NSENGIYUMVA Prosper
LE RWANDA après 1991 :
vers une crise généralisée du développement
RWANDA: LA DESINTEGRATION D'UN ETAT OU D'UN
PEUPLE
Contribution à la mise au clair du
drame rwandais d'avril 1994
Janvier 1999
… Ce n’est ni sur les collines du Rwanda ou du
Burundi ni dans l’indifférence de beaucoup de gens qu’il faut chercher les
causes premières et les plus déterminantes de ce conflit, mais plutôt dans les
grands centres économiques et financiers de notre planète ainsi que dans
l’ambition de quelques uns (Juan Carrero
Saralegui, Fondation S’Olivar, Majorque, Espagne).
Présentation
Depuis plus de 30 ans de recouvrement de son
indépendance en 1962, le Rwanda s’est lancé dans un combat de développement à
travers lequel plusieurs obstacles ont été heurtés. Dans la mesure du possible,
ils ont pu être évités. Il s’agit entre autres des contraintes physiques de son
territoire, des contraintes économiques (peu de ressources naturelles), des
contraintes géographiques (enclavement), des contraintes démographiques, etc.
Depuis 1990, à ces obstacles s’est ajouté
la contrainte de la guerre. L’un des mobiles de cette guerre trouve sa
source dans la lutte pour le pouvoir des différentes composantes de la société
rwandaise et plus particulièrement des
deux plus grandes ethnies : les bahutu et les batutsi. Lancée par les
inyenzi-inkotanyi en 1990, cette guerre a complètement détruit le Rwanda en
1994. Face à cette conjoncture, que pourra être l’avenir de ce pays ?
Des
milliers de vies humaines (toutes les ethnies confondues) ont trouvé la mort
dans cette tragédie. Suite à la victoire des inyenzi-inkotanyi en juillet 1994,
plusieurs hutu ont pris le chemin de l’exil. Ils vivaient dans des camps sous
la bienveillance de la communauté internationale. La minorité
politico-militaire tutsi au pouvoir à Kigali va les y chasser en octobre 1996.
C'est le retour forcé et massif au pays des réfugiés hutu. Dans cette errance
obligée et sans fin*, plusieurs milliers de
hutu, surtout des femmes et des enfants vont y laisser leurs vies. C'est ce que
les médias vont appeler "génocide par la faim et les maladies". Tous
ces hutu rentrés au pays ont fait l'objet de tri et de disparitions nocturnes.
Les autres ont été purement et simplement emprisonnés. La majorité de ceux qui
étaient restés à l’intérieur du pays vivait dans un dénuement presque total. La
plupart des biens matériels avaient été détruits sinon pillés. Les cultures
industrielles, qui constituaient plus de 80 % des recettes en devises, avaient
été délaissées. L’économie nationale, qui repose essentiellement sur l’agriculture fut étouffée. L'inflation
battit son record. Bref, le coût de la vie devint presque insupportable pour la
majorité de la population.
A
la question de la paupérisation généralisée de la population, aussi bien à la
campagne qu’en ville, se greffent les problèmes de la santé et de l’éducation.
En effet, avec une conjoncture économique qui était défavorable à l’évolution
souhaitée de ces secteurs avant même la guerre, que peut-on dire de leur
développement après la guerre ? Malgré l’attention portée au domaine du
développement avant la guerre des inyenzi-inkotanyi (plusieurs projets de
développement particulièrement ruraux), la moitié de la population restait
toujours analphabète. Ce pourcentage a visiblement augmenté après la guerre. Il
en était de même pour le domaine de la santé où malgré la quantité des
infrastructures qui semblait être suffisante, l’équipement en matériel et en
personnel médical laissait encore à désirer.
Selon les experts des Nations Unies**,
la brièveté de la vie des ruandais, qui est l'un des critères principaux
révélateurs de la pauvreté humaine, s'est énormément accentuée après la guerre.
Sans
aucun progrès dans le domaine social (intellectuel), il sera difficile
d’arriver aux autres performances et transformations sociétaires. C’est tout le
développement du pays qui est en jeu. Les pertes en ressources humaines ont été
nombreuses (morts ou réfugiés) et tous les secteurs de la vie nationale ont été
affectés. Pire encore, la victoire de la diaspora tutsi s’est accompagnée d’une
insécurité généralisée dans tout le pays. Le peu de ressources encore
disponibles ainsi que les aides étaient et restent principalement orientées
vers l’achat des armes. Cette préoccupation d’un pays naturellement pauvre et
qui à peine allait sortir de la guerre ne peut en aucun cas satisfaire aux
exigences de son développement.
TABLE DES MATIERES
INTRODUCTION........................................................................................................
I. Aperçu général sur le Rwanda..........................................................
II.
Evolution de la situation socio-politique.............................
- L'image du tribunal international pour le
Rwanda..................................................
- Génocide des tutsi et/ou des hutu :
interprétation malsaine des faits
III.
La problématique générale du développement avant et après la guerre d’octobre
1990.....................................................................................................
2.1 Les différentes contraintes au développement
national.....................................
2.2 Evolution générale de la population rwandaise...................................................
a) Le mouvement migratoire ruandais et la guerre des
inyenzi-inkotanyi................
2.4 Efforts de développement
annihilés par la guerre du FPR..................................
a) Les travaux communautaires de développement - UMUGANDA.......................
b) la planification du développement communal.......................................................
c) Le développement du Rwanda
et le surarmement................................................
- Le mensonge et la désinformation..........................................................................
b) Problème de développement
ruandais face à l’agriculture et à l’alimentation......
- Etat général du problème
agricole et de la pauvreté...............................................
- La corruption dans la haute sphère politique de la 2nde
République........................
- Intervention des
projets agricoles dans le développement......................................
c)Efforts de développement
en matière d’éducation et de santé..............................
-Etat général de l’éducation au Rwanda...................................................................
- Importance de la scolarisation dans le développement du
Rwanda.......................
- Situation en matière de santé..................................................................................
- La réalité du développement se
trouve d'ailleurs..................................................
2.6 Dynamique de
croissance/développement urbain..............................................
2. 7 Le problème ruandais face
à d’autres pays africains de même crise................
- Les USA et leur projet
hégémonique dans la région des Grands Lacs.................
Depuis
octobre 1990, le Rwanda a été en état de guerre qui a complètement paralysé
tous les secteurs de son économie. Cette guerre a décimé des milliers de vies
humaines. Dans les zones des combats des préfectures de Ruhengeri et Byumba,
plusieurs civils hutu dont les enfants ont été froidement abattus par le FPR* et des femmes enceintes éventrées. Les
déplacés de guerre de ces deux préfectures sont même arrivés à Kigali. La
barbarie la plus inhumaine dans cette sale guerre a commencée le 6 avril 1994
avec l'assassinat du président Habyarimana. Hormis le flot des déplacés à
l’intérieur du pays qui s'est intensifié, plusieurs personnes ont quitté les
leurs et leurs biens pour s'exiler principalement dans les pays voisins.
Entre
temps les biens immobiliers et mobiliers
qu’ils avaient laissés ont été saisis. Ils ont été occupé par les
anciens réfugiés tutsi venus d’Ouganda et du Burundi ainsi que par les
étrangers (surtout les ougandais) qui avaient combattu de leur côté.
L’occupation des biens des hutu aussi bien à la campagne qu’en milieu urbain
s’est avéré un problème délicat pour la rentrée des anciens propriétaires. Ce
problème d’occupation gratuite des biens d'autrui, qui s’est accompagné d’une
insécurité grandissante, empêchait les propriétaires de rentrer sans garantie
de sécurité. Cette situation était réellement préoccupante, car la rentrée
massive des réfugiés hutu laissait supposer que les squatters tutsi, qui
normalement ne disposaient pas d’autres biens au Rwanda, allaient être obligés
d’évacuer les logements et autres biens saisis. Ils allaient ainsi devenir des
sans abri alors qu'ils venaient de gagner la guerre. Cela ne s'est pas passé
ainsi, puisque la remise des biens s'est effectuée selon la gentillesse des
individus (occupants), cas par cas. Malgré la victoire des tutsi et de leurs
alliés sur les hutu, leur terreur à l’intérieur du pays ne s’arrêta jamais.
Vingt deux mois après cette victoire, on comptait déjà plus de 100.000 hutu[1]
tués dans la clandestinité.
Dans
les villes, cette situation fut parti culière étant donné que presque toute la
population civile avait fui les combats. Les villes désertées furent vite
occupées par le vainqueur tutsi. Après la prise de la capitale en juillet 1994,
on pouvait facilement affirmer que sa population, qui avait été dénombrée à
250.000 habitants en 1991, dépassait de loin les 300.000 habitants. Cette
situation a été aggravée par le fait que les nouveaux venus tutsi ont été
attiré par des immenses infrastructures mises en place par des efforts inouïs des hutu depuis 33 ans d'indépendance.
Même si les autorités FPR semblaient**
inciter leurs membres à investir dans le secteur du bâtiment, ce sont les ONG
étrangers qui ont fait le grand du boulot, surtout à la campagne. La guerre
avait annihilé les espoirs de plusieurs investisseurs étrangers.
A
ce problème de logement s’est ajouté celui de l’insécurité qui régnait dans
tout le pays, spécialement dans le milieu rural. Signalons qu’une partie
importante des agriculteurs s'était réfugiée à l’extérieur du pays. Il était
plus que jamais nécessaire de faire revenir les gens dans leurs terroirs si on
voulait réellement construire le pays. Ceci est assez important puisque toute
l’économie du pays a été toujours basée sur l’activité agricole et comme
partout ailleurs, c’est la campagne qui approvisionne la ville en ce qui
concerne les produits alimentaires. Malheureusement, le retour de la
population, qui était forcé, s'est fait avec beaucoup de victimes.
Son
retour a été forcé en 1996 soit par les pays hôtes (Tanzanie), soit par des attaques
meurtrières des camps par le FPR (guerre au Zaïre). Sans toutefois présager sur
le sort inquiétant qui attendait plusieurs d'entre eux, il fallait leur trouver
des logements. Leurs maisons et leurs autres biens étaient occupés par les
tutsi vainqueurs. Le problème de la propriété privée (foncière et non foncière)
était devenu insoluble. Il fallait également arriver à satisfaire les besoins
grandissants dans les autres secteurs tel que l’éducation, la santé,
l’environnement, etc.
Ainsi,
une question se pose: quels sont les effets de cette guerre sur le
développement du Rwanda? Ceci demande d’examiner l’évolution des différents
secteurs de développement socio-économiques et culturels du pays avant et après
la guerre afin de dégager leurs principales tendances. Plusieurs acteurs
étaient appelés à contribuer à la reconstruction d’après-guerre, le plus
concerné étant bien entendu le gouvernement FPR. Notre travail va surtout se
consacrer sur l’analyse : population-développement, ce qui va se refléter nécessairement
sur l'état environnemental de tout le pays.
Le
travail consistera donc en un essai d’éclaircissements des situations de
développement du Rwanda et essayera de donner son point de vue sur la façon
dont il perçoit l’avenir de ce pays. C’est pourquoi nous nous proposons de
faire un aperçu sur les secteurs de: population et développement avant la
guerre afin de pouvoir situer l’avenir du pays après la guerre. L’évolution de
la situation socio-politique du pays depuis le pouvoir féodal ainsi que le rôle
des pays voisins dans l’accueil des rwandais vont également être abordés. Il va
également examiner la situation de
développement aussi bien en milieu urbain qu’à la campagne et dans ces deux
cas, les effets probables du nouveau peuplement de la population tutsi sur
l’occupation de l’espace national et le développement du Rwanda vont être mis
en exergue. Il est toutefois à noter que la non disponibilité des données sous
le régime FPR constitue un grand handicap pour ce travail.
Le
Rwanda est un pays de l’Afrique centrale avec 26.338 kilomètres carrés. Sa
population était chiffrée à 7.150.000 habitants en 1991. Avec une densité brute
de 271 habitants au kilomètre carré, le pays était le plus densément peuplé du
continent africain. Le taux d’accroissement naturel en 1991 était de l’ordre de
3,1 % par an avec une fécondité élevée de plus 8 enfants par femme en moyenne.
Ce taux qui était parmi les plus élevés du monde avait même tendance à
s’accélérer suite à la baisse de la mortalité surtout infantile. Par ailleurs,
ses ressources sont assez limitées, ce qui classe le Rwanda parmi les pays les
plus pauvres du monde.
Avant
l'arrivée du colonisateur blanc, le Rwanda était divisé en plusieurs dizaines
de régions ou principautés (cfr. carte, Annexe 3). Malheureusement, le
colonisateur n'a pas suivi ces entités régionales pour renforcer son
administration. Cela se faisait dans le but de désorganiser les structures de
la population indigène. Pourtant, même actuellement, les gens continuent de
porter les noms de leurs régions. C'est ainsi que par exemple, les gens du
MULERA, BUSHIRU, BUGOYI, BUGANZA, NDUGA, RUKIGA, etc., continuent de s'appeler
respectivement ABALERA, ABASHIRU, ABAGOYI, ABAGANZA, ABANYENDUGA, ABAKIGA. Ces
deux derniers noms sont plus intéressants, car ils ont pu dépasser les
frontières géographiques de leurs régions respectives et catégoriser tous les
rwandais en deux groupes régionalistes. Ainsi, les habitants des préfectures de
GISENYI, RUHENGERI et BYUMBA se sont vus attribuer le nom d'ABAKIGA et le reste
du pays le nom d'ABANYENDUGA. Pourtant, quand on suit de près ces appellations,
on remarque que la région originale de NDUGA (D sur la carte) s'étend seulement
sur les parties des communes de Tambwe, Ntongwe, Mugina, Nyamabuye et
Musambira. Quant à la région de RUKIGA (o sur la carte), elle est située sur
les communes de Tumba et Cyungo. On voit donc que les rwandais qui se sont
appropriés le nom de ABAKIGA ou ABANYENDUGA ne le sont réellement pas. Les
vrais bakiga se trouvent sur une petite partie de la préfecture de BYUMBA et
les vrais banyenduga sur une partie de la préfecture de Gitarama. Ces noms sont
donc apparentés à des régions bien précises. Ce sont des personnalités animées
de mauvaise volonté qui les ont récupérés à des fins politiques introduisant
ainsi le fléau du régionalisme dans le pays. C'est ainsi qu'en 1973, avec le
putsch des militaires qui voulaient le pouvoir, le terme de "Nduga
élargi" est entré dans les annales du peuple pour signifier toutes les
préfectures Rwanda, hormis GISENYI,
RUHENGERI et BYUMBA. Le pays était donc divisé en deux régions seulement, le
NORD (Abakiga) et le SUD (Abanyenduga).
Quant
à la répartition géoethnique de la population rwandaise, il est à remarquer que
le NORD du pays, hormis la région du Mutara qui était habitée par une
population importante des hima (tutsi), le reste était pratiquement habité par
des hutu jusqu'en 1994. Sûrement qu'on trouvait quelques tutsi ici et là (ex.
des Bagogwe), mais la région est connue comme un bastion des hutu. Le reste du
pays était peuplé par une population ethniquement hétérogène. C'est
probablement la raison pour laquelle la résidence principale des derniers rois
(ibwami) se trouvaient à NYANZA (NYABISINDU). Il est à remarquer que le roi
(mwami) avait plusieurs résidences secondaires dans tout le pays.
La
révolte hutu contre l'exploitation du régime monarchique tutsi est ainsi partie
de cette région hétérogène. Précisément, c'est la région de MARANGARA qui a été
le berceau de la révolte hutu en 1959. Ensuite, elle s'est propagée dans la
région de NDIZA, transmettant le message révolutionnaire dans le NORD et dans
tout le reste du pays. Précisons que le pays compte trois ethnies: les bahutu,
les batutsi et les batwa. Ce sont les deux premiers qui sont toujours en lutte
pour le siège du pouvoir.
D’après
le recensement général de la population et de l’habitat (RGPH) de 1991, trois
ethnies cohabitaient au Rwanda. Les BAHUTU étaient environ 90 % de toute la
population, les BATUTSI - environ 10 % et les BATWA - environ 1 %.
Tableau n° 2
Source: République Rwandaise, Recensement Général de
la Population et de l’Habitat, Kigali, 1991
Selon
l’historiographie rwandaise, ce sont les BATWA (twa) qui auraient peuplé les
premiers les forêts du Rwanda. Ils vivaient alors de la chasse et de la
cueillette. Les BAHUTU (hutu), d’origine bantou, seraient venus en second lieu
vers le 7e S. av. Jésus Christ. Agriculteurs, ils défrichèrent presque tout le
pays. Ils se déplaçaient au fur et à mesure que la fertilité du sol était
menacée dans la partie occupée. Ce sont les BATUTSI (tutsi) qui seraient venus
en dernier lieu au 16e Siècle. Pasteurs-nomades d’origine nilotique, ils
migraient avec leurs troupeaux de vaches à la recherche de nouveaux pâturages.
L’organisation
des BAHUTU sur le territoire se caractérisait par un regroupement autour de la
famille (lignage) et les terres agricoles s’élargissaient au fur et à mesure
que le besoin se faisait sentir étant entendu que la pression démographique
n’était pas un problème à cette époque. Cette organisation avait pour
conséquence la formation de territoires plus ou moins élargis, parfois même
grands, assimilables à des unités administrativement indépendantes, avec à la
tête des chefs hutu qui à la longue furent considérés comme des rois sacrés
bantou du Rwanda (ABAHINZA avec leurs royaumes). Contrairement au roi tutsi
dont le pouvoir était totalement absolu, leur pouvoir était limité par la
coutume[2].
Le système socio-politique des BATUTSI étant mieux hiérarchisé, ils vont
parvenir à déstructurer le système des BAHUTU et à les assujettir en leur
imposant un système féodal basé sur le clientélisme pastoral et foncier[3].
Du point de vue de la science et de la
technologie, ils n’ont rien fait progresser. Cette version des faits a toujours
été celle de la cour royale et de la noblesse jusqu’au moment de la chute de
leur pouvoir en 1959.
Le système de pouvoir féodal va perdurer au
moins pendant trois siècles . Il sera même renforcé à l’arrivée du colonisateur
puisque celui-ci va s’appuyer sur l’administration locale en place afin de
pouvoir tout dominer (administration indirecte). Heureusement, cette
pénétration étrangère va peu à peu désacraliser et fonctionnariser la royauté.
Elle va progressivement permettre à toutes les ethnies du pays d’accéder à
l’évangélisation et à la scolarisation. Cette ouverture de la majorité alors
opprimée au monde extérieur sera déterminant dans l’évolution socio-politique
du pays. La royauté sera alors renversée par la révolution sociale de 1959.
La
Révolution Sociale de 1959 va permettre aux BAHUTU de prendre le pouvoir. Bon
nombre de BATUTSI, surtout l’élite administrative qui ne voulait aucune
concession, va quitter le pays pour s’installer dans les pays voisins. C’est
cette élite (communément connue sous le nom d'INYENZI) qui, à plusieurs
reprises va tenter de reprendre le pouvoir par la force quelques années après
l’indépendance en menant des incursions à partir des pays voisins. Devant cette
volonté de reprendre le pouvoir par la force, toute tentative en vue de leur de
rapatriement fut un échec malgré de nombreux appels des autorités en faveur de
leur rentrée au pays. Un département ministériel chargé de la question des
réfugiés avait été formé à cet effet.
Tout
cela a fait, même quelques années après l’indépendance (1962), que le tutsi est
resté dans l’imaginaire de plusieurs hutu comme un oppresseur d’autrefois et un
oppresseur potentiel de demain. Il a été longtemps connu comme un envahisseur qui avait pu
finalement dominer les autochtones (twa et hutu). Cela s'est démontré et répété
dans cette dernière décennie du vingtième siècle. C’est d’ailleurs la raison
pour laquelle, depuis la révolution sociale de 1959, son intégration semblait
se faire comme celle de tous les autres étrangers. La phrase du Comité National
du Parti MDR PARMEHUTU en 1960 (parti du
mouvement pour l’émancipation hutu: parti majoritaire après le renversement de
la monarchie) est assez éloquent: « Le Rwanda est le pays des Bahutu (Bantou)
et de tous ceux blancs ou noirs, tutsi, européens ou d’autres provenances, qui
se débarrasseront des visées féodo-colonialistes »[4].
Parlant
du MDR Parmehutu, il faut insister sur le fait que c'est ce parti politique qui
a conduit le Rwanda à l'indépendance. Brièvement, son grand leader Grégoire
Kayibanda et ses compagnons de lutte avaient pu regrouper les hutu dans des organisations catholiques de type
MOC (mouvement ouvrier chrétien). Cela aura d'ailleurs une grande connotation
sur le futur parti politique. A l'instar du MOC, Kayibanda avait crée le
PARMEHUTU(parti du mouvement pour l'émancipation hutu). C'était donc un
mouvement constitué essentiellement de paysans. Ces paysans n'étaient autres
que des hutu et donc des serviteurs opprimés. Avec l'évolution des événements
politiques, on a ajouté le sigle MDR afin de clarifier la politique du parti
(Mouvement Démocratique Républicain). Le PARMEHUTU devint ainsi MDR PARMEHUTU.
On voit ainsi que derrière ce nom, il ne se cache rien de terrifiant comme
certains irresponsables tutsi veulent le faire croire. Le mouvement était né à
la suite de l'existence des organisations chrétiennes (MOC). Ces organisations
étaient à majorité formées par des hutu opprimés. C'est pourquoi leur
émancipation était plus que jamais nécessaire. On peut même ajouter que le pas
franchi dans cette émancipation a été anéanti par le FPR. Le parti MDR
PARMEHUTU a été donc fondé dans des conditions sociales bien précises que
l’histoire devra bien respecter.
Les
premiers leaders de la jeune République, dont la majorité venait des régions du
centre et du sud du pays, vont commettre des erreurs politiques qui leur seront
fatales. La première erreur parmi tant d'autres date dès la naissance de la
jeune république. En effet, l'une des défaillances majeures en matière de
démocratie fut que les partis politiques fondés en 1959 vont se voir étouffés
en douce. Bien sûr, c'étaient des petits partis politiques face au MDR
Parmehutu, mais il fallait les laisser évoluer librement. Ces autres partis
politiques qui avaient vu le jour étaient: APROSOMA (Association pour la
Promotion Sociale de la Masse), RADER (Rassemblement Démocratique Rwandais),
UNAR (Union Nationale Rwandaise) et RADETWA (Rassemblement Démocratique des
Twa). Le MDR resta ainsi seul sur l'échiquier politique et le pluralisme
politique céda la place au monopartisme. L'autre défaillance qui est apparue
vers la fin du régime est la volonté d’accaparer seuls le pouvoir politique au
détriment des autres régions*. Cela va
entraîner le pays vers un régionalisme à outrance. En 1973, la tactique
ethnisante va être employée par quelques officiers de l’armée pour renverser le
régime du premier Président démocratiquement élu. Cela faisait suite aux
troubles ethniques qui avaient secoué le Burundi où l'armée tutsi était entrain
d'exterminer les hutu. Plus de 250.000 hutu burundais ont été massacrés en
1972. La chute de la première république rwandaise va malheureusement
s'accompagner par un esprit régionaliste sans précédent. Les soldats des deux
préfectures du nord du Rwanda (Gisenyi et Ruhengeri), véritables artistes de ce
putsch, seront caractérisés par une politique régionaliste accentuée. Le
problème régional "RUKIGA - NDUGA" venait de naître presque
officiellement.
Le
virus ethnique, activé ainsi au Rwanda
par les malheureux événements du
Burundi, va semer les troubles qui coûteront la vie à certains batutsi
en 1973. Malgré que les officiers putschistes rwandais étaient les principaux
agents de transmission de ce virus, ils s’en sont savamment servi pour
expliquer le bien fondé de leur coup d'état. Ils étaient évidemment appuyé par
quelques puissances impérialistes occidentales qui voulaient renverser le
régime. C’est ainsi que ces soldats-putcthistes annoncèrent officiellement au peuple
rwandais qu’ils se devaient de mettre fin au désordre qui régnait dans le pays.
En faisant aujourd'hui une analyse historique des faits, on se rend compte que
ce sont ces mêmes officiers hutu, qui dans les années quatre vingt, vont faire
des tentatives de renverser le régime qu'ils avaient eux-mêmes mis au pouvoir
et qui avait renforcé les clivages ethniques et régionales (régime de
Habyarimana). Ce sont toujours ces mêmes officiers hutu qui reviendront dans la
rébellion armée tutsi, cette fois-ci du côté FPR en 1990. Après l'attentat
mortel du président Habyarimana, qui a conduit à la victoire militaire du FPR
en 1994, les hutu seront utilisés comme des marionnettes servant à cacher
l'omniprésence des tutsi dans tous les plus hauts postes du pays et à cautionner
leurs sales actions devant la communauté internationale. Le chef de cette bande
des officiers hutu, le Colonel Alexis Kanyarengwe, pourtant réputé être de
caractère anti-tutsi*, avait
été même placé à la tête de leur organisation militaire, actuellement
considérée comme politique (le FPR). A l'instar de ce vieux colonel des FAR
(Forces Armées Rwandaises), les hutu dans l'administration publique ont
purement et simplement été utilisé pour servir les intérêts du FPR après sa
victoire en 1994 et non des intérêts du pays. C'était le sauve-qui-peut pour la
plupart d'entre eux.
Concernant
la Révolution Sociale de 1959, il faut donner quelques précisions. En 1957,
l’élite hutu avait publié un document révolutionnaire et historique qui mettait
en cause les relations politico-sociales entre les hutu et le pouvoir tutsi.
C’est le Manifeste des Bahutu[5].
Le pouvoir tutsi alors en place essaya de réprimer l’opposition hutu en
éliminant physiquement son élite. En 1959, plusieurs partis politiques vont
voir le jour. C’est suite à cette situation que la grande masse paysanne hutu,
avec à sa tête des leaders hutu et quelques tutsi, va se soulever. Les hutu
vont réclamer leurs droits, ce qui ne va pas être obtenu sans heurts. Dans ce
climat de tensions sociales, plusieurs hutu vont être massacrés. La réaction
défensive des hutu ne tarda pas et fut musclée. C'est le début de la Révolution
de 1959. Dans la suite, le pouvoir de domination des tutsi sur les hutu sera
anéanti. Malgré que le colon avait fort longtemps favorisé et soutenu la
minorité tutsi au pouvoir, il va maintenant faire volte-face. Cette révolution
sera donc finalement appuyée par les autorités coloniales ainsi que par
l’Eglise Catholique. Ce revirement brusque et positif en faveur de la grande
masse paysanne opprimée leur vaudra, surtout après la victoire du FPR en 1994,
des critiques de toutes pièces de la part des tutsi. C'est ainsi que pendant et
après la guerre qui a conduit à la défaite des hutu en 1994, l'Eglise
Catholique Rwandaise va payer un lourd tribut. Tous les évêques hutu ainsi que
plusieurs prêtres et soeurs vont être purement et simplement éliminés.
Dans
les années 1990, avec à la tête certains intellectuels de la diaspora rwandaise
tutsi auxquels se sont joints quelques occidentaux dont les plus acharnés sont
des africanistes de l’école tiers-mondiste française (Cathérine
Coquery-Vidrovitch, J. P. Chrétien, etc.) a été forgé la théorie selon laquelle
les bahutu, les batutsi et les batwa forment une seule ethnie. Ils auraient
alors vécu depuis longtemps dans une harmonie totale [6].
Ce serait la Révolution Sociale de 1959 qui aurait mis la poudre au feu et
divisée les rwandais sur le plan ethnique, division qui serait également le
chef d’oeuvre du colonisateur. Pourtant, les tenants de cette thèse ne montrent
pas ce que le tutsi, qui régnait en maître absolu sur tout le pays, a fait pour
contrer cette division du colon qui, selon toute vraisemblance, avait beaucoup
de chances d’échouer, étant donné qu’il y avait déjà plus de quatre siècles d’intimité
entre les hutu et les tutsi [7]!
Selon toujours ce nouveau courant, leur distinction ne trouverait son fondement
que dans les mécanismes internes de stratification et de différenciation
sociale. C’est ainsi qu’ils avancent que les différences morphologiques et
culturelles propres aux tutsi et aux hutu seraient davantage le résultat d’une
spécialisation économique et donc susceptible d’évoluer...
Sans toutefois vouloir affirmer que les hutu
et les tutsi ne peuvent pas vivre en harmonie, ce qui est par ailleurs idéal et
souhaitable, nous pensons que construire un pays sur une base de réalités
historiques fausses est contre le développement de ce pays. Ici, nous
considérons "développement comme étant un processus historico-systémique
de longue période, construit sur des faits économiques, culturels,
institutionnels, administratifs, ..., constamment en évolution"[8].
J.M.V. Higiro[9] cite
quelques faits culturels qui démontrent clairement la non harmonie historique
entre les hutu et les tutsi:
a) l'emblème royal, caractérisé par le tambour
"KALINGA" était orné d'organes génitaux des roitelets et autres
leaders hutu* massacrés justement
parce qu'ils étaient des hutu ou qu'ils luttaient pour la cause hutu.
b) la culture rwandaise est riche en proverbes. Ces
proverbes expriment bien les relations qui lient les rwandais dans leur vie quotidienne. Voici quelques exemples:
- Utuma
abahutu atuma benshi (Qui veut confier une mission à des hutu doit en
envoyer plusieurs, autrement dit le hutu est oublieux);
- Umuhutu
ntashimwa kabili (Le hutu, on ne le félicite pas deux fois: le hutu est
versatile);
- Inkunguzi
y'umuhutu yivuga mu batutsi (Le hutu marqué par le sort déclame ses
hauts faits parmi les tutsi: c'est s'attirer des malheurs que de provoquer un
plus puissant que soi);
- Umututsi
umuvura amaso akayagukanulira (Le tutsi, tu lui soignes les yeux et il
te fixe d'un regard méprisant: la reconnaissance n'est pas une qualité du
tutsi);
- Umututsi
umusembereza mu kirambi akagutera ku bulili (Le tutsi, tu lui offres
l'hospitalité et il te déloges du lit);
- Umututsi
umuvura amenyo ejo akayaguhekenyera (Le tutsi, tu lui soignes les dents
et le lendemain, il en grince en ton sujet);
- Umutwa
ararengwa agatwika ikigega (Le twa devient opulent et il incendie son
grenier: les twa sont particulièrement imprévoyants); ...
Cette
richesse traditionnelle de la culture rwandaise nous montre clairement que pour
mieux connaître un rwandais et plus particulièrement un umututsi (tutsi), il
faut être rôdé dans sa culture. D'ailleurs, c'est l'une des raisons qui a fait
que la nouvelle génération des hutu a perdu la bataille devant les tutsi. En
effet, les jeunes hutu ont pensé qu'ils
pouvaient mieux composer avec les tutsi qu'avec certains hutu malhonnêtes.
C'est ainsi que lors de l'attaque des inkotanyi en 1990, un certain soutien
même de la part des partis politiques a été sans faille. C'est justement à
cause de la méconnaissance de leur partenaire que ces jeunes hutu, appelés à
tort et à travers "les modérés" se sont fait surprendre. Peu de temps
après avoir travaillé avec le FPR et remarqué la réalité, la majorité d'entre
eux a trouvé le chemin de l'exil. La meilleure connaissance d'un umututsi et
vice versa du côté tutsi envers le muhutu aidera certainement ces deux
communautés à vivre ensemble.
Selon
toujours les mêmes faiseurs de la nouvelle historiographie du pays, «dans le
Rwanda d’avant l’ère coloniale, ressortaient trois groupes socio-économiques, à
savoir: les tutsi majoritairement éleveurs du bétail, les hutu agriculteurs et
les twa qui vivaient de la chasse et de la cueillette. Les frontières entre ces
groupes auraient été flexibles. Il suffisait à un hutu ou twa d’augmenter
l’effectif de son cheptel pour devenir tutsi». Le raisonnement inverse serait-il
aussi vrai?
Comment
alors peut-on objectivement comprendre cette situation? Dans toute société, la
langue (expression orale) évolue avec la vie quotidienne des populations. Au
Rwanda, comme les tutsi étaient les seules maîtres du pays et que leur richesse
s’évaluait en troupeaux de vaches, les hutu et les twa aspiraient à avoir
beaucoup de vaches (être riche comme les autres). Cela a été d’ailleurs
remarquable après la révolution de 1959 où les hutu ont voulu remplacer les
grands éleveurs tutsi. Avec la pression démographique, les pâturages sont vite
devenus insuffisants ce qui entraîna la diminution de l’effectif du
bétail par individu et le gros bétail fut concurrencé par le petit bétail qui
ne demande pas beaucoup d’espaces. Ainsi, dans le langage courant* , et cela même avant la révolution de
1959, un hutu qui arrivait à avoir plusieurs vaches était dit couramment qu’il
était devenu tutsi (riche). C’est cette expression que la nouvelle école sur
l’ethnisme au Rwanda essaie d’exploiter non sans arrière-pensée. Il en est de
même pour le terme «IMFURA » terme qui correspond à "noble" en
français. Avant et même après la révolution sociale de 1959, il était devenu
normal d’appeler un hutu «IMFURA ou noble» selon que celui-ci maîtrisait parfaitement
la manière de se comporter des nobles, qui ne pouvaient être que des tutsi.
Pourtant,
quand on va sur le terrain, on remarque que la réalité des faits a toujours été
et est actuellement telle qu’aucun hutu n’est jamais devenu tutsi ou twa et
inversement, malgré la situation économique susceptible d’évoluer dans les deux
sens. Notons que seul le mwami (roi) pouvait ennoblir ou déchoir ses sujets. Un
des rares cas qu’on connaît est celui du twa BUSYETI qui donna son nom à son
célèbre tribu: ABASYETI et donc les tutsi d’origine twa. Suite à
l'ascension économique et sociale des rwandais due essentiellement à
l'influence coloniale et à la suppression de l'institution du servage pastoral
(ubuhake), certains hutu soi-disant évolués ont renié leur ethnie pour rejoindre
l'ethnie des tutsi. Malgré ce revirement, cela ne les mettait pas complètement
hors des brimades et du mépris auxquels les condamnait leur origine. Ce choix
montre à suffisance le degré de frustration des hutu dû aux discriminations
ethniques. Il ressort ainsi que la dualité hutu-tutsi-twa résulte de trois
ethnies bien distinctes, mais susceptibles bien que difficilement sinon
rarement, à l'infiltration de l'une par l'autre.
Hormis
que cette théorie contredit la réalité traditionnelle toujours véhiculée par la
monarchie depuis des siècles, les tenants de ces idées semblent vouloir
embrouiller expressément la vraisemblance historique. En effet, suite aux
revendications de plus en plus grandissantes d’égalité et de fraternité entre
les bahutu et les batutsi en 1958, les grands chefs de la cour royale avaient
vivement réagi avec un document officiel affirmant sans ambiguïté qu’il n’y
avait aucun lien entre eux et que les seules relations possibles étaient basées
sur le servage*. Ce document illustre
bien les relations qui se sont tissées au fur du temps entre les deux ethnies.
Précisons qu’à l'arrivée au Rwanda des allemands vers 1894, ceux-ci ont trouvé
une minorité ethnique qui dominait le pays. Ils n'ont pas touché à ce système.
La tutelle belge, à son tour, a conforté la position privilégiée des tutsi.
Contrairement à ce nouveau courant de certains tutsi de la diaspora rwandaise,
le statut de "domination et d'exploitation" de la majorité par une
minorité n'est pas une invention ni des allemands, ni des belges, mais ce
système avait fondé ses racines sur la répression et le servage de la majorité
hutu par une minorité tutsi après que cette dernière ait éliminé les rois
sacrés hutu (ABAHINZA). Cette rupture des idées entre les générations des
batutsi d’hier et d’aujourd’hui ne serait-elle pas fondée sur un opportunisme
stratégique s’inscrivant dans la logique de la guerre ethnique imposée au
Rwanda depuis 1990?
N’étant
pas ethnologue, je ne peux pas prétendre détenir la clé de la vérité objective
sur cette question. Pourtant, afin d'éviter de se laisser influencer par un
esprit partisan et pour laisser le champ ouvert aux hommes scientifiques dans
leur recherche, nous pensons qu’il faut donner au lecteur le droit de faire un
choix conscient et raisonné entre ces deux propos. Il est toutefois utile de
remarquer que pour les rwandais, et cela depuis longtemps, l’identité sociale
n’a jamais été l'objet d'aucune ambiguïté. Normalement, les personnes d'une
même colline, d’une même cellule administratif ou secteur se connaissaient et
savaient quelle strate sociale, actuellement appelé UBWOKO, à laquelle chacun
faisait partie (hutu, tutsi ou twa). Quand les historiens étrangers ont
commencé à écrire sur le pays, ils n’ont pas pu trouver dans leur langue le mot
qui traduisait exactement ce terme. Ainsi plusieurs auteurs étrangers ont
assimilé ce concept d’UBWOKO à ethnie, race, tribu, caste ou classe, ce qui a
créé une ambiguïté totale dans la définition et la compréhension de
« tutsi, hutu et twa ». L’administration coloniale a récupéré le
mot ethnie pour désigner ubwoko
et c’est ainsi que « UBWOKO » se traduit à tort ou à raison
par « ethnie ».
Malgré
cette identité d'UBWOKO qui a caractérisée les rwandais et qui s’est toujours
accompagnée par une exploitation d’un groupe social par un autre avant la
révolution sociale de 1959, les limites de séparation identitaires (ethnique),
du moins pour les rwandais qui se trouvaient à l’intérieur du pays avant la
guerre de 1990, étaient devenues de moins en moins visibles. Erny P.[10]
nous fait remarquer pertinemment qu’avant la guerre imposée au Rwanda par le
Front Patriotique (FPR), on pouvait difficilement parler d’ethnies différentes
au Rwanda, si on se référait à la définition de "l’ethnie comme étant un groupe
de même culture et de même langue". Il y avait eu effectivement une
intégration presque totale. Du point de vue économique, plusieurs hutu étaient
devenus plus riches que des tutsi mais il y avait aussi des tutsi qui étaient
parvenu à s'enrichir. D'ailleurs, avant la guerre de 1990, les mariages
inter-ethniques étaient devenus si fréquents qu’il était difficile de
distinguer un hutu et un tutsi dans certaines régions du pays (le sud et le
centre). Il semble de plus en plus évident que c’est la guerre des
inyenzi-inkotanyi qui est à la base de tout le drame rwandais.
Il
est utile de dire un mot sur les clans au Rwanda. Du temps monarchique, on en
comptait plus d'une dizaine. Actuellement, ils ont peu à peu perdu leur valeur
parmi la population tellement que les jeunes ne s'y retrouvent pas. Au Rwanda,
le clan était considéré comme une organisation supra-familiale qui regroupait
tutsi, hutu et twa au sein d'une même parenté supra-ethnique à caractère
mystique. Chaque clan avait son totem. Les clans les plus répandus au Rwanda
étaient: les BANYIGINYA (représentés
par les familles des Bahindiro, des Bagunga, des Bashambo, des Batsobe, des
Bakobwa, des Benemunyiga, des Baryinyonza, des Baka et des Banana), les BEGA (représentés par des Bakagara, des
Bakongori, des Bakiza et des Bahanya), les BASINGA
représentés par des Bacumbi, les BAZIGABA
représentés par des Barenzi, les BACYABA
représentés par les Babogo et les BAGESERA.
Tous les rwandais se classaient ainsi, pêle mêle en ces clans. Deux personnes
ayant le même totem (animal) ne pouvaient pas se marier. Selon la légende, seul
avait échappé à la règle le clan royal dont le premier roi munyiginya avait
épousé sa sœur, avec laquelle il était tombé du ciel. Le fait que tutsi, hutu
et twa appartennaient au même clan sous entendait qu'ils étaient censés être
frères et donc avoir un ancêtre commun. Cette stratagème permettait au tutsi de
faire croire au hutu et twa qu'ils avaient une parenté commune ce qui assurait
au tutsi la fidelité de ces derniers sans aucun autre engagement en
contre-partie. Depuis la victoire des tutsi en 1994, les idéologues du FPR sont
revenus sur cette stratégie. Ils font croire que tous les rwandais, hutu, tutsi
et twa sont issus du même ancêtre. C'est ainsi que certains dignitaires hutu du
régime FPR se réclament issus des mêmes clans que les responsables tutsi du FPR
et donc se font passer aussi pour des tutsi. Pourvu que ça dure!
Des
critiques virulentes continuent de venir de ces historiens occidentaux qui se
croient plus professionnels que leurs aînés, étant donné qu'ils ont fait des
études universitaires en histoire et qu'ils exercent dans ce métier. Ils
mettent en cause tous les travaux d'histoire faits antérieurement sur le
Rwanda, dont ceux du célèbre Abbé Alexis Kagame. Ils arrivent même à qualifier
l'histoire du Rwanda de pseudo-histoire[11].
Bref, ils reprochent à ces travaux de ne pas être faits par des historiens de
métier avec un diplôme universitaire reconnu en histoire, d'un manque de
critique, d'avoir accepté comme véridique les données relatives à la tradition
de la dynastie des Banyiginya, d'avoir appliqué la notion de race aux catégories sociales hutu, tutsi et twa,
....
Certes,
la science a évolué pendant ces dernières décennies et la clarté de certaines
données historiques peut être donnée avec plus de précision. Dans le cas du
Rwanda où la tradition orale constituait la seule source d'information jusqu'au
début du 20e siècle, il serait scientifiquement malhonnête de dire que les
travaux faits par les divers intellectuels rwandais et étrangers n'ont rien de
scientifique. Il faut reconnaître qu'ils ont servi de matières premières pour
les études postérieures dont les critiques faites par ces mêmes historiens dits
de carrière. Par ailleurs, le manque de documents de confrontation pour
certains faits historiques poussent ces historiens à les considérer comme des
hypothèses à confirmer. Remarquons que ce manque de documents n'est imputable à
personne. Le problème qui se pose est de savoir si, finalement, cette nouvelle
génération d'historiens aura ces
documents. Et, en attendant, veulent-ils que l'histoire du Rwanda ne se limite
que seulement à leurs recherches et que les données qu'ils ne sont pas à même
ni de confirmer ni d'infirmer soient rejetées? Aucun rwandais ne connaissait
mieux la généalogie des Banyiginya que les concernés eux-mêmes. Pour ces
"experts du Rwanda", c'est une méconnaissance des réalités rwandaises
qui conduit à leur malhonnêteté intellectuelle en mettant en doute les travaux
antérieurs. Les rwandais qui ont eu à donner des IBISEKURU (généalogie) avant
leurs mariages savent combien cet exercice est dur et qu'une personne étrangère
à votre lignée ne peut pas s'en sortir mieux que vous (référence faite aux
informateurs cités par Vidal). On peut surtout se demander pourquoi un
intellectuel comme Vidal qui apparemment s'est intéressé au Rwanda depuis
longtemps, a attendu la mort de Kagame et la diffusion de la nouvelle
historiographie rwandaise par le FPR pour donner ses critiques. Contrairement à
ce qu'elle affirme que, "..., les historiens ne sont au service d'aucune
cause particulière"[12],
la prise de position de ses confrères du CNRS (J. P. Chrétien, ...) dans le
conflit rwandais laisse planer un doute sur le sérieux et la véracité des
écrits de ces intellectuels. Force est de constater que ces derniers temps, les
travaux sur le Rwanda de ce groupuscule d'experts sont confectionnés
malheureusement avec passion. Par ailleurs, qualifier l'histoire du Rwanda de
pseudo-histoire atteste un certain négativisme méprisant de Vidal envers le
peuple rwandais. Cela revient à dire que le pays n'a pratiquement pas
d'histoire. Ce raisonnement, qui vient pourtant d'un homme scientifique, n'a
rien de dialectique. Le fait qu'un corps chimique n'a pas été encore découvert
n'explique pas forcément qu'il n'existait pas ou qu'il n'existe pas. Plutôt que
d'insinuer que le Rwanda n'a pas d'histoire, il serait judicieux de dire que
son histoire est mal connue. En effet,
l'histoire écrite du Rwanda date dès la fin du dix-neuvième siècle. On peut
donc affirmer, si on ne considère que l'histoire ne se limite qu'à
l'écrit, que son histoire est plutôt
jeune.
