsi.
Pourtant, quand on va sur le terrain, on remarque que la réalité des faits a toujours été et est actuellement telle qu’aucun hutu n’est jamais devenu tutsi ou twa et inversement, malgré la situation économique susceptible d’évoluer dans les deux sens. Notons que seul le mwami (roi) pouvait ennoblir ou déchoir ses sujets. Un des rares cas qu’on connaît est celui du twa BUSYETI qui donna son nom à son célèbre tribu: ABASYETI et donc les tutsi d’origine twa. Suite à l'ascension économique et sociale des rwandais due essentiellement à l'influence coloniale et à la suppression de l'institution du servage pastoral (ubuhake), certains hutu soi-disant évolués ont renié leur ethnie pour rejoindre l'ethnie des tutsi. Malgré ce revirement, cela ne les mettait pas complètement hors des brimades et du mépris auxquels les condamnait leur origine. Ce choix montre à suffisance le degré de frustration des hutu dû aux discriminations ethniques. Il ressort ainsi que la dualité hutu-tutsi-twa résulte de trois ethnies bien distinctes, mais susceptibles bien que difficilement sinon rarement, à l'infiltration de l'une par l'autre.
Hormis que cette
théorie contredit la réalité traditionnelle toujours véhiculée par la
monarchie depuis des siècles, les tenants de ces idées semblent vouloir
embrouiller expressément la vraisemblance historique. En effet, suite aux
revendications de plus en plus grandissantes d’égalité et de fraternité
entre les bahutu et les batutsi en 1958, les grands chefs de la cour royale
avaient vivement réagi avec un document officiel affirmant sans ambiguïté
qu’il n’y avait aucun lien entre eux et que les seules relations possibles
étaient basées sur le servage. Voici l’extrait du
texte du 17 mai 1958, en
réponse au Manifeste des BAHUTU:
«L'ancêtre
des BANYIGINYA est KIGWA arrivée à RWANDA (rwa GASABO) avec son frère
nommé MUTUTSI et leur sœur NYAMPUNDU....»
«Le
pays était occupé par les BAZIGABA qui avaient pour roi le nommé
KABEJA...»
«Les
relations entre les sujets de KABEJA et la famille KIGWA furent tellement
fortes que ces derniers abandonnèrent leur premier maître et se firent
serviteurs de KIGWA.»
«L'affaire
en étant ainsi jusqu'alors, l'on peut se demander comment les Bahutu
réclament maintenant leurs droits au partage du patrimoine commun. Ceux qui
réclament le partage du patrimoine commun sont ceux qui ont entre eux des
liens de fraternité. Or les relations entre nous (Batutsi et eux (Bahutu) ont
été de tous temps jusqu'à présent basées sur le servage; il n'y a donc
entre eux et nous aucun fondement de fraternité. En effet, quelles relations
existent entre Batutsi, Bahutu et Batwa?»
«Les
Bahutu prétendent que Batutsi, Bahutu et Batwa sont fils de KANYARWANDA, leur
père commun. Peuvent-ils dire avec qui Kanyarwanda les a engendrés; quel est
le nom de leur mère et de quelle famille elle est?»
«Les
Bahutu ont prétendu que Kanyarwanda est notre père commun, le «Ralliant»
de toutes les familles, Batutsi, Bahutu et Batwa: or Kanyarwanda est fils de
Gihanga, de Kazi, de Merano, de Randa, de Kobo, de Gisa, de Kijuru, de
Kimanuka, de Kigwa. Ce Kigwa a trouvé les Bahutu dans le Rwanda. Constatez
donc, s'il vous plaît, de quelle façon nous, Batutsi, pouvons être frères
des Bahutu au sein de Kanyarwanda, notre grand-père.»
«L'histoire
dit que RUGANZU a tué beaucoup de «Bahinza» (roitelets). Lui et les autres
de nos rois ont tué des Bahinza et ont ainsi conquis les pays des Bahutu dont
ces Bahinza étaient rois. On en trouve le détail dans «l'Inganji Kalinga».
Puisque donc nos rois ont conquis les pays des Bahutu en tuant leurs roitelets
et ont ainsi asservi les Bahutu, comment maintenant ceux-ci peuvent-ils
prétendre être nos frères?»