Concernant
les relations précoloniales entre hutu et tutsi (les batwa sont oubliés), C.
VIDAL, dans son article[13]
écrit: "Dans toutes les régions du Rwanda, les traditions généalogiques
précisent que les premiers ancêtres de la lignée (situés en règle générale six
générations avant celles d'informateurs nés vers 1900) ont défriché (kwica
umugogo) la terre où vivent leurs descendants. Ces derniers se déclarent sans
ambiguïté descendants d'ancêtres hutu ou bien d'ancêtres tutsi". Tout en
étant pas historien de formation comme le veut Vidal, ce passage m'interpelle
toutefois à ceci: "Dans toutes les régions du Rwanda, ...". On aimerait
savoir ces régions puisque le peuplement du Rwanda ne s'est pas fait ni en même
temps, ni par une même population. Est-ce que les divers mouvements de
migrations ont été pris en compte? Par ailleurs, le raisonnement objectif de cette dame qui recoupe d'ailleurs les
anciens écrits, montre que "les hutu et les tutsi habitent le Rwanda il y
a bien longtemps et que hutu et tutsi n'est pas l'invention de qui que ce
soit". Par contre; Vidal affirme, à tort ou à raison, qu'à partir de 1725,
hutu et tutsi se sont sédentarisé ensemble mais reconnaît ne pas savoir ni d'où
venaient-ils, ni que faisaient-ils avant, ni dans quel conditions, ....
En
admettant que ces recherches permettent
de situer le problème hutu-tutsi à partir de 1725, est-ce-que cela voudrait
dire qu'avant cette date les hutu, les tutsi et les twa n'habitaient pas au
Rwanda? Non, puisqu'elle écrit elle-même que "à partir de cette date, les
populations qui vivaient au Rwanda ont cessé de pratiquer une agriculture et un
élevage itinérants". Ces populations ne peuvent donc qu'être hutu, tutsi
et twa. Si cela est juste, pourquoi ont-ils cessé cette pratique? Rien n'est
dit à ce propos. Tout cela a été confectionné pour contrarier la version selon
laquelle les agriculteurs seraient arrivés les premiers et les pasteurs tutsi
en second lieu. A la lumière de ce qui est dit plus haut, il serait mieux de
recommander à certains chercheurs du CNRS de ne pas anticiper les affirmations
hâtives. Les hutu, les tutsi et les twa pouvaient bien se sédentariser à la
même époque tout en étant arrivés au Rwanda à des époques différentes, avec des
origines et des modes de travail différents.
Depuis
le 5 juillet 1973, date du putsch militaire qui a mis les assoiffés du pouvoir
au trône, le Rwanda a été plongé dans une dictature militaire pourtant soutenue
sans réserve par les pays qui se croient démocratiques. Afin de pouvoir
gouverner seuls, l'ordre militaire fut élargi aux civils. La liberté céda la
place à la terreur. Plusieurs anciens politiciens du sud du pays furent
massacrés, mais il n'y eut aucune réaction de la part de ceux qui gouvernent le
monde (les grandes puissances occidentales), particulièrement de l'ancienne
puissance coloniale: la Belgique. Curieusement, même certains intellectuels
rwandais témoins de ces massacres n'osent pas actuellement dévoiler la réalité.
Ceci est d'autant plus inquiétant que certains soi-disants spécialistes
occidentaux du Rwanda continuent de traiter de dictateur le premier président
de la République - Kayibanda. Pourtant, c'est le président le plus démocrate
que le pays ait jamais connu.
Au
lieu d'affronter avec lucidité l'un des grands problèmes du pays - le problème socio-ethnique, le
nouveau régime militaire opta de le camoufler. C'est ainsi que, manifester à
haute voix que quelqu'un était d'origine tutsi était pris par le pouvoir
Habyarimana comme une insulte, une atteinte à la dignité humaine et à la paix
nationale. Effectivement, c'est dans cette paix camouflée que le noyau dur au
pouvoir a pu profiter et faire tout ce qu'il voulait. Le problème hutu-tutsi
fut ainsi anesthésié au profit non pas des intérêts généraux du pays, mais de
la classe pillante au pouvoir. Il en sera de même du problème régional
(problème entre le Nord et le Sud: ABAKIGA vs ABANYENDUGA), pourtant qui avait
été à la base du coup d'état militaire de 1973 et dont l'acuité allait
malheureusement en grandissant. Le pouvoir Habyarimana saura malicieusement
exploiter tout cela au profit de ses intérêts propres. Ainsi, si les rwandais
veulent d'une façon durable vivre en paix, ces deux problèmes à savoir le
problème "hutu-tutsi" et le problème "kiga-nduga" devront
être traités sans passion dans une conférence nationale.
La deuxième République ainsi née ne va pas
suivre et améliorer la politique de ses prédécesseurs afin de résoudre le
problème des réfugiés. Il est à noter que la première République a toujours
invité les réfugiés à rentrer, ce que les réfugiés tutsi jugeaient insuffisant.
La raison avancée par les autorités de la seconde république comme principale
obstacle au retour des réfugiés fut que le pays était surpeuplé. Cette
situation va causer le mécontentement des réfugiés surtout que dans quelques
pays d’accueil comme l’Ouganda, les autorités ne furent pas toujours favorables
à leur hébergement.
C’est le cas du régime du dictateur ougandais
Amin qui va expulser les réfugiés rwandais dans les années 1980 et que la
deuxième république ne pourra pas accueillir comme des ressortissants rwandais
à part entière. Sous les conseils même de la communauté internationale (les
puissances occidentales) qui avait une vision malthusienne du problème
démographique rwandais, ces réfugiés
vont être bon gré mal gré rapatriés en Ouganda. C’est vraisemblablement à
partir de ce moment que le problème des réfugiés rwandais est devenu assez
délicat.
Ayant
trouvé un renfort du président ougandais Museveni (ex-maquisard) à côté duquel
ils avaient combattu dans le maquis pour conquérir le pouvoir à Kampala, ils vont
lancer une nouvelle attaque contre le
Rwanda en octobre 1990. Cette guerre, jugée par la majorité des rwandais comme
une guerre ethnique sera assez meurtrière. Elle va durer 4 ans. Les anciens
réfugiés tutsi vont prendre le pouvoir en juillet 1994. L’appui de l’Ouganda au
Front Patriotique Rwandais avait une double face: d’abord Museveni les aidait
en tant qu’ancien camarade du maquis, ensuite il voulait se débarrasser de la
communauté des rwandais qui finalement étaient parvenu à occuper des postes importantes
dans la vie de son pays. L’opposition ougandaise ne mâchait pas les mots quand
il s’agissait de signifier à Museveni que ces postes devaient revenir aux
ougandais.
Un
facteur important qui a fait basculer le pays dans l'anarchie, c'est l'événement
du retour à la démocratie en 1991. Ce retour était exigée et soutenue par les
bailleurs de fonds. Les partis politiques sont nés soudainement sur un fond
ethnique, régional, ...., sans aucun projet politique valable de société. Cette
situation était dominée par un esprit de haine et de vengeance de ces nouvelles
formations politiques vis à vis de l'ancien parti unique le MRND. Cela
s'expliquait par des scandales politiques et finançières monumentales (coup
d'Etat de 1973 qui avait horriblement fait éliminé les leaders de la révolution
de 1959, gestion de la chose publique comme un bien régional sinon familial,
...) que les fondateurs et les membres de ce parti s'étaient rendu
responsables. Quant aux Forces Armées Rwandaises (FAR), elles étaient devenues
une armée dont les officiers venaient presque d'une seule région (celle du
président de la République), et soutenaient fermement le régime en place.
Les
jeunes partis politiques, qui ne spéculaient que sur des discours dont la forme
était attrayante pour la population mais dont le fond était presque nul, vont
vite se rendre compte qu'ils ne bénéficiaient pas du soutien de cette armée
régionaliste. Cela constituait un handicap majeur pour ces formations
politiques. C'est ainsi que pour contrer cette force militaire, certains partis
politiques ou leurs factions (PL, PSD, MDR de Twagiramungu, ...) vont
clairement se rallier aux forces extérieures, en l'occurrence le FPR, dont
l'objectif avoué était de renverser le gouvernement Habyarimana par les armes.
Les hutu et plus précisément la grande masse paysanne, n'y virent pas clair à
temps. Cette alliance hâtive et contre nature ne sera pas sans danger pour le
pays et sera même assez coûteuse. La sagesse rwandaise rappelle à ces ex-chefs
des formations politiques que: INZIRA NTIBWIRA UMUGENZI, ce qui, traduit
littéralement veut dire, "une route, si dangereuse soit-elle, n'avertit
jamais le passager". Partout, les erreurs ne sont jamais admises, mais une
erreur grave en matière politique se répercute négativement sur un ou plusieurs
groupes sociales, si ce n'est pas sur tout un peuple. A bon entendeur, ...
Depuis
le début du conflit en 1990, les déplacés de guerre se sont comptés par
milliers éparpillés à l’intérieur du pays. L'objectif des ennemis du Rwanda a été
atteint dans la nuit du 6 avril 1994. En effet, l’attentat contre l’avion
présidentiel survenu dans cette nuit, qui a coûté la vie aux présidents
rwandais et burundais: Habyalimana et Ntaryamira va être le détonateur des
massacres ethniques qui se sont vite étendus sur tout le pays. La prise du
pouvoir à Kigali par les ex-réfugiés tutsi en juillet 1994 va amener en exil
plus de trois millions de hutu dans les pays voisins surtout au Zaïre (Kivu) où
l’on comptaient une plus grande partie de ces réfugiés. Les réfugiés de
l’ethnie minoritaire (tutsi) venaient de rentrer tout en chassant les rwandais
de l’ethnie majoritaire (hutu). Le problème des réfugiés rwandais était plus
que jamais amplifié.
C'est
pourquoi, parmi les éléments socio-politiques susceptibles de jouer
significativement sur le développement du pays, il faut insister sur la
structure ethnique de la société rwandaise. En effet, selon l’expérience de la
guerre déclenchée en 1990, la composante ethnique au Rwanda est à prendre en
considération lors de la planification du développement. Tout entrepreunariat
dans ce domaine exigera la paix et celle-ci ne peut être envisagée que dans la
mesure où il y a un compromis entre les diverses ethnies rwandaises. Nous
pensons que cet élément peut agir non seulement sur la structure et le volume
de la production de l’économie nationale mais aussi déterminer le dynamisme et
la viabilité relative du processus de développement. C’est pourquoi, dans le
but de réaliser ultérieurement un
développement souhaité, le Rwanda devrait réorganiser et transformer les
structures politico-sociales et économiques en vue de créer progressivement les
conditions optimales pour une harmonie de son peuple. Vouloir nier qu'on est
hutu, tutsi ou twa constitue donc un mauvais antécédent historique pour le
développement du Rwanda de demain. Finalement, on a rien donné à Dieu ou au
diable pour être hutu, tutsi ou twa. On doit donc l'assumer comme tel.
La
notion de développement d'un pays incorpore toutefois d’autres éléments comme
la liberté. Les conditions actuelles dans la région des Grands Lacs imposent
que dans la recherche de la réalisation de l’objectif de développement dans le
long terme, on s’engage à garantir la liberté au citoyen, condition sans
laquelle tout risque d'être voué à l’échec.
Jusqu'en
1962, année où le Rwanda a recouvré son indépendance, les droits de l'homme
n'ont jamais été une préoccupation importante des autorités du pays. Le roi-
MWAMI, avec son pouvoir absolu, régnait seul sur tout le pays où toutes les
personnes et les biens lui appartenaient. Les autorités coloniales ne furent
guerre plus progressistes, puisque leurs intérêts semblaient plutôt être plus
orientés vers le côté économique que sociale. Comme nous l'avons fait remarqué
dans le chapitre de l'évolution socio-économique du pays, les hutu furent
longtemps, des victimes du régime absolu des tutsi. Les revendications des hutu
pour un régime plus démocratique aboutirent avec la révolution de 1959 et
l'avènement de la première république. Pourtant, l'avènement de la seconde
république va porter un coup dur aux droits des rwandais. La consécration du
régime militaire de Habyarimana par les gouvernements occidentaux fut un pas en
arrière en ce qui concerne la liberté du peuple rwandais. Tous les rwandais
furent, de fait, les membres du nouveau parti unique, le MRND. Le droit à la
parole fut aboli. Comme dans tous les Etats autoritaires, le pays venait
d'avoir un parent: "le père de la nation" en la personne de
Habyara.... Cette situation va perdurer jusqu'en 1991 avec l'acceptation des
nouveaux partis politiques d'opposition.
La
naissance du multipartisme va s'accompagner de la liberté de la parole. La
presse écrite va jaillir sur tout le pays comme des rayons du soleil et des
dizaines de journaux vont voir le jour presque en même temps. Afin de pouvoir
dénoncer les méfaits du régime, plusieurs organisations des droits de l'homme
vont naître. Ces organisations étaient apparentées, directement ou
indirectement, à l'une ou l'autre parti politique. Leur liberté en matière de
dénonciation était ainsi plus ou moins limitée et orientée selon leurs
mouvances politiques. Ce manquement était toutefois comblé par la pluralité de
ces organisations. De ce fait, elles étaient indépendantes les unes des autres,
ce qui rendait plus ou moins efficace leur travail sur le terrain.
L'attaque
du pays par des éléments tutsi venus d'Ouganda mit de l'huile sur le feu.
Plusieurs tutsi de l'intérieur du pays furent considérés, à tort ou à raison,
comme des conspirateurs du régime Habyarimana. Le pouvoir en place va les
arrêter et parfois des bavures contre les droits de l'homme seront constatées.
Plusieurs organismes non gouvernementales vont dénoncer tous ces abus. Des
commissions internationales seront même formées à cet effet. Elles vont
constater les réalités sur le terrain et des rapports de dénonciation vont être
publiés entre autre par Amnisty International. Le fait de laisser ces
organisations des droits de l'homme travailler librement sur tout le territoire
national paraît, à notre entendement, comme un moyen de laisser agir les
autres, comme une expression d'une certaine liberté. Malgré les vingt ans de règne
sans partage et malgré tous ses abus, le pouvoir Habyarimana commençait, même
si c'était à petit pas, à se démocratiser. Il fallait, per fas et nefas,
continuer dans cette ligne et essayer d'éviter la guerre. Maintenant que la
guerre d'agression menée par les inyenzi-inkotanyi est presque terminée; que le
pouvoir dictatorial de Habyarimana a été écartée et qu'un nouveau pouvoir est
en place: avec un petit feed back, il y a lieu de juger l'action politique de
nos responsables d'hier et d'aujourd'hui. S'il y avait à choisir, la majorité
du peuple rwandais préférerait ce pouvoir dictatorial au lieu du pouvoir
actuel. En se référant sur les conséquences de cette guerre sur le Rwanda, le
choix deviendrait encore plus clair et presque unanime. Plus clair encore
serait la comparaison des bavures des droits de l'homme sous les deux
républiques. Le régime dictatorial de Habyarimana risquerait d'être blanchi.
La
troisième république (république FPR) est née dans un contexte de victoire
militaire des inyenzi-inkotanyi. Elle a directement évolué dans des tensions de
lutte interethnique que ses leaders avaient eux-mêmes activées. Cette victoire
militaire de la minorité tutsi et de leurs alliés a jetté en dehors du pays une
partie importante de la population hutu. Un régime oppressif et sanguinaire
s'installa de nouveau à Kigali. La liberté d'expression fut d'office abolie.
Les mauvaises habitudes du régime politique précédent furent renforcées. Tous
les hutu furent considérés comme des génocidaires et donc des ennemis déclarés
du nouveau régime. Si un hutu était appréhendé comme un opposant politique,
tout son village était menacé d'être anéanti. Des exécutions sommaires et des
détentions arbitraires et sans jugement caractérisèrent ce régime. Hormis les
organisations affiliées au FPR, les autres organisations des droits de l'homme
furent chassées. Malheureusement, certaines organisations non gouvernementales
continuent de rendre un service délicat au FPR. C'est le cas d'African Rights
dont le fondateur "Rakya Omaar", à juger par ses propos est devenue
un véritable inyenzi-inkotanyi. Son organisation, au lieu de rester neutre dans
le conflit rwandais et s'occuper véritablement des droits de l'homme a été
récupéré par quelques types qui charment cette jeune femme. C'est ainsi que
Rakya s'occupe de la nuisance des droits de quelques individus que le FPR juge
indésirables. Pourtant, les médiass occidentaux n'en parlent presque pas ou en
parlent avec passion. Monsieur Higiro[14]
appelle de telles organisations ainsi que d'autres acteurs soucieux des droits
de l'homme au Rwanda de revenir à la raison en ces termes: "Quiconque veut
aider les rwandais à vivre ensemble doit réaliser que toute violation des
droits des citoyens rwandais (exécutions sommaires, arrestations arbitraires,
détentions sans jugement, traitements inhumains, ...), commise et tolérée au
nom du génocide des tutsi, fait partie d'une stratégie d'un régime oppressif
pour se maintenir au pouvoir".
Une république guerrière: la défaite des FAR (Forces
Armées Rwandaises) et la reconnaissance par la communauté internationale du
génocide va faire du Rwanda-tutsi un enfant rebelle et gâté. Profitant de
l'attitude ambigue de cette communauté à l'égard des conflits qui déchirent
notre globe, le nouveau pouvoir tutsi va se distinguer par des actes guerriers
surtout envers son voisin de l'OUEST. A l'instar de leurs pères monarchiques,
les tutsi de Kigali avec leurs congénères de Kampala, vont vouloir étendre leur
domination sur tous les pays des Grands Lacs. C'est ainsi que, appuyés par les
Etats Unis d'Amérique (USA), ils vont chasser Mobutu du pouvoir et installer à
Kinshasa un régime fantoche de Kabila.
L'agression d'un pays souverain, membre de l'ONU, devait normalement
être condamnée et même militairement stoppée par la communauté internationale.
Cela ne fut pas le cas. Dans la suite (1998), la volonté manifeste des tutsi
ougandais et rwandais d'occuper l'ancien Zaïre va entraîner le Congo dans une
spirale de guerre d'agression sans fin. Le prétexte avancé était le problème
des tutsi zaïrois (abanyamurenge) qui, semble t-il, étaient menacés. D’une
part, le rêve tutsi de créer un empire hima en Afrique centrale était, en
réalité, la cause de la guerre d'agression déclarée contre Kabila en septembre
1998. Mais, de l’autre part, le rêve américain de dominer et exploiter
l’Afrique des Grands Lacs allait se concrétiser. Ce conflit guerrier va ainsi
impliquer plusieurs des pays de cette région africaine. Les objectifs guerriers
des dirigeants tutsi de Kigali et de Kampala eurent une incidence grave sur
l'économie de ces pays. Leurs peuples respectifs continuèrent de vivre dans la
misère alors que l'armement se perfectionnait. La stratégie expansionniste des
dirigeants tutsi de Kigali et Kampala à l'aube du 20e siècle rappelle la politique
de plusieurs rois du Moyen Age. Ces pays devraient comprendre que bientôt nous
serons au 21e siècle et que la stratégie de la prospérité par l'annexion a été
révolue.
En jetant un petit coup d'oeil sur
la région des grands lacs, on remarque que tous ces pays vivent dans des
guerres. L'Ouganda et le Burundi connaissent des rébellions qui viennent de
passer plus d'une dizaine d'années. Les médias ne parlent plus de la guerre au
Rwanda, mais chaque jour emporte des vies humaines. Le Congo connaît une
agression des trois pays précédents. Plus précisément, il est devenu le théâtre
des combats entre les grandes puissances qui convoitent le sous-sol de ce riche
pays. Les pays montrés du doigt ne sont que leurs pions. Dans tout cela ce sont
les peuples respectifs de ces pays qui continuent de souffrir. Ils sont en
train de payer une lourde facture de ce qu'ils n'ont pas consommés. Au centre
de tout cet imbroglio, c'est Museveni qui joue le sale jeu. La communauté
internationale devrait l'identifier et le juger comme tel. Tout en continuant
d’être protégé par certaines puissances occidentales, il continue de causer
plusieurs dégâts matériels et surtout humains. Les survivants continuent de
vivoter. Comme le disait le père J. Wrésinski, "Là où des hommes sont
condamnés à vivre dans la misère, les droits de l'homme sont violés".
Pendant tout ce temps, le FPR continue d’occuper une certaine partie du Congo.
Au mois de juin 2000, les agresseurs du Congo se sont même affrontés à
Kisangani, tuant plusieurs milliers de civils. Pourtant la communauté
internationale, même l’OUA, ne veulent pas dénoncer ouvertement ces
envahisseurs d’un pays libre et indépendant. Au contraire, les aides continuent
de venir soutenir le Rwanda pauvre du FPR et cela sous le paravent qu’il y a eu
un génocide. Cela est corroboré par les données parues dans l’article de J.
Diana: « Pendant qu’on endort le Congo, la communauté internationale aide
le Rwanda ». Les exemples suivants y sont cités :
L'Union européenne a accordé
une aide de plus de 153 millions de Euro, dont 110 millions libérés
immédiatement.* Le Fmi fait bénéficier au Rwanda le programme ESAF pour un
montant de 9,25 millions de DTS. Le même programme a été refusé au Zimbabwe à
cause de son implication dans la guerre au Congo. * Le Congo elle-même n'a droit qu'à des larmes de
crocodile à travers une aide humanitaire hypocrite.
Où le Rwanda trouve-t-il de l'argent pour soutenir
la guerre au Congo et améliorer en même temps son économie ? Beaucoup refusent
de se poser cette question dans une situation pourtant flagrante. Par contre,
tout le monde parle du Zimbabwe qui serait ruiné par la guerre au Congo.
Comment le Zimbabwe, plus pourvu que le Rwanda peut-il se ruiner pendant que
Kigali sent à peine le poids de la guerre ? Cette question aussi, personne ne
se la pose. Pour empêcher que les hommes lucides y réfléchissent, on a trouvé
une explication absolue. Le Rwanda trouverait les moyens de faire la guerre au
Congo même en exportant les richesses de ce pays. Cette thèse est largement
présentée dans des médias occidentaux. Là encore, on ne va pas plus loin. Car,
d'autre part, le Zimbabwe est aussi accusé de se servir au Congo. Où est la
vérité dans tout cela ? On ne le dira jamais assez, la communauté
internationale toute entière mène la guerre contre le Congo. Quand on dit que
le Rwanda ne donne nullement le visage d'un pays en guerre, ce ne sont pas de
déclarations en l'air. Ce pays, en 1997, était le pays du monde le plus
dépendant de l'aide extérieure. Et cela en terme d'aide extérieure officielle
pour le développement par rapport au Pnb. Soit 32%. Aujourd'hui, selon l'agence
Reuters, l'aide extérieure représente 45% du budget du Rwanda pour l'exercice
1999. Il n'y a aucun doute que l'aide de la communauté internationale au Rwanda
a repris, sinon plus au moins doublé au lendemain du déclenchement de la guerre
au Congo. C'est avec cette aide notamment que le Rwanda a pu faire face à ses
obligations au Fmi et à la Banque mondiale. On cite plus particulièrement
l'aide que la Suède, le Royaume Uni et le Pays-Bas ont accordée dans le cadre
de l'aide bilatérale.
Le Rwanda préféré au Zimbabwe
En plus de toutes ces aides, le Rwanda a également
bénéficié du programme ESAF (facilité d'ajustement structurel élargie) du Fmi
en 1998 et en 1999, soit un montant de 9,25 millions de DTS. Le même montant
lui a été accordé en mars 2000. Tout le monde sait que le Fmi avait refusé le
même programme au Zimbabwe à cause de son implication dans la guerre au Congo.
On pénalise un pays appelé au secours et qui est venu sauver la souveraineté
d'un autre pays, tout en protégeant et soigner aux petits œufs celui qui a
imposé la guerre. Cela veut clairement dire que le Rwanda avait le droit
d'agresser le Congo mais le Zimbabwe n'en avait aucun pour venir à son secours.
La Banque mondiale, quant à elle, a accordé au Rwanda deux prêts importants
entre juillet 1998 et juillet 1999, soit un montant de 75 millions de $Us.
L'aide avait pour motif, le renforcement des communautés locales. Tous les
spécialistes en matière d'aide de la Banque mondiale savent que ce montant
dépasse la hauteur de l'aide à laquelle le Rwanda avait droit en cette matière.
La Banque mondiale s'est trouvée une explication pour justifier cette largesse.
Pour elle donc, la raison est à chercher dans "le statut spécial accordé
au Rwanda afin de lui permettre une transition rapide vers la paix et le
développement". Le Royaume Uni quant à lui, dans le cadre de l'aide
bilatérale, et sur base de l'accord du 12 avril 1999 entre lui et le Rwanda, à
fait bénéficier à ce dernier une aide budgétaire de 55 millions de livres pour
une période de dix ans. Le Japon n'est pas en reste car ayant reéchelonné la
dette rwandaise pour un montant de 8,25 millions de $US. Le 27 août 1998,
quelques semaines après le déclenchement de la guerre, le Pays-Bas consentait à
une aide de 6,7 millions de $Us au "Trust Fund" du PNUD pour le
renforcement des infrastructures scolaires du Rwanda.
Pendant que l'Union européenne endort le Congo avec
des préceptes qu'elle n'accepterait pas elle-même en cas d'agression, elle met
le paquet pour aider le Rwanda à résister devant le Congo. En mars 2000, l'UE a
accordé au Rwanda une aide de 157,5 millions d'Euro, soit 7,25 milliards de F.B
dans le cadre de la reprise de l'aide structurelle. De ce montant, 110 millions
d'Euro ont été libérés immédiatement. L'UE, déclare, pince-sans-rire que cette
aide va aider à la consolidation de la démocratie, aux droits de l'homme et aux
libertés fondamentales. Dieu seul sait si le Rwanda est déjà engagé dans un
quelconque processus de démocratisation. On se demande également si le Rwanda
s'est déjà engagé dans le respect des droits de l'homme. Les différents
massacres que l'armée rwandaise commet au Congo n'ont aucun sens pour l'Union
Européenne. Tous les Hutu qu'on entasse dans des prisons rwandaises sans
jugement sont une explication à l'aide de l'Union Européenne. Bien plus,
l'Union Européenne dit que son aide va servir à la stabilité de la sous-région.
Le Rwanda en agressant le Congo, assure cette stabilité de la région des Grands
Lacs, à en croire les insinuations de l'Union Européenne. Dans cette guerre,
tout est clair que les agresseurs de le Congo ont les faveurs de la Communauté
internationale. On peut évoquer le cas de l'Ouganda que comblent le FMI et la
BM. Pendant ce temps, les alliés du Congo ont droit à une propagande
malveillante et le Congo elle-même, à des larmes de crocodile qui coulent
difficilement à travers une aide humanitaire perfide et hypocrite.
Le
problème des massacres interethniques au Rwanda, couplé avec la disparition
éhontée et programmée des responsables politiques de la 1ère République, nous
renvoie au problème de l’impunité qui a caractérisé le pays. En effet, il y a
lieu de se demander toute une série de questions. Pourquoi les commanditeurs
des massacres ethniques de 1973 n'ont jamais été interpellé par la justice?
Pourquoi et comment a-t-on jugé les autorités de la 1ère république? Qui va
juger tous les actes inhumains et barbares commis par la Garde Présidentielle
et les milices en avril 1994? Qui va juger avec toute impartialité les crimes
contre l'humanité commises par le FPR (Front Patriotique Rwandais) depuis le
début de la guerre en 1990? Qui va rendre justice à plus de 300.000 hutu *, victimes des massacres du FPR depuis
la prise de Kigali en juillet 1994 jusqu'en juillet 1995? Qui va s'occuper des
disparitions perpétrées par le FPR depuis sa victoire jusqu'à ce jour? Qui va
juger les envahisseurs d'un pays souverain (Rwanda) par une armée étrangère
appuyée matériellement, moralement et surtout financièrement par un président
d'un autre pays indépendant: Museveni?
S’il
est juste que les meneurs des massacres d'avril 1994 doivent être jugés, on
voit mal par ailleurs comment un tribunal international pour le Rwanda
contribuera, tel qu’il est conçu actuellement, à réconcilier les hutu et les
tutsi. Presque tous les hutu, ont été à tort et à travers, considérés par le
FPR et ses médiass occidentaux, comme seuls responsables du passé alors que le
rôle de l'envahisseur dans ce conflit n'est jamais évoqué. Ainsi par exemple,
plusieurs arrestations des hutu faites par le tribunal ne relèvent d'aucun acte
d'accusation pour les soutenir. Les actes d'accusation sont confectionnés après
les arrestations et encore sur proposition de l’autorité FPR. Une telle
approche qui consiste à soutenir le FPR dans ses arrestations et détentions
arbitraires procède de la pure injustice et ne vise qu'à nuire certains
individus visés par le pouvoir minoritaire de Kigali. Ce tribunal est, du moins
pour le moment, un instrument d’une partie et contribue à l’aggravation de la
crise actuelle. Vox populi, vox Dei. Peu reste donc à attendre de ce tribunal
international, dont le mandat a été trop restreint dans le temps et dans ses
actions (ses actions ne couvriront que la dernière période de la guerre
seulement, soit l'année 1994). Il ne pourra pas aborder ainsi le problème
d'invasion du Rwanda par un pays voisin, ce qui est primordial dans le conflit
rwandais. Voici ce qu'a écrit un éminent juriste américain John PHILLIPOT ** (Secrétaire Général de l'Association
des Juristes Américains: organisme qui a un statut consultatif à l'ONU) à
propos de ce tribunal: "il n'est ni indépendant, ni impartial, ni
permanent. ... il ne reflète nullement un consensus international qui
proviendrait d'un vote à l'Assemblée Générale de l'ONU. C'est un Tribunal du
vainqueur créé par le Conseil de Sécurité à la demande de la partie victorieuse
....". C’est dans le même ordre d’idées que le rapport Carlsson, pourtant
rédigé sur commande de l’ONU, a disqualifié le TPIR. Le TPIR a été créé par le
conseil de sécurité de l’ONU. Pourtant, ce conseil n’a pas les compétences
requises pour créer un tel tribunal. A notre avis, les jugements prononcés par
ce tribunal devraient être pris avec plus de réserves. Dans l’optique d’une
justice juste reconnu par tous, nous devons envisager dores et déjà la
possibilité de leur révision.
L'invasion
(la guerre) du Rwanda a été préparée en Ouganda. Elle fut conduite sous la
bannière des réfugiés avec la participation à peine voilée de l'armée
ougandaise. Cela est en violation grave des principes du droit international
liant les deux pays. Par ailleurs, selon l'art. III, paragraphe 2 de la
Convention de l'Organisation de l'Unité Africaine (OUA) de 1969 relative à la
problématique des réfugiés en Afrique, les Etats membres se sont engagé "à
prendre des dispositions afin d'empêcher aux réfugiés installés sur leurs
territoires d'attaquer tout Etat membre ou de se livrer à des activités pouvant
créer des tensions...". Ces dispositions ont été ignorées par le Conseil
de Sécurité de l'ONU qui a parrainé la création de ce tribunal pénal pour le
Rwanda. Pourtant, le droit international inclut les crimes de planification et
la conduite des guerres d'agression dans le cadre du Tribunal de Nuremberg.
Apparemment, un second tribunal ayant comme objectif de dévoiler tous les
problèmes de fonds à la base de la tragédie rwandaise devra tôt ou tard être
créé. Il se pencherait alors sur la responsabilité des divers acteurs dans la
tragédie nationale. A titre d'exemple, on pourrait citer:
· Le MRND et l'Akazu*** :
-
La boulimie impudente du pouvoir
Cette soif a commencé en 1973 avec l'interdiction
radicale du parti du peuple "le mouvement démocratique républicain
PARMEHUTU (MDR Parmehutu)". Cette malheureuse interdiction suivie par la
disparition éhontée de plusieurs personnalités politiques est l'une des causes
de la tragédie qu'a vécue la grande masse paysanne HUTU après la victoire du
FPR en 1994. Dans les faits, les hutu ne se reconnaissaient nulle part alors
que les tutsi se reconnaissaient à travers les organisations des réfugiés. De
plus, les rwandais ont été écarté de la politique. Seule la famille
présidentielle et quelques acolytes dirigeaient le pays. Le massacre de
responsables politiques de la première république, dont la plupart avaient
pourtant lutté corps et âme pour l'indépendance nationale, fut un crime grave
perpétré par Habyarimana et ses camarades du 5 Juillet*. Le problème de la succession de
Habyarimana par un apolitique était alors indirectement posée. La lutte pour sa
succession durant la courte période de la démocratisation des institutions
nationales des années 1990 montre bien les faits. Sa succession après sa
disparition par "un enfant rebelle de l'AKAZU" s'inscrit également en
partie dans la même logique. En préparant l'attentat contre le président, le
FPR avait bien exploité cette situation. Il savait bien que la réussite de
cette opération l'amènerait à sa victoire militaire et donc à la succession de
Habyarimana.
-
blocage volontaire du processus de démocratisation et des accords d'Arusha, etc.
· Les responsables des partis politiques dits
"Force Démocratique pour le Changement"
-
mauvaise conduite et gestion de la situation de guerre (confusionnisme entre un
conflit interne et externe);
-
manque ou peu de patriotisme entraînant une primauté des intérêts individuels
avant les intérêts de la masse paysanne, et cela pendant la guerre, etc.
· Le Front Patriotique
Rwandais
-
conduite d'une guerre meurtrière interminable comme option privilégiée et ses
conséquences, etc.
C' est ce tribunal impartial qui devra mettre fin à
l'impunité. Ce sera alors le début de la vraie reconstruction du pays et de la
réconciliation nationale.
Le
déroulement de la guerre qui a secoué le Rwanda peut se subdiviser en plusieurs
phases:
- la première phase date d'octobre 1990. Pendant
cette phase, le Front Patriotique Rwandais (FPR - organisation militaire formée
essentiellement par les tutsi en exil) soutenu par d’autres forces diaboliques
dont la NRA (National Resistance Army - armée ougandaise) pensait mener une guerre
éclaire. En même temps, il mena une propagande de sensibilisation de la
population rwandaise à l'intérieur du pays à ses idéaux. Cette propagande fut
un échec. C'est justement suite à cet échec de sensibilisation que les
massacres des civils hutu innocents ont commencé. Tous ceux qui n'épousaient
pas son idéologie étaient coupables. La phase se solda par un échec du FPR sur
le front militaire. Cette attaque, qui coïncida avec le début de la
démocratisation du pays, fut l'occasion pour le régime Habyarimana de se
débarrasser des alliés du FPR. C'est ainsi que par exemple certains Bagogwe -
tutsi considérés comme congénères du FPR, furent sauvagement maltraités. De
même, certains hutu qui se réclamaient de la mouvance de l'opposition
démocratique reçurent le même sort.
- la seconde phase date de février 1993 où le FPR a
changé de tactique militaire par des bombardements massifs au catiousha ainsi
que par l'assassinat des personnalités politiques rwandaises *. C'est pendant cette période que commença
la vraie destruction du pays (bombardements des centrales hydroélectriques,
etc.). Les massacres des populations civiles hutu s'intensifièrent. Suite à ces
massacres commis par le FPR, il y eut un mouvement massif des déplacés de
guerre dans les préfectures de Byumba et de Ruhengeri vers l'intérieur du pays
(plus de 500.000). Ces déplacés arrivèrent aux portes de la capitale - Kigali
(camp des déplacés de Nyacyonga).
- la troisième phase: c'est à partir du 6 avril
1994. La mort des présidents rwandais et burundais HABYARIMANA et NTARYAMIRA
fut le détonateur des massacres dans tout le pays. La milice du parti du
président tué Habyarimana (les interahamwe), soutenue par la garde
présidentielle, s'en est pris aux tutsi mais aussi à tous les hutu jugés de
conspirateurs dans cette guerre. En même temps, le FPR, qui semble être le vrai
auteur de l'attentat qui a coûté la vie aux deux présidents, avait déjà alerté
ses troupes. Chemin faisant, l'avancé de ses troupes vers Kigali directement
après l'explosion de l'avion présidentiel s'est distingué par l'extermination
de plusieurs milliers de civils hutu. A Kigali même, plusieurs familles hutu
(hommes, femmes et enfants) furent exterminés[15]
par les éléments du FPR. En attendant la proclamation officielle du nouveau
gouvernement de transition, un contingent FPR fort de 600 personnes avait été
installé officiellement dans le bâtiment du parlement (CND). Selon l'accord qui
avait été signé entre le gouvernement rwandais et le FPR, ce bataillon était
normalement chargé de garder les officiels du FPR venus à Kigali pour
l'occasion.
Il est à remarquer qu'après la victoire du FPR
en juillet 1994, les massacres à grande échelle des hutu se sont poursuivis.
Cette épuration ethnique intervenant sous couvert de l'émotion provoquée par les
massacres des tutsi en avril 1994 a été passée sous silence par la communauté
internationale qui n'a pas voulu mettre en place une commission d'enquête. Seul
le rapport Gersony, sorti en septembre 1994, a voulu attirer l'attention
internationale sur l'extermination de plusieurs civils hutu à l'intérieur du
pays. Il a ouvertement accusé le FPR de génocide et de crimes contre
l’humanité. Pourtant, ce rapport a été frappé par un embargo malgré que cette
mission ait été menée sur recommandation de l'ONU. Sans parler du génocide des
hutu opéré au Zaïre en 1996, les plus graves massacres survenus à l'intérieur
du Rwanda sont ceux de Kibeho en avril 1995 où, pendant une opération
sanguinaire programmée, plus de 4.000 hutu réfugiés (selon Médecins sans
Frontières) furent froidement abattus par les soldats du FPR. Alors que sous
l'ordre militaire du FPR, la plupart des corps des victimes avaient été cachés
et/ou enterrés dans des fosses communes pendant plusieurs nuits, le président
Bizimungu va lui-même dénombrer jusqu'à 338 tués, délaissés sur les lieux
quelques jours après ce monstrueux carnage. L'image la plus terrifiante et la
plus saisissante de Kibeho restera celle de cette malheureuse femme jetée dans
la fosse commune avec son bébé sur le dos alors que plusieurs autres enfants,
certainement grièvement blessés, se mouvaient au milieu des autres
cadavres.
D'autres
lieux resteront pour toujours dans la mémoire des rwandais. Il s'agit entre
autres de Masaka (commune Kanombe), Gabiro, forêt du Groupe Scolaire de Butare,
et de plusieurs autres lieux cachés et interdits aux civils et étrangers où le
FPR brûlait les civils hutu et les enterrait dans des fosses communes. Les gens arrivaient vivants, on les faisait
l'ingoyi (le ligotage des coudes dans le dos) et on les tuait de coups précis
sur l'os frontal du crâne à l'aide d'un marteau, d'une massue ou d'une vieille
houe[16].
Par ailleurs, plusieurs civils hutu sont morts, asphyxiés dans des
containers hermétiquement fermés. Ces containers étaient volontairement exposés
à la chaleur du soleil. Jusqu'à présent, cette méthode de torture des hutu est
encore utilisée dans le pays. Pourtant, presque tous les médias et les autres
défenseurs des droits de l'homme ont laissé passer cette situation sous
silence, comme si l'homme hutu ne valait pas autant que son homologue tutsi.
Ici, il y a lieu de se demander comment les experts d'Amnesty International,
qui se sont donné le travail d'exhumer certains corps, ont pu distinguer si les
os trouvés étaient hutu ou tutsi, et plus grave encore, si l'individu avait été
tué par les interahamwe ou par le FPR. Ceci est d'autant plus important que les
deux antagonistes utilisaient presque les mêmes moyens d'extermination. Il y a
aussi et surtout lieu de se demander le
bien-fondé du silence inhabituel d'African Human Rigths, dont la présence sur
le terrain a été toujours sans aucune restriction.
C'est
pourquoi, les gens qui connaissent le Rwanda ont parfaitement raison de se
poser plusieurs questions.
-
Quelle est la responsabilité
(dans cette guerre) de celui qui a agressé et attaqué le Rwanda en octobre 1990, alors réputé comme pays de
paix?
-
Quelle est la responsabilité des
pays comme les USA, la Belgique, …. Dans ce conflit ?
- Qui a tué les deux présidents du Rwanda et du
Burundi et à qui profitait ce crime ignoble?
- Pourquoi la communauté internationale a classé ce
crime particulièrement odieux comme un crime normale? Elle semble déjà avoir
clôturé cette affaire.
- Parmi les deux grands antagonistes dans ce conflit
(hutu et tutsi), qui a perdu plus d'hommes (civils massacrés par les
militaires) et pourquoi?
- Est-il objectif de décrier le génocide des tutsi
seulement ou est-il plus logique de parler de génocide des hutu et des tutsi?
De
toutes les façons, s'il y a eu un génocide, il a touché toute la population.
Sur ce, on peut même se demander comment peut-on être victime d'un génocide et
gagner en même temps une guerre. Parler de génocide revient à affirmer, non
seulement, l'existence des coupables, mais aussi des victimes. C'est pourquoi,
une telle lecture des événements d'avril 1994 peut permettre non seulement
d'identifier les martyrs, mais aussi et surtout les responsables. Or, les
responsables et les victimes se trouvent des deux côtés. Ils sont hutu, mais
aussi tutsi. La terreur a été bidirectionnelle pendant les massacres de 1994,
d'où la raison à ceux qui pensent au double génocide. Elle est même devenue à
sens unique après la victoire du FPR. En effet, l’équipe du rapporteur des Nations
Unies sur les éxactions commises par le FPR au Zaïre, Roberto Garreton a
dénombré entre vingt mille et cent mille cadavres des hutu tués. Pourtant, sa
libre circulation sur le sol zaïrois avait été restreinte tellement qu’il a
même dû quitter précipitamment ce pays. Sous la pression des USA, le terme
génocide qui avait été utilisé pour qualifier cette sale besogne du FPR a été
remplacé par « massacres »
Concernant
la mort des deux présidents rwandais et burundais, plusieurs spéculations
circulent, souvent même dans le seul but de brouiller les pistes. C'est
pourquoi, bien que je ne sois pas mieux placé pour répondre à cette question,
rien ne m'empêche de donner une analyse, si petite ou incomplète, pour essayer
d'éclairer le noeud du problème. Deux hypothèses les plus probables ont été
avancées. L'une incrimine le "noyau dur" du pouvoir Habyarimana et
l'autre met directement sur les sellettes le "FPR".
Concernant
la première hypothèse du noyau dur, les tenants de cette variante l'appuient en
rappelant que le président Habyarimana et son entourage le plus dur (AKAZU)
avaient bloqué la mise en place des institutions de transitions pour que les
accords d'Arusha ne restent que lettre morte. Selon eux, comme Habyarimana
risquait de mettre en oeuvre ces accords, il fallait à tout prix l'éliminer. De
prime abord, le raisonnement semble cohérent. Mais, pour quelqu'un qui connaît
les anciennes personnalités politiques rwandaises, de telles affirmations
perdent vite leur sens. En effet, qui constituait ce noyau dur (AKAZU) qui a
trahi le peuple rwandais et qui ne voulait absolument pas lâcher le pouvoir?
Ceux qui ont vécu au Rwanda et qui connaissent l'AKAZU vous diront que les
grands manitous* de l'AKAZU sont morts
dans l'avion présidentiel en même temps que le Président Habyarimana. Les
membres de l'AKAZU n'étaient pas aussi drôles jusqu'à se couper les bras et les
jambes pour mieux affronter l'ennemi! Ainsi, la mort des grands leaders de
l'AKAZU n'est certainement pas à mettre sur le dos des responsables proches du
président tué, il faut chercher ailleurs. Cinq ans après le changement du
pouvoir à Kigali, il y a lieu de se demander pourquoi les nouvelles autorités
de Kigali ne veulent pas du tout entendre parler de l'enquête y relative.
L'affaire a été classé sans suite malgré son importance dans l'éclaircissement
du drame rwandais.
Il
faut se souvenir que ce n'est pas pour la première fois que le FPR commettait
des meurtres politiques et que les comptes étaient portés aux autres acteurs
politiques rwandais (cfr. mort de GATABAZI F. et de GAPYISI E.). En faisant un
petit feed back relatif à la mort de cet ancien ministre des travaux publics
(GATABAZI) et qui était également premier vice-président du parti PSD, on se
rend compte qu'il a été abattu dans les mêmes conditions que le président
Habyarimana. Sa mort, qui au début a été porté à tort et à travers sur le
compte d'un autre parti politique, la CDR, a causé beaucoup de troubles dans le
pays, entraînant même la mort du président de ce parti (BUCYANA). Actuellement,
il semble de plus en plus clair que cet assassinat émanait du FPR. Les
ressemblances de ces deux attentats font croire que ces actes odieux
s'inscrivent dans la logique d'un même auteur.
Il
faut se rappeler également qu'avant la guerre de 1990, le Rwanda était l'un des
pays africains les mieux côtés par la communauté internationale en ce qui
concerne la bonne gestion du pays. Malgré cette côte, la guerre médiatique
menée par le FPR déjà en 1991 faisait croire que le Rwanda était un démon. De
telles manoeuvres, que le FPR opérait sous l'oeil des médias corrompus, lui
sont propres et présentement n'étonnent plus personne. A moins que ceux qui
avancent cet argument ne disent que le noyau dur du régime était constitué par
d'autres éléments jusqu'à présent non connus, cette hypothèse semble de toute
vraisemblance moins plausible.
Quant
à la seconde hypothèse qui incrimine le FPR, ses tenants partent du fait que le
FPR avait crié haut et fort, même sur les ondes de sa radio Muhabura, que leur
ennemi n° 1, c'était Habyarimana et qu'il fallait l'éliminer. Ceci est renforcé
par le fait que Habyarimana était devenu, dans son empire dont il était le
dictateur, comme le seul représentant politique valable du Rwanda et que sa
disparition signifiait un vide politique que seule une victoire militaire
pouvait combler. C'est ce qui s'est produit. Rappelons que cette victoire
militaire était tant convoitée par le FPR. C'était son objectif numéro un. Le
FPR avait donc tout intérêt à mettre ce plan en exécution d'autant plus que sa
présence militaire dans Kigali, renforcée par des infiltrations massives et par
un appui déguisé des Etats étrangers, lui accordait une suprématie militaire
notoire. De plus, la présence de son armée tout près de l'aéroport où a été
descendu l'avion présidentiel, augmente la probabilité de cette hypothèse.
Le
silence qui entoure la mort du président HABYARIMANA cache la réalité de la
cause de la tragédie rwandaise. Plusieurs indices intéressants existent, mais
personne ne veut aller plus loin (mort de casques bleus tués, leur nombre,
avion belge équipé d'antimissiles qui a survolé l'aéroport avant l'attentat,
propos de Willy Claes lors de sa dernière visite officielle au Rwanda en tant
que ministre des affaires étrangères devant le président "il est minuit
moins cinq", etc.). A ce propos, les détenus d'Arusha écrivent: "Le
nombre de casques bleus tués à Kigali reste mystérieux malgré la commission
parlementaire belge qui devait élucider ce problème. D'ailleurs, un
représentant des familles des casques bleus tués a déclaré devant la commission
sénatoriale: « Lorsque nous avons rencontré le premier ministre, il nous a
expliqué que la recherche des responsabilités risquait d’engendrer des
problèmes politiques qui pourraient aller jusqu’à faire tomber le gouvernement.
Il ne pouvait pas aller si loin. » Ainsi plusieurs témoins oculaires
avancent un nombre supérieur à dix, accréditant ainsi la thèse selon laquelle
l’avion présidentiel a été descendu par les mercenaires complices du FPR[17]."
Plusieurs
enjeux dans cette guerre n'ont pas encore été bien élucidés. Le conflit n'était
pas seulement hutu-tutsi (nous allons le voir dans les chapitres qui suivent),
mais impliquait plusieurs nations étrangères avec des objectifs à peine
camouflés. Malheureusement, plusieurs tutsi qui vivaient à l'intérieur du
Rwanda et non ceux qui avaient attaqué le pays ainsi que les hutu en ont été
victimes. Les hutu, même après la victoire du FPR, ont continué de vivre ce
cauchemar. L'arrivée du FPR à Kigali avait laissé penser que les tutsi avaient
gagné. Dans les faits, seuls quelques individus de la diaspora tutsi ont vu
leur rêve tomber du ciel mais en réalité, les tutsi de l'intérieur et les hutu
ont perdu cette guerre. C'est tout le peuple rwandais qui a perdu finalement et
qui actuellement, est en train de payer.
Telles sont certaines des questions que les rwandais
devraient éclaircir en vue d'une réconciliation sans faille.
La dénomination du drame rwandais et ses acteurs
A
la veille du début de la démonstration sanguinaire du 6 avril 1994, le schéma
des acteurs de l'imbroglio socio-politique rwandais, qui s'est vite transformé
en une confrontation armée des deux adversaires ethniques, était composé comme
suit:
Le camp hutu, dans lequel on pouvait distinguer:
-
les membres du parti au pouvoir (MRND) avec sa milice interahamwe,
-
les factions des autres partis d'opposition démocratique qui s'étaient ralliés
au MRND.
Le camp tutsi, dans lequel il faut distinguer:
-
L'Ouganda.
-
le FPR avec toute la diaspora tutsi,
-
les tutsi qui vivaient à l'intérieur du pays avant la guerre,
-
les dissidents (hutu) des différents partis démocratiques d'opposition sympathisants du FPR. Les étrangers les
appellent à tort et à travers les "modérés".
A ces deux camps à caractère purement ethnique, il
faut ajouter un troisième camp relativement moins visible. C’est le camp des
pays impérialistes , vecteurs du conflit rwandais.
Pendant
les massacres d'avril 1994, le camp hutu s'est montré farouche à ces deux
dernières catégories du camp tutsi: les tutsi de l'intérieur et les dissidents
des partis politiques d'opposition pro-FPR. Les tutsi de l'intérieur, alors que
certains d'entre eux n'avaient rien à avoir avec le FPR, ont été massacré.
D'une part, ils étaient considérés comme des conspirateurs par le camp hutu et
de l'autre part, le FPR les a considérés comme un bouclier. En effet, par ses
attaques, le FPR savait bien qu'il compromettait leur vie mais il le faisait
malgré tout. Certains membres du FPR sont même arrivé à dire qu'on ne peut pas
faire d'omelette sans casser d'oeufs. C'est ainsi que dans les tirs d'obus qui
se sont abattus sur la capitale Kigali, le FPR en a délibérément lancés
plusieurs sur les abris des tutsi (Eglise Sainte Famille). Cela se faisait dans
le but de discréditer publiquement l'armée rwandaise et de la rendre
responsable de tous les maux.
C'est
dans le même cadre que le FPR s'est rendu coupable en massacrant des milliers
de hutu après la prise de l'Est du pays. En effet, alors que presque tous les
hutu avaient traversé la frontière tanzanienne pour y trouver refuge et que le
FPR était resté seul maître de toute la région, plusieurs corps qui flottaient
sur la rivière AKAGERA et le lac Victoria ont été montrés aux médias étrangers.
Le FPR et son principal allié l'Ouganda avançaient que ces corps avaient été
tués par des interahamwe. Les interahamwe ne pouvaient pas massacrer ces
personnes alors qu'ils n'étaient plus sur le territoire rwandais. La majorité
de ces corps était liée les mains dans le dos, ce qui est une torture célèbre
utilisée exclusivement par les inyenzi-inkotanyi. Pour détourner l'attention de
la communauté internationale, le président ougandais Museveni, qui est le
véritable génocidaire du peuple rwandais, s'est précipité à déclarer le lac Victoria
comme zone sinistrée.
Par
ailleurs, il est intéressant de remarquer que dans certaines régions du pays,
c'est le FPR qui a commencé les massacres des tutsi. Bien sûr, le discours du
gouvernement Kambanda n'était pas aussi pour la paix, mais grâce aux infiltrations massives du FPR, ce discours
belliqueux lui permettait directement de passer physiquement à l'action. Comme
les soldats FPR étaient habillés comme des FAR (Forces Armées Rwandaises) et
que l'un des buts de ces infiltrations était d'inciter la population civile à
s'exterminer, les massacres devenaient si vite infernales qu'on ne pouvait
absolument pas se rendre compte d'où venait ce courant meurtrier. Dans la
préfecture de Butare par exemple, le discours belliqueux du gouvernement Kambanda
a permis au FPR de commencer les massacres. Dans son plan diabolique, il devait
inciter la population civile à s'entretuer et entretemps, sa milice, qui était
stationnée de l'autre côté au Burundi, devait trouver l'alibi d'entrer
calmement dans ces massacres. Curieusement, plusieurs intellectuels tutsi
détenaient des armes que le FPR avait distribuées. Malheureusement après avoir
attisé le feu, la réaction de la population hutu a été si brutale que la milice
FPR du Burundi est arrivée trop tard. Les dégâts en vies humaines étaient
innombrables. Qu'importe pour les inyenzi-inkotanyi! Quel que soit le nombre
des victimes tutsi, le FPR voulait seulement le pouvoir. Les massacres dans
tout le pays, couplés avec la perte du territoire par les FAR à son profit le
rapprochait de la victoire finale. C'est pourquoi le massacre des tutsi de
l'intérieur du Rwanda, encouragé par ailleurs discrètement par le FPR, lui
facilitait la tache sur le terrain. De l'autre part, les médias occidentaux ne
transmettaient que des scènes d'horreur données exclusivement par le FPR.
L'objectivité du métier journalistique était totalement réduite à son infime
valeur.
Alors
que le camp hutu s'en était pris aux tutsi de l'intérieur et aux hutu pro-FPR,
le FPR lui, s'en est pris à toute la population rwandaise. Hormis quelques
personnalités hutu de renom publique qu'il avait évacuées sur le territoire
conquis (Byumba), tous les autres hutu qui ont eu la malchance d'être capturés
par le FPR ont été massacrés. Pourtant, pour se vanter de sa bonne discipline
et de sa sagesse dans cette guerre, le FPR-inkotanyi a exhibé ces hutu sous sa
protection devant les médias étrangers. La guerre des douilles s'était
véritablement transformée en une guerre des médias.
Cinq
ans après les événements malheureux de 1994, il semble de plus en plus évident
que le sentiment de haine et de vengeance prédomine sur la réconciliation.
Quand les journalistes ont demandé à une rescapée tutsi du génocide de 1994, si
elle était prête à pardonner, sa réponse a été sans ambages. "Le pardon ne
se donne pas comme on offre du chocolat aux enfants"*. Cette prise de position d'une
ambassadrice officieuse du FPR en Belgique, mais réellement engagée, illustre
bien l'attitude de son parti politique face à la question délicate de la
réconciliation. Le problème qui se pose est de savoir: qui doit pardonner qui?
Dès son attaque en 1990 jusque même après sa victoire, le FPR a massacré et
continue de massacrer des civils hutu innocents. Lors du génocide de 1994, les
hutu ont massacré les tutsi mais aussi des autres hutu. La responsabilité
incombe à tous les camps. Tous devraient normalement se pardonner. Nous pensons
qu'un regret sérieux accompagné d'un rejet sincère du mal vécu conduirait les
hutu et les tutsi à vivre durablement ensemble. Un rwandais nouveau naîtrait
ainsi, avec le seul but de porter pour son peuple l'étendard de la paix et non
celui de la guerre.
Ainsi,
dans le cadre de la réconciliation, le camp hutu, qui regroupait presque la
totalité des hutu, devrait reconnaitre sa part de responsabilité dans le drame
rwandais. De fait, les hutu devraient comprendre qu'ils se sont laissée tomber
dans le piège de l'ennemi - les inyenzi-inkotanyi. Ils devraient ainsi demander
des excuses aux tutsi de l'intérieur qu'ils ont massacré alors que la plupart
étaient des innocents. Ils devraient aussi se réconcilier avec les autres hutu
et comprendre que la pluralité des idées et idéologies est une des richesses de
la démocratie. Par ailleurs, malgré sa victoire militaire, le FPR devrait avoir
la franchise de demander pardon à tout le peuple rwandais (hutu et tutsi). Il a
causé une guerre meurtrière, massacré des hutu innocents et s'est servi des
tutsi de l'intérieur comme un bouclier. Sans cette reconnaissance de la réalité
rwandaise par les deux antagonistes, la réconciliation, tant prônée par les
nations étrangères, ne sera que comme un bateau avec une voile mal attachée et
qui d'un moment à l'autre est condamné à chavirer. Se réconcilier, c'est
d'abord reconnaitre ses actes et surtout ses erreurs envers autrui. Ses
quelques années de pouvoir FPR ne montrent rien dans ce sens.
C'est
pourquoi, le piège tendu par le FPR à la communauté internationale de
reconnaître ces massacres comme un génocide constitue un grand projet
historique, destructif et catastrophique pour les rwandais. Durant toute la
guerre et cela des deux côtés des belligérants, il n'y a eu ni des bons ni des
mauvais. Chacun avait l'objectif d'exterminer l'autre. En reconnaissant
unilatéralement le génocide au Rwanda, la communauté internationale a signé
pour une atteinte portée aux droits des tutsi seuls. Elle a ainsi rendu un
mauvais service au peuple rwandais. En effet, les tutsi ont été considérés
comme un peuple martyrisé quelque part au Rwanda. Cela a accentué la bipolarisation
ethnique. C'est un frein réel à la réconciliation. Un génocide frappe la
psychologie des survivants pendant longtemps. Il reste gravé dans leur mémoire.
Il ne s'efface pas facilement et même l'histoire le cite en grandes lignes. Le
malheur qui a fait que le génocide a été mis seulement sur le dos des hutu est
lié à la fameuse question des minorités ethniques, mais aussi et surtout au
fait que les hutu se sont laissés vaincre. Or, l'attaque du pays a été faite
par le FPR. Ce dernier avait bien pesé toutes les conséquences. Si les
allemands ont reconnu le génocide des juifs et qu'ils se sont même réconciliés,
ce geste avait un sens. Ce sont eux qui se sont livrés à l'attaque et à la
chasse des juifs. Dans le contexte rwandais, on veut paradoxalement faire
croire au monde entier que celui qui a été agressé doit supporter tout le poids
des malédictions de la guerre et présenter des excuses à son agresseur. Quelle
logique de la communauté internationale!
Même si l'histoire s'est caractérisé par plusieurs guerres, la guerre n'a jamais été un bon moyen pour arriver au pouvoir. Elle détruit plus qu'elle ne construit et l'agresseur devrait normalement assumer toutes ses responsabilités dans le drame. Malgré cela et quelles que soient ses atrocités, le vainqueur d'une guerre a malheureusement toujours raison. C'est ce qui s'est passé au Rwanda. La victoire du FPR en 1994 lui a conféré la légitimité. Toutefois, laisser une minorité quelconque évoluer dans des erreurs de gestion d'un pays sous prétexte de n'importe quelle bavure de son droit dans le passé est un acte démocratiquement irresponsable. Devant cette machination internationale, comment voulez-vous que la réconciliation soit facile? Perdre la partie a été une lâcheté pour les uns, mais les autres devraient reconnaître que la bataille n'a pas été perdue in aeternum. Ajoutons seulement que « qui vivra verra ».
L’évolution de la population depuis les années 1930
jusque dans les années 1980 a montré qu’elle suivait une courbe exponentielle
avec quelques exceptions, comme la période 1943-1944 caractérisée par la grande
famine RUZAGAYURA qui a fait chuter l’effectif de la population. Hormis ces
quelques rares cas, la population rwandaise a connu une croissance rapide et
continue. Le peuplement de tout le pays a fait que, déjà dès l’arrivée des
premiers européens à la fin du dix neuvième siècle- début 20° siècle, le Rwanda
fut considéré comme surpeuplé. Les terres agricoles étaient pourtant largement
disponibles. Cette vision malthusienne va constituer la principale idéologie en
matière de croissance de la population rwandaise jusqu’à nos jours.
La contrainte de la croissance démographique rapide
surtout sa composante ethnique paraît assez préoccupante. Contrairement à
plusieurs autres pays africains où on dénombre une multitude d’ethnies, le
petit nombre (trois) d’ethnies ayant en commun une seule langue, bref une seule
culture, devrait être un atout important et positif pour le développement du
Rwanda. Ici, il faut prendre le développement
comme un résultat d'une évolution d'un processus complexe, aucours
duquel chaque membre d'une collectivité (rwandais), sans discrimination aucune,
aurait un rôle à jouer, qui ne serait jamais entièrement prédeterminé et dont
l'impact dépendrait de la créativité et la capacité innovatrice de chacun.
Malheureusement, la présence des situations conflictuelles entre les deux
principales ethnies hutu et tutsi constitue un handicap majeur pour la
réalisation de cet objectif dans cette région d'Afrique. Quiconque nierait
ainsi l’importance et le rôle des ethnies dans le développement passé et futur
du Rwanda ne ferait qu’une analyse tronquée
du problème.
Le pays est complètement enclavé entre le Zaïre à
l’Ouest, le Burundi au Sud, la Tanzanie à l’Est et l’Ouganda au Nord. La
distance au port le plus proche, Mombassa, est de 1250 km.
Les ressources naturelles sont limitées et l’essentiel de
l’économie s’appuie sur l’agriculture qui occupe plus de 85 % de toute la
population active. Le tableau suivant montre que les exportations du café
représentent plus de 60 % du total des exportations. Considérés ensemble avec
le thé, les deux cultures représentent plus de 80 % de toutes les exportations.
Il est toutefois nécessaire de remarquer que les prix de ces produits sont
fixés par le marché international et non par les pays producteurs, ce qui
entraîne des fluctuations souvent catastrophiques.
Tableau n° 1
Evolution structurelle des exportations (en
mios de FRW)
|
1987 |
1988 |
1989 |
1990 |
1991 |
Café |
8350 |
7229 |
5176 |
6107 |
7929 |
Thé |
1202 |
1365 |
1885 |
2031 |
3258 |
Cassitérite |
47 |
- |
381 |
295 |
316 |
Wolfram |
13 |
- |
38 |
38 |
115 |
Peaux |
427 |
396 |
424 |
283 |
359 |
Autres exports |
321 |
387 |
609 |
592 |
943 |
Total CIF |
10486 |
9569 |
8655 |
9523 |
13274 |
Part Café+Thé (%) |
91 |
89,8 |
81,6 |
85,5 |
84,3 |
Source: République
Rwandaise, Ministère du Plan: Evolution de la situation économique du Rwanda
1988-1991 et tendances 1992, Cahiers économiques du Rwanda, Kigali, 1992
Les
faiblesses de la base de production et une économie ouverte ont perpétué la
dépendance du pays vis à vis de l’extérieur. C’est ainsi que la presque
totalité des exportations nationales proviennent des recettes de deux cultures:
le café et le thé. La baisse en volume de la production de ces cultures sans
compter la conjoncture capricieuse sur les marchés internationaux aggravent les
contraintes en ressources pour le développement.
Parmi les contraintes environnementales qui influencent
par ailleurs son agriculture, on peut citer l’érosion des sols. En effet, le
Rwanda se caractérise par une succession de montagnes et de collines et du
plateau à l’Est ce qui lui donne un relief assez mouvementé, souvent avec de
fortes pentes allant même jusqu’à plus de 50 %. Du point de vue touristique,
cette succession de montagnes et de collines lui a valu le nom de "Pays
des Mille Collines".
L’altitude minimum est de 900 m dans la plaine du
Bugarama pour culminer jusqu’à plus de 2000 m dans les volcans au Nord du pays.
La diversification du relief et des conditions climatiques a entraîné l’existence
des différentes zones géographiques et
climatiques qui sont à la base du découpage du pays en douze régions agricoles.
L’ensemble de toutes ces contraintes (démographiques, économiques, physiques, etc.) entraînent le pays dans une dépendance financière vis à vis de l’extérieur pour réaliser la plupart de ses projets de développement.
A
l’arrivée du colonisateur, le Rwanda fut considéré comme surpeuplé alors que les
terres agricoles étaient assez suffisantes. Cette vision se dessinait par
rapport aux autres pays africains qui n’étaient pas alors aussi peuplé que le
Rwanda. C’est ainsi que le pays va être considéré comme une véritable source de
la main d’oeuvre et les migrations seront favorisées. En 1960, la population
rwandaise était estimée à 3 millions et sera chiffrée à 4,8 millions en 1978.
L’évolution la plus récente de la population au Rwanda est donnée par les deux
derniers recensements de la population et de l’habitat (RGPH) de 1978 [18]
et de 1991 [19].
Tableau n° 3
Répartition et évolution de la population par préfecture et par commune
1978-1991
Préfecture |
Nbre de commu- nes |
Population |
Taux d'accrois sement (%) |
Nombre de
communes avec +300 hab/km² en 1978 |
Nombre de
communes avec -300 hab/km² en 1991 |
|
|
|
1978 |
1991 |
|
|
|
Butare |
20 |
602391 |
764795 |
2,0 |
13 |
18 |
Byumba |
17 |
521842 |
779665 |
3,4 |
3 |
11 |
Cyangugu |
11 |
333164 |
517135 |
3,7 |
6 |
9 |
Gikongoro |
13 |
370577 |
466290 |
1,9 |
3 |
5 |
Gisenyi |
12 |
468818 |
729855 |
3,8 |
5 |
12 |
Gitarama |
17 |
606103 |
851145 |
2,9 |
7 |
16 |
Kibungo |
11 |
361108 |
646555 |
5,0 |
0 |
2 |
Kibuye |
9 |
336571 |
473920 |
2,9 |
2 |
6 |
|
17 |
698178 |
917970 |
2,3 |
6 |
13 |
Kigali-Ville* |
3 |
- |
232770 |
- |
- |
3 |
Ruhengeri |
16 |
531728 |
769115 |
3,1 |
10 |
16 |
|
145 |
4830480** |
7149215 |
3,2 |
55 |
111 |
*
La préfecture de
Kigali-Ville n’existait pas en 1978.
Elle a été créée dans les
années 1980. C’est ainsi que les communes sont passées de 143 à 145. L'ancienne
commune urbaine de NYARUGENGE a été scindé
en trois communes ( NYARUGENGE, KICUKIRO et KACYIRU).
**
Le total ne comprend pas les non déterminés
Au
15 août 1991, la population rwandaise fut chiffrée à 7.149.215 habitants. Le taux
d’accroissement dépassait 3 % par an avec une fécondité élevée de 8 enfants par
femme en moyenne ce qui laissait penser à un doublement de la population en une
vingtaine d’années. Comme le montre le tableau ci-dessus et la carte n° 1 et 2
(annexe 5), la densité supérieure à 300 habitants par kilomètre carré se
rencontrait seulement dans quelques communes en 1978. 55 communes sur 143 du
pays avaient une telle densité (> 300 habitants au km²). En 1991, la
situation avait complètement changé et
seules 34 communes restaient avec une densité de population inférieure à
300.
Il
faut remarquer que la structure par âge de la population rwandaise en 1991
était dominée par une population tout à fait jeune ce qui pouvait constituer en
même temps un avantage et un inconvénient. En effet, sur une population totale
de sept millions, la tranche d’âge jusqu’à 14 ans constitue un effectif de
trois millions et demi. Si on admet que jusqu’à 14 ans, les enfants sont
exceptionnellement pris en charge par leurs parents et que à plus de 65 ans on
est considéré comme inactif, on arrive à un rapport de dépendance supérieur à 1
( 1,03 ). La tranche d’âge de 0 à 9 ans constitue l’effectif le plus important
de cette structure, soit 34,7 % de toute la population. Tout cela montre l’ampleur
des charges de ces jeunes sur le reste de la société en général et
particulièrement sur leurs parents qui doivent non seulement les nourrir, mais
aussi supporter les divers frais relatifs à l’éducation, à la santé, etc. Les
pyramides des âges de la population rwandaise en 1978, de même qu’en 1991
(annexe 6) se caractérisent par des bases assez élargies qui se terminent par
un effilement aux âges avancés. Cette base élargie, due essentiellement à une
fécondité élevée montre bien l’importance numérique de la jeunesse du pays par
rapport à la population totale.
Tableau
n° 4
Structure de la population rwandaise par âge (1991 )
Tranche d'âge |
Effectif |
0-4 |
1297225 |
5-9 |
1183060 |
10-14 |
923245 |
15-19 |
711050 |
20-24 |
585070 |
25-29 |
529435 |
30-34 |
481305 |
35-39 |
358200 |
40-44 |
244850 |
45-49 |
175750 |
50-54 |
173205 |
55-59 |
134170 |
60-64 |
126230 |
65-69 |
84070 |
70-74 |
73365 |
75 et + |
68985 |
TOTAL |
7149215 |
Source:
Recensement Général de la Population et de l’Habitat au 15 Août 1991
La
situation de la population après le dernier recensement de 1991 est devenue
problématique, étant donné la guerre qui a tout perturbé. En effet, la première
défaite essuyée en novembre 1990 par le Front Patriotique Rwandais (FPR)
et suivie par son repli en Ouganda
laissait penser à une victoire de l’armée rwandaise. On était loin de la
victoire car cette défaite a poussé le FPR à commencer une vraie guérilla par
des attaques parfois éclaires entrecoupées par des moments d’accalmie. C’est
justement après une accalmie relative qui avait permis de faire ce recensement,
que la guerre a bel et bien repris en février 1992. Les victimes ont été assez
nombreuses surtout dans les zones de combat situées dans les préfectures de
Byumba et de Ruhengeri (les déplacés de guerre se chiffraient à plus de 250.000
et le nombre de disparus n’a jamais été connu). Après une nouvelle accalmie
relative liée à l’accord de paix signé à Arusha en Tanzanie en 1993, la
situation a été aggravé par la reprise des combats en avril 1994 et les
massacres généralisées qui ont suivi.
A
l’heure actuelle, il est encore difficile de connaître les pertes en vies
humaines causées par cette guerre. Certains avancent le chiffre d’un million,
mais étant donné que même après l’arrêt des combats en juillet 1994, les
disparitions et exécutions ont été nombreuses jusque même à ce jour, ce chiffre
pourrait être revu à la hausse. Quel que soit le chiffre à avancer, il est
clair que le planificateur pourra difficilement tabler sur les données du
dernier recensement de 1991 pour faire ses prévisions. Ainsi, un nouveau
recensement devrait être prévu dans les meilleurs délais pour éclaircir la
situation. Malheureusement, les manoeuvres dilatoires du FPR n'ont pas facilité
cette tâche malgré que les bailleurs de fonds étaient disponibles pour ce
projet.
Le
milieu rural qui occupe 95 % de toute la population du pays, reçoit une
pression considérable surtout en ce qui concerne la pression sur les terres
arables. Selon que les terres agricoles n’étaient plus disponibles ou étaient
usées, une partie de la population se déplaçait d’une région à une autre
entraînant des migrations aussi bien internes qu’externes.
Pour
mieux situer la migration dans la région, il faut rappeler que le Rwanda, le
Burundi et la Tanzanie actuelle faisaient partie de l’Afrique orientale sous
domination allemande jusqu’en 1916. Jusqu'en 1885, le territoire rwandais
dépassait les limites actuelles du pays et s’étendait à l’île Idjwi au Zaïre,
au sud de l’Ouganda et avec une bonne partie de l’Ouest de la Tanzanie. C’est
suite à la conférence de Berlin de 1885 que le Rwanda se vit amputé de ces
territoires au profit de ses voisins. Les frontières actuelles du Rwanda,
tracées arbitrairement par la colonisation venaient d'être décidées. Les
rwandais qui vont rester sur ces territoires coupées de la patrie mère vont
être peu à peu rejoints par leurs compatriotes à travers l’émigration. A partir
de 1916, avec la défaite des allemands pendant la première guerre mondiale, les
territoires de la Tanzanie et de l’Ouganda vont être confiées à l’Angleterre et
le Rwanda sera confié à la Belgique.
Encouragée par les autorités coloniales qui
voyaient dans la politique de migration un gain de main d’oeuvre presque
gratuite dans leurs domaines de plantations et de mines, l’émigration des
rwandais dans les pays voisins jusqu’en 1959 va être ou bien temporaire ou bien
définitive. C’est ainsi que selon Gatanazi cité par ONAPO [20],
pour la période 1937-1959, on estimait une moyenne annuelle de 26.800 le nombre
d’émigrés vers l’extérieur du pays dont 5.500 vont s’établir définitivement au
Congo belge (Zaïre actuel) et 15.500 vont s’installer en Afrique de l’Est.
Le
mouvement migratoire définitif va être déconseillé bien avant l’indépendance du
pays, et l’émigration après l’indépendance sera constituée essentiellement par
les réfugiés tutsi d’après la révolution sociale de 1959. Ils vont
principalement s’installer dans les pays limitrophes et leur nombre sera estimé
à quelques milliers, étant donné qu’il n y a jamais eu de recensement exact de
ces réfugiés. Le problème des migrations après l’indépendance sera mal connu,
mais les migrations surtout temporaires vont continuer et sont liées à la
recherche d’emploi selon que tel ou tel autre pays est économiquement prospère.
Le recensement fait au Zaïre en 1970 va dénombrer plus de 33.000 rwandais dans
la région du Kivu [21].
D’autres
sources estiment que, de 1951 à 1955, l’émigration vers l’Ouganda se chiffrait
par 279.711 entrées et 172.088 sorties ce qui donne un bilan d’émigration
définitive de 107.623 personnes [22].
Les
chiffres[23]
détenus par le Haut Commissariat pour les Réfugiés ( HCR ) en 1990 faisaient
état de: - 13.000 réfugiés rwandais résidant sur le territoire du Zaïre,
- 266.000
réfugiés rwandais au Burundi,
- 22.000
réfugiés en Tanzanie et
- 82.000 réfugiés
rwandais en Ouganda.
Ces
chiffres du HCR montrent que les pays
voisins du Rwanda abritaient à peu près 400.000 réfugiés. Même dans l’hypothèse
revoyant ce chiffre à la hausse et dans laquelle on admettrait que certains de
ces réfugiés n’étaient pas enregistré au HCR, leur nombre total ne dépasserait
pas 600.000 personnes.
Ainsi,
les spéculations faites expressément autour de cet effectif, souvent avec un
gonflement excessif (plus d’un million de réfugiés selon les chiffres du
gouvernement [FPR] rwandais [24]),
nous renvoient à nous poser certaines interrogations à propos de la diaspora
rwandaise. En effet, il y a lieu de distinguer trois types de RWANDAIS qui
étaient à l’extérieur du pays avant la guerre de 1990:
a) la
population qui se trouvait dans les limites du Rwanda avant la colonisation, c-
à - d, avant le partage du pays entre les puissances coloniales. Ces colons
s’étant partagé les territoires sans tenir compte des intérêts des populations
locales, il y a eu un transfert de provinces d’un pays à un autre sans se
préoccuper de la nationalité ou de l’avenir des populations transférées. C’est
ainsi qu’une partie du Rwanda fut annexée au Congo, à la Tanzanie et à
l’Ouganda.
b) un
deuxième type de RWANDAIS, ce sont ceux qui à la recherche d’emploi, ont émigré
dans les pays voisins et parfois se sont installé définitivement. C’est ainsi
qu’en 1959, avant le flux de réfugiés politiques, les RWANDAIS en Ouganda
étaient recensés comme le sixième groupe ethnique avec près de 400.000
personnes [25].
Tous ces deux premiers groupes sont majoritairement hutu.
c) un
troisième type qu’on rencontrait dans les pays voisins était constitué par les
réfugiés politiques suite à la révolution de 1959 et aux diverses troubles
ethniques qui ont eu lieu après (1963, 1972). C’est ce troisième groupe, formé
presque exclusivement par une seule ethnie tutsi qui était considéré comme réfugié,
les autres étant devenu des habitants à part entière de ces pays.
Il est ainsi compréhensible que les RWANDAIS qui se
trouvaient à l’extérieur du pays avant 1990 n’étaient pas tous des réfugiés ou
seulement des tutsi. La plupart d'entre eux sont des hutu.
C'est précisément ce troisième groupe
des réfugiés tutsi qui a réclamé son droit de revenir dans le pays, pris des
armes et est rentré par la force.
Depuis
le déclenchement de la guerre en 1990, pour fuir les combats, il y a eu des
mouvements migratoires d’abord internes et puis ils se sont généralisés vers
les pays voisins en juillet 1994. C’est en 1992 que la plus grande partie des
populations des préfectures de Byumba et de Ruhengeri a fui les combats pour
s’installer dans les camps à l’intérieur du pays. Plus de 500.000 personnes
étaient alors impliquées dans ces déplacements et certains camps étaient même
installé aux alentours de la Capitale- Kigali. Les accords de Kinihira, signés
en mai 1993, permirent à certains de ces déplacés de retourner dans la zone
tampon alors démilitarisée. Avec la prise du pouvoir par les ex-réfugiés tutsi
en juillet 1994, presque toute la population hutu du pays va fuir. On estimait
à plus de 4 millions la population en exode dont une partie va s’établir dans les
camps implantés dans la zone turquoise. Ces camps seront démantelés par le FPR
au courant de l’année 1995. Plusieurs milliers de déplacés vont laisser la vie
dans cette opération (cfr. massacre de KIBEHO en avril 1995).
La
victoire du Front Patriotique (FPR) a donc permis à une partie des anciens
réfugiés tutsi de regagner le Rwanda, mais le problème des réfugiés rwandais
s’est aggravé. En effet, avec un effectif d’environ 500.000 réfugiés tutsi
qu’on dénombrait en 1990, le chiffre des réfugiés hutu en septembre 1994 * dépassait deux millions de réfugiés
éparpillés surtout dans les pays limitrophes du Rwanda ( Zaïre avec un record
de plus d’un million et demi ( 1.542.000 ), le Burundi: 210.000, Tanzanie:
460.000 et l’Ouganda: 10.500. Si à ce chiffre on ajoutait le nombre de
personnes déplacées à l’intérieur du pays ( 2.576.000 dont 1,3 million dans
l’ancienne zone turquoise ) ainsi que le nombre de personnes tuées et évaluées
à près d’un million, on arrive à conclure que 80 % de la population rwandaise ont
fui la guerre pour se réfugier soit à l’intérieur du pays, soit à l’extérieur
avec une partie importante qui a été tuée.
C’est
la révolution sociale de 1959 , dirigée par une élite des bahutu et par
certains batutsi modernistes qui avait permis à la masse paysanne de se
partager les grands domaines jusqu’alors
réservés à la pâture des troupeaux des batutsi. Malgré le départ de ces
derniers dans les pays limitrophes, la
pression démographique va continuer à peser sur les terres agricoles. Selon
l’enquête faite par les services du Ministère de l’Agriculture, de l’Elevage et
des Forêts en 1984, près de 20 % des ménages rwandais disposaient de moins de 1
ha de terres pour leur subsistance. On peut alors se demander pourquoi les
autorités n’ont pas mené une politique en faveur des migrations internationales
alors que les pays voisins restent moins peuplés. Des tentatives d’émigration
dans les pays africains ont été tentées ( pays limitrophes, Congo, Gabon, etc.
).
Ces
tentatives se sont heurtées au problème du sous-équipement dans ces pays. En
effet, pour accueillir les émigrés, certains pays réclamaient que le Rwanda
mette en place d’abord les infrastructures d’accueil (logements et autres ), ce
que le Rwanda n’était pas à mesure de faire sans une aide de la communauté
internationale. Il est à remarquer que presque tous les rwandais qui se
trouvaient à l’extérieur s’étaient réellement fixé dans ces pays et c’est
probablement avec cette vision que les autorités de la deuxième république ont
essayé de les y retenir. Jusqu’en 1990, la plupart des réfugiés tutsi rwandais
avaient obtenu la nationalité des pays qui les hébergeaient et donc étaient
considérés comme des citoyens à part entière de ces pays.
Notons
également que dans le cadre de l’intégration régionale, la Communauté des Pays
des Grands Lacs (CEPGL) qui regroupe le Burundi, le Rwanda et le Zaïre avait vu
le jour en 1976. Un traité de libre circulation des biens et des personnes
avait été signé par ces trois pays mais pour des raisons probablement politiques,
cet accord n’a jamais été ratifié[26]
et donc n’a pas pu être mis en exécution. Seul le Rwanda avait ratifié cet
accord.
Par
ailleurs, l’émigration a été souvent stoppée par crainte des problèmes
socio-politiques susceptibles d’être engendrés par la communauté rwandaise à
l’étranger. On se rappellera qu’avant la guerre en 1990, plusieurs milliers de
rwandais (plus de 70.000) vivant en Tanzanie ont été refoulés. Ils ont causé un
problème grave de réinsertion dans leurs familles, étant donné qu’ils avaient
vendu toutes leurs terres avant de partir. Ainsi, des négociations ont été
menées à plusieurs reprises avec les pays voisins, mais sans grand succès.
Comme
nous venons de le voir ci-haut, les pays limitrophes sont peuplés par des
rwandais depuis longtemps. Les autorités de ces pays ont toujours probablement
craint une émigration complémentaire massive d’une population rwandaise avec un
fort sentiment d’appartenance, ce qui pourrait conduire éventuellement à des
revendications nationalistes susceptibles de semer les troubles. Des violences
récemment enregistrées contre la communauté rwandaise (Ouganda: 1985, Zaïre:
1993), aussi bien de la part des autorités que de la population locale ont fait
déjà des victimes. C'est dans ce même cadre qu'on peut situer la guerre menée
par le Rwanda [coalition FPR-Abanyamurenge], l'Ouganda et le Burundi contre le
Zaïre en 1996. En réalité, c'est une coalition des tutsi de ces trois pays,
appelée à tort et à travers "abanyamurenge" qui ont voulu chasser les
hutu (réfugiés ou non) du Zaïre et conquérir la zone EST de cet immense pays.
C’est pourquoi, le problème des émigrés rwandais, comme d’ailleurs celui de
plusieurs émigrés d’autres pays voisins du Rwanda, qui sont éparpillés dans
cette région d’Afrique Centrale, devrait être examiné dans un contexte régional
global.
Tous ces problèmes ont fait que les migrations
internationales ont été rendues quasi impossibles malgré l’évidence du problème
de la rareté des terres au Rwanda.
Comme
l’a écrit Gasana [27],
la guerre d’octobre 1990 ne peut être réduite à un problème d’exilés qui
voulaient recouvrer le droit de rentrer dans leur pays. En effet, cette raison
avancée pour justifier le bien-fondé de la guerre n’était plus crédible étant
donné que dès 1989, le Rwanda venait d’accepter d’assumer ses responsabilités
envers les réfugiés. C’est ainsi que pour trouver une solution à ce problème,
des rencontres au niveau ministériel entre le Rwanda et l’Ouganda étaient en
cours. Par ailleurs, le premier rapport de la Commission Spéciale sur les problèmes des émigrés rwandais (créée
en 1989) venait de voir le jour et proposait trois solutions: le rapatriement
volontaire, l’installation dans le pays d’accueil (pour ceux qui voudraient
rester dans le pays d’accueil et garder la nationalité rwandaise) et
l’installation définitive dans le pays d’accueil. La base de toutes ces trois
options était le volontariat.
De
même, l'argument économique avancé pour justifier le bien fondé de la guerre
n'était pas suffisant. En effet, malgré le peu de ressources du Rwanda par
rapport à ses voisins, on peut d'ailleurs dire que le pays était largement
nanti.
Tableau
n° 4
Situation socio-économique du Rwanda par rapport à ses voisins
Pays |
IDH1970 |
IDH1980 |
IDH1990 |
IDH1991 |
IDH1992 |
IDH1994 |
PNB/tête 1988 (US$) |
PNB/tête1994 (US$) |
Ouganda |
0,213 |
0,215 |
0,354 |
0,204 |
0,272 |
0,328 |
280 |
190 |
Zaïre |
0,235 |
0,286 |
0,294 |
0,299 |
0,341 |
0,381 |
170 |
- |
|
0,157 |
0,219 |
0,235 |
0,177 |
0,276 |
0,247 |
240 |
160 |
Tanzanie |
0,211 |
0,282 |
0,413 |
0,266 |
0,306 |
0,357 |
160 |
140 |
|
0,215 |
0,244 |
0,304 |
0,213 |
0,274 |
0,187 |
320 |
80 |
Concernant
le PNB/tête, indicateur qui a été longtemps utilisé pour montrer le
développement des différents pays, le Rwanda venait en tête en 1988, laissant
tous ses voisins derrière (320 $). En 1994, c'est à dire après la victoire des
inkotanyi, la situation s'était bouleversée et le Rwanda venait loin derrière
tous ses voisins avec seulement 80 dollars par habitant. Quant à l'indice de
développement humain de ces pays depuis 1970 jusqu'en 1992, on voit que le
Rwanda était bien placé par rapport à ses voisins. Malheureusement, toute la
région des Grands Lacs (y compris le Rwanda) se classait dans la catégorie des
pays avec un faible développement. Cependant, les valeurs de cet indice pour le
Rwanda dépassent même celles de l'Ouganda ou du Burundi en 1970, 1980 et 1991.
L'agression du pays par les inyenzi-inkotanyi va à la longue inverser les
tendances et en 1994, le Rwanda sera classé non seulement comme dernier pays
dans la région selon cet indice, mais aussi comme l'avant dernier pays au monde
tout juste avant la Sierra Leone. Ces quelques lignes montrent que même pendant
les premières années de la guerre des inyenzi-inkotanyi, le Rwanda n'avait rien
à envier à l'économie du principal*
pays qui hébergeait ces combattants (inkotanyi): l'Ouganda, mais bien le
contraire. L'argument de la démocratie n'était pas aussi valable, car une
démocratie par des armes n'a pas un sens.
Il
est à remarquer que dans tout ce processus de mise au point du règlement
définitif de la question des réfugiés rwandais par ladite commission,
participaient également les représentants du Haut Commissariat pour les
Réfugiés (HCR) ainsi que ceux de l’Organisation de l'Unité Africaine (OUA).
Tout cela montre qu’il y avait encore moyen d’éviter cette guerre, mais... Ce conflit prend réellement ses racines dans
la contradiction entre les exilés tutsi et la classe politique mis au pouvoir
par la révolution sociale de 1959. C’est pourquoi, il semble logique de voir
cette guerre dans le cadre de multiples tentatives de reconquête du pouvoir par
les réfugiés depuis 1960.
D’autre
part, cette guerre doit être analysée dans le cadre de la crise politique, économique et sociale de la seconde
République, principalement avec l’insurrection des partis démocratiques
d’opposition contre le gouvernement du parti unique (MRND: parti-Etat dit
"mouvement révolutionnaire national pour le développement",
transformé lors de la venue du multipartisme en "mouvement républicain
national pour la démocratie et le développement") alors en place et que le
Front Patriotique Rwandais (FPR) a su exploiter dans ses intérêts. Enfin, elle
doit s’inscrire dans la logique d’une guerre imposée de l’extérieur avec une
participation ferme et omniprésente mais non officiellement déclarée, d’un pays
voisin: l’Ouganda.
C’est
ainsi que dans un climat économique d’exclusion et de marginalisation sociales
qui régnait dans le pays, de violence des différentes milices soutenues par les
différents partis politiques: la montée d'agressivité inter-ethniques paraît
être liée à la faiblesse du rôle régulateur de la seconde république, de son
incapacité d’orienter et de réaliser le consensus autour d’objectifs de
développement durable du peuple rwandais, dans un courant fort de changements
entraînés par un multipartisme en naissance.