Signé :
KAYIJUKA
SERUKAMBA
RUKEMAMPUNZI
MAZINA
RWESA
SEBAGANJI
RUZAGIRIZA
NDAMAGE
SEZIBERA
SEKABWA
NKERAMIHETO
SHAMUKIGA
Ce document* illustre bien les relations qui se sont tissées au fur du temps entre les deux ethnies. Précisons qu’à l'arrivée au Rwanda des allemands vers 1894, ceux-ci ont trouvé une minorité ethnique qui dominait le pays. Ils n'ont pas touché à ce système. La tutelle belge, à son tour, a conforté la position privilégiée des tutsi. Contrairement à ce nouveau courant de certains tutsi de la diaspora rwandaise, le statut de "domination et d'exploitation" de la majorité par une minorité n'est pas une invention ni des allemands, ni des belges, mais ce système avait fondé ses racines sur la répression et le servage de la majorité hutu par une minorité tutsi après que cette dernière ait éliminé les rois sacrés hutu (ABAHINZA). Cette rupture des idées entre les générations des batutsi d’hier et d’aujourd’hui ne serait-elle pas fondée sur un opportunisme stratégique s’inscrivant dans la logique de la guerre ethnique imposée au Rwanda depuis 1990?
N’étant pas ethnologue, je ne peux pas prétendre détenir la clé de la vérité objective sur cette question. Pourtant, afin d'éviter de se laisser influencer par un esprit partisan et pour laisser le champ ouvert aux hommes scientifiques dans leur recherche, nous pensons qu’il faut donner au lecteur le droit de faire un choix conscient et raisonné entre ces deux propos. Il est toutefois utile de remarquer que pour les rwandais, et cela depuis longtemps, l’identité sociale n’a jamais été l'objet d'aucune ambiguïté. Normalement, les personnes d'une même colline, d’une même cellule administratif ou secteur se connaissaient et savaient quelle strate sociale, actuellement appelé UBWOKO, à laquelle chacun faisait partie (hutu, tutsi ou twa). Quand les historiens étrangers ont commencé à écrire sur le pays, ils n’ont pas pu trouver dans leur langue le mot qui traduisait exactement ce terme. Ainsi plusieurs auteurs étrangers ont assimilé ce concept d’UBWOKO à ethnie, race, tribu, caste ou classe, ce qui a créé une ambiguïté totale dans la définition et la compréhension de « tutsi, hutu et twa ». L’administration coloniale a récupéré le mot ethnie pour désigner ubwoko et c’est ainsi que « UBWOKO » se traduit à tort ou à raison par « ethnie ».
Malgré cette identité d'UBWOKO qui a caractérisée les rwandais et qui s’est toujours accompagnée par une exploitation d’un groupe social par un autre avant la révolution sociale de 1959, les limites de séparation identitaires (ethnique), du moins pour les rwandais qui se trouvaient à l’intérieur du pays avant la guerre de 1990, étaient devenues de moins en moins visibles. Erny P. [8] nous fait remarquer pertinemment qu’avant la guerre imposée au Rwanda par le Front Patriotique (FPR), on pouvait difficilement parler d’ethnies différentes au Rwanda, si on se référait à la définition de "l’ethnie comme étant un groupe de même culture et de même langue". Il y avait eu effectivement une intégration presque totale. Du point de vue économique, plusieurs hutu étaient devenus plus riches que des tutsi mais il y avait aussi des tutsi qui étaient parvenu à s'enrichir. D'ailleurs, avant la guerre de 1990, les mariages inter-ethniques étaient devenus si fréquents qu’il était difficile de distinguer un hutu et un tutsi dans certaines régions du pays (le sud et le centre). Il semble de plus en plus évident que c’est la guerre des inyenzi-inkotanyi qui est à la base de tout le drame rwandais.