Les
données des recensements les plus récents effectués dans le pays montrent que
les densités de populations ont continué de s’accroître dans le monde rural et
que les hautes densités observées allaient à plus de 600 habitants au kilomètre
carré dans certaines régions du pays. Pourtant, elles n’ont pas eu un effet
remarquable sur la naissance des villes et la dispersion de l’habitat s’est
intensifiée. En effet, plusieurs agglomérations sont nés ici et là mais sans
toutefois arriver à former des centres urbains. Cette dispersion de l’habitat
s’est accompagnée d’une dispersion des différentes infrastructures
socio-économiques, ce qui a fort handicapé et continue d’être le frein de
l’urbanisation nationale. Ainsi, les densités fortes de population, couplées avec
la dispersion de l’habitat, telles sont les caractéristiques organisationnelles
de l’occupation de l’espace rwandais.
Tableau
n° 5
Caractéristiques démographiques du Rwanda selon les régions agricoles
Région agricole |
Population 1978 |
Population 1991 |
Densité 1978 |
Densité 1991 |
Taux annuel d'accr. de la population 1978-1991 |
1. Imbo |
50800 |
89508 |
228 |
402 |
4,4 |
2. Impala |
195411 |
290747 |
359 |
534 |
3.1 |
3. Bords du lac Kivu |
291770 |
422455 |
357 |
508 |
3.1 |
4. Terres des laves |
297146 |
467016 |
391 |
614 |
3.5 |
5. CZN |
614673 |
881366 |
236 |
338 |
2.7 |
6. Hautes terres du
Buberuka |
452291 |
644603 |
312 |
444 |
2.8 |
7. Plateau central |
1179515 |
1573846 |
313 |
421 |
2.2 |
8. Dorsale granitique |
515051 |
706194 |
307 |
421 |
2.5 |
9. Mayaga |
192561 |
279286 |
243 |
352 |
3.0 |
10. Bugesera |
121201 |
245047 |
139 |
280 |
5.6 |
11. Plateau de l'Est |
798103 |
1320420 |
213 |
352 |
3.9 |
12. Savane de l'Est |
110764 |
235003 |
75 |
159 |
6.3 |
|
4831486* |
7155391 |
258 |
382 |
3.1 |
* Ce chiffre correspond aux résultats
définitifs du RGPH 1978. Il ne correspond pas à la somme des
populations des régions agricoles de la colonne provenant, eux, des résultats provisoires du RGPH 1978.
Source: Ministère du Plan, Impératif urbain,
Novembre 1992
Selon
toujours ces deux recensements, les densités élevées (plus de 300 habitants par
kilomètre carré ), qui ne concernaient que quelques communes en 1978 se sont
généralisées sur toute l’étendue du pays. Seules quelques communes longeant le
parc national de l’Akagera ainsi que quelques communes de la préfecture de
Gikongoro autour de la forêt de Nyungwe n’avaient encore que des densités
relativement faibles en 1991. Contrairement à ce qui se faisait dans le passé
où les forts peuplements se rencontraient dans les zones où les facteurs de la
vie étaient propices (moins de maladies, sols favorables à l’agriculture,
etc.), l’expansion démographique actuelle semble se répercuter indépendamment
de tous ces facteurs [28].
La densité brute d’une commune rwandaise en 1991 s’élevait à 271 habitants par
kilomètre carré et la densité physiologique revenait à 382 habitants/km²*. L’augmentation élevée de la densité
physiologique ne stimule pas l’utilisation des techniques agricoles modernes
étant donné qu’on a pas besoin de beaucoup de capitaux pour valoriser ses
terres et la main d’oeuvre reste largement disponible pour être utilisée d’une
manière extensive.
Cet
accroissement démographique forte a conduit à un morcellement excessif des
exploitations agricoles familiales (EAF) dont la superficie moyenne actuelle
est en dessous d’un hectare. Le nombre des EAF augmentant chaque année, leur
surface continue de diminuer. Cela a conduit à l’utilisation des terres
marginales et au déboisement des forêts naturelles ce qui, peu à peu, a conduit
à la dégradation de l’environnement. L’interaction population agriculture a eu
ainsi des effets négatifs sur le secteur de l’environnement.
Le
Rwanda est par ailleurs un pays où la population est dispersée sur toutes les
collines. De là, on est souvent tenté de parler de l’équilibre dans l’occupation du territoire de la
population et des activités. Pourtant cette occupation pose bien de problèmes
relatifs au développement du secteur agricole ainsi qu’à une meilleure
répartition des infrastructures de développement. Peut on envisager que cette
pression démographique pourra un jour constituer le vrai moteur du
développement? C’est possible, mais il faut d’abord que les rwandais dépassent
les clivages qui les divisent et se rendent compte que le développement du pays
exige une conjugaison d’efforts de chacun d’eux.
Plusieurs tentatives d’organisation
rationnelle de la population sur le territoire rwandais ont été essayées. Il
s’agit des paysannats agricoles et des villages pilotes. Hormis ce caractère
organisationnel, les paysannats avaient aussi un but économique de promouvoir
les cultures d’exportation (café et thé). Quant aux villages pilotes, la
philosophie consistait à décongestionner les sols à vocation agricole mais aussi
à concentrer la population autour d’infrastructures mises à leur disposition
par l’Etat (écoles, dispensaire, eau, etc.). Tous ces systèmes ne tardèrent pas
à montrer leurs limites et ni les paysannats, ni les villages pilotes ne
semblèrent comme cas exemplaire d’organisation rationnelle dans l’aménagement
du territoire national.
En effet, au fur et à mesure que la famille
installée dans un paysannat s’agrandissait, les terres agricoles mises à sa
disposition, qui s’évaluaient à quelques hectares seulement, devaient être
partagés entre la descendance (les jeunes ménages). Ce partage des terres entre
les générations a conduit à la miniaturisation des terres rendant ainsi le
système non viable. Quant aux villages
pilotes, plusieurs raisons furent à la base de leur abandon. Les intéressés
étant tous des agriculteurs, la nouvelle organisation d’habitat en village les
éloignait de leurs champs agricoles ce qui engendrait les problèmes de
transport et de la main d’oeuvre surtout en ce qui concerne le transport du
fumier organique. Il en est de même du gardiennage des récoltes qui n’était pas
assuré. Il faut également remarquer que les gens n’étaient pas tellement
convaincus des objectifs de ce projet et il fallait procéder à une distribution
d’incitations sous forme matérielle pour amener la population à adhérer au
projet.
Depuis
1988, les autorités minoritaires tutsi ont été confronté au problème de
légitimité de l’occupation illégale du territoire nationale. C’est ainsi que
pour mâter tout opposant à leur hégémonie, ils ont commencé de regrouper la
population dans des camps dits « de regroupement (imidugudu) ». Ce
regroupement forcé, qui s’est concrétisé par l’abandon forcé de tous les biens
par la population, constitue en réalité une politique délibérée et déguisée des
autorités tutsi à créer des camps de concentration. Le cas de leurs frères du
Burundi illustre bien ces camps. Ce n’est donc pas une innovation en matière
d’habitat, mais une pratique meurtrière qui est bien connue et utilisée par
leurs voisins du sud. Plusieurs civils hutu y sont morts particulièrement dans
les préfectures de Ruhengeri et Gisenyi. Les responsables du FPR devraient, tôt
ou tard répondre de ces actes.
En
matière de production et d’augmentation de la production agricole, l’occupation
nouvelle du territoire depuis 1994, c’est à dire après la prise du pouvoir par
les réfugiés, ne va rien apporter de révolutionnaire, à part le changement de
propriétaires des terres. C’est ainsi qu’une grande partie des préfectures
ayant des frontières avec l’Ouganda, la Tanzanie et le Burundi, à savoir Byumba[29],
Kibungo, Butare, Gitarama et Kigali vont être principalement occupée par les
nouveaux venus tutsi. L’appropriation gratuite des biens d’autrui sans aucune
intervention des dirigeants constitue un épineux problème qui tôt ou tard va saper les efforts
de la réconciliation. En effet, les responsables sortis vainqueurs ne se sont
jamais inquiétés de la propriété privée et presque tous les biens laissés par
ceux qui avaient fui les combats ont été vite saisis. Ce problème a été
remarquable surtout dans les villes. Après avoir saisi les biens privés où tous
les combattants n’ont pas pu probablement être servis, les biens de l’Etat ont
été pillés au grand jour par ceux qui devaient les protéger. Cela a encore
montré un manque de stratégie d'avenir de la part des nouveaux dirigeants qui
avaient pris tout en main et qui étaient sensés orienter la destinée du Rwanda.
L’apparition
apparemment planifiée, de nouvelles régions formées essentiellement par une
seule ethnie tutsi (ce que les historiens appellent la tutsification des
régions ou la formation de tutsilands) semble être une nouvelle forme de
peuplement et d’épuration ethnique sur l’espace national. Les données du recensement
de la population au début de la guerre étant disponibles (RGPH 1991), elles
permettront probablement dans le futur d’évaluer l’occupation de ces régions
par les différents ménages rwandais et étrangers.
Dans
le cadre de la promotion d’une meilleure utilisation des ressources humaines,
les travaux communautaires de développement communément connus sous le nom «
UMUGANDA » avec comme objectif de valoriser et faire participer la
main d’oeuvre disponible dans le pays aux différentes actions de développement,
furent entamés dès 1973. C’est pour suppléer aux maigres moyens de l’Etat en
mobilisant une force importante de la population pour développer son pays
qu’une journée dans la semaine avait été choisie (samedi) et était consacrée à
ces travaux physiques et communautaires de développement.
Pendant
le deuxième Plan de Développement Economique, Social et Culturel 1977-1981,
cette structure était prévue principalement pour le milieu rural où les
communes devaient s’organiser et faire travailler leurs populations. Dès le
début, des difficultés liées à l’encadrement avaient surgi. En effet, ce
travail communautaire ne pouvait se concevoir qu’à un prix d’un effort énorme,
réservé à la formation d’encadreurs et des paysans d’une part, des
infrastructures et des moyens de
démonstration de l’autre part. Par ailleurs, un manque de concertation entre
les techniciens eux-mêmes d’une part qui étaient d’ailleurs insuffisants sur le
terrain et avec la population provoquait des cloisonnements et des doubles
emplois entre les différents services, ce qui rendait le travail inefficace.
Pour le deuxième Plan, l’UMUGANDA devait fournir 5.5 % des investissements
globaux prévus par le Plan, soit 5.5 milliards de francs rwandais sous forme
d’investissement de travail [30]
.
Durant
le troisième Plan, le principe de la mobilisation et de la sensibilisation de
la population à une participation volontaire était retenu. A cet effet, des
campagnes furent menées partout dans le pays, ce qui participa à créer un
meilleur climat de rentabilisation des actions à mener. C’est pourquoi les
chiffres prévus dans le second Plan ont été vu à la hausse pendant le IIIe Plan
vu la généralisation de ces travaux sur l’ensemble du pays.
Les
priorités pour le troisième Plan avaient été choisies selon les problèmes
urgents auxquels le pays était confronté parmi lesquelles il faut citer:
-
la protection des sols par la lutte anti-érosive et le reboisement, la
construction des écoles, des bureaux administratifs (communes et
sous-préfectures), des centres de santé et des centres communaux de
développement et de formation permanente.
- les adductions d’eau et l’entretien des sources dans le milieu
rural
- l’aménagement et l’entretien des routes, ce qui permit le
désenclavement des régions et une amélioration des échanges entre elles. Les
travaux communautaires de développement furent d’une grande importance qu’ils
furent intégrés dans les projets de développement et parfois même, ces travaux
communautaires constituaient une grande part de la contrepartie nationale dans
ces projets.
Les
réalisations furent remarquables et évaluées à plusieurs milliards de FRW[31]
dans les domaines de la construction de centres de santé, du désenclavement des
communes et spécialement dans le domaine de la sauvegarde de l’environnement.
Plus de 90 % des sols du territoire
national avaient été aménagés et protégés contre l’érosion par la lutte anti-érosive
sous forme de terrasses radicales et de fossés, la plantation de haies ainsi
que le reboisement.
Pourtant,
plusieurs contraintes furent aussi affrontées. Il s’agit entre autre de:
- une programmation technique et financière
inadéquate. En effet, avec une meilleure programmation de ces travaux, un
meilleur suivi et un appui logistique nécessaire (équipement et matériel),
l’UMUGANDA pouvait constituer et même dans l’avenir, un moyen incontournable
pour la réalisation de plusieurs actions de développement.
- l’institutionnalisation de ces travaux sous l’égide du parti politique
unique le MRND, va décourager plusieurs personnes et finalement ces travaux
sont devenus comme obligatoires.
A
partir des années 1990, la démocratisation du pays avec la naissance de plusieurs
partis politiques a fait que les travaux communautaires sous forme d’UMUGANDA
se sont ralentis pour finalement être étouffés par la guerre. Une question
alors se pose: étant donné les actions de développement réalisées grâce à ces
travaux et vu l’importance que revêt la mobilisation de toute la population
pour participer à son développement,
pourra-t-on penser mener de telles actions dans le futur? La réponse
paraît sceptique car, afin de pouvoir discréditer l’ancien pouvoir, les
responsables de l'opposition ainsi que le FPR, enseignaient à la population
qu’il fallait se libérer de ces travaux qu’ils qualifiaient de forcés.
D’ailleurs,
les actions de développement qui, avant la guerre se faisaient grâce à ces
travaux se trouvent actuellement en état de démolition. Là où on travaillait
bénévolement, il faut de la main d’oeuvre salariée pour remplir les mêmes
tâches. C’est ainsi que les routes qu’on entretenait à l’aide de l’UMUGANDA et
elles étaient majoritaires, sont devenus actuellement impraticables. Il en est
de même pour les écoles. Des lourdes pertes dans la conservation des sols ont
été constatées suite à l’abandon de la lutte anti-érosive. En effet,
l’expérience a montré que l’abandon des réalisations faites en matière de lutte
anti-érosive sous le régime coloniale, a coûté plusieurs milliards de francs
rwandais à l’Etat pour les rétablir sans compter la participation massive et
gratuite de l’UMUGANDA. De plus, pour la restauration des sols seulement, les
travaux avaient demandé plus d’une dizaine d’années pour arriver à protéger 90
% des terres agricoles.
Il
faut également remarquer que plusieurs milliers d’hectares de forêts, dont la
plupart avaient été plantées par ces travaux communautaires, ont été brûlées
pendant la guerre. A part que la disparition de ces forêts aura un impact
négatif sur la disponibilité de
l’énergie de bois, qui constitue la principale source d’énergie dans le pays,
on aura aussi à faire aux divers effets de la déforestation sur l’environnement.
Pourtant,
les spécialistes estiment qu’il faut un an pour rétablir les dégâts des
pâturages et cinq ans pour restaurer le potentiel forestier. Par contre, il
faut des centaines d’années pour réparer les dégâts causés par la dégradation
des sols et un minimum de mille ans pour éliminer la pollution des nappes
phréatiques [32].
Tout cela montre, ne fut ce que par le seul facteur de la pression
démographique, le lourd danger que court l’environnement au Rwanda, si bien sûr
l’attention reste braquée seulement sur l’achat des armes comme c’est le cas
actuellement.
Même
si effectivement les travaux communautaires de développement se faisaient sous
l’oeil vigilant du parti unique, le MRND, nous pensons qu’en dépit de son
caractère coercitif, sa philosophie en tant qu’outil de développement, était
positive. Elle valait la peine d’être soutenue et rénovée. D’ailleurs, les
travaux communautaires pour les rwandais ne datent pas de la Deuxième
République, car, dans la tradition, la population rwandaise était habituée à travailler
ensemble pour lutter contre tel fléau ou pour arriver à tel ou tel autre but.
C’est ce principe que les autorités avaient récupéré pour instaurer les mêmes
travaux avec une dénomination différente: UMUSANZU sous la première République
et UMUGANDA sous la seconde.
La
décentralisation du processus de la planification du développement au Rwanda
était connue sous l’appellation de « planification communale participante
». Ce type de planification du développement a débuté avec les années 1980 sous
l’impulsion de la Coopération Suisse dans la préfecture de Kibuye, à l’ouest du
pays. Elle a été vite récupéré par le Gouvernement, qui dans le souci de faire
de la commune, la cellule de base du développement a soutenu ce type de
planification et même voulait s’en inspirer pour élaborer la stratégie
nationale de développement communal et régional.
Au
début de la guerre, toutes les neuf communes de Kibuye avaient presque terminé
leurs plans de développement et la plupart étaient dans leurs phase
d’exécution. La commune de Bwakira, qui avait été à l’origine de cette
planification et donc avait confectionné et mise en exécution son premier plan
de développement depuis 1987, avait déjà entamé l’élaboration de son deuxième
plan.
Au
niveau national, plus de trente communes s’étaient déjà investi dans ce travail
de développement. Hormis les communes de Kibuye qui avaient presque toutes
terminés, les travaux étaient avancés dans toutes les communes de la préfecture
de Butare où la province du Loiret (France) avait formé les planificateurs
communaux et s’intéressait vivement au financement de ces plans. D’autres
communes ici et là dans tout le pays avaient démarré ou se préparaient à
démarrer le processus de planification.
L’enjeu
était majeur. Il s’agissait d’impulser les communes de façon à arriver à ce que
le personnel communal puisse élaborer le plan de développement. Ceci demandait
que la population soit parfaitement associée à tous les étapes du plan. La
démocratie en matière de planification devait ainsi guider ce processus.
Finalement, dans le but de ne pas agir en ordre dispersé, on devait arriver à
créer une harmonie entre le plan national et le plan communal, ce qui revenait
à mettre en place les éléments nécessaires permettant une articulation entre la
planification locale et les échelons supérieurs.
La
philosophie de ces plans communaux de développement consistait en ce que tous
les acteurs de la commune étaient invité à participer dans l’exercice de mise
en place de ces plans. Par acteurs, il faut comprendre tous les habitants de la
commune (agriculteurs, éleveurs, commerçants, les artisans, les différents
groupes sociaux: les femmes, les enseignants, les parents des élèves, les religieux,
.....), etc. Cette participation de toutes les couches de la population exigeait que dans les réunions de
préparation, l’écoute soit privilégiée. Toutes leurs doléances, tous leurs
problèmes devaient retenir l’attention particulière du planificateur communal
qui devait tenir compte de cette longue liste pour élaborer le Plan. Ceci ne
veut pas dire que le Plan Communal de développement était finalement une
sommation des aspirations de ses habitants. Tout en se réclamant d’être
maîtrisé collectivement, il devait être d’abord un plan communal avec une
vision globale de l’organisation et du développement de tout le territoire
communal. C’est ainsi que des mécanismes d’information, de formation, de
restitution étaient nécessaires tout le long du processus du plan et
facilitaient l’évaluation et la réorientation des diverses actions du plan.
La
participation de la population était donc réelle, même si elle pouvait et
devait d’ailleurs être perfectionnée. Les groupes les plus dynamiques comme les
artisans, les commerçants tiraient un grand profit de cette planification.
Quant aux paysans, ils étaient toujours dépendants des mots d’ordre de
l’administration centrale (les ministères), mais c’était une question de temps
pour qu’ils se rendent compte que ces plans répondaient exactement à leurs
besoins et devaient prendre une priorité dans leurs occupations quotidiennes.
Par ailleurs, bien que le développement communal pouvait être le produit d’une
synergie d’actions particulières créatrices de richesses, ces projets
individuels devaient absolument s’entrecouper sur des intérêts communs, sinon
le plan risquait de cesser d’être un plan communal, mais un plan de quelques
individus.
L’exécution
de ces plans pour les communes pionniers était satisfaisante, malgré les
diverses difficultés rencontrées dont les principales étaient liés au
financement[33]. En
effet, une plus grande part du plan devait être financé par les ressources
extérieures, ce qui bloquait l’exécution normale des actions programmées étant
donné que les bailleurs de fonds externes n’étaient pas habitués à travailler
avec des entités décentralisées. Le problème se rencontrait aussi au niveau
national, puisque la décentralisation n’était pas tout à fait effective et il
se posait le problème de l’articulation du Plan national avec ces Plans
Communaux. En fait, ce problème n’était pas si épineux, puisque depuis 1988,
l’Etat rwandais s’était réellement engagé dans un processus de
décentralisation. Cela voulait dire qu’il devait non seulement transférer aux
communes les différentes charges, mais aussi les compétences et les moyens.
Ce
processus était en cours, et l’autonomie de la commune, qui lui est déjà
officiellement reconnue, ne devait pas seulement se limiter sur l’autonomie
juridique, mais aussi devait jouir de l’autonomie administrative et surtout
financière. La commune était déjà libre en ce qui concerne sa politique locale
et son administration.
Plusieurs
difficultés furent ainsi affrontées (manque aux communes de cadres compétents
et d’expérience en matière de planification, insuffisance de financement,
etc.). La réussite de cette politique de planification du développement local
exigeait que la décentralisation soit menée à terme et que le personnel
communal soit formé à cet effet. Par ailleurs, tous les acteurs devaient se
remettre en cause surtout les responsables afin de mieux s’adapter à la logique
du processus.
La
guerre de 1990 a ralenti les efforts de planification, d’abord dans les
communes directement touchées, les problèmes de sécurité constituant d’abord la
première préoccupation. Le processus a été complètement bloqué avec les
événements du mois d’avril 1994 où la guerre a été généralisée. Avec la prise
du pouvoir par les réfugiés tutsi au mois de juillet 1994, le pays s’est presque
vidé de toute sa population. Les bourgmestres ainsi que leurs conseils
communaux, qui étaient à la base de ce nouveau type de planification, ne sont
plus là. Ils ont été remplacé par les nouveaux appuyés par les militaires. Ce
sont ces derniers qui jouent un grand rôle dans l’administration de la Commune
actuelle. Il leur faudra d’abord de s’imprégner de la méthodologie de
planification communale participante afin de pouvoir relancer le processus! Les
problèmes cités en haut, que la planification communale essayait de maîtriser,
sont devenu insolubles (financement, personnel compétent, etc.). Le processus
de décentralisation qui était en cours semble n’être plus d’actualité, or il
constitue justement le fondement de la planification communale participante.
Par ailleurs, le processus exige un peu de démocratie, puisqu’il faut être à
l’écoute des desiderata de la population.
Devant
cette situation qui s’ajoute à la crise actuelle mondiale en matière de
planification, il y a peu de chances que les communes rwandaises reviennent à
leur tâche de planification du développement. La tâche sera difficile, car sans
l’appui des autorités centrales (obnubilés particulièrement par la
militarisation du pays) et sans une mobilisation de tous les habitants de la
commune, ce type de planification du développement risque de perdre tout sens.
En réalité, l'Etat FPR assure une représentation profondément biaisée des
intérêts collectifs de la nation. Ce biais va même jusqu'au point où l'Etat
n'est qu'un instrument de quelques individus d'une minorité tutsi qui, par
volonté, constitue un obstacle au développement national. C'est pourquoi, même
dans une optique de la réconciliatiation, l'Etat rwandais devrait être la
principale institution chargée des intérêts de l'ensemble de la collectivité
nationale.
Jusque
dans les années 1980, le pays était relativement bien côté pour sa gestion de
la chose publique. Cette gestion exemplaire*
est considérée comme l'héritage du père fondateur de la révolution rwandaise:
Grégoire Kayibanda. En effet, la politique de rigueur économique instaurée sous
sa présidence du pays, avait été presque suivie par ses successeurs. Dès 1990,
alors que le Rwanda était plongé dans la
pire crise économique et social, il s'est vu entraîner dans l’augmentation de
ses dépenses d’armement, qui par leur envergure, représentent la continuation
de la destruction et un danger sans précédant pour sa population. C’est la preuve
irréfragable de l’irrationalité et du gaspillage inhérents à la crise
prévisible du développement rwandais.
Cela
est en partie le résultat d’une situation qui a longtemps mûri dans certaines
couches de la population. L’intolérance ethnique a été si forte que certains
tutsi n’ont jamais accepté que les hutu les gouvernent (sous prétexte
d’indignité et d’incapacité congénitale). A leur tour, certains hutu, se
souvenant surtout de l’esclavage d’avant 1959, ont eu peur d’être remplacés au
pouvoir par les tutsi. Cela a été aggravé par le fait que même au sein des
hutu, le groupuscule au pouvoir ne voulait pas partager le pouvoir avec les
autres hutu. Une telle situation de peur et d'égoïsme ne pouvait que générer
des complexes psychologiques et des instincts de destruction. A ce propos,
voici ce qu' écrit l’Abbé Rutumbu J.[34]:
«C’est la peur de l’ennemi, .... qui empoisonne le plus la vie politique. En
effet, l’homme (politique) tue pour diminuer ses raisons de craindre. Il tue
par peur, car tout meurtre, qu’il soit commis par un particulier ou par l’Etat,
est dicté par la peur ». Il semble que c’est cette peur de l’autre
(ethnie) qui a été à la base de la guerre et qui continue actuellement de guider le nouveau régime de Kigali en le
poussant au réarmement allant à dépasser les capacités économiques et
financières du pays. Cette peur continue de faire plusieurs victimes parmi les
hutu et la situation ne s'améliorera probablement pas avant que la minorité
tutsi n'arrive à son ultime objectif: "l'équilibre ethnique au
Rwanda". C'est à craindre mais l'évolution du pays après la victoire des
tutsi et leurs alliés a montré que tout était possible.
L'invasion
du Zaïre par l'armée rwandaise (le FPR) déguisée en octobre 1996 a bien montré que cette peur
reste le grand handicap de l'action gouvernemental en matière de développement.
En effet, avec la levée de l'embargo sur les armes, le Rwanda a officiellement
fait des commandes d'armes de plusieurs millions de dollars au détriment des
autres actions de reconstruction du pays. Il fallait trouver dans cette
invasion, attribuée à tort et à travers au tribu tutsi des abanyamurenge, une
occasion militaire pour le gouvernement FPR installé à Kigali, de massacrer les
réfugiés hutu et de chasser les survivants loin des frontières du Rwanda. Tout
cela se faisait dans le but de s'assurer qu'ils ne pourront pas être facilement
attaqués. En réalité, pour mener à bout son objectif militaire, le pouvoir
hégémonique de Kigali (FPR) s'est servi de cette tribu tutsi des abanyamurenge,
qui tôt ou tard risque de payer les dégâts.
La communauté internationale qui, pourtant suit de près ce qui se passe
dans la région des Grands Lacs, a curieusement privilégié l'hypothèse de
l'attaque par des abanyamurenge, dont l'effectif varie avec toute vraisemblance
autour de quelques dizaines de personnes. Ce laisser-faire, dominé par une
certaine complaisance de la communauté internationale, montre bien que les
intérêts de certains peuples en développement diffèrent complètement de ceux
qui actuellement se sont fait les maîtres du monde.
Du
point de vue économique, cette peur s’est ainsi traduite par un gonflement des
dépenses militaires depuis le début de la guerre. Elles se sont trop accru en
1990 et ont dépassé les prévisions du budget du département de la Défense de
152,3 % [35]. De
toute vraisemblance, ces chiffres n’ont plus connu la baisse. En effet, sur un
budget prévu d'environ 40 milliards de francs rwandais prévu pour l'année 1996,
le Ministère de la Défense Nationale avait un beau morceau de 13 milliards soit
32,6 % du budget total. Les dépenses militaires du régime Habyarimana ajoutées
au prêts des rebelles aujourd’hui maîtres du pays, ont absolument aggravé la
dette du Rwanda. Dans ces conditions, il est clair que l’investissement en actions
de développement sera dominé par l’investissement en armement. Si avant la
guerre de 1990, on comptabilisait un soldat pour environ 1200 habitants, avec
un effectif de plus de 50.000 soldats en 1996, on compte un soldat rwandais
pour 120 habitants. C'est un vrai record africain sinon mondial au moment ou
les autres pays sont entrain de former des armées de métier avec un effectif
assez réduit. Pour lier cela avec les autres secteurs, le pays ne disposait
qu’un médecin pour plus de 25.000 habitants avant la guerre. Avec la guerre,
cette situation s’est vraisemblablement empirée suite au manque du personnel
dans tous les domaines.
Par
ailleurs, depuis l’invasion du Zaïre par les tutsi rwandaais en 1996, le Rwanda
entretient une armée de plusieurs milliers d’hommes en dehors de ses
frontières. Les experts estiment que l’entretien d’une telle armée sur un sol
étranger coûte au Rwanda quelques millions de dollars par mois. D’où vient tout cet argent? Est-ce que les
rwandais de demain (la jeunesse) accepteront-ils de rembourser une dette qui a
servi à tuer leurs parents ?
La
réclamation de supprimer l’embargo sur les armes, faite et obtenue en 1995 par
le gouvernement FPR devant les Nations Unies, a bien montré les préoccupations
actuelles des nouveaux dirigeants. Même si le Rwanda voulait recouvrer sa
souveraineté par rapport aux autres nations, nous pensons que faire de
l’armement sa première préoccupation va à l’encontre de toute idée de
développement du pays. Quel que soient les conditions, la force FPR continuera
à se mesurer à la complaisance des pays
occidentaux ainsi qu'à la lâcheté des hutu.
Tout comme la plupart des autres pays francophones africains, la tentative de démocratisation du Rwanda remonte du sommet franco-africain de La Baule tenu en juin 1990. Jusque là, le régime Habyarimana n'était pas ouvert aux changements démocratiques et va même continuer à s'opposer catégoriquement à la naissance d'autres partis politiques. Rappelons que c'est le seul parti unique - MRND (Mouvement Révolutionnaire National pour le Développement), qui regroupait de fait toute la population rwandaise. Sous la pression du mouvement révolutionnaire interne et de la communauté internationale, le régime Habyarimana finira, tant bien que mal, par accepter le multipartisme. Une commission nationale chargée de définir l'avenir politique du pays fut mise en place en juillet 1990. Le rapport de cette commission aboutit à la promulgation d'une Constitution "révisée" du 10 juin 1991, qui autorisa la création de nouveaux partis politiques. Le parti MDR (Mouvement Démocratique Républicain) sera le premier parti d'opposition à voir le jour en juin 1991 et suivront le PSD (Parti Social Démocrate), le PDC (Parti Démocrate Chrétien) et le PL (Parti Libéral). Ces partis politiques seront les plus influents dans la population. Le Rwanda va connaître près d'une vingtaine de partis politiques jusqu'en 1994.
La naissance à la hâte de ces partis politiques et certainement aussi l'inexpérience de leurs leaders seront catastrophiques pour leur avenir et pour l'avenir du pays en particulier. En effet, plutôt que d'expliquer à la population leurs stratégies et leurs idéologies, les leaders des partis d'opposition vont directement se livrer à discréditer l'ancien parti unique (MRND) et surtout son président-fondateur Habyarimana. Ces jeunes leaders iront même à vouloir s'approprier le domaine de la sécurité nationale. C'est ce chaos politique que le FPR a profité pour intensifier la guerre au Rwanda. La cohésion de ces partis surtout avec le FPR va affaiblir le pouvoir du régime en place qui visiblement ne voulait aussi rien lâcher.
Par ces attaques, le FPR a ressuscité les vieilles haines
ethniques et a engendré de fait une bipolarisation politico-ethnique. En effet, les massacres systématiques perpétrés contre les populations
civiles hutu dans les zones envahies par le FPR entraînaient sans aucune autre
alternative les déplacements des populations rurales qui n'étaient en rien
impliqués dans cette agression. Ces massacres n'étaient en aucun cas de bonne
augure.
- Pour le gouvernement
Habyarimana, il n'était pas facile d'entamer des négociations avec chaque fois
des menaces de reprise de guerre. De l'autre côté, le FPR intensifiait
l'infiltration militaire, recherchait un armement à la pointe, tout cela avec
la complicité de certains pays étrangers. Cela ne pouvait jamais amener à une
solution heureuse et négociée du conflit.
- Les deux grands
antagonistes dans cette guerre (le MRND ainsi que le FPR) voulaient à tout prix
une victoire militaire pour enfin
s'assurer un pouvoir sans partage. Ils étaient ainsi tous les deux animés par
une série de manoeuvres dilatoires afin de faire retarder sinon échouer les
négociations de paix. Voilà ce qui a sapé les négociations d'Arusha et qui
explique d'ailleurs la politique actuelle du FPR (il règne et gouverne seul,
par la terreur et sans l'opposition). Les partis actuellement dits de
l'opposition démocratique sont, bon gré mal gré, ses acolytes. Ils n'ont pas pu
éviter ce guet-apens.
- En ce qui concerne les
partis politiques de l'opposition démocratique, la soif du pouvoir et les
intérêts égoïstes ont été à la base de la trahison révoltante du peuple
rwandais par les leaders de ces partis. Ils devraient tôt ou tard faire un mea
culpa au peuple rwandais. C'est suite à cette trahison bâtie sur l'inexpérience
de ces jeunes leaders, sur la convoitise des postes hautement placés dans les
grandes affaires du pays, sur le manque de projet de société à construire dans leurs programmes, sur le manque de
sagesse et de clairvoyance politiques, sur la collaboration contre nature avec
le FPR, ..., que ces mêmes leaders ont
mené à l'éclatement de leur force politique qui les regroupait: FDC* (Forces Démocratiques de Changement).
C'est ainsi que le grand parti de tous les temps dans
l'histoire politique du Rwanda moderne, le Mouvement Démocratique Républicain
(MDR), qui était incontestablement soutenu par une grande partie de la
population rwandaise, fut affaibli par ses faux leaders dont les ambitions
étaient tout à fait personnelles. Vers la fin de la guerre en juillet 1993 et
sous les erreurs des par ailleurs individus qui luttaient pour le poste de
premier ministre, ce parti va éclater en
deux factions. La séparation de ces deux tendances au sein du MDR va se
radicaliser dans la suite. Précisons ici que dès le début de la guerre et dans
le cadre d'un rapprochement jugé nécessaire par l'opposition, certains partis
politiques ou leurs factions s'étaient cachés derrière le paravent démocratique
pour entretenir des relations plus ou moins officielles avec les
inyenzi-inkotanyi (FPR). Ce jeu extrêmement dangereux, qui devait normalement
être arbitré au niveau national (gouvernement), n'a jamais été arrêté.
Dès la reprise de la guerre en avril
1994, les deux dissidents du MDR vont s'aligner du côté des 2 forces en
confrontation: l'un (MDR Power) pour le MRND et l'autre (MDR de Twagiramungu)
pour le FPR. Les hutu qui soutenaient la faction de Twagiramungu et donc pro-FPR
seront considérés, à tort et à travers, comme modérés* . Les hutu du MDR Power seront eux considérés comme
des durs du Parti: les hutu extrémistes. Le MRND qui redoutait le verdict des
urnes en face du MDR ne demandait pas plus. L'affaiblissement du MDR
l'arrangeait bien. Quant au FPR, qui ne voulait à tout prix qu'une victoire
militaire, digérait mal une troisième force politique susceptible de l'amener à
conclure un pacte de paix, rendant ainsi son ambition militaire irréalisable.
De même, le PL (parti libéral), dont le fondateurs était
un homme d'affaires hutu, va être vite récupéré par le FPR et tous les tutsi
vont rallier ce parti politique. Quelques hutu (ils étaient assez minoritaires)
membres du PL, dans le but de faire un front anti-tutsi, vont aussi se rallier
au MRND. Pourtant, suite au manque de clairvoyance politique, les responsables
du PL avaient toujours passé sous silence la monoethnicité des membres de leur
parti. Tous les analystes s'étaient déjà demandé l'avenir d'un parti politique
dont presque tous les membres étaient de l'ethnie minoritaire (tutsi) hormis
son Président-fondateur et ses quelques acolytes. C'est ainsi qu'à la veille de
la reprise de la guerre en 1994, la scission de ce parti avait déjà été presque
officielle.
Le
troisième parti de l'opposition démocratique - le parti social démocrate (PSD),
tout comme le PL, profitait des erreurs et faiblesses du parti MDR pour
s'accaparer de ses membres. Devant cette situation, ce parti n'a jamais été
plus clair. Réputé trop proche des milieux FPR, mais aussi avec quelques
membres hutu qui jouaient le garde-fou, les leaders de ce parti vont se perdre
dans cette mascarade politicienne qui divisa les rwandais au lieu de les unir.
Voilà comment, au niveau national, sont né les deux fronts politiques
antagonistes qui, après la mort de Habyarimana, vont conduire à la
confrontation physique et quasi apocalyptique des deux ethnies.
Du point de vue militaire, comment peut-on expliquer
qu'un pays relativement bien organisé et dont l'armée avait pu repousser
l'agresseur (inyenzi-nkotanyi), arrive à se désintégrer ainsi?
Tout d'abord, l'ancien parti
unique n'avait pas fait grand chose pour l'unité des rwandais. Le sens patriotique
et du bien commun faisait absolument défaut. Dès l'avènement de la
seconde république en 1973, le régionalisme à peine voilé s'est concrétisé par
un discours arrogant des nouveaux dirigeants (qui ne venaient que d'une seule
région) ainsi que par une tendance à un matérialisme trop poussé. C'est ainsi
que l'armée rwandaise, au lieu d'être formée par de bons citoyens de tout le
pays et constituer une vraie force de défense nationale: "les forces
armées rwandaises (FAR)", elle était presque formée par des éléments* de deux préfectures: Gisenyi et Ruhengeri. Ce qui devait être
"les FAR" était en réalité devenu les "FARG (Forces armées de
Ruhengeri et de Gisenyi)". Toutefois, il faut admettre que la mort du
président Habyarimana (chef suprême de l'armée) ainsi que celle du chef de
l'Etat major de l'armée rwandaise, survenues lors de l'attentat contre l'avion
présidentiel ont constitué un coup dur dans la désorganisation de cette armée.
D'un coup, le vide politique tant convoité par le FPR ,et qui allait conduire à
la disparition de l'Etat est apparu.
Il faut préciser que suite à ce fléau du régionalisme qui
avait d'ailleurs endeuillé une partie importante de la population rwandaise
après le putch militaire de 1973, le président Habyarimana et son entourage
(AKAZU) tenaient absolument à rester au pouvoir. Il aurait déclaré qu'au lieu
de céder le pouvoir aux hutu du sud (abanyenduga), il le donnerait purement et
simplement aux tutsi. Pour Habyarimana et son AKAZU, l'ennemi politique numéro
un était donc "les hutu du sud: abanyenduga" et en dernier lieu
venaient les tutsi. Politiquement parlant, le Rwanda sous Habyarimana se
caractérisait par trois forces politico-ethno-régionalistes antagonistes:
AKAZU, les hutu du sud (abanyenduga), dont il n'a jamais eu une moindre
confiance et les tutsi. Toutefois, ces deux dernières n'étaient pas
officiellement reconnues. Cela montre à quel point les atrocités commises
envers les leaders hutu de la première république (abanyenduga) par le pouvoir
Habyarimana le hantait encore. Ces
quelques lignes montrent également comment le chemin de la victoire du FPR a
été préparé, consciemment ou non, par Habyarimana et son entourage.
A tout cela, sont venues se greffer les exigences de la
Banque Mondiale et du FMI. Dans le cadre du programme d'ajustement structurel
que le Rwanda venait de signer, la réduction du personnel de l'administration
public était en pourparlers alors que les effectifs militaires devaient être
absolument réduits. On avait probablement oublié que Timeo Danaos et dona
ferentis. Cette démobilisation dans l'armée alors que le pays était en pleine
guerre a été soutenue par les différents partis politiques d'opposition, non
pas par ce qu'ils ne voyaient pas le risque, mais peut être aussi parce que le
commandement des FAR constituait un danger potentiel à la démocratisation. Ce
commendement soutenait sans réserve le régime Habyarimana. La démobilisation
ainsi que le rapprochement de certains partis d'opposition avec le FPR ne
pouvaient qu'abaisser le morale des troupes qui étaient déjà minées par des
divisions régionales. Malheureusement, ce parti pris et ce manquement
patriotique des chefs des FAR se retrouvent encore dans l'armée FPR. L'armée
est monoethnique et de fait soutient, défend et représente l'autorité
dictatorial tutsi de Kigali. C'est un vrai obstacle à toute tentative de
démocratisation du pays.
Il y a lieu de se demander encore ce qui se serait passé
si les FAR avaient pu contenir les éléments du FPR après la mort du président
Habyarimana. Si, comparativement à ce qui s'est passé après la victoire du FPR,
on est d'accord que la victoire des FAR pouvait limiter les dégâts, presque
tous les rwandais s'accordent à dire que ce scénario aurait été également
décevant en ce qui concerne le respect des droits de l'homme. En effet, comme
la garde présidentielle et les interahamwe étaient devenus incontrôlables, rien
ne présage que le massacre des opposants hutu et des tutsi allait facilement
s'arrêter. Aggravée et combinée avec le problème régional, la situation de la
mort de Habyarimana risquait de rendre la population en provenance des régions
du Sud du Rwanda encore plus malheureux que le coup d'état de 1973. Toutefois,
suite à cette situation incontrôlable de la garde présidentielle et de la
milice interahamwe, il serait aussi coquin d'affirmer que leur action était
bien longtemps et soigneusement planifiée. Ceci ne vaut pas bien sûr le pardon
pour les crimes qu'ils ont commis, mais une planification minutieuse et encore
par une armée bien encadrée ne conduit jamais à une défaite imminente. Les
tenants de la planification des massacres avancent que les listes des personnes
à éliminer circulaient partout. Evidemment, la planification des massacres des
opposants politiques, dont la majorité était d'ailleurs des hutu, datait de
longtemps*. Mais, affirmer qu'il y a
eu une planification des massacres systématiques des tutsi dans tout le pays,
c'est un pure mensonge. Actuellement, plusieurs coupables des deux parties des
belligérants qui ont exécuté des innocents circulent librement. Certains même
occupent des postes de très haute responsabilité dans les affaires politiques
du pays.
Toutefois, en ce qui concerne les FAR et leurs alliés, il
faut bien distinguer la planification et l'exécution des massacres. Pour un peu
comprendre, il faut situer l'événement dans son contexte de guerre, avec des
barrières partout dans Kigali. Dans une guerre où la tactique privilégiée de
l'ennemi n'était que l'infiltration, il était plus que jamais nécessaire à la
population civile d'organiser des rondes et des barrières. Par exemple, les
habitants de Kigali qui habitaient un même quartier s'organisaient pour faire
des rondes. Quant aux interahamwe, ils avaient mis des barrières sur des
carrefours stratégiques. Malheureusement, les interahamwe ont été caractérisé
par une indiscipline qui faisait passer par l'échafaud tous ceux qui
n'épousaient pas leur action. L'ennemi a été confondu avec la population. Il
est à noter que l'initiative des rondes est venue de la population des divers
quartiers de la capitale bien avant 1994, étant donné l'insécurité qui
sévissait dans Kigali. Malheureusement, la population en a été victime en 1994,
vu que pendant la nuit, on se promenait avec une machette alors que l'ennemi
utilisait des armes à feu. Etablir une liste de personnes selon tel ou tel autre
critère n'était qu'une question de secondes. Il n'y avait donc pas d'état major
pour centraliser ces listes qui n'étaient établies d'ailleurs que sur des
barrières. Cette tactique s'étant généralisée dans tout le pays, il s'est avéré
que certaines personnalités administratives ont participé à l'élaboration de
ces listes. Pour ces personnes, la responsabilité dans cette affaire reste
totalement personnelle. Certes, des coupables qui ont exécuté des massacres de
1994 existent , mais pas des planificateurs.
Un essai de compréhension de cette situation amène à
donner des éclaircissements suivants. Le 6 avril 1994, c'est l'attentat contre
l'avion présidentiel avec la mort des deux présidents rwandais et burundais.