Il est utile de dire un mot sur les clans au Rwanda. Du temps monarchique, on en comptait plus d'une dizaine. Actuellement, ils ont peu à peu perdu leur valeur parmi la population tellement que les jeunes ne s'y retrouvent pas. Au Rwanda, le clan était considéré comme une organisation supra-familiale qui regroupait tutsi, hutu et twa au sein d'une même parenté supra-ethnique à caractère mystique. Chaque clan avait son totem. Parmi les clans les plus répandus au Rwanda, on pouvait distinguer: les BANYIGINYA (représentés par les familles des Bahindiro, des Bagunga, des Bashambo, des Batsobe, des Bakobwa, des Benemunyiga, des Baryinyonza, des Baka et des Banana), les BEGA (représentés par des Bakagara, des Bakongori, des Bakiza et des Bahanya), les BASINGA représentés par des Bacumbi, les BAZIGABA représentés par des Barenzi, les BACYABA représentés par les Babogo et les BAGESERA. Tous les rwandais se classaient ainsi, pêle mêle en ces clans (cfr Amoko mu Rwanda 1960). Deux personnes ayant le même totem (animal) ne pouvaient pas se marier. Selon la légende, seul avait échappé à la règle le clan royal dont le premier roi munyiginya avait épousé sa sœur, avec laquelle il était tombé du ciel. Le fait que tutsi, hutu et twa appartennaient au même clan sous entendait qu'ils étaient censés être frères et donc avoir un ancêtre commun. Cette stratagème permettait au tutsi de faire croire au hutu et twa qu'ils avaient une parenté commune ce qui assurait au tutsi la fidelité de ces derniers sans aucun autre engagement en contre-partie. Depuis la victoire des tutsi en 1994, les idéologues du FPR sont revenus sur cette stratégie. Ils font croire que tous les rwandais, hutu, tutsi et twa sont issus du même ancêtre. C'est ainsi que certains dignitaires hutu du régime FPR se réclament issus des mêmes clans que les responsables tutsi du FPR et donc se font passer aussi pour des tutsi. Pourvu que ça dure!
Des critiques virulentes continuent de venir de ces historiens occidentaux qui se croient plus professionnels que leurs aînés, étant donné qu'ils ont fait des études universitaires en histoire et qu'ils exercent dans ce métier. Ils mettent en cause tous les travaux d'histoire faits antérieurement sur le Rwanda, dont ceux du célèbre Abbé Alexis Kagame. Ils arrivent même à qualifier l'histoire du Rwanda de pseudo-histoire [9] . Bref, ils reprochent à ces travaux de ne pas être faits par des historiens de métier avec un diplôme universitaire reconnu en histoire, d'un manque de critique, d'avoir accepté comme véridique les données relatives à la tradition de la dynastie des Banyiginya, d'avoir appliqué la notion de race aux catégories sociales hutu, tutsi et twa, ....
Certes, la science a évolué pendant ces dernières décennies et la clarté de certaines données historiques peut être donnée avec plus de précision. Dans le cas du Rwanda où la tradition orale constituait la seule source d'information jusqu'au début du 20e siècle, il serait scientifiquement malhonnête de dire que les travaux faits par les divers intellectuels rwandais et étrangers n'ont rien de scientifique. Il faut reconnaître qu'ils ont servi de matières premières pour les études postérieures dont les critiques faites par ces mêmes historiens dits de carrière. Par ailleurs, le manque de documents de confrontation pour certains faits historiques poussent ces historiens à les considérer comme des hypothèses à confirmer. Remarquons que ce manque de documents n'est imputable à personne. Le problème qui se pose est de savoir si, finalement, cette nouvelle génération d'historiens aura ces documents. Et, en attendant, veulent-ils que l'histoire du Rwanda ne se limite que seulement à leurs recherches et que les données qu'ils ne sont pas à même ni de confirmer ni d'infirmer soient rejetées? Aucun rwandais ne connaissait mieux la généalogie des Banyiginya que les concernés eux-mêmes. Pour ces "experts du Rwanda", c'est une méconnaissance des réalités rwandaises qui conduit à leur malhonnêteté intellectuelle en mettant en doute les travaux antérieurs. Les rwandais qui ont eu à donner des IBISEKURU (généalogie) avant leurs mariages savent combien cet exercice est dur et qu'une personne étrangère à votre lignée ne peut pas s'en sortir mieux que vous (référence faite aux informateurs cités par Vidal). On peut surtout se demander pourquoi un intellectuel comme Vidal qui apparemment s'est intéressé au Rwanda depuis longtemps, a attendu la mort de Kagame et la diffusion de la nouvelle historiographie rwandaise par le FPR pour donner ses critiques. Contrairement à ce qu'elle affirme que, "..., les historiens ne sont au service d'aucune cause particulière" [10] , la prise de position de ses confrères du CNRS (J. P. Chrétien, ...) dans le conflit rwandais laisse planer un doute sur le sérieux et la véracité des écrits de ces intellectuels. Force est de constater que ces derniers temps, les travaux sur le Rwanda de ce groupuscule d'experts sont confectionnés malheureusement avec passion. Par ailleurs, qualifier l'histoire du Rwanda de pseudo-histoire atteste un certain négativisme méprisant de Vidal envers le peuple rwandais. Cela revient à dire que le pays n'a pratiquement pas d'histoire. Ce raisonnement, qui vient pourtant d'un homme scientifique, n'a rien de dialectique. Le fait qu'un corps chimique n'a pas été encore découvert n'explique pas forcément qu'il n'existait pas ou qu'il n'existe pas. Plutôt que d'insinuer que le Rwanda n'a pas d'histoire, il serait judicieux de dire que son histoire est mal connue. En effet, l'histoire écrite du Rwanda date dès la fin du dix-neuvième siècle. On peut donc affirmer, si on ne considère que l'histoire ne se limite qu'à l'écrit, que son histoire est plutôt jeune.