Suite à cet événement tragique et en même temps, la garde présidentielle et les
soldats FPR stationnés à Kigali commencent les massacres des populations
civiles. Bien que ces massacres ne soient en aucun cas pardonnables, les
premiers l’ont fait par fureur qu’ils n’ont pas pu contenir. Pour les seconds,
c’était une suite logique de leur plan de cette guerre. La milice interahamwe
renforça dès lors les barrages à travers toutes les rues de la capitale. Le 9
avril 1994, c'est la proclamation du gouvernement Kambanda. Ce gouvernement,
qui devait être un gouvernement de crise fort a hérité une situation
déplorable. Pour contrer l'avancé du FPR, les interahamwe ont été armé. Leur
cible ne fut pas claire. Ils s'en prirent aux tutsi, aux opposants politiques
hutu et même des règlements de compte terrorisèrent tout le pays. Des familles
entières des hutu, même celles des officiers supérieurs* des FAR furent froidement abattues. Tout cela a rendu la situation de
plus en plus incontrôlable. Si on y ajoute la boulimie de l'argent et des
autres biens matériels, Kigali était devenu un véritable théatre chaotique
improvisé. Le jeune gouvernement se trouvait devant des faits accomplis. S'il y
a eu des planificateurs des massacres à grande échelle, ils ne pouvaient que se
trouver du côté FPR, qui avait planifié à son aise la guerre et évalué toutes
ses conséquences. Quant aux autres acteurs qui se trouvaient à l'intérieur du
pays (gouvernement, FAR, partis politiques et leurs milices), leur
responsabilité dans le massacre des tutsi réside dans l'exécution et non dans la
planification. Cette responsabilité est en outre absolument individuelle.
Tout ce qu'on peut
reprocher aux responsables politiques du gouvernement hutu dirigé par Monsieur
Kambanda* , ils n'ont pas pu et/ou
voulu arrêter à temps les massacres ethniques. Ils ont par ailleurs armé les
milices et par leur discours belliqueux, attisé les haines. Dans la suite, leur
discours appelant au calme n'a rien donné. D'un côté, les interahamwe étaient
devenus des maîtres absolus de la ville. L'autorité de l'Etat (gouvernement)
était devenue inférieure à celle des interahamwe. De l'autre côté, le FPR avait
aussi commencé son sale besogne de nettoyage ethnique. C'était un chaos
sanglant. Il était bien sûr très délicat
à ce gouvernement de maîtriser la situation, étant donné qu'il ne contrôlait
pas l'évolution militaire sur le terrain. C'est pourquoi, les reproches
formulés par la communauté internationale à son encontre devraient être bien
pesés. Cette communauté internationale connaît d'ailleurs les conditions difficiles
de son investiture, puisqu'elle a participé activement à sa formation. Quoi
qu'il en soit et quels que soient les motifs des massacres des populations
civiles survenus sous ce régime et celui des inyenzi-inkotanyi, l'extermination
de vies humaines n'est pas un mode de gestion digne d'une société du vingtième
siècle. N'ayant pas été à même de se défendre correctement, les hutu ont
même payé cher après la victoire du FPR.
Cette défaite, assimilable à tort ou à raison, à une lâcheté de la
majorité hutu est exploitée par certains
médias de mauvaise foi, pour globaliser la criminalité dans cette guerre à
toute une ethnie. Au lieu de porter un jugement sincère et sévère à tout le
système du régime Habyarimana, qui a été d'ailleurs longtemps soutenu par les occidentaux,
on est en train d'incriminer tout un peuple pourtant innocent. C'est pourquoi,
la responsabilité devrait être individuelle et non collective. En même temps,
si l’on veut mettre à nu la vérité rwandaise, il est absolument indispensable
de déterminer la responsabilité du FPR qui, soutenu par les pays extérieurs, a
fait même l’impensable aux hutu.
Notons également que la communauté internationale s'est
suffisamment rendue coupable dans tout ce qui s'est passé au Rwanda. Du côté
des sympathisants du FPR, ils n'ont jamais voulu entendre parler du
cessez-le-feu. Les USA ont même été catégoriques en refusant une force
d'interposition entre les belligérants. La prise de position de cette
communauté encourageait même l'intensification de la guerre. Du côté
gouvernemental et cela datait de longtemps, il faut savoir qu'aucune politique
ne pouvait être prise sans l'aval des puissantes ambassades étrangères
accréditées à Kigali. Rappelons que ces ambassadeurs*, qui étaient averti de tout ce qui se passait au Rwanda, avaient
participé à la mise en place de ce gouvernement de crise et sûrement qu'ils ont
continué à le conseiller.
Par ailleurs, malgré que le Rwanda était un des rares
pays africains qui arrivaient encore à rémunérer son personnel de l'administration
publique, la crise économique que traverse le monde n'avait pas épargné le
pays. C'est ainsi qu'au lieu d'affronter l'ennemi, la plupart des soldats
avaient quitté leurs positions pour aller piller. Kigali-la capitale (elle
réunissait 69 % du commerce de gros et autant du commerce de détail implanté
dans les villes; elle avait aussi 70 % des industries manufacturières
implantées dans les villes et en 1991, elle concentrait aussi 66,3 % des dépôts
bancaires du pays), qui concentrait 21,6 % des établissements[36] du tissu économique national, était ainsi devenue le centre des
pilleurs et des bombardements FPR. Ainsi, presque tous les camps militaires des
FAR s'étaient repliés** sur la capitale, laissant
ainsi l'ennemi progresser librement sur le territoire national. Notons
également qu'au lieu de créer des fronts réels de résistance à l'agresseur, les
autorités du gouvernement Kambanda ont incité la population civile hutu à fuir
l'avancée du FPR. Si tous les hutu morts au Zaïre, au lieu de fuir, avaient pris
les armes (les armes sophistiquées n'étaient pas tellement nécessaires) et fait
le maquis contre le FPR, la guerre au Rwanda aurait pris une autre tournure.
Mourir en combattant l'ennemi aurait été mieux. Fuir est décidément un acte de
lâcheté.
Il faut également ajouter l'embargo sur les armes décrété
par les Nations Unies contre les FAR en mai 1994. Apparemment, cet embargo ne
faisait que venir aggraver une situation militaire presque irrécupérable*** sur le terrain. Ici, il y a toujours lieu de se demander si la
communauté internationale voulait la paix dans la région des Grands Lacs.
Pourquoi n'a t-elle pas imposé cet embargo à l'agresseur du Rwanda, même au
début de cette guerre en 1990? Pourquoi cet embargo, décrété par le conseil de
sécurité par sa résolution 918/1994 a été unilatéral alors qu'il était évident
que la guerre imposée au Rwanda venait de l'extérieur? Y-a-t-il y eu un
laisser-faire ou une complicité?
La raison du plus fort est
toujours la meilleure.
Depuis que le FPR a pris Kigali par les armes en juillet 1994, cette victoire militaire a été admise par la communauté internationale comme une victoire sur tout un peuple. En effet, au lieu d'apaiser les esprits, le camp tutsi, alors qu'il était sorti vainqueur, s'est vu reconnaître par cette même communauté comme seul victime de la guerre. La bipolarisation hutu tutsi atteint ainsi son paroxysme. La suprématie tutsi, alors que ces derniers restent assez minoritaires, prit une telle ampleur que les hutu se sentirent menacés par le simple fait d'être hutu. Des exactions sommaires, des disparitions inexpliquées des hutu, bref des bavures des droits de l'homme à l'échelle nationale prirent place. La communauté internationale sembla cautionner ces faits. Le FPR, sans qu'il soit dénoncé, fut le seul interlocuteur officiciel et valable en ce qui concerne les problèmes de développement du Rwanda. Jusqu'en 1999, rares sont les voix qui ont osé dire la vérité sur l'Etat FPR.
Tout
régime politique qui repose sur la non transparence est tôt ou tard voué à sa
propre destruction. C'est le cas du régime Habyarimana qui cachait la réalité à
la population. Cette situation s'est aggravée avec l'attaque du pays en 1991.
En effet, l'attaque du Rwanda par l'Ouganda et par quelques éléments de la
diaspora rwandaise a été toujours masqué sous la désinformation. Du côté du
régime Habyarimana, on a pas voulu dénoncer haut et fort l'agresseur, croyant
que la diplomatie rwandaise allait triompher. Le résultat fut décevant.
Habyarimana a, à plusieurs reprises, rencontré officieusement le président
Museveni. Leurs promesses, qui avaient pour objet de coincer les rebelles tutsi
et mettre fin à la guerre n'ont pas été respectées. Habyarimana avait
probablement oublié que le président Museveni était lui-même un tutsi (hima).
Rien n'a été révélé au peuple rwandais à propos de ces rencontres.
Du côté FPR, dès les premières heures d'agression du
Rwanda, les attaquants criaient haut et fort qu'ils luttaient contre le régime
antidémocratique de Habyarimana. Soutenu par les médias occidentaux qui avaient
été corrompus, le FPR a caractérisé le régime du feu président par tous les
maux. La radio FPR y joua un grand rôle. Quelques années à peine après la prise
du pouvoir par le FPR, force est de
constater que son régime est décidément bâti sur le mensonge. Ses promesses
(démocratiques et économiques) ne sont restées que lettre morte. Son régime
risque fort de vivre le même sort que celui de son prédécesseur. Pourtant,
quelques heures avant cette attaque, le régime Habyarimana était l'un des
régimes africains les mieux cotés en Occident. D'où est venu alors ce
revirement brutal des occidentaux à 180°? Certains avancent que le FPR avait
corrompu les médias afin de discréditer le régime. Ah oui, les médias forment
actuellement un quatrième pouvoir souvent utile mais aussi dangereux. Il est
surtout très dangereux pour les pays progressistes qui veulent se libérer de la
domination impérialiste actuelle. Les dirigeants qui veulent mettre en cause
les rapports des anciens métropoles avec leurs pays sont ainsi assassinés dans
l'anonymat total, pourtant sous les yeux de cette presse volontairement muette.
C'est le cas de plusieurs présidents africains progressistes dont l'inoubliable
président bourkinabé SANKARA. En ce qui concerne Habyarimana, il semble aussi
que certains de ses sympathisants occidentaux en avaient marre de lui. Vingt
ans de règne, c'était assez. Habyarimana était devenu un dictateur respectueux,
qui arrivait même à contredire ses pères occidentaux. Il fallait en finir avec
lui.
Tout récemment encore, les occidentaux ont voulu étendre
ce qu'ils ont appelé "syndrome Pinochet". En effet, profitant de la
visite officielle que le président Kabila du Congo effectuait en Europe en
novembre 1998, ils ont voulu l'inculper et l'arrêter. Ils avançaient que Kabila
était un dictateur qui avait violé les droits de l'homme dans son pays. C'est
vrai que Kabila a fait piétiner l'enquête sur les massacres des milliers de
hutu au Zaïre. Il a chassé les enquêteurs onusiens. Mais, les occidentaux
oublient que c'est l'armée FPR qui a fait ce génocide. De plus, cette armée
était appuyée par ces mêmes occidentaux qui aujourd'hui, veulent brouiller les
pistes en nommant Kabila comme seul responsable. Kabila était une marionnette
mis à la tête de la rébellion, mais les vrais responsables sont du FPR. C'est
justement quand Kabila a voulu s'imposer comme vrai maître du Congo et qu'il
avait tourné le dos aux occidentaux, qu'il a encaissé tous les maux. Pourquoi
alors ces occidentaux ne veulent pas être objectifs? Avec le syndrome Pinochet
qui est actuellement à la mode, gare aux chefs d'Etat des pays en voie de
développement qui voudront se libérer de la domination impérialiste des
occidentaux. Ceci montre le point faible des démocraties occidentales. Avec
leurs médias qui sont superpuissants, la justice revient toujours à celui
qu'ils veulent et non à celui qui la
mérite.
Dans la région des grands lacs, après la tombée de Kigali
en 1994, les pays occidentaux et leurs médias ont continué de soutenir de
prétendus groupes de rebelles (soldats FPR et ougandais) qui ont attaqué le
Zaïre, attisant ainsi le conflit ethnique dans la région. Pour cacher de
véritables coupables, ils ont diffusé sur leurs ondes que la région est ravagée
par une guerre civile. Ils ne pouvaient donc pas se mêler des affaires internes des autres pays
indépendants. Pourtant, ils n'ont jamais arrêté de fournir des armes, des
munitions et des instructeurs à ces prétendus rebelles. Les américains ont même
été sur le champ de bataille à côté des mercenaires de Kabila. Entre-temps, des
milliers et des milliers de réfugiés rwandais mouraient. L'indifférence fut
totale. Ayant déjà décrété que l'Afrique subsaharienne était trop surpeuplée,
ils ont sûrement trouvé une politique démo-économique en leur faveur mais
destructrice pour la région. Les médias internationaux y sont pour quelque
chose. Ils nous désorientent souvent au lieu de nous informer. La responsabilité
dans le drame rwandais a par exemple été attribué seulement aux hutu.
A notre avis, l'Afrique peut gérer toute seule tous ces
conflits. Elle n'est ni pauvre, ni mal
équipée comme les uns veulent le faire croire. Elle est manipulée par les
puissances étrangères. Elle manque des dirigeants dignes de ce nom, capables de
la libérer. Elle est mal gérée à cause surtout des intérêts impérialistes.
C'est la vache à traire pour les puissances occidentales. C'est pourquoi la
plupart des dirigeants africains sont investis au trône par ces puissances
étrangères. Tout ce qui se passe aujourd'hui en Afrique est commandité de
l'extérieur mais la responsabilité est rejetée, à tort ou à raison, sur les
africains.
Après la prise du pouvoir par le FPR en 1994, ses
idéologues ont essayé de transformer l'histoire du Rwanda. Contrairement aux
croyances de leurs grands-pères, les jeunes de la diaspora tutsi nient
l'existence des hutu, tutsi et twa en tant que entités sociales indépendantes
les unes des autres. Tous les hutu ont été obligé, bon gré malgré, de
s'imprégner de ces nouvelles pensées idéologiques. Cela se faisait dans le but
de montrer qu'il n'y a pas de vrai problème hutu-tutsi. Sans vouloir nier
qu'effectivement ce problème doit être dépassé, nous pensons qu'il faut d'abord
reconnaître qu'il y a un problème et ensuite chercher sa solution. Chercher une
solution d'un problème socio-politique qui n'est pas bien posé, ou qu'on masque
volontairement dans le seul but de rester au trône, ne peut conduire qu'à un imbroglio
social dont les conséquences risquent d'être désastreuses.
Cette manière médiatique de gérer la crise rwandaise ne
facilite pas l'aboutissement à une meilleure solution: la paix dans la région.
Cinq ans après les événements regrettables du Rwanda, il est malheureux de
remarquer que ces mêmes médias continuent d'attiser le feu en se posant de
fausses questions relatives aux FAR (forces armées rwandaises). Pourtant, ils
n'ont jamais voulu lever l'ambiguïté et dire à
ceux qui le souhaitent que les agresseurs du Rwanda venaient d'un autre
pays bien connu: l'Ouganda, qui les soutenait en matériel et même en hommes.
Pourquoi vouloir connaître la provenance des armes d'une armée qui était
régulière (FAR) et ignorer expressément la provenance des armes des réfugiés
tutsi dont l'acquisition et l'utilisation étaient d'ailleurs théoriquement
interdites par la communauté internationale?
Etait-il possible que seuls les réfugiés tutsi (sans la complicité des
pays traîtres), avec des moyens de survie qu'ils disposaient, eussent pu
attaquer le Rwanda et le détruire complètement? Y aurait-il eu des massacres
(que les uns appellent même génocide) si le FPR n'avait pas attaqué le Rwanda
en 1990 et persisté dans une logique de guerre jusqu'à sa victoire? Que les spécialistes
du Rwanda répondent objectivement.
Qu'on se détrompe.
Plusieurs pays continuent d'avoir de bonnes relations avec le FPR. De telles relations sont surtout renforcées par les soi-disants spécialistes du Rwanda. Ils donnent des informations, vraies ou erronées, à leurs gouvernements respectifs, sur l'état actuel de la gouvernance FPR. Malheureusement, presque tous les touristes occidentaux ayant à peine mis leur pied au Rwanda se sont déclarés ou se sont vus attribuer le titre de "spécialiste du Rwanda". C'est ainsi que des hommes et des femmes qui, à peine connaissaient le pays avant la guerre, ont pris leurs plumes et écrivent des pages et des pages sur le pays des mille collines. Mais, de quelle valeur sont tous ces écrits? Différente bien sûr, mais ... Pour éviter de scandaliser les uns et les autres, j'invite les amis qui ont connu le Rwanda d'hier et qui connaissent le Rwanda d'aujourd'hui, de les juger avec toute objectivité. La méconnaissance des réalités rwandaises avant et après la guerre constitue un vrai handicap pour une réaction valable de tous les occidentaux. Malheureusement, tous les contours de la solution au problème rwandais passent par eux. Les spécialistes du Rwanda ne sont pas nombreux. On peut même affirmer, à de rares exceptions près, que tous ceux qui se sont vus attribuer ce titre ne le sont réellement pas. Pourtant, ils sont nombreux. La preuve est que, si ces spécialistes existaient réellement, ils auraient pu, bien avant le mois d'avril 1994, élaborer des scénario probables sur l'agression que le Rwanda venait de vivre pendant plus de trois ans. Cela pouvait limiter les dégâts et actuellement, il y aurait de quoi se féliciter. Rien n'a été fait justement puisque personne ne comprenait rien et donc n'était spécialiste du Rwanda. Qu'on se détrompe alors. Actuellement, ces soi-disant spécialistes du Rwanda ou encore des Grands Lacs sont divisés eux-mêmes en plusieurs camps. Les uns chantent la bonne gouvernance du FPR et les autres, qui y voient peut-être plus clair, ont déjà lancé un appel de détresse. Effectivement, quand ils comparent le régime FPR avec le régime dictatorial de Habyarimana, ils ne trouvent presque pas de différence hormis le changement des figures au pouvoir. Les rwandais ne peuvent pas participer à la vie nationale et donc faire de la politique. Certains analystes disent même qu'entre les deux régimes, le premier serait le meilleur. C'est vrai que le pouvoir Habyarimana était dictatorial, mais au moins la liberté de presse, surtout de l'opposition, était manifeste. En plus, depuis que le Rwanda existe, même sous le régime des monarques tutsi les plus cruels que le Rwanda ait jamais connus, il n'y a jamais eu autant de disparitions inexpliquées de personnes de l'ethnie opposé à celui au pouvoir. Si le FPR continue de semer la tempête, il récoltera aussi la tempête. Les médias occidentaux pro-FPR ne devraient plus tromper personne. Le régime FPR doit et devra être jugé par ses actions. Plus d'illusions.
Dans
son chemin de lutte pour le bien-être, la population rwandaise avait essayé de
surmonter les obstacles rencontrés. C’est ainsi que, malgré la mauvaise
conjoncture économique internationale de ces dernières années, elle avait
essayé de s’adapter en appliquant les mesures de redressement et d’austérité
prises en vue de juguler cette crise. Un effort particulier avait été consenti
par la population en utilisant sa propre force physique en vue de réaliser
plusieurs actions de développement (construction d’écoles et de centres de
santé, protection des sols contre l’érosion, etc. ). Ainsi, l’aide venait pour
appuyer les actions déjà entamées et l’objectif dans le moyen terme était de la
rendre marginale. On ne peut pas penser au bien-être de la population rwandaise
sans parler de l’agriculture. Cette branche occupe 90 % de toute la population
et ses performances se répercutent directement sur la façon de vivre des gens.
Le but ultime visé par le développement au Rwanda
avait été d’assurer le bien-être général à la population grâce à une
amélioration de son niveau de vie. Tous les objectifs, qu’ils soient
économiques, sociaux, culturels ou politiques devaient converger vers cet
aspect du bien-être du citoyen. Malheureusement, les résultats de ces dernières
années (avant la guerre) n’ont pas été brillants. On a même assisté à une
tendance d’aggravation de la paupérisation de la population qui s’est traduit
par un accroissement du nombre de personnes vivant dans la misère ainsi que de
celles qui sont soumises en permanence à une vie à haut risque, chaque fois
qu’il y avait un petit obstacle provoqué soit par les calamités naturelles ou
par les perturbations socio-économiques.
Le
secteur agricole, dont la production à l’époque féodo-coloniale était liée aux
travaux obligatoires et du fouet (AKAZI K’IBIBOKO), va se retrouver en baisse
après l’indépendance. Le caractère coercitif des travaux réalisés à cette
époque va être remplacé par un certain courant de liberté après l'indépendance.
Les travaux de lutte anti-érosive seront en général abandonnés et certaines
réalisations effectuées dans ce domaine seront même détruites. Il en sera de
même pour la plantation des tubercules qui étaient destinées à lutter contre
les famines ainsi que pour l’entretien des champs de café.
Dans
la suite, après une forte vulgarisation agricole, la production agricole va se
redresser peu à peu, mais va se heurter surtout à une croissance forte de la
population qui va entraîner une miniaturisation excessive des parcelles
agricoles, ainsi qu’aux faibles ressources allouées à ce secteur pour être
intensifié. De 1962 à 1981, les cultures de rapport ont reçu 33,71 % du
financement total réservé aux projets agricoles et les cultures vivrières n’ont
eu que 0,90 % de ce montant [37].
La
production agricole va ainsi connaître des hauts et des bas niveaux, mais suite
à la forte croissance démographique dont le taux dépassait parfois celui du
produit intérieur brut, elle n’a pas permis
une hausse du produit par habitant qui a eu même tendance à fléchir
lentement ces dernières années.
Cette
situation économique a été aggravée en 1985, par la disparition de la seule
société d’exploitation minière du Rwanda (SOMIRWA ), qui s’est vue fermée après
la tombée en faillite de la société-mère (GEOMINES). Pourtant, les experts de
la SOMIRWA-GEOMINES venaient de construire une fonderie moderne de cassitérite
à Kigali et cette usine reste actuellement mal exploitée. Précisons que la Somirwa utilisait près de
10.000 personnes dans les années 1980 [38].
Il
faut signaler que l’exploitation des mines par la SOMIRWA se faisait à ciel
ouvert. Ne s’étant jamais soucié des problèmes environnementaux et donc de
l’avenir de ces sites, des milliers d’hectares de terres destinés à cette
exploitation sont très vite devenus inutilisables à d’autres activités. En
effet, les cratères creusés à la recherche de minerais, l’éboulement actuel de
terrains, la coupe des arbres sans aucun programme de reboisement, sont autant
de caractéristiques qui font de ces sites, des régions agronomiquement
irrécupérables.
La
trop forte dépendance de l’économie nationale à l’égard du café s’est fortement
accentuée depuis l’effondrement du secteur minier si bien que la dégradation
des cours des produits d’exportation ( café+thé ) a annihilé tous les efforts
jusqu’alors fournis pour stabiliser l’économie. Cette crise [39]
s’est traduite par une décroissance du PIB (- 1,7 % en 1990 ), par un déficit
élevé des finances publiques, par un déséquilibre de la balance des paiements (
3352 millions de FRW en 1990 contre 1344 millions en 1987 ), par l’aggravation
de l’endettement du pays, etc.
Pour
faire face à ces difficultés, le Rwanda a été obligé de négocier avec la Banque
Mondiale et le Fonds Monétaire International et un programme d’ajustement
structurel à moyen terme pour la période 1990-1993 avait été mis en oeuvre.
Citons cependant qu’au cours des années soixante-dix, le Rwanda avait
enregistré des taux de croissance économiques élevés (5 % en moyenne).
Le
secteur primaire qui regroupe l’agriculture, les mines et les carrières a connu
en 1991 une quasi-stagnation dans son ensemble. Le secteur secondaire, avec une
baisse estimée à 3,5 % [40]
de la valeur ajoutée, a accusé une forte contraction de ses activités dû
essentiellement à la situation de guerre de 1990.
L’industrie
manufacturière au Rwanda a été toujours dominé par l’artisanat dont la branche
la plus importante reste la production artisanale des bières de banane et de
sorgho. Les IIe et IIIe Plans de Développement Economique et Social avaient
prévu une croissance de ce secteur. Avant la guerre, on comptait environ une
centaine d’entreprises modernes employant plus de trente personnes et cette
fois-ci aussi, les transformations agro-alimentaires dominaient également. Ce
type d’industrie, conçue au départ comme une industrie d’import substitution
s’est révélé dans la suite grand importateur d’intrants à l’extérieur, ce qui
coûtait cher en devises et participait au renforcement de la dépendance et de
la désarticulation de l’économie nationale.
L’épargne privée s’était orientée plus vers
l’immobilier de rapport, le commerce et le transport. Un certain dynamisme
d’accumulation avait émergé chez l’Etat et chez les privés, grâce surtout à la
production des cultures d’exportation et vivrières. C’est grâce à ces cultures
que l’Etat parvenait, si la conjoncture des prix sur le marché internationale
était favorable, à équilibrer sa balance commerciale. Par ailleurs, le commerce
a procuré assez de revenus aux privés. Ces revenus, qui passaient souvent dans
les doigts des agriculteurs et qui s’expliquaient par d’énormes écarts de prix
dans le temps et dans l’espace rendaient
le marché imparfait. En effet, il n’était pas rare de voir le prix d’une denrée
alimentaire se multiplier par 2 fois quand on quittait une région à une autre.
C’est ainsi que les commerçants ont pu s’enrichir en stockant souvent la
production pendant la saison des récoltes et en spéculant sur la hausse des prix
pendant la période de soudure.
Il
est à noter également que certains membres de l’appareil bureaucratique de
l’Etat ont failli à leur devoir de veiller d’abord sur les intérêts généraux de
la grande masse populaire. Les intérêts privés ont ainsi dominé les intérêts
publics. Cela s’est traduit par une transformation de l’appareil étatique en un
instrument d’une minorité cherchant et défendant leurs propres intérêts au détriment de la
grande masse paysanne. L'accumulation illicite, liée à l’accaparement du bien
commun s’était développée ces dernières années. A tout malheur quelque chose
est bon, la plupart de ces éléments avaient essayé d’investir à l’intérieur du
pays et non à l’extérieur, créant ainsi quelques emplois productifs.
Apparemment,
les responsables FPR ont hérité une économie essoufflée. La chute des prix des
matières premières (café et thé) sur le marché international alors que ces deux
cultures rapportaient au pays plus de 80 % des exportations totales du pays
constitue un coup sévère pour l’économie nationale, et cette situation risque
de perdurer. En effet, la situation d’insécurité que continue d'entretenir le
régime FPR à l'intérieur du Rwanda, couplée avec les attaques de la rébellion
hutu venant de l'extérieur, ne militent pas en faveur d’une quelconque
augmentation de la production agricole. Plus particulièrement, la production
des deux principales cultures de rapport risque de chuter étant donné qu'elles
n’apportaient d’ailleurs aux agriculteurs que des gains marginaux.
La
politique prise par le nouveau gouvernement de remonter le prix du café passant
de 135 francs rwandais/ kilo en 1993 à 300 francs est une politique incitative
en faveur de l’augmentation de la production de cette denrée, mais il reste à
voir si elle ne va pas buter sur la baisse des prix sur le marché international
ainsi que sur la réticence des agriculteurs, préoccupés d’abord par l’insécurité quotidienne que par
l’augmentation de la production agricole.
Par
ailleurs, étant donné la gestion de la chose publique qui laisse déjà à désirer
* (plusieurs témoignages font état de
beaucoup de détournements dont le journal du gouvernement IMVAHO), il est
regrettable de voir que les infrastructures de production (usines) dont les
propriétaires ne sont pas encore revenus ont été confisquées par quelques
individus. Après la prise de Kigali, certaines de ces infrastructures avaient
déjà été pillées* vers l’Ouganda et les
responsables politiques de l’opposition réclamaient que l’équipement des
industries lourdes acheminé dans ce pays par le FPR et ses complices soit
restitués au Rwanda au même titre que le patrimoine emporté par l’ancien
gouvernement au Zaïre. L’économie risque donc d’être asphyxiée et de se
concentrer dans les mains d’une petite minorité. Cette minorité ne se contente
que de puiser le plus vite possible, les revenus provenant des infrastructures
économiques trouvées sur place et considérées comme butin de guerre, tout en
rendant aléatoire la rentrée des vraies propriétaires de ces biens.
De
plus, si malgré le peu de ressources qu’il dispose, le Rwanda était connu parmi
les pays les moins endettés, il faut remarquer que le poids de la dette
publique s’est trop vite alourdi à cause de la guerre. En effet, la dette
publique, qui était estimée à 6.678 millions de francs rwandais en 1990 s’est
vu doublée à moins de 2 ans allant jusqu’à 13.702 millions soit une
augmentation de 105 %. Si le budget national s’était augmenté de 52 % pour la
même période, le budget du département de la défense a presque triplé, passant
de 3.155 millions en 1990 à 8.885 millions en 1992 [41]
soit une augmentation de 181 %. Il est à noter qu’entre 1985 et 1989, le
service de la dette occupait la seconde place parmi les différentes catégories
de dépenses de l’Etat après le personnel et se réservait 48,9 % de ces
dépenses. Pour autant que la paix ne sera pas revenu dans la région, l’armement
du pays risque d’être la principale composante du budget national et la
situation socio-économique ne continuera qu’à s’empirer. Les actions de développement
seront ainsi considérées comme secondaires par rapport à la logique de la
guerre.
Comme
le montre le tableau ci-après, le montant de la dette devient de plus en plus
lourd au fur et à mesure qu’on avance dans le temps. Cela implique que les jeunes
rwandais auront plus de dettes à rembourser malgré la conjoncture qui continue
à se détériorer ce qui va jouer sur leur avenir ainsi que sur leur manière de
vivre.
Tableau n° 6
Dette publique
extérieure au 31.12.1989
( en
millions de FRW )
Terme |
Montant |
Encours (%) |
0 à 5 ans |
593,6 |
1,07 |
6 à 10 ans |
624,9 |
1,12 |
11 à 20 ans |
8347,7 |
15,03 |
21 à 30 ans |
11308,4 |
20,56 |
40 à 45 ans |
3647,1 |
6,56 |
46 à 50 ans |
31023,3 |
55,85 |
Total |
55545,4 |
100 % |
Source: République Rwandaise, Ministère du Plan, Bulletin statistique n°
17 , 1992
Tout
rwandais devrait s’imprégner que le développement de son pays lui revient. Même
si les aides continuent actuellement d’affluer vers le pays, il est grand temps
de considérer l’aide à sa juste valeur. Jusqu’à présent, malgré la multiplicité
des organismes d’aide et les organismes non gouvernementaux qui semblent
d’ailleurs être plus intéressés par les crises que par les solutions y
relatives, aucun pays ne s’est réellement développé à cause de l’aide. Certains
d’ailleurs considèrent à juste titre l’aide comme un iceberg que les pays les
moins développés sont tenté de prendre comme une planche de sauvetage alors que
les conditions environnantes ne
permettent pas à cette planche de rester au dessus de l’eau.
La
crise de l’économique provoquée en partie par l’évolution des tendances de la
crise du politique ne serait-elle pas à la base des différentes formes de crise
sociale que le Rwanda est en train de vivre? La réponse semble être oui. Le
développement du Rwanda est donc fortement hypothéqué, étant donné qu’un
développement qui détruit les liens entre les diverses composantes sociales
d’un pays ou qui y entretient constamment des relations conflictuelles ne peut
conduire qu’à sa destruction. Il convient donc que tous les rwandais, surtout
les responsables à tous les niveaux administratifs et politiques, prennent dès
à présent conscience, que le problème rwandais n'est pas seulement de nature
ethnique ou politique, mais que pendant ces dernières années, il a de plus en
plus pris racine dans la vie économique (problèmes des jeunes sans terres et
sans avenir, insécurité et manque d'emploi, enrichissement illicite des
(ir)responsables du pays et paupérisation de la majorité de la population,
...). Les solutions relatives à la réconciliation et à la reconstruction du
pays devraient toucher tous ces aspects.
C'est
pourquoi, toute hypothèse qui cherche à clarifier la réalité du conflit
rwandais en le réduisant à une seule variable est tronquée. La réalité
rwandaise semble avoir changée avec le temps. En effet, avant 1959, le problème
rwandais pouvait se limiter à un conflit social. Aujourd'hui, elle est devenue
politico-socio-économique. Etant donné que la faible économie rwandaise repose
sur l'agriculture, une analyse même superficielle, du secteur agricole semble
nécessaire afin de mieux comprendre toutes les facettes du problème rwandais.
.
La
notion de développement et donc du bien être de la population est assez
complexe pour être clairement définie ici. En effet, il semble que ce concept
varie selon la géographie, la culture, la richesse relative du pays, etc.. Au
Rwanda, comme l’économie du pays est essentiellement basée sur l’agriculture et
que ce secteur occupe plus de 90 % de la population, le bien être de la
majorité de la population semble être lié avec la bonne ou la mauvaise
production agricole. Dans un Rwanda où les rapports marchands ne sont pas assez
développés et où la production familiale est dominée par l’autoconsommation, le
bien être de la population se confond avec la pauvreté qui elle aussi, est
directement fonction de la production familiale agricole. Trois[42]
points de vue sur le concept de la pauvreté ont été développés par le PNUD.
-
Du point de vue du revenu, une personne est pauvre si et seulement si son
niveau de revenu est inférieur à un seuil de pauvreté prédéfini par l'Etat. Il
peut ainsi varier d'un Etat à l'autre pour des fins de planification et est
défini comme le niveau de revenu en deçà
duquel il n'est pas possible de se procurer une quantité de nourriture donnée.
-
Du point de vue des besoins essentiels, la pauvreté est caractérisée par un
manque de moyens matériels permettant de satisfaire un minimum acceptable de
besoins alimentaires, mais aussi de santé, d'éducation, d'emploi et d'autres
services fournis par la communauté.
-
Du point de vue des capacités, la pauvreté représente l'absence de certaines
capacités fonctionnelles élémentaires pouvant aller du domaine matériel, social
ou du domaine de revenu et de produits de base.
Afin
de lever toute équivoque dans notre travail, nous considérons ici la pauvreté
comme une impossibilité de satisfaire au
minimum des besoins humains les plus fondamentaux. Cette définition semble être
relative aussi, étant donné que ces besoins élémentaires peuvent varier d’un
individu à l’autre selon leurs habitudes de consommation, d’un espace géographique à un autre, etc....
Ainsi, les années de bonne production agricole, sans risque de malnutrition
quantitative et qualitative avec un surplus pouvant couvrir les besoins au delà
de l’autoconsommation, sont considérées par la population au Rwanda comme des
années de bonheur et de prospérité [43].
Comme
le montre le schéma ci-dessous, la pauvreté est source de malnutrition. Elle
augmente la morbidité et la mortalité, jouant ainsi négativement sur l'effectif
de la population. Pire encore, elle freine
les mécanismes du développement. Visiblement, la pauvreté et le
développement ne vont pas de pair. Là où il y a le développement, la pauvreté
est freinée et là où la pauvreté sévit, le développement est tout à fait
compromis. Par ailleurs, le développement tout comme la pauvreté jouent sur
l'environnement et vice versa. Il est à remarquer que le développement peut
jouer sur l'environnement un rôle aussi bien positif que négatif. En effet,
plusieurs technologies actuelles de production sont économiquement rentables,
mais en même temps, ont un rôle assez négatif sur l'environnement. Certaines
produisent même directement des déchets nocifs aux êtres vivants. Le terme
"développement ", pris dans le cadre de la modernisation, devient
ainsi insuffisant pour exprimer réellement le vrai outil du bien-être des
populations. C'est pourquoi certains organismes ajoutent à ce terme un
qualificatif: développement "durable" par exemple.
Bref,
si on considère un système comme un ensemble d'éléments en interaction
dynamique, les trois variables (population, développement, environnement)
forment un système qui est constamment en évolution. Toutes choses étant égales
par ailleurs, ce système se caractérise par une stabilité dynamique et semble
être applicable à plusieurs régions de notre planète. Par ailleurs,
l'interaction entre le développement et la pauvreté s'avère positive si les
outils du développement sont utilisés pour lutter contre la pauvreté. Dans ce
cas de figure, c'est le vrai bien-être de la population qui est déclenché. Au
Rwanda, l'utilisation des fonds versés par les différents bailleurs continue de
plonger la pays dans la pauvreté et la misère. Dans la tradition rwandaise, il
est inconcevable de profiter des morts pour monter une quelconque spéculation
pécuniaire. Pourtant, depuis 1994, le génocide est devenu un véritable fonds de
commerce. Pire encore, ce fonds de commerce ne profite pas aux rescapés du
génocide, mais à ceux qui ont déclenché ce génocide. Ce génocide sert donc à
créer une certaine classe d’une poignée de personnes tutsi qui s’enrichissent
au détriment des invalides et autres rescapés des massacres.
En
ce qui concerne toujours le Rwanda d'après 1994, le surarmement qui a été
privilégié par les nouvelles autorités de Kigali reste le grand facteur de
déséquilibre du pauvre budget national.
Non seulement ces armes sont acquis pour tuer les opposants du régime tutsi,
mais aussi déstabilisent toute la région des Grands Lacs. Ce surarmement
conduit ainsi le peuple rwandais à une paupérisation accrue. Il freine donc son
développement. Parallèlement, il existerait un lien étroit entre la pauvreté de
la population rwandaise et la production agricole étant donnée que l’essentiel
du revenu des paysans est produit dans ce secteur. Particulièrement en milieu
rural, la situation devient de plus en plus critique, car au fur et à mesure
que les générations se succèdent, les terres agricoles au Rwanda deviennent de
plus en plus rares et leur fertilité s’amoindrit d’une année à l’autre. C’est
pourquoi nous pensons que la grandeur de l’exploitation agricole familiale joue
un grand rôle et peut être considérée comme un facteur important dans la vie
économique de la majorité de la population rwandaise.
C'est
en 1976 que fut signé un décret-loi réglementant l'achat ou la vente des
terres. En cas de vente de ses terres, le vendeur était tenu à garder à sa
disposition une superficie minimum de deux hectares. L'acheteur ne devrait pas
aussi avoir une propriété supérieure à deux hectares et les terres non
appropriées appartenaient à l'Etat. Il faut remarquer que même après
l'indépendance, les autorités n'ont pas pu se libérer de la logique coutumière.
La terre a été et est restée un bien inaliénable et ce constat a participé dans
l'aggravation du processus de miniaturisation des parcelles agricoles.
Pourtant, les spéculations financières sur les terres ne se sont arrêtées
malgré les restrictions en vigueur. Plusieurs familles étaient parvenu ainsi à
agrandir leurs propriétés au détriment des autres et les terres à vendre
étaient devenues rares. Cette évolution tendait vers la situation des
agriculteurs sans terre avec des conflits fonciers interminables. De tels
conflits étaient d'ailleurs devenu assez fréquents avant la guerre tellement
qu'on les rencontraient entre les parents eux-mêmes, entre un père et un fils,
entre les frères, etc...
Tableau n° 7
Répartition des exploitations agricoles (%)
selon les superficies (ha).
Taille de l'exploitation |
Exploitations |
Superficie exploitée |
||
ha |
% |
% cumulé |
% |
% cumulé |
< 0,25 ha |
7,4 |
7,4 |
1 |
1 |
0,26-0,5 ha |
19,1 |
26,5 |
5,9 |
6,9 |
0,51-0,75 ha |
16,5 |
43,0 |
8,4 |
15,3 |
0,76-1,0 ha |
13,8 |
56,8 |
10,0 |
25,3 |
1,1-1,5 ha |
15,6 |
72,4 |
15,7 |
41,0 |
1,6-2,0 ha |
11,1 |
83,5 |
16,1 |
57,1 |
> 2 ha |
16,5 |
100,0 |
42,9 |
100,0 |
Source: Ministère de l’Agriculture et de l’Elevage,
Service Enquête et Statistiques Agricoles, 1984
Si
la superficie moyenne par exploitation agricole oscille autour d’un hectare, la
dispersion autour de cette moyenne est dans les limites assez variées, ce qui
laisse posé le problème de la miniaturisation prononcée de plusieurs parcelles
agricoles familiales. Le tableau ci-dessus montre que 19,1 % des exploitations
agricoles familiales ont une superficie des terres inférieure à 0.5 ha pour
leur autosuffisance alimentaire. Par ailleurs, la rapidité de la diminution des
terres disponibles à l’échelle des exploitations agricoles pose d’une façon
très aiguë le simple maintien du niveau nutritionnel actuel de la population,
d’autant plus que bon nombre d’exploitations ne disposent déjà plus de la
superficie minimale (110 ares) nécessaire à l’obtention de l’autosuffisance
alimentaire [44].
Cette
situation est aggravé par l’accroissement continu du nombre de jeunes ménages
qui selon la tradition rwandaise, doivent se partager les terres de leurs
parents sous forme d’héritage (IMINANI). Ce partage constitue dores et déjà un
grand handicap pour le développement du secteur agricole en général et pour le
bien être de la majorité de la population paysanne. Il peut être considérer
comme un des freins du développement du monde rural. La distribution par le
Gouvernement FPR, de la réserve naturelle (parc national de l'Akagera) tout
près de la frontière avec l'Ouganda entre les éleveurs tutsi, constitue une
erreur monumentale pour l’environnement. Non seulement le problème de la
pression démographique n'a pas été résolu, mais aussi ce site sera très vite
impropre à l’agriculture et à l’élevage.
L’agriculture
rwandaise, qui est la source principale pour l’emploi, les revenus, les
recettes en devises étrangères, etc., est caractérisée par des techniques de
production traditionnelles et par un faible niveau de productivité. D’autre
part, les tentatives de transformation de l’agriculture ont essentiellement
concerné le secteur des cultures industrielles (exportation) au détriment des
cultures vivrières et de l’alimentation de la grande masse paysanne.
Toujours
par rapport au problème foncier, la Commission Nationale d’Agriculture estimait
à 26.5 % la population dite misérable [45],
c-à-d celle qui avait moins de 1/2 ha. Néanmoins, les misérables ne se
limitaient pas seulement là, puisque tous ceux qui n’avaient pas assez de
terres étaient régulièrement frappés par la famine. A eux s’ajoutaient une
partie non négligeable de ceux qui vivent en villes. En guise d’illustration,
un dénombrement des familles indigentes a été fait par les services
administratifs suite aux disettes de 1990 dans l’une des préfectures les plus
pauvres du pays. Etaient considérés comme indigentes toutes les familles qui
n’arrivaient pas à assurer leur subsistance et avaient des problèmes
alimentaires graves. De ce dénombrement est ressorti que 25 % des ménages de la
préfecture se classaient dans la catégorie des indigents. L’indigence est donc
conçue en terme d’insécurité alimentaire.
De
plus, l’enquête menée par le PDAG [46]
(Projet de Développement Agricole dans la préfecture de Gikongoro) sur la
pauvreté a pu mettre en lumière les principales causes sous-jacentes à
l’indigence dans le milieu rural. Il s’agit entre autre de: 1) des ménages
indigents ont une superficie d’exploitation assez réduite. Ce critère s’est
avéré particulièrement performant puisque plus de 90 % des indigents avaient
moins de 50 ares. 2) un nombre
relativement élevé de membres par rapport aux autres familles. 3) le genre du
chef de ménage est particulièrement important dans la détermination de la
pauvreté: près de la moitié des ménages indigents avait une femme à leur tête.
Ce facteur est assez important, car suite à la guerre, on estime qu’il y a eu
plus de disparus de genre masculin que féminin. Cela va absolument augmenter le
taux d’indigence particulièrement en milieu rural.
D’autre
part, une étude [47]
faite par le Ministère du Plan (Direction Générale de la Planification) a mis
au clair les revenus ruraux par commune et par habitant en 1990 (cfr. annexe
3). Cette étude a montré que le revenu moyen d’un habitant rural s’élevait en
1990 à 10.440 FRW (Un dollar était évalué à 120 FRW). Le revenu rural le plus
élevé par habitant se trouvait dans la commune de Mugesera dans la préfecture
de Kibungo et s’élevait à près de 26.000 FRW, quant au revenu le plus bas, il
se chiffrait à près de 3.500 FRW. Plus de la moitié des communes était en
dessous de cette moyenne. Cette grande dispersion du revenu du paysan autour de
la moyenne montre la faiblesse des sources de revenu du monde rural. Le revenu
le plus grand observé dans la commune de Mugesera en témoigne clairement. Ce
revenu du paysan englobait l’autoconsommation qui était évaluée à plus de 50 %.
Ainsi, une analyse même superficielle de ces chiffres montre que le revenu en
milieu rural restait encore assez marginale pour couvrir tous les besoins du
ménage ce qui hypothèque lourdement son avenir et particulièrement le
développement du monde rural.
Cela
est corroboré par une étude faite dans la commune de Muganza avant l'ajustement
structurel de 1990. Cette étude montre que le revenu annuel médiasn d’un ménage
rural de Kirarambogo ne s'élevait qu’à
près de 27.000 FRW et 50 % n’atteignaient pas ce revenu. D’autre part en
comparant le revenu moyen du ménage calculé par l’Enquête nationale Budget et
Consommation des ménages effectuée en 1983, il semble qu’il y ait eu une baisse
de revenu de 5.000 francs rwandais par an[48].
Ceci montre que le revenu du ménage rural dans cette commune a diminué avec le
temps au lieu d’augmenter ce qui peut être d’ailleurs généralisé pour tout le
pays. Cette situation faisait suite à la crise qui a frappé presque tous le
pays dans les années 1980, crise qui s’est suivi par les programmes d’ajustement
structurel du FMI et de la Banque Mondiale. Il est malheureux de constater
qu’au Rwanda comme dans la plupart des pays pauvres, au lieu d’améliorer les
conditions de vie des populations, ces programmes ont agi dans le sens inverse.
Avec
un taux moyen de croissance annuelle du produit intérieur brut estimé à 2.5 %
par an, le revenu par tête, qui était déjà l’un des plus faibles du monde, est
passé de 300 dollars en 1987 à 270 en 1991. Hormis les effets de la guerre qui
commençaient à se faire sentir, cela a été dû en partie à une forte pression
démographique. Son taux d’accroissement naturel était supérieur à celui du PIB
et était de 3,1 % par an. Les effets destructeurs de la guerre des inkotanyi
ont fait chuter le PIB par tête jusqu'à 80 dollars en 1994. Cette chute
spectaculaire du revenu par habitant, qui ne montre pas évidemment la réalité
de la dispersion de cette variable a eu un impact négatif sur les groupes les
plus vulnérables et sur les régions du pays habituellement moins nanties en production
agricole.
Les
événements tragiques qu’a connus le pays ont ainsi conduit à des conséquences
économiques malheureuses et la reprise des activités exigera une mobilisation
énorme des ressources. A titre d’exemple, les pertes de revenus relatifs à
l’exportation des cultures industrielles en 1994 [49]
(seule source importante de devises), se sont réparties comme suit:
5.900
tonnes de production de café commercialisé contre une moyenne habituelle de
36.000 tonnes,
2.800
tonnes de thé contre 12.500 tonnes.
Les pertes dans le secteur de l’élevage ont été
évaluées ainsi:
75
% des bovins,
90
% des caprins et des ovins et
95
% des porcins et des volailles.
Par ailleurs, le seul Institut de Recherches
Agronomiques du Rwanda (ISAR) a été pillé. Il est devenu un camp militaire
depuis la victoire du FPR en 1994. C'est ça la conception du développement et
de la recherche agricole par les rebelles tutsi.
Dans
le cas de forte pression démographique du Rwanda , caractérisée par un taux d’accroissement
démographique élevé, par une forte densité de population et un faible progrès
technique, le rythme d’augmentation de la production risque dans l’avenir
d’être inférieur à celui de la population. Cela s’est d’ailleurs passé pour la
période 1988-1989 où l’augmentation de la production vivrière n’a pas pu
rattraper l’augmentation démographique naturelle. A cela s'ajoute l'insécurité
qui ne permet pas au paysan de travailler ses terres.
Cette
situation de la production devient préoccupante si l’on considère qu’ une
partie de la population ne dispose pas assez de terres agricoles pour arriver à
son autosuffisance alimentaire. Par ailleurs, les aléas climatiques sont
devenus de plus en plus fréquents et sont très vite ressentis par tout le pays.
C’est pourquoi, à moins que l’effort dans le domaine technologique ne soit
entamé sans tarder pour augmenter la production agricole, le modèle
néo-malthusien pur et dur risque d’être considéré comme la principale
explication de la relation entre la population rwandaise et son environnement.
La situation socio-politique actuelle aggravée par la guerre, semble renvoyer
tout observateur à un pessimisme presque total en ce qui concerne le
développement futur du Rwanda. Le paradigme dominant en matière de population
rwandaise à savoir la version malthusienne semblera ainsi se justifier
davantage.
Pourtant,
malgré la croissance démographique galopante, le monde rural qui est
généralement agricole, avait pu s’adapter aux conditions de plus en plus
difficiles caractérisées par un équilibre alimentaire de plus en plus précaire.
Cette adaptation avait été rendue possible grâce à la paysannerie toujours
prête à s’adapter aux nouvelles conditions de vie: introduction de nouvelles
cultures à haute valeur nutritive, augmentation des superficies cultivées
surtout par l’aménagement des marais,
les migrations internes vers les zones encore moins peuplées, etc. .
Ce
problème de forte pression sur les terres agricoles dans un contexte de
technologie moins performante montre les limites de régulation qui jusqu’à
présent avait pu maintenir les paysans dans le milieu rural. Le problème
fondamental y relatif peut être défini comme une étroite interaction entre la
pauvreté grandissante et les niveaux de productivité dérisoires suite aux
insuffisances relatives des infrastructures économiques et sociales, notamment
les équipements, la recherche, la technologie, etc. Il faut toutefois signaler
que cette adaptation avait un effet négatif sur l’environnement ( déboisement,
mise en valeur des terres marginales avec pour conséquence la dégradation des
sols, etc. ).
Tableau n° 8
Evolution de la production des principales* cultures vivrières
( en
milliers de tonnes )
Année |
Production en % |
1985 |
100,0 |
1986 |
90,2 |
1987 |
90,4 |
1988 |
85,9 |
1989 |
96,2 |
* = (sorgho, maïs, pomme de terre, patate douce, manioc, petit pois, haricot et banane)
Source: Tableau élaboré à partir des données du bulletin statistique
n°17, Janvier 1990
Dans
la mesure où la production vivrière a une croissance presque médiocre, il est
clair que la quantité des produits alimentaires par habitant diminue. Peut on
voir dans cette croissance démographique rwandaise le maldéveloppement du pays?
Certains n’hésitent pas à avancer que le grand remède n’est que la limitation pure des naissances.
D’autres, même avec des idées à prétention scientifique, vont jusqu’à proposer
d’accroître la mortalité en limitant la propagation des techniques médicales et
en considérant comme salutaires quelques « bonnes guerres ». La
guerre imposée au Rwanda dès 1990, n’ayant jamais été condamnée par la
communauté internationale, se situerait-elle dans ce contexte?
Certains auteurs, bien que leur
théorie soit réfutée par plusieurs hommes scientifiques, arrivent même à dire
que la pression démographique peut conduire à de sérieuses régulations
sociétales entraînant même l’autodestruction de la société. Selon le docteur
King [50],
plusieurs pays sous développés semblent être pris dans ce qu’il appelle «le
piège démographique (demographic entrapment)». Cet état se caractériserait
par une série de facteurs relatifs à une grande croissance de la population tel
que: le dépassement de la capacité de surcharge d’une population sur son
écosystème, une insécurité alimentaire irréversible qui n’est apaisée que par
les aides extérieures, etc. Il étaye sa thèse en affirmant que si ces pays ne
réduisent pas leurs taux de fécondité, leur avenir ne reposera que sur des
aides perpétuelles et finalement la solution pour ces populations ne sera que
mourir de faim ou de s’entre-tuer.
En
guise d’illustration, le docteur King se sert du cas du Rwanda pour expliquer
la raison des massacres ethniques qui s’y sont déroulées en 1994. Ce docteur
méconnaît certainement l’histoire du Rwanda. Il ne s’est probablement pas donné
la peine de savoir que les tensions entre les deux ethnies du pays datent même
avant l’idée de la pression démographique en Afrique. Par ailleurs, il oublie
que la guerre qui a ravagé le Rwanda depuis 1990 et dont les massacres de 1994
ne constituent qu’une étape parmi tant d’autres était une guerre imposée au
pays à partir de l’extérieur et non une guerre entre la population intérieure du
pays.
Toutefois,
il est vrai que la forte pression démographique peut constituer dans certains
cas un facteur négatif pour le développement, mais elle ne constitue pas, elle
seule, une condition sine quanun pour expliquer le processus de développement
d’un pays. Notons ici que jusqu'à présent, la facette économique a été toujours
considérée comme le moteur principal de la modernisation et donc de la
prospérité des pays. Par ailleurs, les effets de la pression démographique à un
moment précis ne sont pas éternels. Ces effets de la pression démographique
sont en interaction constante avec d'autres facteurs. Ils peuvent donc évoluer
à n’importe quel moment et dans n’importe quel sens*.
Dans
les conditions socio-économiques actuelles du Rwanda, une mauvaise production
alimentaire et donc un apport nutritionnel insuffisant couplé avec un nombre
assez élevé de membres dans une famille (plus ou moins 6), risque d’entraîner
des conséquences néfastes tel que la mortalité infantile élevée(suite à la
malnutrition de la mère et de l’enfant), la diminution de l’espérance de vie,
la morbidité élevée, la surexploitation des ressources environnementales
(notamment les terres agricoles) etc. Pourtant, même dans de telles conditions
où le développement du pays est momentanément compromis, nous pensons qu’on ne
peut pas parler d’apocalypse démographique.
Il
est difficile de fixer avec précision les normes minimales d’une alimentation
suffisante pour un individu, celle-ci variant avec les autres conditions
matérielles et de travail. Les données statistiques sur la consommation sont
donc incertaines et on peut les utiliser à titre indicatif. Ainsi, la Stratégie
Alimentaire du Rwanda estimait les
besoins énergétiques à 2.100 cal par habitant et par jour alors que pour la
FAO-OMS, ces besoins allaient jusqu’à 2.320 calories/hab./jr[51].
Même si la population a pu s’adapter jusqu’à présent et que la ration
alimentaire en calories avait pu être satisfaisante, avec la pression
démographique seulement, sans même compter que la situation sociale ne permet
pas une augmentation de la production agricole, on risque de tomber en dessous
du minimum nécessaire .
L’accroissement
de la production agricole après 1985 qui a eu tendance à stagner sinon à
diminuer en témoigne beaucoup alors que le taux d’accroissement de la
population s’est maintenu toujours à un niveau élevé ( 3,1 % ).
Selon
des enquêtes citées par l’ONAPO [52]
sur la consommation alimentaire et la situation nutritionnelle au Rwanda, les
carences nutritives se sont particulièrement rencontrées chez les enfants et
les femmes. On estimait alors que près d’un tiers de la population souffrait
d’une malnutrition chronique ou aiguë (malnutrition, avitaminose, carences en
sels minéraux, etc. ).
Le
faible poids observé alors chez les adultes (moyenne de 58 kilos chez les
hommes et 54 kilos chez les femmes) témoignait de l’existence de mauvaises
conditions de vie en général et alimentaires en particulier. Il y avait ainsi
de quoi s’alarmer à propos de la situation nutritionnelle qui somme toute est
restée assez précaire. Avec un taux de croissance démographique de 3,1 %
enregistré ces dernières années, on risque d’arriver à une malnutrition
endémique généralisée. Certes, il faut développer les programmes de développement
de la production alimentaire, mais une politique claire en matière
démographique s’impose aussi. Cette politique ne pourra être bénéfique que si
elle est cohérente avec le développement des autres secteurs socio-économiques
du Rwanda.
C’est
pourquoi il est logique et nécessaire de soutenir l’idée qui est ressorti de la
conférence mondiale sur la population en 1974 selon laquelle le développement
est la meilleur pilule contraceptive. Les pays dits développés sont là pour le
montrer et certains n’ont jamais eu dans leur existence une politique
démographique. Ainsi, parmi les caractéristiques structurelles qu’on peut
considérer comme causes fondamentales du maldéveloppement rwandais, on peut
citer: - une économie essentiellement de subsistance, une base de production
étroite aussi bien en ce qui concerne le volume que la gamme de bien produits,
l’ouverture et la dépendance prononcées vers l’extérieur, etc. Malheureusement,
avec le dépeuplement du pays suite à la guerre, même cette base étroite de
production risque fort de s’effondrer.
Le mécontentement de la population durant ces
deux décennies de la seconde république a été aggravé par le fait que les
responsables politiques mis au gouvernail du pays se sont vite désintéressés de
la chose publique. Au lieu de s'occuper des problèmes réelles qui hantaient le
peuple rwandais (pauvreté, sous-développement du secteur agricole qui occupe
presque toute la population, ...), le pouvoir militaire s'est distingué par
toute une série de malversations financières et d'autres actes contraires à la
gestion d'un Etat digne de ce nom.
· Détournements et autres enrichissements illicites
Dans
tous les pays capitalistes, il est difficile à un pauvre d'accéder au pouvoir
politique. Cette maladie se transmet de plus en plus dans les pays en
développement. C'est peut-être l'une des raisons pour lesquelles les
responsables politiques dans les pays
pauvres se caractérisent de plus en plus par une gestion malsaine des
économies de leurs pays. Comme ils lâchent rarement le pouvoir politique, ils
gèrent leurs économies comme des biens familiaux. Ils ne se préoccupent que
d'eux-mêmes et de leur proche entourage.
En
effet, au moment où la dette de ces pays est devenu un vrai handicap de leur
développement, les experts estiment que le solde de leurs comptes dans des
banques occidentales apurerait facilement cette dette. Le Rwanda n'a pas
échappé à la règle malgré qu'il était bien côté pour sa bonne gestion. C'est
ainsi qu' a émergé une certaine classe bourgeoise autour du président de la
République, caractérisée par une soif démesurée de la richesse fiscale.
Certains* de ces barons, dont la
totalité vient des familles paysannes et pauvres ont déjà même fêté la journée
du milliard (jour où ils ont atteint un milliard de francs rwandais), au moment
où la grande masse paysanne soufflait de tous les maux du sous développement.
Ce sont ces mêmes barons qui, après s'être illicitement accaparé des richesses
du pays, ont développé l'hypothèse selon laquelle le Rwanda était surpeuplé et
ne pouvait accueillir aucun autre rwandais de la diaspora. Ils étaient devenus
des intouchables conseillers du Chef de l'Etat. Cela n'a fait qu'aggraver les
tensions entre les rwandais.
· Culture du chanvre
Tout juste avant la guerre de 1990, le pays a
été accusé de produire et de vendre ce
type de stupéfiant. Organisée par le même noyau au pouvoir, la culture du
chanvre se pratiquait dans la forêt naturelle de Nyungwe sous la surveillance
hautement secrète de ces barons. Les rwandais n'ont jamais su ni le début de ce
projet, ni sa phase de plein rendement. Les revenus de ce projet n'ont jamais
profité au peuple rwandais, ni à l'Etat. Le commerce de ce produit était
organisé en collaboration secrète avec la Direction de l'Office des Cultures
Industrielles du Rwanda (OCIR-Café), qui emballait et expédiait le produit sous
l'étiquette de "Café rwandais". Ce sont les pays étrangers qui auraient
été à la base du démantèlement de ce trafic d'argent sale.
· Organisation d'une tombola et vente des gorilles de montagne
La
loterie dans les pays où elle est suffisamment réglementée constitue un outil
financier qui procure assez de ressources à ses organisateurs (dans la plupart
des cas, c'est l'Etat). Alors que lors d'une réunion des cadres du Ministère du
Plan, nous avions invoqué la possibilité de faire de la loterie nationale une
source de revenus pour combler les caisses de l'Etat frappées par la crise économique
des années 1980, cette possibilité a été écartée. Pourtant, elle a été vite
récupérée par les spéculateurs de la famille Habyarimana, car son fils va
organiser une tombola, mais les heureux gagnants des plus grands lots se
verront accuser de tricherie et ne recevront jamais leurs prix. En réalité, les
organisateurs avaient sciemment fabriqué plusieurs numéros pour les gros lots
convoités, ce qui a laissé planer la vraisemblance des tricheries de la part de
ceux qui avaient pu gagner. Ceux-ci ne recevront jamais leurs prix.
Quant
au commerce des gorilles de montagnes, il fut le résultat d'une conspiration
entre les touristes étrangers et les autorités locales de la préfecture de
Ruhengeri, ces derniers étant sous le commandement aussi des personnes de la
famille présidentielle. C'est ainsi que la citoyenne américaine Diane Fossey
alias Nyiramacibili, qui s'occupait de la protection de ces gorilles, fut
assassiné dans le Parc des Volcans (là où vivent ces gorilles). Les
investigations contre l'auteur de ce crime n'ont pas pu être approfondies et
pour vite clôturer le procès, on attribua le meurtre à un paysan de la région
sans toutefois vouloir connaître s'il y avait un commanditaire.
Afin
de stimuler la production agricole, dès les années d’après l’indépendance, les
dirigeants ont essayé de doter toutes les régions du pays de projets de
développement. Ce fut d’abord les projets de vulgarisation agricoles qui vont
naître. Ces projets vont apprendre au paysan les nouvelles méthodes culturales
et d’élevage intensif. Ils vont se heurter à une résistance plus ou moins forte
des paysans et leurs résultats n’ont pas été visibles immédiatement. En effet,
quelle que soit l’innovation apportée, il est partout et toujours difficile de
changer subitement les habitudes et les mœurs des paysans. Le peu de ressources
humaines qualifiées et d’autres moyens ont été d’abord affectés surtout dans la
production des cultures d’exportation alors que les cultures vivrières qui
faisaient vivre la majorité de la population n’attiraient l’attention de
personne.
C’est
vers les années 1980 que vont venir les projets dits de développement rural
intégré. La philosophie de ces projets était multiple. Ils dépendaient officiellement
du département chargé de l’agriculture avec un volet agricole, mais ces projets
s’occupaient également d’autres volets hors agricole tel que les
infrastructures routières, les adductions d’eau, la création de coopératives,
l’amélioration de l’habitat, etc.
La
multiplicité de ces projets fera que le Rwanda va être considéré comme un pays
choyé par les aides. Je cite: le Rwanda « devenu vitrine de l’aide
internationale; va être bientôt couvert d’innombrables projets de développement
(essentiellement ruraux): plus de 130 en 1985, ... soit un projet pour environ
40.000 habitants » [53].
Ce propos, rédigé apparemment sans arrière pensée, mérite une analyse qui nous
a amené à conclure qu'il faut nécessairement y porter un regard double. En
effet, il faut bien distinguer l'existence quantitative de ces projets d’une
part et leur impact sur la vie des populations locales de l’autre part, tout en
mettant en exergue leur efficacité et leur efficience. La présence des
bailleurs de fonds étrangers dans une région, souvent même avec des fonds
énormes, n’implique pas automatiquement l’élévation du niveau de vie de la
population concernée. A ce sujet, J. P. Chrétien écrivait ceci à propos du
Rwanda: « Aucun pays africain ne compte autant de coopérants, de volontaires et
de missionnaires au km². ....., la coopération internationale inhibe les
initiatives locales, infantilise les populations, alimente une mentalité
d’assisté. Elle entretient l’idéologie du développement pour garantir le marché
» [54]. Les
projets dits de développement dans les pays sous-développés seraient-ils un des
moyen de lutte contre le chômage toujours en croissance dans les pays
développés? La réalité est-elle que les coopérants se taillent la bonne part
sur l'enveloppe financière de ces projets. Par ailleurs, l’évaluation de la
plupart de ces projets de développement ruraux au Rwanda a montré qu’ils se
sont soldés par des échecs. Le problème est de savoir alors "le
pourquoi" de cette situation.
Les
projets de développement rural au Rwanda ont d’abord noyé le volet agricole
dans les autres activités. Les réalisations du projet étaient souvent
concrétisées presque seulement par les infrastructures non agricoles, le volet
agricole étant plus difficile à exécuter convenablement. Il faut également souligner
que l’échec de ces projets a été lié aussi bien à leur préparation qu’à leur
exécution. En réalité, les études de tous ces projets avaient été faites par
les bureaux d’études étrangers, souvent sans aucune participation du personnel
national et les réalités locales étaient souvent négligées. En plus, les
projets multisectoriels avaient beaucoup de financement (enveloppe budgétaire)
tellement que la gestion des fonds laissait à désirer. Le pays n’avait pas
également assez de cadres nationaux compétents pour diriger de tels projets,
etc. Il est aussi à signaler que certains bailleurs de fonds, surtout les
bilatéraux, se sont distingué par un manque de transparence dans la gestion
(surtout financière) de tels projets.
L’expérience
malheureuse de ces projets multisectoriels a participé à la création d’une
méfiance chez les dirigeants et les bailleurs de fonds et on se tourna vite
vers les projets à une spéculation bien précise. C’est ainsi que sont né les
projets comme: projet de la pomme de terre, projet maïs, projet manioc, etc.
Apparemment, cette approche de projet a eu des effets positifs sur
l’augmentation de la production puisque l’objectif était bien ciblé, mais aussi
parce que les autres ressources étaient bien canalisées.
Toutefois,
quelles que soient les performances ou les lacunes enregistrées, tous ces
projets se sont butés au problème de la miniaturisation des exploitations
familiales. Malheureusement, ce problème n’a jamais été la principale
préoccupation d’aucun projet. Cela relevait probablement du fait que la plupart
de ces projets avaient été préparé à l’extérieur et le pays se trouvait
financièrement mal placé pour refuser ou réorienter un projet d’un bailleur de
fond considéré comme un don. A cela s’ajoutait le fait que le problème de la
réforme agraire a été toujours considérée comme pouvant avoir des retombées
graves et non souhaitées (dépossession de terres aux petits propriétaires
terriens, apparition de nouvelles classes sociales, etc.) sur la société
rwandaise et a été malheureusement laissée à la discrétion du gouvernement qui
n’a pas lui aussi voulu se prononcer là-dessus.
La
volonté manifeste des nouvelles autorités de Kigali de garder le plus longtemps
possible une partie assez importante de la population hutu à l’extérieur du
pays, faisait-elle partie de la politique agraire du nouveau pouvoir tutsi?
Cela paraissait probable, mais la présence de tant de hutu aux frontières
menaçait aussi leur sécurité et c'est l’une des raisons pour lesquelles ils ont
choisi de démanteler les camps des réfugiés en attaquant le Zaïre. Ceci montre encore la préoccupation majeure des
nouveaux maîtres de Kigali. D'abord, il fallait vaincre la peur rendue
omniprésente à la fois par la présence des hutu réfugiés aux frontières du
Rwanda et par une cohabitation involontaire mais sans choix des deux ethnies à
l'intérieur du même territoire, et ensuite s'occuper des projets de
développement. Le premier but étant un objectif à long terme, il bloque et même
contrarie le second.
D’une
manière générale, et en dépit de tous ces projets, la production vivrière
globale durant la dernière décennie a été plus ou moins stable à part quelques
coupures dues à l’effet conjugué des conditions climatiques défavorables et au
caractère extensif de l’agriculture. Ce constat s’est amélioré pour l’élevage
où le développement de l’élevage bovin moderne avec la production du lait par
exemple dans les laiteries était jugée satisfaisante. Les quatre principales
laiteries du pays produisaient 3.6 millions de litres de lait en 1988 contre
3.1 en 1987 soit une augmentation de 17.7 % en une année[55].
Pourtant,
on ne peut pas non plus dire avec certitude que la situation plus ou moins
stable de la production agricole est une conséquence inévitable d’une
quelconque action gouvernementale en faveur du monde agricole. Les chiffres
suivants montrent que tout reste à faire dans le domaine de l’intensification
agricole. En effet, en 1985, le Rwanda était parmi les derniers pays du monde
utilisant le moins d’engrais et encore ce peu d’engrais était principalement
réservé aux cultures industrielles.
Rwanda: 1,3 kg d’engrais
minéraux par hectare de terre arable
Ethiopie:
3,3 kg
Sénégal: 4,7 kg
Inde: 33,8 kg
France:
298,4 kg
Belgique: 490,2 kg
De
1962 à 1981, les cultures de rapport ont accaparé 33,7 % du financement total
réservé aux projets agricoles et les cultures vivrières n’ont eu que 0,90 % de
ce montant [56]. Les
maux de l’agriculture rwandaise semblent apparemment être connus, il reste une
planification rigoureuse de la part des dirigeants et des bailleurs de fonds,
qui devraient comprendre que l’achat d’un kilogramme d’engrais vaut mieux qu’un
kilogramme d’explosifs. L’intérêt de la grande masse paysanne devrait ainsi
passer avant leurs propres intérêts.
De même, l’évolution du crédit bancaire par
branche d’activité ainsi que la part réservée au secteur agricole dans le
budget de développement montrent que la
politique poursuivie jusqu’à présent en matière agricole n’a jamais été assez
encourageant pour un agriculteur.
Tableau n° 9
Part de l’agriculture dans le crédit bancaire et le budget de
développement
( mios de FRW )
Année |
Crédit bancaire |
Budget de
développement |
||||
|
Total |
Agriculture* |
% |
Total |
Agriculture |
% |
1985 |
16.277,7 |
451,0 |
2,8 |
3128,5 |
409,8 |
13,1 |
1986 |
15.337,3 |
637,2 |
4,2 |
3288,2 |
557,9 |
17 |
1987 |
16.542,2 |
808,6 |
4,9 |
3640,1 |
655,3 |
18 |
1988 |
20.755,2 |
987,6 |
4,8 |
4303,9 |
675,4 |
15,7 |
1989 |
23.284,1 |
988,0 |
4,2 |
3704,8 |
611,2 |
16,5 |
1990 |
20.348,9 |
473,0 |
2,3 |
- |
- |
- |
* Agriculture comprend l’élevage, la chasse, la pêche et la sylviculture mais sans l’agro-industrie
Source: Tableau élaboré à partir des données du Ministère du Plan:
Bulletins statistiques, 1987 et 1990.
Toujours
est-il que dès 1987, le Rwanda a été confronté à de sérieuses difficultés
économiques et financières liées essentiellement aux effets combinés de
plusieurs facteurs dont la chute des cours mondiaux du café qui est le
principal produit d’exportation, des conditions climatiques défavorables, etc.
Suite à la baisse sensible du produit intérieur brut en termes réels par
habitant, le bien-être de la population rwandaise a commencé ainsi à se
dégrader [57]. Le
secteur privé ne pouvait plus créer assez d’emplois pour compenser les défaillances
apparues dans le secteur public et la production alimentaire par tête a chuté
entraînant une insécurité alimentaire.
Etant
donné cette évolution de la situation agricole (miniaturisation des parcelles
agricoles suite à la pression démographique, limites de l’adaptation de la
population, augmentation de la pauvreté et du nombre de personnes frappées par
la malnutrition, etc.) et dont les paramètres actuelles laissent un certain
pessimisme, les tentatives de garantir à tous les rwandais quelque chose
d’aussi essentiel que les aliments nécessaires afin qu’ils puissent épanouir
leurs potentialités et jouir pleinement de la vie risque dans l’avenir d’être
un voeux pieux. En août 1995, soit plus d’un an après la prise du pouvoir par
les anciens réfugiés tutsi, les rwandais devaient encore s’aligner sur la queue
afin de bénéficier de boîtes de conserves comme aide alimentaire.
Si
avant la guerre, la crise alimentaire frappait de temps en temps la population,
certaines minorités proches du pouvoir faisaient pourtant une consommation
effrénée et vivaient à l’occidentale. Dans un pays où la population ne mange
pas à sa faim, cela constituait une contradiction et un scandale du
développement. Au moment où l’inflation battait son record tout juste après la
guerre, la même maladie se reproduisit dans la classe au pouvoir. En effet,
après une montée raisonnable des prix en 1990 due au programme d’ajustement
structurel, les prix des principales denrées alimentaires ont flambé suite à
l’effet de la guerre surtout depuis 1994 (cfr. annexe 7). En comparaison avec
1990, ils se sont multiplié par plusieurs fois, rendant ces produits
difficilement accessibles à une grande partie de la population (haricots: 196
%, sorgho: 286 %, lait en poudre: 347 %, riz: 186 %, viande: 250 % , pomme de
terre: 333 %, patate douce: 150 %).
Tableau n° 10
Evolution
des prix des principaux produits alimentaires
(
RW/ kilo)
Année |
1987 |
1990 |
1995* |
1997* |
Haricots |
40 |
51 |
100 |
250 |
Sorgho |
28 |
35 |
100 |
|
Lait (poudre) |
250 |
375 |
1300 |
1500 |
Riz |
98 |
118 |
300 |
300 |
Viande |
180 |
240 |
600 |
1000 |
Pomme de terre |
16 |
18 |
60 |
100 |
Patate douce |
15 |
20 |
30 |
40 |
* Prix sur le marché
de Kigali
Dans
les pays développés, la surface cultivable par agriculteur (fermier) constitue
un indicateur de développement technique et a augmenté de 1965 à 1978 de moins
de 6 hectares à 9 hectares. Au Rwanda, c'est le contraire. Elle continue de
descendre jusque dans les limites de moins d'un hectare [58].
De même, la mécanisation reste nulle. Si
pour augmenter la production, l’Etat comptait sur l’aménagement des terres qui constituaient les dernières
réserves agricoles du pays (les marais par le drainage ou l’irrigation), ces
espoirs se sont actuellement estompés. En effet, les études d’aménagement des
grands marais du pays (Nyabarongo et les marais du Mutara) étaient avancées et
on espérait dans le court terme avoir plus de trois récoltes par an dans ces
marais. L’irrigation des vallées du Mutara, dont le financement extérieur était
déjà acquis, devait démarrer avec l’année 1990.
Avec
le conflit ethnique qui continue de déchirer le pays ainsi que la
désorientation de la paysannerie entre autre par une appropriation gratuite de
ses biens, la modernisation de l’agriculture risque d’en être victime. Sans
aucune organisation des structures socio-économiques internes et sans progrès
technique et scientifique, l’échec dans le domaine agricole suivi par les
famines seront prévisibles dans le court terme au Rwanda. Déjà, depuis juillet
1994, date à laquelle les inyenzi-inkotanyi ont pris le pouvoir, l'élimination
presque systématique des hutu s'est répercutée sur la production agricole. En
effet, la peur qui guette les agriculteurs hutu ne leur permet pas de
travailler dans les champs. Dans certaines préfectures, plusieurs ménages hutu
ont été décimés et remplacés par les nouveaux venus tutsi. C'est le cas de la
préfecture de Kibungo, pourtant reconnue comme véritable grenier national en
approvisionnement de bananes et qui maintenant, ne peut même pas satisfaire aux
besoins familiaux. Les squatters tutsi ont laissé les bananeraies vieillir dans
des brousses et la production a trop chuté. Actuellement, du point de vue alimentaire,
le Rwanda est tout à fait tributaire de son voisin du nord, l'Ouganda.
D'ailleurs, sur le plan économique, le Rwanda de Kagame fonctionne comme un
territoire à part entière de l'Ouganda. C'est le rêve de Museveni qui s'est
réalisé. Il a imposé au Rwanda une guerre qui a éliminé une partie importante
de sa population et les survécus sont actuellement sous sa domination.
Entre
1960 et 1991, la proportion de la population rurale est passée de presque 100 %
à 95 %, mais en termes absolus, elle est passée de 3 millions à 6,8 millions
d’individus. La pression de la densité physiologique est passée de quelques
dizaines à 372 habitants par kilomètre carré en 1991. En admettant que la
population décimée par la guerre a été remplacée par les anciens réfugiés tutsi
qui sont rentrés, on arrive à l’an 2000 avec une population de 9.126.992
personnes*, avec une densité de 487
soit 115 personnes au kilomètre carré de plus qu’en 1991.
Le
massacre des populations rurales hutu qui s'est longtemps poursuivi après la victoire
du FPR, le manque de confiance entre les nouvelles autorités et la population
rurale à majorité hutu, l'accaparement des terres des hutu par les tutsi sans
tenir compte du cadastre, la volonté manifeste des ex-réfugiés tutsi de vivre
principalement dans les villes, la guerre du maquis que les hutu tenteront de
mener, ..., tels sont les facteurs qui risquent de créer une crise
socio-économique (dont la famine perpétuelle) sans précédent dans le pays.
Du
point de vue purement agricole, l’agriculture de subsistance avec les anciennes
méthodes culturales, la miniaturisation des parcelles agricoles malgré une
diminution déjà prévisible de l'effectif de la population, la surexploitation
des sols, etc., tels sont quelques facteurs qui vont diminuer la production
agricole et aggraver la situation alimentaire dans le pays.
L’évolution
de la population rwandaise selon les projections faites par l’Office National
de la Population - ONAPO [59]
(trois scénario furent envisagés: scénario 1: sans planning familial (PF),
scénario 2: avec PF efficace, scénario 3: PF optimiste) montre que même dans
l’hypothèse la plus optimiste, avec un planning familial très élevé, la
population rwandaise allait pratiquement doubler entre 1981 et l’an 2.000. Les
scénarios avec planning familial efficace ou sans planning familial donnaient
aussi des effectifs plus élevés de la population, mais aucun scénario ne tenait
compte de la guerre fratricide qui allait décimer presque tout le peuple
rwandais. A cela s'ajoute l'expansion meurtrière du sida dont la transmission
après la victoire du FPR a été soupçonnée comme une nouvelle arme de guerre antiethnique.
Dans
l'hypothèse où presque tous les réfugiés hutu de 1994 allaient être tous
rapatriés, où les disparus à cause de la guerre de 1994 allaient être remplacés
par les réfugiés tutsi d’avant 1990, les projections de l’ONAPO pouvaient
rester valables pour l’an 2.000. Si en 1978, seules quelques collines
dépassaient les densités de 300 habitants, presque tout le pays dépassait cette
densité en 1991 et dans plusieurs régions, on atteignait plus de 600 habitants
par kilomètre carré. De même, si en 1984, on comptait une moyenne de 1 hectare
par exploitation agricole familiale, il va de soi que cette superficie avait
diminué en 1990 et il y a encore de quoi s’indigner quant à l’évolution future
de cet indicateur. Toutefois, il faut reconnaître que les massacres à grande
échelle de la population civile hutu n'ont jamais cessé depuis la prise du
pouvoir par les tutsi. Cette situation fait croire que les projections
démographiques antérieurement faites sont aujourd'hui caduques. La volonté
apparente des nouvelles autorités de Kigali d'entretenir un climat d'insécurité
dans le pays tout en diminuant en douce l'effectif des hutu, ferait-elle partie
de la nouvelle politique démographique et agraire du FPR?
La
hausse probable de la fécondité après la guerre de 1994 couplée avec une
mortalité élevée, surtout la mortalité infantile, laisse penser à une
diminution des effectifs projetés çi-haut. Cela paraît vraisemblable dans la
mesure ou toute l’économie du pays a été détruite et donc la hausse du niveau
de vie de la population n’est pas envisageable dans le moyen terme.
Dans
le but de pouvoir réaliser ou maintenir le développement, il est nécessaire
d’assurer l’éducation, la santé, le bien-être à la population afin que celle-ci
puisse participer pleinement à ce processus. C’est ainsi que depuis
l’indépendance, l’éducation a été toujours considérée comme un des secteurs clé
nécessaire pour le développement du pays. Durant la première décennie après la
révolution sociale de 1959, le secteur éducatif fut l’un des domaines auquel le
gouvernement allouait plus de ressources financières. Le tableau ci-dessous,
qui montre la répartition du budget ordinaire entre les principaux départements
ministériels entre 1985 et 1988 est on ne peut plus clair.
Tableau
n° 11
Dépenses du budget
ordinaire (mios FRW)
|
1985 |
1986 |
1987 |
1988 |
Présidence |
942,6 |
1013,4 |
1196,5 |
554,4 |
Défense |
2758,2 |
3081,0 |
2907,0 |
3115,4 |
Affaires étrangères |
1161,0 |
1409,3 |
1158,1 |
832,3 |
Finances et Economie |
2749,1 |
4368,6 |
5009,5 |
6091,2 |
Justice |
1026,2 |
989,4 |
1029,9 |
1009,6 |
Santé |
1256,0 |
1311,6 |
1399,4 |
910,1 |
Travaux Publics |
1188,8 |
1557,6 |
1909,4 |
1470,4 |
Education |
5036,2 |
5801,5 |
5977,7 |
5886,8 |
Reste |
- |
- |
- |
- |
Total |
18493,9 |
22076,9 |
23226,9 |
22580,5 |
Education/Total (%) |
27,2 |
26,3 |
25,7 |
26,1 |
* Education correspond au départements de l’Enseignement Primaire et Secondaire + celui de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique
Source:
Tableau élaboré à partir des données du Ministère du Plan, Direction Généralede la Conjoncture Economique
Ces
chiffres, pris en considération sous le régime de la deuxième République,
montrent bien l’importance accordée à l’éducation où ce secteur accaparait
presque un tiers de tout le budget ordinaire. A ce budget du Ministère de
l’Education, il faut ajouter les dépenses réservées à l’alphabétisation
fonctionnelle qui, elles, dépendaient du département de l’Intérieur. C’ est
dans cette optique que les dirigeants du pays espéraient qu’un bon niveau
d’éducation devait permettre d’améliorer les conditions de vie de la population
et avoir un impact favorable sur les différentes variables de la population tel
que la mortalité infantile, etc. . C'est
le développement social qui était considéré comme la véritable locomotive de
tout autre forme de progrès. Voilà une politique de développement qui, s'elle
avait reçu tout l'appui nécessaire des dirigeants, pouvait conduire vers un
vrai épanouissement du peuple rwandais.
Bien
qu’un effort louable ait été mené dans ce secteur, les autorités n’ont pas
maximisé les avantages que le pays pouvait tirer du développement optimal de ce
secteur. En effet, le Rwanda étant un pays dont l’économie est essentiellement
basée sur l’agriculture, nous pensons qu’une stratégie bien élaborée en matière
de formation tout azimut pouvait faire du pays un réservoir de main d’oeuvre
qualifié aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays. Hormis que cette
stratégie allait permettre d’augmenter les recettes venant de l’extérieur, elle
pouvait influencer aussi la régulation de la population en favorisant certaines
variables comme la migration.
Suite
au fort rajeunissement de la population rwandaise après l'indépendance,
essentiellement dû à la baisse de la mortalité et à l’amélioration relative des
conditions de vie, le problème d’éducation s’est fait sentir avec
l’augmentation des charges éducatives pour la communauté et pour la famille.
Les autorités ont alors pensé en 1979? à une entreprise à haut risque de
réformer l’enseignement. Ceci faisait suite à ce que le pays n’était plus
capable de trouver du travail pour les jeunes surtout ceux du milieu rural.
Cette stratégie visait à les aider à acquérir une formation pratique capable de
les aider à se débrouiller après l’école primaire. Malheureusement, le problème
de l’intégration socioprofessionnelle des jeunes déscolarisés s’est soldé par
un échec. Le système éducatif réformé a été longtemps décrié par les parents
malgré le soutien ferme de certaines autorités à cette réforme. En réalité,
cette réforme profitait à une minorité privilégiée et non à la population.
Si les enfants de la masse paysanne étaient
obligé de commencer l’école à 7 ans dans les institutions scolaires publiques
et qu’ils terminaient le cycle du primaire à 15 ans, plusieurs enfants issus
des classes privilégiées fréquentaient les écoles privées où l’âge et le
programme scolaire correspondaient aux exigences de l’école en Occident. Pire
encore, la construction dans tout le pays de milliers d’ateliers pour
l’apprentissage des métiers techniques (CERAI) s’est accompagné par des
détournements énormes au profit des initiateurs de cette réforme. Cela n'a fait
que amplifier le mécontentement de la part des parents.
Selon
l’Office Nationale de la Population (ONAPO), le rythme de la demande sociale en
matière de scolarisation et d’emploi pour les jeunes a augmenté plus vite que
les autres ressources y relatives. C’est ainsi qu’en 1978, dans la ville de
Kigali, les besoins en terme
d’infrastructures et de maîtres étaient loin d’être satisfaisants. Si on
voulait scolariser tous les enfants, chaque classe devait contenir 93 élèves.
Cette situation se remarquait aussi dans toutes les autres communes du pays [60].
Si
depuis 1962 à 1985, la population scolarisable oscillait autour de 20 à 23 % de
la population totale, nous pensons que cette proportion dans la suite a aussi
augmentée et que les efforts pour s’occuper de cette jeunesse se sont
parallèlement accrus. La population effectivement scolarisée s’est multipliée
par plus de 2.5 pour la même période et le taux de scolarisation est passé de
55 à 60 % (cfr. tableau n° 12). Concernant le nombre de maîtres d’écoles, il a
triplé passant de 5104 à 14896 et celui des écoles et salles de classes a
stagné tandis que celui des classes est passé de 8.861 à 20.151. C’est ainsi
que le système de double vacation institué peu après l’indépendance, avec dans
ses objectifs l’utilisation maximum des salles de classes a été d’une
importance capitale en ce qui concerne la scolarisation des enfants.
Depuis
l’indépendance, l’enseignement primaire a été officiellement considéré comme
gratuit et obligatoire. Ce caractère obligatoire de l’enseignement est pourtant
resté dans les discours, car la pratique s’avérait autrement. En effet, les
parents ont été amené à participer aux différents frais relatifs à la
scolarisation de leurs enfants (achat d’uniformes obligatoires, achat de
matériel scolaire, participation à la construction des écoles, etc. ).
Avec
le nombre d’enfants qui augmentait d’année en année et suite à la
nationalisation du système de l’enseignement en 1966, les moyens de l’Etat sont
devenu de plus en plus maigres. L’Etat n'a pas voulu directement libéraliser
l’enseignement puisqu’il voulait absolument contrôler ce secteur. Dans les
faits, l’Etat a peu à peu transféré les charges aux parents et les seuls frais
restés à la charge de l’Etat étaient les salaires des enseignants. Cette
situation est devenue grave dans les écoles secondaires malgré que l’effectif
était encore moindre par rapport au niveau primaire.
Les
banques populaires, qui étaient la seule institution financière à travailler
réellement avec la grande masse populaire, ont profité de la conjoncture pour
mettre en place un système de crédit-école. C’est grâce à ce crédit, qui
fonctionnait surtout à la rentrée des écoles, que les parents parvenaient à
couvrir l’essentiel des frais scolaires de leurs enfants. Signalons qu’en
général, presque chaque commune sur les 145 du pays avait au moins sa banque
populaire* . On dénombrait 129
succursales des banques populaires en 1991. Est ce que ce réseau des banques
populaires pourra un jour retrouver ses performances d'avant 1994? De même que
pour les écoles secondaires privées, dont les membres fondateurs ne sont plus
là, les membres fondateurs de cette coopérative n'ont plus aucun mot sur sa gestion.
Cette institution risque fort de devenir un puits de fonds pour les vainqueurs.
L'expérience de la TRAFIPRO devrait servir d'exemple.
Malgré
que l’épargne de la majorité des rwandais (les agriculteurs) restait faible,
ces banques arrivaient à abriter un montant assez important arrivant dans les 5
milliards de francs rwandais [61]
en 1992. Une partie non négligeable de ce montant était dans les succursales
des banques populaires de la ville de Kigali où presque tous les fonctionnaires
et les commerçants (petits et moyens) épargnaient leurs revenus. Ces banques
pourront-elles se doter d'un statut privé les rendant ainsi autonomes de
l'administration publique? Si la Coopérative TRAFIPRO a été la vache à traire
pour les barons du régime Habyarimana et qu'elle a cessé de fonctionner avec
l'arrivée au pouvoir des INKOTANYI, c'est par ce que l'Etat s'est immiscé trop
dans les affaires des coopérateurs, jusqu'à dépasser ses limites dans une
institution coopérative. La coopérative TRAFIPRO s'est confondue avec l'Etat
d'où les représentants de l'Etat ont profité pour l'utiliser dans leurs
profits. Si on veut laisser les banques populaires se développer, il faudra
absolument tenir compte de cette expérience malheureuse de sa grande soeur: la
TRAFIPRO. L'Etat devrait être mis hors de la gestion quotidienne de cette
coopérative et dans l'avenir, la séparation de l'Etat et des coopératives
devrait être comme une loi.