Concernant les relations précoloniales entre hutu et tutsi (les batwa sont oubliés), C. VIDAL, dans son article [11] écrit: "Dans toutes les régions du Rwanda, les traditions généalogiques précisent que les premiers ancêtres de la lignée (situés en règle générale six générations avant celles d'informateurs nés vers 1900) ont défriché (kwica umugogo) la terre où vivent leurs descendants. Ces derniers se déclarent sans ambiguïté descendants d'ancêtres hutu ou bien d'ancêtres tutsi". Tout en étant pas historien de formation comme le veut Vidal, ce passage m'interpelle toutefois à ceci: "Dans toutes les régions du Rwanda, ...". On aimerait savoir ces régions puisque le peuplement du Rwanda ne s'est pas fait ni en même temps, ni par une même population. Est-ce que les divers mouvements de migrations ont été pris en compte? Par ailleurs, le raisonnement objectif de cette dame qui recoupe d'ailleurs les anciens écrits, montre que "les hutu et les tutsi habitent le Rwanda il y a bien longtemps et que hutu et tutsi n'est pas l'invention de qui que ce soit". Par contre; Vidal affirme, à tort ou à raison, qu'à partir de 1725, hutu et tutsi se sont sédentarisé ensemble mais reconnaît ne pas savoir ni d'où venaient-ils, ni que faisaient-ils avant, ni dans quel conditions, ....
En admettant que ces recherches permettent de situer le problème hutu-tutsi à partir de 1725, est-ce-que cela voudrait dire qu'avant cette date les hutu, les tutsi et les twa n'habitaient pas au Rwanda? Non, puisqu'elle écrit elle-même que "à partir de cette date, les populations qui vivaient au Rwanda ont cessé de pratiquer une agriculture et un élevage itinérants". Ces populations ne peuvent donc qu'être hutu, tutsi et twa. Si cela est juste, pourquoi ont-ils cessé cette pratique? Rien n'est dit à ce propos. Tout cela a été confectionné pour contrarier la version selon laquelle les agriculteurs seraient arrivés les premiers et les pasteurs tutsi en second lieu. A la lumière de ce qui est dit plus haut, il serait mieux de recommander à certains chercheurs du CNRS de ne pas anticiper les affirmations hâtives. Les hutu, les tutsi et les twa pouvaient bien se sédentariser à la même époque tout en étant arrivés au Rwanda à des époques différentes, avec des origines et des modes de travail différents.
Depuis le 5 juillet 1973, date du putsch militaire qui a mis les assoiffés du pouvoir au trône, le Rwanda a été plongé dans une dictature militaire pourtant soutenue sans réserve par les pays qui se croient démocratiques. Afin de pouvoir gouverner seuls, l'ordre militaire fut élargi aux civils. La liberté céda la place à la terreur. Plusieurs anciens politiciens du sud du pays furent massacrés, mais il n'y eut aucune réaction de la part de ceux qui gouvernent le monde (les grandes puissances occidentales), particulièrement de l'ancienne puissance coloniale: la Belgique. Curieusement, même certains intellectuels rwandais témoins de ces massacres n'osent pas actuellement dévoiler la réalité. Ceci est d'autant plus inquiétant que certains soi-disants spécialistes occidentaux du Rwanda continuent de traiter de dictateur le premier président de la République - Kayibanda. Pourtant, c'est le président le plus démocrate que le pays ait jamais connu.