Afin
de pallier aux maigres moyens de l’Etat alloués à l’enseignement secondaire
(seuls 10 % des élèves qui terminent le cycle du primaire parviennent à aller
au secondaire après un examen officiel), les parents se sont vite organisés
pour créer leurs propres écoles (écoles des parents). Avant la guerre, la
majorité des communes avaient leurs écoles privées ou toutes les dépenses
étaient couvertes par les parents. Les communes qui n’avaient pas d’écoles secondaires privées s’associaient pour en
créer. Cette situation avait été jugé de révolutionnaire et de positive car la
création des écoles des parents compensait les défaillances de l’Etat en ce qui
concerne le favoritisme de quelques individus ou familles en rapport avec
quelques places disponibles au niveau du cycle secondaire. Les parents ne demandaient
qu’à l’Etat de reconnaître officiellement leurs écoles. La croissance ainsi
forte de la population a causé l’augmentation rapide des effectifs
scolarisables entraînant une demande assez élevée de moyens en matière de
scolarisation. L’Etat ne parvenant pas à satisfaire ces besoins, les parents
ont été amené à adopter leur stratégie en matière d’enseignement qui finalement
demandait d’être soutenu par les pouvoirs publics si ceux-ci tenaient à un
développement équilibré de ce secteur. La deuxième république avait instauré un
système de quota ethnique qui, même si elle est sujette à pas mal de critiques,
permettait aux tutsi de fréquenter l’école à une proportion dépassant leur
pourcentage par rapport à la population totale. Il est regrettable qu’à l’heure
actuelle, l'école rwandaise souffre de tous les maux (manque d'enseignants,
manque de matériél et de locaux, des considérations ethniques ne manquent pas
surtout à l'école supérieure, ...). Cette situation allait être dépassée avec
la révolution sociale de 1959. On est donc entrain de faire volte face.
Tableau n° 12
Quelques statistiques de la population et de l’enseignement primaire
|
1962 |
1972 |
1982 |
1985 |
1989 |
Population rwandaise (mios) |
2,9 |
4,0 |
5,5 |
6,1 |
6,7 |
Taux de croissance (%) |
3,2 |
3,2 |
3,5 |
- |
3,1 |
Population scolarisable (mios) |
0,58 |
0,83 |
1,3 |
1,4 |
- |
Population scolarisée (mios) |
0,32 |
0,40 |
0,75 |
0,84 |
1,0 |
Taux d'accr. de la pop. scolarisable (%) |
2,2 |
6,4 |
3,8 |
- |
- |
Taux de scolarisation (%) |
55 |
48 |
58 |
60 |
- |
Nombre de maîtres |
5104 |
7586 |
13590 |
14896 |
17921 |
Rapport élèves/maître |
61 |
52 |
54 |
56 |
57 |
Source: Tableau élaboré à partir des données du
MINEPRISEC, du MINIPLAN et de l’ONAPO
Ce
tableau montre que le taux d’accroissement de la population est resté assez
grand (plus de 3 %) depuis les années 1960-1990. Le taux d’accroissement de la
population scolarisable s’est lui aussi accéléré et a même dépassé le taux
d’accroissement de la population. Ceci implique une augmentation des ressources
dans le secteur de l’enseignement (ressources matérielles, ressources humaines,
moyens financiers, etc. ) et peut être considéré comme la raison principale qui
explique la montée des dépenses allouées à ce secteur.
N. B. L'IMVAHO n° 1491 avril 2003 publie les
chiffres suivants: Pour l'année 2002
-Nombre
d'écoles secondaires: 393 dont 185 écoles secondaires de l'Etat ou libres
subsidiées et
208
écoles libres
- Nombre d'élèves: 157.210
élèves
Nul
n’est sans doute sans ignorer que les sociétés traditionnelles ont été toujours
caractérisé par un analphabétisme assez élevé. Le Rwanda n’a pas échappé à
cette règle et c’est seulement au début de ce 20e siècle que les premiers
missionnaires européens vont fonder les premières écoles dans le pays.
Dans
le domaine social, c’est grâce aux premiers lauréats de l’école que la
dénonciation des injustices a été entamée et s’est soldée par la révolution
sociale de 1959. Parmi les acquis indiscutables de cette révolution, la grande
masse a eu l’occasion aussi de fréquenter l’école et l’alphabétisation
fonctionnelle dans les communes rurales a été menée. Le chemin à faire reste
encore long, car 50 à 60 % seulement de la population rwandaise savent
actuellement lire et écrire.
Mettre
en exergue les effets de l’éducation sur le développement du Rwanda s’avère une
tâche assez complexe. En effet, l’éducation tellement joue sur plusieurs
activités socio-économiques que chaque activité mérite une recherche
approfondie. Ainsi, plusieurs théoriciens s’accordent à dire et nous pensons
que cela reste vrai aussi pour le Rwanda, que l’éducation joue beaucoup sur le
marché du travail en tant que source de main d’oeuvre qualifiée. Par ailleurs,
l’éducation jouerait un rôle assez important dans la diminution de la fécondité
ainsi que dans l’urbanisation. A notre avis, étant donné que l’éducation n’est
jamais neutre et qu’elle véhicule des valeurs parfois contradictoires avec les
réalités locales, toutes ces relations (éducation avec les autres secteurs)
méritent des études particulières pour chaque pays afin de pouvoir révéler les
particularités éventuelles avant de les prendre comme des réalités à l’échelle
plus large. Toutefois, il semble être universellement reconnu que l’éducation
ou la formation en général est une composante du bien être de l’individu.
Au
Rwanda, l’augmentation rapide de la population s’est suivie d’un effectif assez
élevé de la population à scolariser. Pour créer l’harmonie entre la croissance
de la population et celle de la population scolarisable, il a fallu chaque fois
s’adapter à la croissance des charges supplémentaires liées à l’éducation, mais
les besoins n’ont pas pu être totalement couverts. Les données disponibles
montrent que le pays n’a pas pu s’adapter à ce rythme et l’analphabétisme reste
encore à combattre. Il faudra encore plus d’investissement dans ce secteur si
nous voulons que tous les rwandais jouissent réellement des bienfaits de
l’école. Malheureusement, avec l’insécurité qui règne dans le pays et qui est
liée au problème ethnique, la population a du mal à envoyer leurs enfants à
l’école.
Toutefois,
malgré des situations basses qu’a vécu le secteur de l’enseignement national,
il faut reconnaître que le Rwanda avait connu beaucoup de progrès en la matière
suite au soutien appréciable apporté au secteur par les divers gouvernements
qui se sont succédé après l’indépendance. Le système s’est buté à une trop
grande croissance démographique mais aussi à plusieurs autres éléments
socio-économiques mal maîtrisés dont la prise en considération est actuellement
nécessaire pendant la planification de ce secteur. Ces imprévus ont ainsi
augmenté les charges( paupérisation accrue du monde rural, nombre insuffisant
d’établissements scolaires surtout au niveau du cycle secondaire).
Il faut également souligner la part de la
femme dans la scolarisation et le développement du Rwanda. En effet, la femme
rwandaise joue un rôle primordiale dans la vie socio-économique du ménage.
C’est elle qui s’occupe plus de la moralisation des enfants, de la gestion
journalière de l’économie de la famille, etc. . C’est pourquoi l’éducation de
la femme rwandaise influence directement
l’état socio-économique de sa famille. En raison de multiples freins
d’ordre sociologique ou religieux, l’éducation de la femme rwandaise avait été
retardée peu après l’indépendance, et le rattrapage entre les deux sexes est
actuellement en train de s’opérer malgré beaucoup de difficultés. Selon les
chiffres cités par l’UNICEF [62]
en 1990 le pourcentage d’analphabétisme s’élevait à 50 % pour les hommes alors
que pour les femmes elle revenait à 52 %.
Le
problème de l’enseignement ou de la scolarisation de tous les enfants rwandais
reste un problème assez préoccupant face aux problèmes identifiés çi-haut. Avec
la crise de l’économie mondiale des années 1990 et l’avènement des programmes
d’ajustement structurel, le revenu de la majorité des pays en développement
s’est détérioré et déjà au Rwanda, on avait commencé de demander une
participation accrue des parents dans la scolarisation de leurs enfants. Pourtant,
les réalisations en matière de scolarisation restaient encore inférieures aux
objectifs initialement attendus.
La
lutte contre l’analphabétisme initiée par un programme de l’UNICEF s’est soldé
aussi par des résultats moins brillants. Avec la guerre lancée en 1990, presque
tous les programmes en la matière ont tourné au ralenti et même dans les zones
touchées, ils se sont arrêté. Les locaux scolaires ont été abîmés sinon
détruits, le matériel scolaire a été saccagé, plusieurs élèves ainsi que leurs enseignants
ont fui à l’extérieur du pays. L’UNICEF ainsi que les autres bailleurs de fonds
ont essayé de donner l’essentiel pour que les enfants puissent s’occuper à
l’école. Les places dans l’enseignement (enseignants) ont été vite récupérées
par les nouveaux réfugiés sans tenir compte de leur qualification.
Si
même dans les conditions normales, les difficultés de changer un programme
scolaire dans l’intérêt de ceux qui le suivent étaient énormes, les programmes
ont été très vite revues. Certaines des écoles des parents ( privées ) dont la
plupart étaient des écoles secondaires ont été transformé en casernes (camps
militaires du FPR). Pourtant, ce sont ces écoles des parents qui avaient aidé
l’Etat à augmenter l’effectif des élèves du secondaire qui ne parvenait pas à
dépasser le cap de 10 % de tous les élèves fréquentant le primaire. C’est ça le
résultat des trente années d’indépendance!
Ces
problèmes d’éducation se sont amplifié avec la guerre. L’insécurité qui
continue de régner dans le pays et qui n'incite pas du tout les parents à
envoyer leurs enfants à l’école; la pauvreté qui frappe actuellement la majeure
partie de la population et qui entraîne les difficultés de payer le minerval
des enfants; l’existence d’un nombre élevé d’orphelins; tels sont quelques
défis que le Rwanda semblait être obligé d'affronter après la victoire des
inyenzi-inkotanyi .
Peut-on
espérer, dans les conditions actuelles, une augmentation du budget de
l’enseignement? Comme nous l’avons vu pour d’autres secteurs socio-économiques,
la priorité actuelle semble être l’armement. A moins que les organismes
internationaux n’interviennent intensivement en faveur de ce secteur, la
contribution du gouvernement actuel dans la scolarisation des enfants rwandais
risque de se limiter à une infime minorité privilégiée. L’élimination de
l’élite nationale faite par les extrémistes des deux bords entraînera sans
aucun doute un déséquilibre au niveau de sa reproduction aussi bien dans les
écoles (qualité de l'enseignement) qu’au niveau de l’emploi sans oublier son
effet sur la reproduction naturelle. D’ailleurs, dans les conditions
socio-politiques et militaires actuelles du pays, l’ignorance et
l’analphabétisme des rwandais favorisent l’emprise des nouvelles autorités FPR
sur la population. C'est l'une des raisons pour lesquelles le massacre des
intellectuels hutu n'a jamais cessé après la prise du pouvoir par les tutsi.
Cet état de maintien de la population dans l'ignorance dont les superstitions
ne peuvent que dominer, favorise naturellement son asservissement économique et
politique[63].
Cela semble répondre aux ambitions des nouveaux dirigeants du pays. Voilà
l’oreiller sur lequel reposent plusieurs régimes réactionnaires africains et le
Rwanda est devenu un bel exemple.
Ainsi,
malgré les conditions de scolarisation des jeunes qui étaient plus ou moins
favorables avant la guerre, le taux de scolarisation n’a jamais dépassé 60 % et
cela malgré que l’école primaire était obligatoire et gratuite. Le rapport
élève/maître de 1972 à 1989 au lieu de diminuer est passé de 52 à 57 alors que
l’effectif des maîtres a plus que doublé passant de 7586 à 17921. De 1973/1974
à 1980/1981, en plus de l’effort de l’Etat, les parents ont construit en
moyenne 400 salles de classes par an. Cet effort des parents s’est poursuivi
jusqu’au début de la guerre. Cela montre que l’augmentation des effectifs
scolarisés a été toujours supérieur à celle des maîtres ainsi qu’à d’autres
infrastructures scolaires nécessaires.
Si
l’on s’en tient à la population scolarisable de 7 à 17 ans en 1990, les
effectifs de la population en âge scolaire étaient estimés à 2.188.000 dont
550.000 étaient laissés en dehors du système scolaire. Pour atteindre les
objectifs de sa planification en matière scolaire, le Rwanda devait multiplier
par cinq les infrastructures déjà existantes [64].
En
l’absence du planning familial comme c’est le cas actuellement au Rwanda après
la guerre, en admettant que l’effectif des jeunes à scolariser restera élevé à
cause de la rentrée des réfugiés et en considérant les effets destructeurs de
la guerre ( destruction des salles de classe, paupérisation de la population,
beaucoup d’orphelins, ... ), il y a lieu de se demander si le pays pourra
assurer l’éducation à des jeunes rwandais de demain. En effet, l’écart entre la
population scolarisable et la population scolarisée risque de devenir trop
élevé, ce qui va créer une population d’analphabètes. C’est la modernité
sociale qui est en jeu et sans laquelle il sera difficile de prétendre au vrai
développement du Rwanda.
L’état
de santé d’une population est fonction de plusieurs facteurs. On peut citer la
nutrition, l’habitat, l’hygiène, l’éducation ainsi que d’autres infrastructures
nécessaires pour son bien-être entre autre les infrastructures sanitaires. La
santé d’une population est ainsi influencée
par les facteurs économiques, sociaux et culturels. C’est dire donc qu’à
travers ces facteurs, l’état de santé
d’une population peut s’améliorer ou s’empirer, ce qui influence sa dynamique
et peut jouer aussi bien sur la mortalité, la fécondité que sur les migrations.
Au
Rwanda, la politique du gouvernement en matière de santé s’est longtemps appuyé
sur la médecine de masse axée sur les groupes les plus vulnérables que sont les
femmes, les enfants et les travailleurs. Dans le cadre de rapprocher la
population des services sanitaires de base, l’Etat s’était engagé à doter
toutes les communes administratives des infrastructures sanitaires nécessaires.
C’est
ainsi que dans ses objectifs, chaque commune devait au moins disposer de son
centre de santé, les hôpitaux de l’Etat étant essentiellement situés dans les
chefs-lieux des préfectures. En plus de ces hôpitaux étatiques, plusieurs
infrastructures sanitaires ont été mises en place principalement par les
organismes ecclésiastiques dont les principaux sont (par ordre décroissant ):
les catholiques, les protestants et les adventistes du septième jour.
Pour
favoriser une médecine curative et préventive avec une éducation sanitaire
poussée, on assista, après l'indépendance à une transformation des
infrastructures médicales existantes, principalement les dispensaires en
centres de santé. Ceux-ci passèrent de trois unités en 1966 à 182 en 1989. Si
cette transformation a diminué les trajets faits par la population pour aller
se faire soigner, elle a amplifié le besoin en personnel médical nécessaire
pour la bonne gestion de ces infrastructures. Par ailleurs, l’équipement de ces
centres de santé est resté insuffisant. L’annexe n° 8 donne les infrastructures
sanitaires telles qu’elles se présentaient en 1991 par préfecture. Il faut
remarquer que depuis l’indépendance en 1962 jusqu’à nos jours, la couverture
nationale par les infrastructures sanitaires s’était beaucoup améliorée. Il ne
restait qu’à revoir la qualité des services et pour cela, une programmation
efficace du matériel, de l’équipement médical ainsi que celle du personnel
était nécessaire. Cela est affirmé dans le rapport adressé à la Banque Mondiale
en 1990, je cite «même si le nombre des infrastructures sanitaires semblait
être plus ou moins satisfaisant et était bien réparti sur tout le territoire,
les services rendus étaient affectés d’un manque aigu de personnel surtout
qualifié et de médicaments» [65].
Le
bilan de la première République peut se résumer en ces chiffres:
de 1960 jusqu’en 1973: - le
nombre d’hôpitaux est passé de 18 à 23
-
le nombre de dispensaires de 67 à152
-
le nombre de médecins de 31 à 76
Sous la deuxième République, c- à- d de 1973
jusqu’au début des années 1990
-
le nombre d’hôpitaux est passé de 23 à 32
-
le nombre de centres de santé est passé de 28 à plus de 180
-
le nombre de lits d’hospitalisation de 5973 à plus de 12358 en 1989
-
le nombre de médecins de 76 à 272 en 1989
Selon
toujours la volonté de mettre ces infrastructures tout près de la population,
on a participé sciemment ou inconsciemment au saupoudrage des infrastructures.
Cette politique n’était pas mauvaise en soi, étant donné qu’elle répondait aux
besoins de la grande masse de la population, mais de l’autre côté, elle a
participé au ralentissement de la naissance ou de l’agrandissement des villes.
En même temps, on a assisté à une mauvaise programmation des ressources
humaines nécessaires pour faire fonctionner ces infrastructures et le problème
du personnel médical se faisait sentir partout.
Tableau n° 13
Evolution de la couverture sanitaire au Rwanda
|
1962 |
1972 |
1982 |
1989 |
Nombre de consultations |
5547289 |
8373278 |
9082421 |
- |
Nombre de médecins |
20 |
71 |
194 |
272 |
Hôpitaux |
20 |
22 |
27 |
31 |
Centre de santé |
- |
4 |
121 |
182 |
Habitant/Médecin |
140366 |
55360 |
27670 |
25494 |
Nombre d'habitants/lit |
726 |
716 |
606 |
570 |
Source: Tableau élaboré à partir des données du
Miniplan (bulletin statistique) et de l’ONAPO
Malgré
des progrès remarquables réalisés en matière sanitaire après l’indépendance, un
effort énorme restait à faire. En effet, au moment où dans les pays développés,
on compte un médecin pour quelques dizaines d’habitants, le rapport habitants
par médecin au Rwanda battait son record avec un chiffre de plus de 25.000
avant la guerre (1989).
Selon
l’enquête menée par le Ministère du Plan (Direction des Stratégies de
Développement Communal et Régional), 33 % de la population rurale, qui vivait
sur plus de 42 % du territoire national semblait ne pas être impliquée du tout
par les services sanitaires urbains et donc de haut niveau. Ils se contentaient
des équipements implantés dans l’espace rural[66].
Le problème qui se pose actuellement est lié aux inyenzi-inkotanyi. Ils ont
vaincu la guerre en 1994 et de fait, ils se sont établi principalement dans les
villes. Penseront-ils à partager les maigres ressources qui restent avec les
vaincus principalement concentrés dans le monde rural? Suite au manque du
personnel et du matériel médical, certaines des infrastructures sanitaires dans
le milieu rural risquent de fermer. Kigali risque d'être le seul centre où on
peut avoir des soins médicaux nécessaires.
C’est
la croissance forte de la population et son mode d’habitat dispersé sur tout le
territoire qui ont principalement joué dans la détermination ainsi que la
localisation de ces infrastructures sanitaires. C’est pourquoi, dans une
perspective national du développement durable, le choix d'une politique en
matière de santé et donc la détermination de la relation population santé, fait
intervenir plusieurs paramètres relatifs à la dynamique de la population et son
habitat, mais également les autres facteurs du
développement économique du pays. Dans le cas du Rwanda, c’est le mode d’habitat
et donc la dispersion de la population qui a été déterminant dans le choix des
sites pour ces infrastructures.
Au
moment où le planificateur rwandais devait s’occuper du problème du personnel
du secteur médical qui était insuffisant, la guerre imposée au pays à partir de
l’extérieur a aggravé la situation. En effet, certaines infrastructures
(hôpitaux, centres de santé, etc. ) situées surtout dans les zones de combats
ont été abîmées sinon détruites. Le changement du pouvoir à Kigali en juillet 1994
a empiré la situation, étant donné que la majorité du personnel national a fui
les combats pour se réfugier à l'extérieur du pays. Entre temps, les organismes
non gouvernementaux étrangers ont trouvé le marché et ont occupé le terrain.
Ils ont essayé, dans les limites de leurs moyens, de remplacer le personnel
national. La situation fut comparable avec celle du temps d’après
l’indépendance où le Rwanda souffrait énormément de carence du personnel dans
tous les domaines. A ce point de vue, le pays a fait volte- face dans son
chemin vers le développement.
La
crise économique que traverse le pays, couplée avec la crise sociale qui n’a
cessé de s’amplifier permettra-t-elle de reconstruire le pays? Rien n’est sûr.
Le manque de confiance d'une plus grande partie de la population de l’intérieur
du pays envers ses dirigeants FPR constitue un grand handicap pour la
reconstruction. Dans les conditions de crise économique habituelle, la
population était normalement appelée à se mobiliser (travaux communautaires de
développement) pour reconstruire son pays par ses propres moyens d'abord. C’est
ainsi que, de son propre gré, elle arrivait à réparer les écoles, les centres
de santé, les routes, etc.. Dans les conditions actuelles, il semble que cette
possibilité est difficilement
envisageable.
Depuis
l’indépendance, le pays a hérité de la colonisation une insuffisance de cadres
dans tous les domaines socio-économiques. En matière de santé, un effort
louable avait été déployé et le nombre d’habitants par médecins était en
régression passant de 140.000 à 25.500 respectivement en 1962 et 1989. Quant au
nombre d’habitants par lit, il était passé respectivement de 726 à 570.
En
collaboration avec l’OMS, le Rwanda avait lancé dans les années 1980 un
programme « Santé pour tous en l’an 2000 » avec pour buts [67]:
-
un poste sanitaire tenu par un auxiliaire de santé dans chaque secteur
administratif, soit 1.489 postes;
-
un centre de santé par commune avec 30 lits soit 143;
-
un hôpital préfectoral de 300 à 350 lits dans chaque préfecture ayant 22
médecins;
-
un hôpital national de référence à Kigali avec 500 à 600 lits et 57 médecins.
Si
les centres de santé et les hôpitaux étaient pratiquement en place, il en était
autrement en ce qui concerne les postes sanitaires dans les secteurs
administratifs et dont la totalité restait à créer. Par ailleurs, en ce qui
concerne les centres de santé, si on avait presque un centre de santé par
commune en 1989, soit une moyenne de 36.884 habitants par centre de santé, il
faudrait avoir 247 centres de santé soit 65 centres de santé à construire en
une dizaine d’années afin de garder les mêmes proportions en l’an 2.000.
Toutefois, cette logique, qui reste essentiellement ruralisante est
foncièrement à revoir. Il faudra d'abord renforcer les infrastructures
existantes qui doivent d'ailleurs s'inscrire dans un réseau urbain bien
déterminé.
La
guerre ayant détruit plusieurs de ces infrastructures, la conjoncture
économique s’étant dégradée et le personnel médical qui était d’ailleurs insuffisant
s’étant réduit d’une façon drastique (une partie du personnel se trouve encore
à l’extérieur du pays), il y a lieu d’envisager, même dès à présent, une
détérioration généralisée des conditions sanitaires dans tout le pays. Selon le
rapport du Programme des Nations Unies
pour le Développement (PNUD): "Rapport sur le Développement dans le Monde
1977" sorti en 1997, déjà l'espérance de vie d'un rwandais a terriblement
régressé depuis l'agression du pays par l'ennemi en 1990. En effet, cet
indicateur est passé de 42,3 années en 1960 à 52 ans en 1990 et en 1994, il a
reculé jusqu'à 23,1 ans. Le même rapport précise que la valeur de l'indicateur
de la pauvreté humaine (IPH) au Rwanda s'élevait à 37,9 % en 1997. Cela
signifie que la moyenne de 37,9 % de la population rwandaise étaient affectés
par les différentes formes de la pauvreté ou de manques prises en compte par
cet indicateur (IPH)* .
Après
ce parcours de la situation socio-économique du pays jusqu'au moins avant la
guerre de 1990, il y a lieu de se demander, même si la réponse reste partielle,
comment un pays libre et indépendant est arrivé à sa propre destruction.
A la veille de l'hécatombe qui a conduit le pays dans l'horreur, c-à-d le mois
d'avril 1994, plusieurs conditions étaient déjà réunies pour faire basculer le
pays au-delà du compréhensible. Nous citerons entre autre:
¨ côté politique: interdiction
en 1973 du parti politique libérateur "le MDR PARMEHUTU" suivi par
l'arrestation et la disparition de plusieurs de ses leaders. Dès lors, la
majorité des rwandais étaient exclu de la politique qui devint un champs gardé
de la famille Habyarimana et ses acolytes. Il n'y avait plus de force politique
pour unir la majorité des rwandais.
¨ pauvreté généralisée dans
tout le pays avec toutes ses conséquences et cela malgré une poignée de gens
qui vivaient comme des tsars;
¨ jeunesse désoeuvrée,
délaissée à elle-même et à la délinquance, qui sera plus tard
malencontreusement récupérée par les partis politiques comme leurs milices;
¨ mauvaise gestion du patrimoine
foncier délaissant un grand nombre de la population en dessous du seuil de
survie, cette situation a été aggravée par une population élevée du Rwanda et
toujours en forte croissance;
¨ la mauvaise conjoncture
économique internationale couplée avec la chute des cours du café qui
constituait plus de 80 % des exportations nationales;
¨ pression de la Banque
Mondiale et du FMI pour que le Rwanda applique leur programme;
¨ incapacité du régime
Habyarimana de faire face aux grands problèmes du peuple rwandais;
¨ démocratisation hâtive avec
des partis politiques sans projet viable de société et qui ne faisaient
qu'amplifier le désordre;
¨ la guerre imposée au Rwanda
de l'extérieur, qui avait fait plusieurs morts et jeté à l'exil (à l'intérieur
de leur pays) plus de 500.000 réfugiés hutu venus des préfectures d'où venaient
les assaillants;
¨ une armée rwandaise
indisciplinée, minée par le fléau du régionalisme;
¨ indifférence et apathie de
la communauté internationale envers le peuple rwandais éprouvé par une guerre
d'agression;
¨ les accords d'Arusha
manifestement déséquilibrés en faveur d'une partie en conflit. Il faut
remarquer qu'à un certain stade des négociations, le gouvernement rwandais
formé par les différents partis politiques n'a pas pu avoir un consensus sur la
mission à donner au négociateur. A maintes reprises, le ministre des affaires
étrangères, qui représentait le pays dans les négociations d'Arusha, n'avançait
que les idées de quelques personnalités au lieu de donner la position
gouvernementale. Cela ne pouvait qu'aggraver ce déséquilibre.
¨ l'assassinat des présidents
rwandais et burundais, qui fut le détonateur des massacres et pillages dans
tout le pays.
A toutes ces conditions, s'ajoute la chute de
l'Union Soviétique qui, qu'on le veuille ou non, constituait un équilibre des
forces politico-militaires dans le monde et un contrepoids efficace de
l'impérialisme toujours en expansion.
Les indépendances nationales
ont été saluées par les peuples africains comme une libération totale du
continent. Pourtant, la politique impérialiste des anciens métropoles n'a pas
du tout changé. Si l'indépendance politique était presque acquise, le volet
économique continua d'échapper complètement
aux jeunes républiques. La politique du néocolonialisme se dessina à
travers plusieurs activités nationales. Les anciens métropoles firent en sorte
que rien ne puisse se faire sans leur aval (consentement). Certains pays du
Sahel producteurs de pétrole (par exemple) ne peuvent pas vendre leur produit
sans passer par la France. L'assistantialisme se développa plus que jamais. Une
nouvelle forme de colonisation commença. C'est l'aide au développement.
Le
discours du développement vient souvent dans les propos tenus par tous les
responsables politiques. Qu'ils soient du nord ou du sud, tout le monde veut se
développer. Malheureusement, il n'y a ni de définition, ni de formule magique à
attribuer au développement. La référence jusqu'à présent admise est la
modernisation. Avec ses hauts et ses
imperfections, il est normal qu'on puisse mettre en cause la modernisation en
tant que point de référence du développement. C'est pourquoi, il y a lieu de se
demander: qui aide qui et qui développe qui? Presque toutes les matières
premières utilisées par les pays dit développés viennent des pays dits
"sous développés". On peut ainsi affirmer que les pays sous
développés sont potentiellement riches, contrairement aux pays actuellement
dits développés qui sont pauvres. Mais attention, ces pays "pauvres"
ont de la matière grise et la malignité qui leur font des maîtres de ce monde.
Les pays sous développés leur donnent leurs matières premières à des prix
dérisoires. Ils les transforment et les produits manufacturés attirent les pays
sous développés vers eux, leur mettant ainsi dans un cercle vicieux de leur
domination et de leur dépendance. C'est ici que s'inscrit le problème insalubre
de la dette des pays les moins rusés. Cette forme de coopération aide ainsi les
anciennes puissances coloniales à piller les ressources des pays dits sous
développés. Il est vrai qu'ils ont construit des aéroports, ils ont formé
quelques cadres nationaux et mis en place plusieurs autres infrastructures.
Cela n'est qu'un paravent de la réalité du progrès réel que devaient avoir des
peuples "sous développés". En effet, c'est à travers ces aéroports
que transite le trafic d'or, du diamant, du cuivre et d'autres matières
premières sans aucun contrôle vers les pays dits développés. La complicité des
cadres nationaux, souvent formés dans leur entourage n'est pas du tout neutre.
L'université occidentale est devenue, pour la plupart des africains, un outil
de formation du nouveau colon déguisé dans son propre pays. C'est par la
formation et la culture que les impérialistes véhiculent leurs valeurs. Ce
n'est pas sans arrière pensée qu'ils forment les cadres nationaux dans la ligne
de leur idéologie. L'expérience de plusieurs pays africains a montré que les
soi-disant intellectuels formés dans ce courant étaient et sont prêts à vendre
leurs pays.
Ainsi,
une question se pose. Est ce que ce sont les pays dits "développés"
qui participent au développement des pays les moins avancés ou ce sont ces
derniers qui participent au développement des pays supposés développés? Si on
s'en tient à la modernisation et qu'on est conscient que les économies des pays
avancés utilisent la matière première des pays moins avancés, on tire la
conclusion et à juste titre, que ce sont les pays moins développés qui
participent au développement des autres pays.
Actuellement
les diverses formes d'assistantialisme sont à la mode. Dans les faits, elles
permettent aux pays riches de maintenir leur domination et exploitation sur les
pays moins avancés. C'est ce qu'on appelle la coopération entre pays du nord et
du sud. Cette coopération, qui peut réellement être fructueuse et s'étendre sur
plusieurs domaines de la vie socio-économique et culturelle des pays,
s'embourbe actuellement dans l'aide sous ses diverses appellations (aide
bilatérale et multilatérale, aide d'urgence, aide au développement, ...). L'aide n'a jamais été neutre et unilatérale.
Sans intérêt, les donneurs d'aides sont réticents. D'ailleurs, quand on pense
combien la matière première des pays moins développés participe à la formation
des PIB de ces pays et qu'on se rappelle que l'enveloppe financière globale de
l'aide de ces pays ne dépasse jamais 1 % de leurs PIB, on comprend à quel point
l'aide peut participer au développement. La philosophie de l'aide devrait être
fondamentalement revue dans l'optique d'un développement durable des pays
bénéficiaires.
Par
ailleurs, le concept "développement" doit inclure des notions comme
démocratie, liberté, etc. Dans les pays avec les jeunes démocraties, les leçons
de liberté et de démocratie sont dictées par les occidentaux. En effet, tous
les partis politiques d'opposition sont directement ou indirectement soutenus
par les ambassades étrangères. Cela fausse en partie le jeu de l'opposition
démocratique qui n'est pas du tout indépendante dans ses manoeuvres et qui plus
tard, si elle parvient au pouvoir, se trouve à la merci de ses anciens guides
étrangers. Tout cela est en partie le résultat du fait que plusieurs pays moins
avancés ne sont pas encore maîtres de leurs économies et donc de leur
développement. C'est ainsi que les partis politiques d'opposition dans les pays
moins avancés ont peu de moyens économiques pour survivre. Malgré le risque
évident de perdre toute identité et toute indépendance et d'être des
marionnettes des puissances étrangères, ils se laissent ainsi tomber dans le
piège des aides étrangères. La conception du développement par ces partis
politiques est alors faussé au départ, puisqu'ils doivent satisfaire d'abord
les exigences du pays bienfaiteur-aidant. Malheureusement, dans la plupart des
pays qui prétendent maîtriser la démocratie, la survie économique de plusieurs
partis politiques est en grande partie liée aussi à la corruption. Apparemment,
on ne peut pas être libre, indépendant ou démocrate si économiquement on dépend
de quelqu'un d'autre.
Depuis
bien longtemps, le Rwanda était classé parmi les pays les plus pauvres du
globe. Pourtant, même s'il en est ainsi, les pays supposés riches ne lui ont
jamais laissé la liberté d'utiliser ses ressources propres dans sa lutte pour
le développement. Le Rwanda n'a donc jamais été maître de sa destinée, de sa
pauvreté. Presque toutes les grandes politiques économiques ont été prises en
accord sinon dictées par les bailleurs de fonds. Rien donc d'original ne
pouvait sortir de ces politiques, puisqu'elles étaient conçues pour compléter
les politiques des métropoles. Or, le discours dominant dans ces pays
occidentaux, qui isole l'économique comme une fin en soi et le fait passer
avant toute autre chose, semble ne pas coller avec les réalités socio-économiques
africaines. Nous pensons que l'économique doit venir au soutien du secteur
social. Il devrait être absolument à son service. L'inverse nous est imposé
d'ailleurs. Il ne peut servir qu'aux autres.
C'est
pourquoi, dans son parcours difficile vers le développement, et sans toutefois
négliger le secteur économique, le Rwanda devrait d'abord s'occuper du secteur
social, dont les performances jailliraient après sur les autres secteurs. Le
centre de tout son progrès devrait ainsi être le développement social.
Pourtant, le secteur social préoccupe peu sinon pas du tout les bailleurs de
fonds. Sans parler des adultes, l'analphabétisme des jeunes reste un grand
fléau et dépasse 50 %. La perte du rôle organisateur de l'Etat suite à la
mondialisation de l'économie notamment par les privatisations* actuellement à la mode dans plusieurs
pays rend le secteur social plus fragile. Il se trouve de plus en plus à la
merci de quelques individus plus malins que les autres qui se sont enrichis
illicitement et qui continuent de s'enrichir au grand mépris de la grande masse
populaire. La mondialisation de l'économie nous oblige à nous adapter aux
normes et lois dictées par les pays dits développés, même si elles ne nous
conviennent pas. Bref, les pays moins avancés, dont le Rwanda, sont loin d'être des responsables de leur
destin actuel et de demain.
Tout
cela nous amène à nous poser un certain nombre de questions. Est ce que un pays
complètement dominé économiquement et politiquement peut être responsable de sa
destinée? Apparemment non. C'est pourquoi, tout ce qui s'est passé au Rwanda,
dont les massacres de 1994, ne devrait pas être seulement mis sur le dos du
peuple rwandais. Ce n'est qu'un couronnement d'une situation longtemps en
gestation depuis 1990 et entretenue par les différents acteurs internes et
externes du développement au Rwanda. Quand au début de la guerre, les rwandais
disaient à haute voix que derrière elle, il se cachait un certain monstre
ethnique, les spécialistes (entre parenthèses) du Rwanda ont nié catégoriquement
cette réalité. Se sentent-ils maintenant coupables de leur position? Non
seulement la responsabilité dans le drame rwandais de 1994 est partagée entre
les hutu et les tutsi, mais aussi et surtout avec l'occident. Malheureusement,
quand on est pas maître de « son chez-soi », on y est en même temps
responsable de tout et de rien. C'est ça le malheur d'une grande partie du
peuple rwandais.
L’évolution
générale de la population urbaine des années 1978 à 1991 donne respectivement
217.333 et 386.351 habitants, soit un taux d’accroissement de la population
urbaine de 4,5 %. Ce taux est parmi les plus faibles d’Afrique. Cette
population de 1991 était dominée par la population de la capitale Kigali qui
s’élevait à 233.000 habitants, soit 60,3 % de toute la population urbaine et
3,2 % de la population totale du pays avec le plus grand taux d’accroissement
de 5,4 % pour la même période.
Cette
faible croissance des villes rwandaises serait en partie liée à la
dispersion des activités et des
établissements économiques partout sur les collines. En effet, le dénombrement
des entreprises et des établissements réalisé en 1990 par le Ministère du Plan
( Direction Générale des Statistiques ) avait permis de dégager la place des
activités économiques urbaines. C’est ainsi que l’économie urbaine avec près de
5.700 établissements industriels et de services, représentait 31 % des
établissements totaux du pays, 69 % des établissements étant dispersés dans le
monde rural[68].
Tableau
n° 14
Dynamique de la population et nombre d’établissements des villes
rwandaises
Ville |
Population |
Taux annuel mo-yen d'accr. cal-culé géomét.
(%) |
Nb d'entrep-rises
par ville (1990) |
% du total des villes |
|
|
1978 |
1991 |
|
|
|
|
117749 |
232733 |
5,38 |
4008 |
69,8 |
Gitarama |
8534 |
11679 |
2,44 |
261 |
4,5 |
Butare |
21700 |
28645 |
2,15 |
380 |
6,6 |
Gikongoro |
5654 |
8129 |
2,83 |
70 |
1,2 |
Cyangugu |
7042 |
8911 |
1,82 |
157 |
2,7 |
Kibuye |
2764 |
4242 |
3,35 |
75 |
1,3 |
Gisenyi |
12435 |
21918 |
4,45 |
166 |
2,9 |
Ruhengeri |
16025 |
29578 |
4,82 |
213 |
3,7 |
Byumba |
7078 |
11828 |
4,02 |
51 |
0,9 |
Kibungo |
4081 |
6912 |
4,13 |
90 |
1,6 |
Nyabisindu |
8587 |
14092 |
3,88 |
212 |
3,7 |
Rwamagana |
5683 |
7684 |
2,34 |
61 |
1,0 |
|
217.332 |
386.351 |
4,52 |
57.744 |
- |
La
ville de Kigali renfermait 69,8 % [69]
des établissement économiques du tissu urbain national et 21,6 % de l’ensemble
des activités du pays. Avec 150 établissements, elle réunissait 69 % du
commerce de gros et la même proportion du commerce de détail implanté dans les
villes. Au niveau des industries manufacturières, Kigali abritait 70 % des
établissements industriels implantés dans les villes rwandaises et 26 % du
tissu industriel national. Par ailleurs, le réseau des institutions financières
était intensivement représenté dans la capitale où 66,3 % de tous les dépôts
bancaires étaient concentrés malgré un bon réseau des banques populaires qui
étaient dispersé presque dans toutes les communes du pays.
Les
événements tragiques de 1994 qui se sont soldé par le changement du pouvoir à
Kigali ont fait que toutes les villes ont été presque totalement désertées. En
effet, dans l’espérance d’éviter les combats, la population civile a laissé les
villes aux belligérants pour se réfugier à la campagne ou à l’extérieur du
pays. Avec la prise du pouvoir par le FPR, presque tous les réfugiés tutsi qui
étaient à l’extérieur du pays se sont vite précipités dans les villes alors
vides de sa population habituelle. La majorité de ces réfugiés se sont
installés à Kigali où la protection et les infrastructures étaient disponibles.
Ils ont alors pris comme butin de guerre tous les biens de la Capitale.
En 1996, on estimait que Kigali était habité à
plus de 80 % par les nouveaux venus tutsi et que leur effectif dépassait le
nombre habituel des habitants de cette ville. Tous les logements étaient
occupés et les prix des loyers avaient très vite grimpé. C’est ainsi que selon
la loi du plus fort , on s’est approprié toutes les infrastructures économiques
et sociales privées dans les villes ( immeubles de diverses fonctions toutes
confondues, etc. ).
Par
ailleurs, le surpeuplement instantané de la ville de Kigali, surtout par les
jeunes tutsi qui ne veulent pas vivre à la campagne et qui de ce fait veulent
absolument profiter des richesses de la ville risque aussi de créer un climat
d’insécurité. En effet, l’économie du pays ayant été étouffée par la guerre, il
a été difficile de leur trouver des emplois, d’autant plus que la plupart
d’entre eux n’ont pas de qualification précise. Cette situation ne peut
conduire qu’à la naissance des quartiers insalubres et dangereux dans la ville
avec toutes les conséquences prévisibles dans le domaine de l’environnement.
D’autre
part, il a été difficile au gouvernement FPR de satisfaire à la demande en
logements de sa population. Les plus forts ayant déjà confisqué les maisons
trouvées inoccupées, ils n'ont pas voulu aller loin dans la politique du
logement. Dans le cadre de la reconstruction, ils auraient bien trouvé des
fonds pour la construction des maisons à caractère social, mais le manque
d'objectifs de développement des nouveaux dirigeants tutsi a fait que rien n'a
été réalisé dans ce domaine. De plus, il régnait un climat d’insécurité qui ne stimulait pas les
privés à investir dans les actions de long terme. Par ailleurs, les
réalisations socio-économiques trouvées sur place leur procuraient assez de
revenus* tellement qu’ils
évitaient les risques d'investir. Pire encore, la rentrée des anciens
propriétaires supposait la libération (sinon la remise) des biens saisis. Etant
donné qu'ils profitaient assez des biens des hutu, les tutsi digéraient mal
leur retour* . Voilà la raison de la
disparition de plusieurs hutu rentrés après la guerre.
C’est
ainsi que le problème des biens des hutu saisis par les nouveaux arrivés
(tutsi) a été et constitue encore un grand danger pour les réfugiés. En effet,
sous l’oeil passif du gouvernement en
place, tous les équipements de la ville avaient vite trouvé de nouveaux
propriétaires sans que même ceux- ci soient frappés par une certaine taxe pour
combler les caisses de l’Etat alors presque vides* . Rappelons que la ville de Kigali se
taillait la part du lion dans la concentration des équipements économiques,
soit 70 % de tout le tissu économique urbain et plus du cinquième (21,6 %) de l’ensemble des activités du pays. La
propriété publique ainsi que la propriété privée avaient perdu tout sens. C’est
toute la révolution sociale de 1959 qui a été mise en cause avec tous ses
acquis depuis l’indépendance jusque dans les années 1990.
L'occupation
arbitraire des biens des hutu a longtemps compromis le processus de la
réconciliation nationale. En effet, les troubles qui ont secouées le pays dès
1990, bien qu’elles se soient vêtues principalement de l’étiquette ethnique,
étaient également poussées par des mobiles économiques. La prise de Kigali par
les anciens réfugiés tutsi a été considérée ainsi comme une double victoire:
une victoire militaire d’une ethnie sur une autre d’abord et puis un exploit
économique caractérisé par la boulimie d’occuper les biens du vaincu. Voilà
pourquoi le problème de la restitution des biens saisis à leurs propriétaires
reste une question d'actualité. Il rend complexe le processus de la
réconciliation. Les occupants actuels, qui sont de droit illégaux, pourront-ils
un jour se mettre en cause et restituer de bon coeur les biens saisis à leurs
propriétaires? Au stade actuel, rien n’est sûr.
La
situation dans les autres villes du pays est presque la même que dans la ville
de Kigali. Les biens mobiliers et immobiliers ont été saisis par les nouveaux
venus. Les militaires, auxquels on a presque pas ordonné de regagner les
casernes, se sont récompensé en se répartissant les villas ainsi que les autres
biens matériels disponibles. Les derniers arrivants n’ont pas pu profiter du
gâteau ce qui risque également de créer des tensions au sein de l'armée FPR.
En
tenant compte que l’urbanisme est tributaire de la croissance ou de la
stagnation économique et démographique, et que l’hypothèse de croissance
économique a moins de chance de se réaliser dans un avenir proche, mais que par
contre la croissance démographique dans les villes rwandaises est déjà
perceptible, on peut alors s’imaginer vers quel type d’urbanisation tend le
Rwanda. Cet accroissement de la population urbaine s'est fait malgré de
nombreuses barrières instaurées par les autorités tutsi pour contrer les
réfugiés hutu de revenir dans la capitale [plusieurs disparitions inexpliquées,
changement des identités, ...]. En dépit de tout cela, la population actuelle
de la capitale Kigali avoisine le double de ce qu'elle était en 1991.