Au lieu d'affronter avec lucidité l'un des grands problèmes du pays - le problème socio-ethnique, le nouveau régime militaire opta de le camoufler. C'est ainsi que, manifester à haute voix que quelqu'un était d'origine tutsi était pris par le pouvoir Habyarimana comme une insulte, une atteinte à la dignité humaine et à la paix nationale. Effectivement, c'est dans cette paix camouflée que le noyau dur au pouvoir a pu profiter et faire tout ce qu'il voulait. Le problème hutu-tutsi fut ainsi anesthésié au profit non pas des intérêts généraux du pays, mais de la classe pillante au pouvoir. Il en sera de même du problème régional (problème entre le Nord et le Sud: ABAKIGA vs ABANYENDUGA), pourtant qui avait été à la base du coup d'état militaire de 1973 et dont l'acuité allait malheureusement en grandissant. Le pouvoir Habyarimana saura malicieusement exploiter tout cela au profit de ses intérêts propres. Ainsi, si les rwandais veulent d'une façon durable vivre en paix, ces deux problèmes à savoir le problème "hutu-tutsi" et le problème "kiga-nduga" devront être traités sans passion dans une conférence nationale.
La deuxième République ainsi née ne va pas suivre et améliorer la politique de ses prédécesseurs afin de résoudre le problème des réfugiés. Il est à noter que la première République a toujours invité les réfugiés à rentrer, ce que les réfugiés tutsi jugeaient insuffisant. La raison avancée par les autorités de la seconde république comme principale obstacle au retour des réfugiés fut que le pays était surpeuplé. Cette situation va causer le mécontentement des réfugiés surtout que dans quelques pays d’accueil comme l’Ouganda, les autorités ne furent pas toujours favorables à leur hébergement.
C’est le cas du régime du dictateur ougandais Amin qui va expulser les réfugiés rwandais dans les années 1980 et que la deuxième république ne pourra pas accueillir comme des ressortissants rwandais à part entière. Sous les conseils même de la communauté internationale (les puissances occidentales) qui avait une vision malthusienne du problème démographique rwandais, ces réfugiés vont être bon gré mal gré rapatriés en Ouganda. C’est vraisemblablement à partir de ce moment que le problème des réfugiés rwandais est devenu assez délicat.
Ayant trouvé un renfort du président ougandais Museveni (ex-maquisard) à côté duquel ils avaient combattu dans le maquis pour conquérir le pouvoir à Kampala, ils vont lancer une nouvelle attaque contre le Rwanda en octobre 1990. Cette guerre, jugée par la majorité des rwandais comme une guerre ethnique sera assez meurtrière. Elle va durer 4 ans. Les anciens réfugiés tutsi vont prendre le pouvoir en juillet 1994. L’appui de l’Ouganda au Front Patriotique Rwandais avait une double face: d’abord Museveni les aidait en tant qu’ancien camarade du maquis, ensuite il voulait se débarrasser de la communauté des rwandais qui finalement étaient parvenu à occuper des postes importantes dans la vie de son pays. L’opposition ougandaise ne mâchait pas les mots quand il s’agissait de signifier à Museveni que ces postes devaient revenir aux ougandais.
Un facteur important qui a fait basculer le pays dans l'anarchie, c'est l'événement du retour à la démocratie en 1991. Ce retour était exigée et soutenue par les bailleurs de fonds. Les partis politiques sont nés soudainement sur un fond ethnique, régional, ...., sans aucun projet politique valable de société. Cette situation était dominée par un esprit de haine et de vengeance de ces nouvelles formations politiques vis à vis de l'ancien parti unique le MRND. Cela s'expliquait par des scandales politiques et finançières monumentales (coup d'Etat de 1973 qui avait horriblement fait éliminé les leaders de la révolution de 1959, gestion de la chose publique comme un bien régional sinon familial, ...) que les fondateurs et les membres de ce parti s'étaient rendu responsables*. Quant aux Forces Armées Rwandaises (FAR), elles étaient devenues une armée dont les officiers venaient presque d'une seule région (celle du président de la République), et soutenaient fermement le régime en place.
Les jeunes partis politiques, qui ne spéculaient que sur des discours dont la forme était attrayante pour la population mais dont le fond était presque nul, vont vite se rendre compte qu'ils ne bénéficiaient pas du soutien de cette armée régionaliste. Cela constituait un handicap majeur pour ces formations politiques. C'est ainsi que pour contrer cette force militaire, certains partis politiques ou leurs factions (PL, PSD, MDR de Twagiramungu, ...) vont clairement se rallier aux forces extérieures, en l'occurrence le FPR, dont l'objectif avoué était de renverser le gouvernement Habyarimana par les armes. Les hutu et plus précisément la grande masse paysanne, n'y virent pas clair à temps. Cette alliance hâtive et contre nature ne sera pas sans danger pour le pays et sera même assez coûteuse. La sagesse rwandaise rappelle à ces ex-chefs des formations politiques que: INZIRA NTIBWIRA UMUGENZI, ce qui, traduit littéralement veut dire, "une route, si dangereuse soit-elle, n'avertit jamais le passager". Partout, les erreurs ne sont jamais admises, mais une erreur grave en matière politique se répercute négativement sur un ou plusieurs groupes sociales, si ce n'est pas sur tout un peuple. A bon entendeur, ...
Depuis le début du conflit en 1990, les déplacés de guerre se sont comptés par milliers éparpillés à l’intérieur du pays. L'objectif des ennemis du Rwanda a été atteint dans la nuit du 6 avril 1994. En effet, l’attentat contre l’avion présidentiel survenu dans cette nuit, qui a coûté la vie aux présidents rwandais et burundais: Habyalimana et Ntaryamira va être le détonateur des massacres ethniques qui se sont vite étendus sur tout le pays. La prise du pouvoir à Kigali par les ex-réfugiés tutsi en juillet 1994 va amener en exil plus de trois millions de hutu dans les pays voisins surtout au Zaïre (Kivu) où l’on comptaient une plus grande partie de ces réfugiés. Les réfugiés de l’ethnie minoritaire (tutsi) venaient de rentrer tout en chassant les rwandais de l’ethnie majoritaire (hutu). Le problème des réfugiés rwandais était plus que jamais amplifié.
C'est pourquoi, parmi les éléments socio-politiques susceptibles de jouer significativement sur le développement du pays, il faut insister sur la structure ethnique de la société rwandaise. En effet, selon l’expérience de la guerre déclenchée en 1990, la composante ethnique au Rwanda est à prendre en considération lors de la planification du développement. Tout entrepreunariat dans ce domaine exigera la paix et celle-ci ne peut être envisagée que dans la mesure où il y a un compromis entre les diverses ethnies rwandaises. Nous pensons que cet élément peut agir non seulement sur la structure et le volume de la production de l’économie nationale mais aussi déterminer le dynamisme et la viabilité relative du processus de développement. C’est pourquoi, dans le but de réaliser ultérieurement un développement souhaité, le Rwanda devrait réorganiser et transformer les structures politico-sociales et économiques en vue de créer progressivement les conditions optimales pour une harmonie de son peuple. Vouloir nier qu'on est hutu, tutsi ou twa constitue donc un mauvais antécédent historique pour le développement du Rwanda de demain. Finalement, on a rien donné à Dieu ou au diable pour être hutu, tutsi ou twa. On doit donc l'assumer comme tel.
La notion de développement d'un pays incorpore toutefois d’autres éléments comme la liberté. Les conditions actuelles dans la région des Grands Lacs imposent que dans la recherche de la réalisation de l’objectif de développement dans le long terme, on s’engage à garantir la liberté au citoyen, condition sans laquelle tout risque d'être voué à l’échec.
*La corruption dans la haute sphère politique de la 2nde
République
Le mécontentement de la
population durant les deux décennies de la seconde république a été
aggravé par le fait que les responsables politiques mis au gouvernail du pays
se sont vite désintéressés de la chose publique. Au lieu de s'occuper des
problèmes réelles qui hantaient le peuple rwandais (pauvreté,
sous-développement du secteur agricole qui occupe presque toute la
population, ...), le pouvoir militaire s'est distingué par toute une série
de malversations financières et d'autres actes contraires à la gestion d'un
Etat digne de ce nom.
·
Détournements et autres enrichissements illicites
En effet, au moment où la dette de ces pays est devenu un vrai
handicap de leur développement, les experts estiment que le solde de leurs
comptes dans des banques occidentales apurerait facilement cette dette. Le
Rwanda n'a pas échappé et n'arrive pas même actuellement à échapper à la
règle. C'est ainsi qu' a émergé (et continue d'émerger encore
actuellement) une certaine classe bourgeoise autour du président de la
République, caractérisée par une soif démesurée de la richesse fiscale.
Certains*
de ces barons, dont la totalité vient des familles paysannes et pauvres ont
déjà même fêté la journée du milliard (jour où ils ont atteint un
milliard de francs rwandais), au moment où la grande masse paysanne soufflait
de tous les maux du sous développement. Ce sont ces mêmes barons qui, après
s'être illicitement accaparé des richesses du pays, ont développé
l'hypothèse selon laquelle le Rwanda était surpeuplé et ne pouvait
accueillir aucun autre rwandais de la diaspora. Ils étaient devenus des
intouchables conseillers du Chef de l'Etat. Cela n'a fait qu'aggraver les
tensions entre les rwandais.
· Culture
du chanvre
·
Organisation
d'une tombola et vente des gorilles de montagne
La
loterie dans les pays où elle est suffisamment réglementée constitue un
outil financier qui procure assez de ressources à ses organisateurs (dans la
plupart des cas, c'est l'Etat). Alors que lors d'une réunion des cadres du
Ministère du Plan, nous avions invoqué la possibilité de faire de la
loterie nationale une source de revenus pour combler les caisses de l'Etat
frappées par la crise économique des années 1980, cette possibilité a
été écartée. Pourtant, elle a été vite récupérée par les
spéculateurs de la famille Habyarimana, car son fils va organiser une
tombola, mais les heureux gagnants des plus grands lots se verront accuser de
tricherie et ne recevront jamais leurs prix. En réalité, les organisateurs
avaient sciemment fabriqué plusieurs numéros pour les gros lots convoités,
ce qui a laissé planer la vraisemblance des tricheries de la part de ceux qui
avaient pu gagner. Ceux-ci ne recevront jamais leurs prix.
Quant au commerce des gorilles de montagnes, il fut le résultat d'une
conspiration entre les touristes étrangers et les autorités locales de la
préfecture de Ruhengeri, ces derniers étant sous le commandement aussi des
personnes de la famille présidentielle. C'est ainsi que la citoyenne
américaine Diane Fossey alias Nyiramacibili, qui s'occupait de la protection
de ces gorilles, fut assassiné dans le Parc des Volcans (là où vivent ces
gorilles). Les investigations contre l'auteur de ce crime n'ont pas pu être
approfondies et pour vite clôturer le procès, on attribua le meurtre à un
paysan de la région sans toutefois vouloir connaître s'il y avait un
commanditaire.
Pour plus d’informations lire : Le Rwanda : La désintégration d’un Etat ou d’un Peuple
[1] Baudouin Paternoste de la Mairieu, Le Rwanda son effort de développement, Editions de Boeck, Bruxelles,1972
[2] Erny P., Le Rwanda 1994, clés pour comprendre le calvaire d’un peuple, L’Harmattan, 1994
[3] Voir texte intégral, annexe 4
[4] Chrétien J. P., Le défi de l’intégrisme ethnique dans l’historiographie africaine, Le cas du Rwanda et du Burundi, in Politique Africaine, 1992
[5] Lugan B., Afrique Bilan de la décolonisation, Collection Variétés et Légendes, Perrin , 1996
[6] Peemans J. P., Notes du cours SPED 3220: Méthodologie intégrée et comparative des processus et problèmes de développement en rapport avec la population et l'environnement, Université Catholique de Louvain, Louvain La Neuve, 1995
[7] Higiro J.M.V., Distorsions et omissions dans l'ouvrage "Rwanda. Les médias du génocide" in Dialogue n° 190, Avril-Mai, 1996
* Voir Annexe 5 pour de plus amples détails
[8] Erny P., Le Rwanda 1994, clés pour comprendre le calvaire d’un peuple, L’Harmattan, 1994
[9] Vidal C, La désinformation en histoire: Données historiques sur les relations entre hutu, tutsi et twa durant la période précoloniale, in DIALOGUE, n° 200, Imprimerie Litt, Bruxelles, Septembre-Octobre 1997
[10] Vidal C, La désinformation en histoire: Données historiques sur les relations entre hutu, tutsi et twa durant la période précoloniale, in DIALOGUE, n° 200, Imprimerie Litt, Bruxelles, Septembre-Octobre 1997
[11] Ibidem