C’est
ainsi que dans l’hypothèse d’agrandissement des villes rwandaises, la
satisfaction des besoins en matière de nouvelles constructions d'immeubles et
d’équipement impliquera la réservation des superficies énormes. L’espace
nécessaire pour les villes tendra ainsi à doubler à moins de dix ans. Suite à
une pression grandissante de la demande en logements, Kigali risque de dépasser
en superficie les grandes capitales occidentales, à moins de privilégier les
constructions en hauteur (cela n'est pas évident à cause des moyens
financiers). Cela va bien sûr à l’encontre de l’utilisation rationnelle des
terres.
Devant
cette situation, quelle sera l’image des villes rwandaises à l’aube de l’an
2.000? La destruction de toute l’économie du pays couplée avec l’envahissement
de la capitale Kigali par un effectif d'une population tutsi qu’elle peut à
peine contenir, rendent incertaine la croissance équilibrée des villes du pays.
En effet, Kigali avait déjà plusieurs quartiers spontanés presque impénétrables
et qui posaient pas mal de problèmes aux
planificateurs de la ville. Sous la pression du vainqueur tutsi, on a assisté à
une croissance démesurée de la population de cette ville sans aucun plan
prévisible de son installation. Kigali risque ainsi de devenir une capitale
faite principalement des quartiers spontanés avec des problèmes inouïs pour
l’environnement. Cette image est valable aussi pour les autres villes du pays.
La
victoire du Front Patriotique rwandais a entraîné des millions de personnes à
l’exil. Depuis juin 1994, des milliers de déplacés de guerre à l’intérieur du
pays se sont concentrés dans la zone turquoise*
. Le gouvernement FPR a fermé ces camps durant l'année 1995. Cette opération,
qui était conduite contre le gré de la population a été assez meurtrière
(exemple: massacre dans le camp de Kibeho en avril 1995). Aux frontières du
Rwanda, les pays voisins regorgeaient
encore de près de deux millions de réfugiés hutu jusqu'en juillet 1996. Malgré
l’occupation des terres par quelques éleveurs venus de l’extérieur, la campagne
rwandaise continuait d’être relativement vide dans la grande partie du pays (
par rapport à la situation d’avant la guerre ).
Voici
le témoignage d’un rwandais sur l’occupation de l’espace national au mois
d’avril 1995 [70]:
- les préfectures Gisenyi et Ruhengeri: la population présente est
représentée à 90 % par sa population habituelle;
- les préfectures de Byumba et Kibungo: peu habitées et par une
population quasi nouvelle. En effet, selon les chiffres donnés par la Banque
Mondiale [71], si
on avait dénombré une population de 335.122 habitants dans les 5 communes de la
préfecture de Kibungo (Kayonza, Kabarondo, Kigarama, Rukara et Rusumo) en 1991,
on arrivait à un chiffre de 146.500 seulement en 1994 dont presque la moitié
(46,1 %) étaient constitué par les anciens réfugiés venus des pays limitrophes.
- les préfectures de Kigali, Gitarama et Butare: à moitié vides;
- la préfecture de la ville de Kigali: habitée à plus de 80 % par les
nouveaux venus;
- les préfectures de Gikongoro, Cyangugu et
Kibuye: ancienne zone turquoise. Cette zone était alors pleine d’ambiguïtés
avec des camps de réfugiés. Ces camps ont été démantelés au cours de l'année
1995 et la population a été obligé, manu militari, de regagner les collines.
Devant
cette situation, que pouvaient être les liens logiques entre le milieu urbain
rwandais et la campagne? Les relations entre la campagne et les villes sont
traditionnellement déterminées par plusieurs facteurs. On citera entre autre
les relations liées aux fonctions que doit remplir la ville parmi lesquelles il
est nécessaire d’identifier les fonction économiques ainsi que les fonctions
administratives. Cependant, toutes ces fonctions ont été largement déterminé au
Rwanda par le facteur « sécurité », facteur sans lequel le pays
s’enfonce de plus en plus dans le chaos, entraînant une rupture entre la ville
et la campagne.
Concernant
la fonction économique, il est nécessaire de souligner que la création de
petites villes dans le milieu rural avec des éléments urbanisants tels que les
infrastructures administratives, économiques et sociales devait participer à
créer des opportunités capables d’engendrer un développement d’activités
créatrices d’emplois et susceptibles de dynamiser le secteur urbain. Ces
centres servant surtout de lieu d’échanges de la production du monde rurale,
ils allaient servir de trait d’union entre la campagne et la ville. A tout
malheur, quelque chose aurait été bon: la guerre aurait pu faciliter la
création de ces centres au Rwanda, étant donné que le déplacement et
l'installation de la population allaient se passer avec moins de réticences.
C’est
dans ce cadre qu’un grand projet dit « pôle rural de développement »
était en cours d’étude avant la guerre. En raison des économies d’échelle que
ces villes moyennes allaient entraîner, permettant même de redynamiser le
secteur agricole qui allait se voir obligé d’accroître sa productivité pour
répondre aux besoins de l’autosuffisance alimentaire aussi bien de la
population agricole et non agricole rurales et celle de la ville, ce projet
s’inscrivait dans les actions prioritaires à mener.
Actuellement,
cette vision du développement semble être oubliée. Les responsables actuels
sont d’abord préoccupé par leurs propres projets qui semblent d’ailleurs avoir
peu de relations avec les intérêts de la population, d’où la tendance
inévitable de s’armer d’abord même si la
majorité de cette population est menacée par de graves crises telles que la
faim, les maladies, etc. Le grand danger actuel pour le développement du monde
rural rwandais, c’est l’insécurité qui guette la campagne et qui empêche le
paysan de travailler ses terres depuis le début de la guerre en 1990. En effet,
dès 1990, les inyenzi-inkotanyi ont semé la panique surtout dans le nord du
pays jusqu'à leur victoire en 1994. Ils avaient obligé des milliers et des
milliers de paysans hutu d'abandonner leur seule richesse: la terre agricole. Depuis
la victoire des inyenzi-inkotanyi en juillet 1994, le milieu rural rwandais a
été toujours sous l'étau des militaires du nouveau régime. C'est un véritable
réservoir pour les prisons mouroirs du FPR. De plus, il semble que les rebelles
hutu sont entrain de s'organiser. Cette insécurité perpétuelle du paysan risque
d’être la principale cause de la faim au Rwanda.
En
effet, dans de telles conditions, il est normal que le paysan ne peut pas
travailler sa terre et l’agriculture d’autosubsistance risque d'être la grande
caractéristique de l’économie familiale. Etant donné même que les cultures
industrielles, qui étaient jusqu’à présent le pilier incontournable de la
balance des paiements, sont des cultures pluriannuelles et que les paysans
avaient déjà commencé à donner une préférence aux cultures vivrières, le pays
risque de voir le secteur d’exportation s’effondrer complètement. Il est à
remarquer que si le paysan laisse longtemps en jachère ses terres à cause de
l'insécurité, la production de l'autosubsistance alimentaire peut être aussi
utilisée comme une tactique de défense contre la guerre menée par le FPR. Si ce
dernier a facilement pris le dessus pendant la guerre des kalachnikovs, il lui
serait cette fois-çi difficile de gagner la bataille sur le front économique.
Devant
cette situation où l’économie de la campagne tend à se désolidariser du reste
de l’économie nationale, il est clair que le fossé qui risque de séparer la
ville et la campagne rwandaise sera de plus en plus grand. Afin de pouvoir soutenir
l’économie, la culture obligatoire du café et du thé, à l’instar du temps
colonial, risque d'être de rigueur. Cela ne fera qu’aggraver les tensions entre
les responsables et la population. En tant que siège de l’administration, la
ville rwandaise risque ainsi d’être une source de tensions et s’écarter de son
rôle de catalyseur dans l’augmentation de la productivité du monde rural.
Concernant
ce rôle administratif de la ville, son caractère contraignant a été déjà mal vu
par la population à majorité hutu concentrée principalement à la campagne. En
effet, tout l'appareil de l'hiéarchie administrative en place est dirigé par
les tutsi. Etant donné que les tutsi se
sont principalement regroupés dans les villes, le monde rural (campagne) est
devenu le théâtre de toute une série de pressions administratives et surtout
militaires. Tout cela se fait dans le but de réprimer toute idée de
sensibilisation susceptible d'éveiller la conscience hutu et manifester
ouvertement le mécontentement. Il faut signaler que dans le but d'avoir une
main mise totale sur cette campagne, tous les dirigeants des communes
administratives du pays (les bourgmestres) ont été tous de l'ethnie tutsi après
la victoire FPR.
Les relations entre la campagne et les villes
rwandaises pouvaient, dès la victoire du FPR en 1994, être envisagées ainsi
sous deux angles:
a)
maintenir le statu quo, c-à-d avec des villes habitées principalement par une
seule ethnie tutsi,
b)
coexistence des deux ethnies sur le territoire avec une répartition spatiale
équilibrée. Cette seconde variante a eu moins de probabilité de se réaliser et
c'est le premier scénario qui est en application.
A
l’instar de ce qui s'est fait sur le terrain, la première variante a été ainsi
prépondérante. Les villes rwandaises sont peuplées majoritairement par les
tutsi. Ils ont d’ailleurs tous reçu des cartes d’identités urbaines au moment
où les hutu qui vivent à Kigali sont souvent pourchassés par la police tutsi
comme des sans papiers. Dans tous les cas, si démocratie il y avait, la
capitale Kigali serait un bastion des tutsi. Le problème des urnes à Kigali est
ainsi déjà un problème pour les démocrates. Comme leur effectif au niveau
national reste inférieur, la majeure partie a été absorbée par la capitale
Kigali qui dispose déjà de plusieurs infrastructures socio-économiques
attrayantes. Les éleveurs tutsi eux, sont restés tout près des frontières avec
les pays voisins. Certaines préfectures comme celles de l’Est et du N-E sont
déjà peuplées par une nouvelle population à majorité tutsi (tutsiland). Une
nouvelle préfecture UMUTARA, a même été
créée à cet effet. Le reste du pays est principalement peuplé par les hutu.
Cette répartition spatiale à dominance ethnique est dangereuse pour le
développement futur du pays, étant donné les tensions (ethniques) prévisibles
entre les régions d’abord, et entre la ville et la campagne ensuite (
domination d’une partie sur une autre, concentration des emplois modernes dans
les mains d’un seul groupe d'individus, l’insécurité, le repli de la ville
ainsi que de la campagne sur elles mêmes, etc. ).
Par
ailleurs, si le désenclavement des régions de l’arrière-pays grâce surtout aux
travaux communautaires de développement ( UMUGANDA ) avait permis une certaine
symbiose entre la ville et la campagne et en particulier le désenclavement des
régions agricoles les plus reculées, le mauvais entretien des routes a déjà
coupé cette liaison, ce qui ne favorise pas ni la circulation des biens, ni
celle des personnes. Cette détérioration des routes et pistes dont l’entretien
dépendait de la population est actuellement remarquable. Plusieurs routes
secondaires ne sont plus praticables. Pire encore, presque tous les opérateurs
économiques privés, surtout ceux du monde rural qui, par leurs moyens de
transport, facilitaient la communication et l’approvisionnement ville-campagne
ne sont plus opérationnels.
Si
la ville est en même temps un centre d’échanges économiques et de rencontre de
plusieurs cultures; un siège des pouvoirs ainsi que d’innovations et un lieu
créateur d’emplois et de diffusion de nouvelles modes de vie: elle a en
conséquence un pouvoir et un devoir attractifs élevés pour les populations
polarisées. Dans le futur, si au lieu d’attirer la majorité de la population
rwandaise (qui n'est que hutu), les villes rwandaises se manifestent avec un
effet repoussant, elles risquent de ne jamais remplir ces fonctions. Quant à la
campagne, elle risque de rester le centre traditionnel des activités agricoles
et forestières qui occupent la majorité de la population du pays.
Y aura-t-il
dans le monde rural rwandais une politique de restructuration spatiale
permettant: - une meilleur utilisation des terres agricoles en vue d’augmenter
la production?
- d’éviter l’ethnisation des régions en réorganisant les tutsilands et
hutulands déjà crées volontairement par le FPR après sa victoire. Si le fléau
du régionalisme caractérisait les dirigeants de l'ancien régime Habyarimana et
que le pays était presque divisé en deux parties: Nord et Sud, le Rwanda de
demain risque d'être miné à la fois par le régionalisme et la lutte des
ethnies. En effet, l'épuration ethnique dont le FPR s'est rendu responsable
après la guerre et qui a permis aux tutsi d'occuper presque seuls une bonne
partie de l'espace national, ne pourra conduire qu'à une telle
catastrophe.
Ainsi,
si le climat d’insécurité perdure au Rwanda, que l'apathie internationale à
l'égard d'une partie du peuple rwandais (hutu) continue, qu'un Etat de droit
n'est pas fondé, les tensions ethniques continueront de fermenter dans l’esprit
des gens. On risque alors d’assister à une rupture entre la campagne habitée
principalement par les hutu et les villes occupées majoritairement par les
tutsi. Cette rupture probable ne fera qu’aggraver la situation économique qui
était déjà alarmante et se répercutera sur le développement futur du pays.
Bien
que la crise rwandaise ne soit pas unique en son genre, elle a quand même des
particularités en comparaison avec les crises qui ont eu lieu dans d’autres
pays africains (Angola, Mozambique, Liberia, etc.). Le point commun observé
dans tous ces pays semble être caractérisé par un chaos qui est né des forces
politiques et/ou sociales antagonistes à l’intérieur de la plupart de ces pays.
La particularité du chaos rwandais réside en ce que ce problème est le résultat d’une situation de
guerre, longtemps préparée et mûrie à l’extérieur du pays, avec des enjeux
politiques qui dépassent vraisemblablement le seul cadre national. L'attaque et
la conquête de l'ancien Zaïre aujourd'hui redevenu Congo est un exemple
éloquent. Dans les autres pays africains, le problème principal de lutte pour
le pouvoir s’était manifesté entre les différents clans, tribus ou sensibilités
politiques oeuvrant ou résidant en général à l’intérieur de ces pays. La guerre
imposée au Rwanda en 1990 était une guerre d’agression conduite de l’extérieur
malgré la participation des anciens réfugiés rwandais. Le chaos créé par cette
guerre avait comme principal mobile la lutte pour le pouvoir des soi-disants
élites deux grands ethnies du Rwanda. Les agresseurs voulaient, comme ils
l'affirmaient sur les ondes de leur radio, la chute du régime en place. Ce
problème que le Rwanda et le Burundi partagent les mêmes origines et
conséquences risque d'être un fléau cyclique pendant des siècles.
- La présence et la contribution internationales
dans le conflit
On a parlé de conflit rwandais ou rwando-rwandais
mais la réalité en était toute autre. La guerre a été déclenchée par les
ex-réfugiés rwandais à partir de l'Ouganda. Elle a directement pris une ampleur
internationale. L'une des grandes erreurs de la communauté internationale
pendant cette guerre (qu'on peut qualifier d'ailleurs de conspiration) consiste
en ce que les gens reconnus internationalement comme réfugiés ont pris des
armes, attaqué un pays libre et indépendant, et devant cette situation, cette
communauté est restée muette. Exactement au début de ce conflit en 1990, il
était évident que les agresseurs étaient soutenu par des pays extérieurs, entre
autre le pays hôte (Ouganda) qui les soutenait clairement en effectif, les
équipait en matériel et en logistique.
Repoussés
au début, les agresseurs se repliaient dans leur pays d'origine, l'Ouganda qui
les aidait à se reconstituer afin d'organiser de nouvelles attaques. Le
Président de l'Ouganda, Museveni, a lui-même admis que les déserteurs de son
armée étaient partis avec le matériel militaire pour appuyer le FPR. Par
ailleurs, le FPR a continué de recruter au Burundi, en Ouganda sans parler du
Rwanda. Cela faisait particulièrement monter les tensions ethniques. Nul n'a
pris le courage, même les institutions internationales qui étaient chargé de trouver
une solution de ces réfugiés, de condamner cette agression venue de l'extérieur
et appuyée par l'Ouganda. Pourtant, au moindre déplacement des éléments de
l'ex-armée régulière (les FAR), même les organisations humanitaires (notamment
la MINUAR: mission des Nations Unies pour l'assistance au Rwanda) lançaient
immédiatement l'alerte. Cette prise de position ne pouvait que mettre en doute
la crédibilité de la communauté internationale dans un tel conflit.
De
plus, le HCR et d'autres organisations à caractère philanthropique ont à
maintes reprises utilisés l'arme humanitaire pour forcer les réfugiés rwandais
à rentrer. En 1996, la communauté internationale a refusé d'intervenir
militairement au Zaïre pour secourir les réfugiés rwandais, affamés et pris
entre le feu du FPR et de l'armée zaïroise. Le HCR a seulement apprêté les
camions sur la frontière des deux pays. Cela a conduit à une rentrée massive,
obligée et suicidaire pour la plupart d'entre eux. Dans le même ordre d'idées,
l'attaque menée par le triumvirat FPR-Burundi-Ouganda contre le Zaïre, était
soutenue par les forces extérieures. C'est ainsi que certaines puissances
occidentales, au lieu de protéger militairement les réfugiés, préconisaient des
couloirs humanitaires pour permettre aux réfugiés de rentrer au Rwanda. Quelle
pitié et logique humanitaires qui faisaient marcher les gens dans la direction
d'où venaient leurs attaquants (l'ennemi)! Les rescapés des massacres qui s'y
sont déroulés et qui ont pu finalement regagner le Rwanda peuvent en être
témoins. Ceux d'entre eux qui sont restés sans être mis en tôles peuvent être
comptés avec les doigts.
Malgré
que les réfugiés hutu stationnés au Zaïre étaient censés être sous la
protection des Nations Unies, il n'y a eu presque pas de réaction ni des
grandes puissances, ni des médias occidentaux pour désigner et condamner
l'agresseur. Maintenant, on sait que cette agression était soutenue sans
faille. Les réfugiés hutu ont été purement et simplement dispersés dans les
collines du Zaïre dans le but de les laisser être massacrés par le FPR et ses
alliés*. Pendant ce temps, les
faibles mourraient de faim, et les autres des intempéries et des maladies
connexes. A. Bourgui[72]
écrivait à ce propos: "Faute d'avoir pesé de tout son poids pour réunir
les conditions d'une réconciliation nationale au Rwanda comme au Burundi, la
communauté internationale a favorisé dans l'ensemble des Grands Lacs une
polarisation ethnique qui s'exacerbe de jour en jour".
Face
à cet immobilisme désastreux pour toute la région, cette communauté a continué
à se réfugier derrière le paravent humanitaire, qui ne faisait que voiler un
certain manque d'humanisme et d'humanité. On devrait normalement aider les
vivants et non pas les morts. Cela devrait servir de leçon dans le futur, et
l'aide de la communauté internationale devrait venir protéger les vivants et
non soulager les victimes. La philosophie de l'aide d'urgence devrait être
foncièrement revue. La communauté internationale, qui malheureusement tend à se
limiter aujourd'hui aux grandes puissances occidentales, et donc à pratiquer
une politique d'hégémonie impérialiste d'une seule puissance (les USA), devrait
investir plus sur le plan humain, politique, économique et financier pour que
l'aide humanitaire soit totalement remplacée par l'aide au développement.
Une
question importante qu'on peut se demander: d'où viennent toutes ces armes et
munitions pour équiper ces soi-disant guérilleros? Tout le monde s'accorde à
dire que dans les pays moins avancés, la pauvreté est devenue le pire des vis.
Les gens ne parviennent même pas à manger à leur faim. Les jeunes, désoeuvrés
sont parfois dévergondés et se livrent souvent à la délinquance. Cette
situation de la misère parmi les jeunes explique pourquoi la rébellion n'a pas
beaucoup de problèmes pour trouver les combattants, mais le problème qui reste
est de savoir où ils tirent toutes ces armes. En premier lieu, ce sont les pays
dits "développés" qui dans leur optique de sauvegarder ou d'avoir une
main mise sur les intérêts directs ou indirects d'un pays, incitent et
soutiennent ces guerres. C'est malheureusement cette politique impérialiste
qu'a optée la plus grande puissance mondiale, les Etats Unis d'Amérique, envers
les pays des Grands Lacs.
Quand
en octobre 1996, le groupe politico-militaire tutsi au pouvoir à Kigali, avec
ses soldats qu'il a appelé "abanyamurenge", a attaqué le Zaïre,
l'objectif à peine masqué était de chasser des milliers de rwandais hutu,
réfugiés dans ce pays. Il était indirectement appuyé par les Etats Unis. Concernant
les objectifs de cette attaque, le Général Kagame (chef du FPR), dans son
interview accordée au Washington Post dans la première quinzaine du mois de
juillet 1997, a été clair et sans aucune ambiguïté. L'objectif n° 1 était de chasser les réfugiés de leurs camps; le second
était de démanteler les camps des Ex-Forces Armées Rwandaises et les Interahamwe et enfin tout cela
s'inscrivait dans l'objectif global de chasser du pouvoir l'ancien président du
Zaïre - Mobutu. En révélant que ses soldats avaient activement participé à
la chute des villes zaïroises de KISANGANI, LUBUMBASHI et de la Capitale
KINSHASA, il a officiellement reconnu que le Zaïre avait été agressé par un
(des) pays tiers. L'agresseur était sans aucun doute connu dès le début de l'attaque.
Pourtant, sous prétexte que les camps des réfugiés abritaient les éléments des
FAR et milices hutu, certains pays et médias occidentaux ont trouvé l'alibi
d'expliquer et de soutenir cette attaque. Ils ont vite oublié que la guerre
imposée au Rwanda depuis 1990 et dont les massacres de 1994 ne constituaient
qu'une de ses phases, est un chef-d'oeuvre du FPR. Se sont-ils laissé tomber
dans le piège de ce dernier ou l'ont ils fait expressément?
Toutefois,
malgré des visées impérialistes des grandes puissances, des tentatives de
recherche d'une solution négociée avaient été essayées. C'est ainsi que furent
conclu en 1992 les accords de Kinihira. En juillet 1993, les accords d'Arusha
furent signés sous les auspices des grandes puissances comme les USA, la France,
l'Allemagne, la Belgique, les Nations Unies et l'OUA ainsi que les pays voisins
du Rwanda avec en tête la Tanzanie qui abritait et organisait ces négociations.
Pourtant, tous se sont miraculeusement abstenus à condamner l'agresseur.
Pourquoi?
L'identification
de l'agresseur aurait bien permis de trouver un qualificatif à la guerre du
Rwanda et peut-être sa solution, mais hélas, rien n'a été fait. Tout ce dont on
chuchotait, c'est que l'agresseur venait d'Ouganda sous l'étiquette de défendre
la cause des réfugiés rwandais. Ici, on ne peut plus être clair, le
gouvernement de Habyarimana s'est embourbé dans de faux problèmes au lieu de
poser clairement la question devant les instances internationales chargés des
problèmes de sécurité entre Etats. Dans les faits, deux cas pouvaient être
envisagés:
1. dans le premier cas, les
attaquants pouvaient être des réfugiés rwandais. Le fait de prendre des armes
leur faisait perdre le statut de réfugiés et ils risquaient d'être expulsés du
pays d'asile. Devant une telle situation, c'est l'ONU et plus précisément le
HCR, qui avait participé à toutes les négociations relatives aux émigrés
rwandais qui était mieux placé pour calmer la situation. Seulement, l'attaque
était conduite par les hauts officiers de l'armée ougandaise dont son ex-chef
d'Etat Major* , tué quelques heures
après la première attaque. De connivence avec le président Museveni, la
désertion du haut commandement de l'armée ougandaise pour attaquer le Rwanda ne
pouvait pas laisser indifférent aucun pays épris de paix.
2. La deuxième possibilité
était celle où les agresseurs étaient composé de citoyens ougandais plus les
réfugiés rwandais. L'attaque a été lancée par les officiers de la NRA (armée
ougandaise). Or, pour être engagé dans cette armée, on doit avoir une
nationalité ougandaise. Ainsi, tous les officiers du FPR avaient la nationalité
ougandaise et donc ils ne pouvaient se réclamer de nationalité rwandaise. Ceci
est d'autant plus vrai que la double nationalité n'était pas admise au Rwanda.
Leur attaque contre un pays indépendant signifiait donc l'attaque par
l'Ouganda.
Or,
la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés, dans son chapitre I,
article premier, point E est clair, je cite: "Cette Convention ne sera pas
applicable à une personne considérée par les autorités compétentes du pays dans
lequel cette personne a établi sa résidence comme ayant droit et les
obligations attachés à la nationalité de ce pays [73].
Dans ces conditions, les attaquants ne pouvaient pas se réclamer comme des
réfugiés. En outre la Convention de l'OUA régissant les aspects propres aux
problèmes des réfugiés en Afrique, Art. 1, paragr. 4, pt. c dit: "La
présente Convention cesse de s'appliquer à toute personne jouissant du statut
de réfugié si elle a acquis une nouvelle nationalité et si elle jouit de la
protection du pays dont elle a la nationalité[74].
Le fait que les agresseurs se repliaient en Ouganda sans être arrêtés prouve
cette protection.
Dans
tous les cas, les attaques ont été menées par des officiers de l'armée ougandaise
et ce pays les a soutenu clairement jusqu'à la victoire. Jusqu'à la preuve du
contraire, c'est l'Ouganda et plus précisément son président Museveni qui est
responsable de la destruction du Rwanda.
L’appui
militaire inconditionnel apporté aux réfugiés tutsi rwandais par le régime
de Museveni a donné la base aux
suspicions sur l’existence d’un projet*
d’hégémonie ethnique hamite dans la région des Grands Lacs ce qui a participé
au renforcement des solidarités ethniques transfrontalières et donné à la crise
rwandaise une dimension régionale. C’est dans ce cadre que l’armée burundaise,
formée presque exclusivement par une seule ethnie tutsi, appuyait discrètement,
mais fermement ce conflit. On peut citer notamment l’organisation de camps
d’entraînement, les facilités de recrutement dans les écoles secondaires y
compris sous la menace, etc. C’est également dans les camps militaires du
Burundi qu’émettait la fameuse radio du Front Patriotique Rwandais (FPR) -
Muhabura dont l’un des objectifs était d’appeler le peuple rwandais à la
désobéissance au régime en place.
Par
ailleurs, la majorité des pays africains qui ont connu des guérilla se
caractérisent par une absence d’insertion de ces mouvements dans la vie réelle
de ces pays. C’est ce que Chaliand appelle « la révolution par
l’exil »[75]. En
effet, plusieurs stratégies, dont les opérations de commandos menées de
l’extérieur du pays avant leur victoire, ainsi que des actes revanchards après
leur victoire, impliquent ces mouvements dans la non insertion au sein de la
population locale au nom de laquelle ils sont sensé lutter pour. C'est
pourquoi, après la victoire miracle du FPR, toute la population hutu s'est
sentie menacée. Le camp des vainqueurs tutsi s'est séparé du camp des vaincus
hutu et l'épuration ethnique a repris avec vigueur. Vae victis.
Si
l’histoire africaine vient de montrer à plusieurs reprises qu’un mouvement armé
extérieur au pays peut renverser les pouvoirs en place et les exemples sont présentement
nombreux ( Tchad, Somalie, Ouganda, Zaïre, etc. ), la mise en place et la
concrétisation par les nouveaux
dirigeants d’un vrai programme révolutionnaire de développement s’est révélé
pratiquement impossible. Tous ces pays continuent de s’enfoncer dans un cercle
vicieux de la guerre et la paupérisation de leurs populations ne cesse de
s’aggraver. Le Rwanda n'a pas du tout échappé à cette règle. En effet , depuis
les années 1980, presque tous les indicateurs socio-économiques étaient en état
d’alerte. Il était alors dérisoire, après avoir donné le pouvoir aux
guérilleros qui ne connaissent que des kalachnikov, de penser à une
amélioration de la situation dans un proche avenir. La situation économique
s'est ainsi complètement empirée avec les guerres que le Rwanda continue
d'entretenir avec ses voisins. Tous ces pays partagent donc l’état de crise
avec un service de la dette énorme, un produit intérieur brut (PIB) par
habitant ainsi que l'espérance de vie qui sont en régression permanente, etc..
En
ce qui concerne le Rwanda, comme d’ailleurs cela est remarquable dans d’autres
pays moins développés déchirés par la guerre, ce conflit avait un caractère
international et paraissait plus qu’un simple conflit interethnique. En effet,
la pauvreté, caractéristique pour la plupart des pays moins avancés, ne
permettait pas au Rwanda et pire encore à ses antagonistes de se livrer une
guerre d’envergure, qui a pu durer plus de quatre ans. Le FPR ne disposait ni
de moyens matériels, ni de moyens humains. Pourtant, les guerres dans les pays
sous développés sont devenu interminables avec des pertes humaines souvent
élevées. Non plus, aucune guérilla, qui par définition ne s’appuie que sur une
partie infime de la population, ne peut envisager de perdre au-delà de quelques
milliers d’hommes. Il y a lieu de se demander alors: qui préfère donc armer ces
pauvres pays en guerre et ces guérillas*
et pour quels motifs, au lieu de financer les actions de développement?
Quand
le FPR a attaqué le Rwanda en 1990, il était presque exclusivement composé de
soldats de l'armée ougandaise, qui se réclamaient de l'identité rwandaise. Le
recrutement du FPR s'est dans la suite fait au Rwanda, au Burundi, au Zaïre et
en Tanzanie. Dans l'attaque qu'ils ont menée au Zaïre en octobre 1996 pour
conquérir le Kivu et chasser les réfugiés hutu, les soldats du FPR se
réclamaient de l'identité "banyamulenge" et de nationalité zaïroise.
Etant donné que les frontières des pays africains ont été arbitrairement
tracées par la colonisation, cette stratégie guerrière et expansionniste,
masquée derrière la transnationalité, constitue un risque réel pour tous les pays des Grands Lacs et même
pour toute l'Afrique.
La
crise rwandaise présente donc les aspects d’une agression extérieure
(l'Ouganda), d’une contre-révolution des réfugiés tutsi, d'un tremplin pour les
américains afin d' occuper un pays potentiellement riche - le Zaïre, mais aussi
d’une insurrection intérieure née avec la démocratisation des institutions
nationales. C’est probablement cela qui a fait que la guerre a trop duré et que
la solution définitive au conflit n’est pas dans le court terme [76].
Toutefois, il faut reconnaître que ces différentes causes de la crise rwandaise
sont venues s’ajouter à l’impérialisme mondiale, qui a essayé de maintenir les
différents rapports conflictuels (dont la dépendance et l’exploitation) entre
les diverses composantes de la société rwandaise rendant impossible tout
compromis dans le sens positif.
Ainsi,
les erreurs stratégiques commises par la communauté internationale dans le
conflit rwandais peuvent se résumer comme suit:
- un pays libre et indépendant a été
agressé de l'extérieur et la communauté internationale n'a pas voulu se
prononcer et arrêter ce conflit. La solution privilégiée (la guerre) n'a jamais
été un bon moyen pour résoudre les conflits (sociales, politiques, économiques,
...). Pourtant, les négociations entre les protagonistes étaient en cours et
semblaient être soutenues par cette communauté mais personne n'a condamné cette
guerre imposée de l'extérieur. La politique du silence menée par la communauté
internationale a favorisé l'agresseur. La préférence d'une logique guerrière au
détriment des négociations politiques (option souvent privilégiée par les
puissances impérialistes) ne devraient laisser personne indifférente.
-
Au moment où la guerre atteignait son paroxysme, la communauté internationale
n'a pas voulu au moins défendre la population civile. Elle s'est même
volontairement retirée du Rwanda*
. Pourtant, l'effectif de ses soldats était suffisant.
- Après la victoire du FPR, la communauté internationale s'est rangé du
côté du vainqueur. C'est ainsi que les massacres des vaincus (hutu) n'ont
jamais été décriés et des milliers de civils hutu ont été exterminés par le FPR
sous couvert du silence de la communauté internationale et sans aucune forme de
procès. Sous la demande du vainqueur (FPR), le conseil de sécurité des Nations
Unies a institué un tribunal international pour le Rwanda afin de juger
seulement les vaincus (hutu). Or, tout le monde s'accorde à dire que les crimes
de guerre et contre l'humanité au Rwanda ont débuté avec le commencement de la
guerre en 1990 et se sont poursuivis après la victoire du FPR en 1994. Pourquoi
alors les actions de ce tribunal se limitent seulement sur l'année 1994?
Pourquoi ce tribunal veut seulement juger un des protagonistes du conflit?
- La reconnaissance du
génocide unilatéral des tutsi alors que ce sont ces mêmes tutsi qui sont à la
base de tous les maux que vit le Rwanda après 1990. Ils ont attaqué le pays,
tué les présidents du Rwanda et du Burundi et massacré, au même titre que leurs
adversaires hutu, les populations civiles.
Depuis
l'événement du drame rwandais de 1994 et encore tout récemment du drame du
Kosovo, plusieurs personnes se posent encore beaucoup de questions relatives à
cette fameuse communauté. Cela est dû aux différentes décisions prises par
elle, correctement ou d'une façon injustifiée ou injustifiable, face aux
conflits qui continuent de déchirer notre globe. Ainsi, les questions suivantes
sont d'actualité.
- Qui est réellement cette communauté
internationale?
- A-t-elle une personnalité juridique? Si oui, où
peut-on la traduire en justice?
- Cette communauté a-t-elle un règlement légal qui
la régit et reconnu par tous, autrement dit, est-elle démocratique dans ses
décisions?
C'est devant toutes ces questions et d'autres encore
connexes aux premières que plusieurs personnes restent encore sans réponses.
N'étant pas un spécialiste du droit internationale, je ne prétends pas répondre
à ces questions. Je vais seulement essayer de les circonscrire afin de pouvoir
mettre au clair les noeuds y relatifs. Cela va se faire dans le but de montrer
que le monde s'engouffre de plus en plus vers une voie sans issu, en admettant
de fait que la première puissance mondiale (les USA) est le seul gendarme de
notre planète. Bien sûr, l'organisation des Nations Unies souffre de tous les
maux: des problèmes financiers, fonctionnels etc., mais nous pensons qu'aucun
pays ou organisation internationale ne peut, sous n'importe quel prétexte que
ce soit, se substituer à elle.
Qui
est la communauté internationale? Normalement, nous sommes habitués à désigner
la communauté internationale par l'Organisation des Nations Unies (ONU). Cette
organisation, qui regroupe la totalité des pays de notre globe, mérite
réellement ce nom. Ses organes de décisions sont: l'assemblée générale (formée
par tous les pays) ainsi que le Conseil de Sécurité (formé par cinq membres
permanents: USA, France, G.B., Chine, Russie ainsi qu'une dizaine de pays
siégeant pour deux ans). Il existe d'autres organisations à caractère
international tel que l'OTAN, l'OSCDE, etc., mais ces organisations sont
effectivement plus régionales qu'internationales. En mars 1999, l'OTAN ,
défiant toute coopération avec l'ONU et ainsi son existence, a agressé la
Yougoslavie. Rappelons que les vrais membres de cette organisation sont
quelques pays de l'Europe occidentale plus les USA et le Canada. Ces pays
s'étaient mis ensemble après la deuxième guerre mondiale pour s'opposer aux
pays de l'Est qui formaient le pacte de Varsovie. Etant donné que le pacte de
Varsovie n'existe plus et qu'ils sont devenus les principales puissances du
globe, ils ont déclaré que c'est la communauté internationale qui est entrée en
conflit dans le Kosovo. Or, ils n'avaient même pas déclaré la guerre à la
Yougoslavie. Impuissante devant cette situation, l'ONU qui est la véritable communauté
internationale est restée réduite à un simple observateur. La loi de la jungle
avait anéanti sa légitimité. Ainsi, on assiste à une épreuve de force où le
plus puissant attaque le plus faible mais sous couvert d'une appellation qui le
protège en quelque sorte. Effectivement, durant tout ce conflit, l'OTAN s'est
appropriée le nom de "communauté internationale". Malheureusement,
les médias occidentaux ont adopté, malgré leur indépendance et leur liberté
historique, ce langage. Qu'on se détrompe, la liberté de presse se mesure
toujours à la force qu'on veut dénoncer. Les Etats membres devraient se
réveiller pour que cette parodie ne se répète plus. L'ONU, c'est la seule
organisation qui représente la communauté internationale. Les autres organisations
internationales devraient comprendre qu'il n'y a pas d'équivoque.
Si
l'ONU est la seule organisation qui présentement peut représenter les intérêts
de tout le monde, elle a des droits, mais aussi des devoirs. La défaillance de
l'ONU devant ses devoirs devrait normalement la faire condamner. La question
est de savoir où peut-on accuser cette communauté internationale? Un exemple
dans le cas du Rwanda est celle où la communauté internationale a plié bagages,
alors que les tueries atteignaient leur plus haute monstruosité. Dans la suite,
cette communauté est curieusement revenue pour dire qu'il y a eu un génocide et
qu'il faut punir les responsables. Qui est responsable de quoi? Il faudrait
établir les responsabilités de tous les acteurs qui étaient sur le terrain en
ce moment, et les juger en conséquence. Si cette communauté ne s'était pas
désengagée pendant les moments durs, et elle avait les moyens, ces massacres se
seraient-ils passés? Où peut-on alors l'accuser? Cette communauté ne devrait
pas être juge seulement alors qu'elle était activement présent sur le terrain.
Le problème de la souveraineté des puissances qui composent cette communauté
s'intercale. C'est là que commence les grands dysfonctionnements de cet
organisme. Son inculpation devient alors hypothétique.
Quant
aux lois qui régissent le fonctionnement de cette organisation, il ne serait
pas superflu de dire qu'elles sont là, mais désuètes. En effet, il n'est pas
rare de voir l'ONU prendre une résolution qui va rester longtemps lettre morte
(apartheid en Afrique du Sud, résolution sur le retrait de l'Etat d'Israël sur
les territoires occupés de la Palestine, etc.). Cela est le résultat délibéré
des manoeuvres de certains Etats membres qui opposent régulièrement leur droit
de veto sur les décisions prises. Les USA, comme une grande puissance sur cette
planète, sont toujours des leaders pour opposer leur veto. Etant donné que le
Conseil de Sécurité est formé principalement par les grandes puissances, il
supplée parfois l'assemblée générale et prend des décisions importantes du
ressort de cette assemblée. Il empiète donc sur ses droits. C'est pourquoi, vu
les blocages dans le bon fonctionnement de cette organisation mondiale, il
serait préférable que la composition du Conseil de Sécurité soit revue. On y
inclurait les autres pays surtout les pays économiquement moins avancés. Il est
à remarquer que la composition idéale du conseil de sécurité serait celle qui
tiendrait en compte la représentativité équilibrée de tous les continents.
Toutefois, l'assemblée générale devrait automatiquement être inculquer dans la
prise des grandes décisions concernant la paix et la sécurité de notre planète.
C'est dans cette optique que les divers Etats membres se sentiraient égaux devant
l'ONU. Le schéma actuelle met au premier plan les grandes puissances qui, avec
leur droit de veto, font passer leurs propres intérêts avant les intérêts des
autres. Bref, la communauté internationale telle qu'elle agit maintenant, se
confond avec les grandes puissances, ce qui s'avère vraiment injuste et
injustifiable. L’ordre mondial actuel, à l’image de ses institutions (ONU, BM,
FMI, ...) et leurs sponsors est fondé sur l’amoralité, l’absence de droit, de
justice et de sagesse. Les valeurs prétendues de modernité et de civilisation
(démocratie, bonne gouvernance, ...) sont des concepts verbalement idéales,
mais instrumentalisés et appliqués à tort et à travers afin de perpétuer la
suprématie d’exploitation des pays les plus forts sur les pays faibles. La
vraie démocratie devrait caractériser cette organisation internationale. Le
principe démocratique, "un pays - une voix", devrait être de rigueur
à l’ONU.
Depuis l'effondrement de l'Union Soviétique
au début des années 1990, les USA se sont vu au dessus de tous et de tout.
Alors que l'existence du système socialiste créait un certain équilibre au sein
des forces qui dominent ce monde, sa disparition a engendré un certain vide et
un déséquilibre dans le système socio-économique et militaire de notre planète.
Jusque vers la fin de la guerre en 1994, les USA avaient fait semblant
d'ignorer ce qui s'était passé au Rwanda depuis 1990, même pendant les grands
massacres de 1994. Pourtant, la prise du pouvoir par le FPR à Kigali a été
salutaire pour les autorités de ce grand pays. En effet, dans son projet
hégémonique, les USA se sont toujours opposés à toute idée d'intervention
militaire de la communauté internationale pour arrêter la guerre en 1994. Cela
n'était pas neutre et sans arrière pensée. Dès juillet de cette même année, des
troupes militaires américaines ont débarqué au Rwanda sous le paravent de la
reconstruction de ce pays. Ayant depuis longtemps convoités la région du
BUGESERA pour y mettre une base militaire (ce qui n'avait pas été possible
durant le règne des républiques précédentes), les USA venaient de trouver une
occasion, selon la presse internationale, pour s'implanter dans la région. Dans
la suite, ce vieux projet a été mis en veilleuse. La conquête et l'occupation
du Zaïre, avec ses immenses richesses économiques et sa position stratégique
sur le continent noir ont été prépondérantes.
Hormis
les américains qui n'ont pas caché leur sympathie au nouveau régime de Kigali,
les anglais vont leur emboîter le pas. La coopération avec les pays anglophones
en général va vite se mettre en place. C'est l'hégémonie anglo-saxonne qui
menaça la région. La langue anglaise, sans même que la Constitution soit
remaniée, fut utilisée par les soldats ougando-rwandais comme une langue
officielle* . Une campagne
médiatique anglo-saxonne menée contre les hutu commença. Même les agents
anglophones d'Amnesty International, qui étaient censé être neutres dans le
conflit vont clairement avoir un parti pris.
C'est
ainsi que le physicien anglais Peter Hall, dont les connaissances en Physique
ne sont pas pourtant à mettre en doute, va officiellement déclarer que tous les
corps humains déterrés dans les fosses communes au Rwanda après 1994 étaient
uniquement ceux des tutsi. Comment a-t-il pu distinguer les os d'un tutsi de
ceux d'un hutu, d'autant plus que la responsabilité dans les massacres
ethniques survenus au Rwanda en Avril 1994 était partagée entre les deux
protagonistes?
La
coopération des américains avec le FPR va dans la suite se renforcer de telle
façon que les américains ne voulaient même pas entendre une possibilité pour
les hutu de retourner dans leur pays par la voie des armes. C'est ainsi que
partout, ils chantaient que les camps des réfugiés hutu étaient devenus des
bases d'entraînement. C'est suite à cette machination qu'ils ont armé et
entraîné le FPR afin d'attaquer le Zaïre sous le nom des rebelles
"abanyamurenge". Cette attaque des camps des réfugiés de l'ONU qui,
dans les conditions normales, devait être condamnée par la communauté
internationale a même été encouragée, puisque cette communauté voulait
seulement leur laisser un couloir pour rentrer au Rwanda. Elle connaissait
pourtant que les attaquants venaient du Rwanda et qu'ils étaient soutenu par ce
même pays. Les USA, qui avaient armé les agresseurs du Zaïre jusqu'au dents se
sont même opposés à la proposition d'envoi d'une force humanitaire
internationale qui devait secourir ces réfugiés. Pour les américains, le
problème des réfugiés rwandais à ce
moment-là était un problème de second ordre. Ce qui importait, c'était la
conquête des richesses du Zaïre.
La
tactique utilisée par les pays occidentaux, particulièrement les USA, dans le
chaos des pays des Grands Lacs peut ainsi se résumer en ces mots: pour mieux
sauter, il faut reculer. En effet, le silence masqué qui a guidé ces pays face
à l'agression du Rwanda par l'Ouganda en 1990, l'abandon* du peuple rwandais en désarroi lors des
massacres respectivement en avril 1994
et lors de la guerre au Zaïre en 1996, pour ne citer que ces deux exemples, ont
montré que tout cela était le résultat d'une politique délibérée des grandes
puissances occidentales qui se livraient une lutte voilée, mais assez
criminelle pour les africains, afin de se succéder au fauteuil de domination
dans les pays des Grands Lacs. C'est ainsi qu'après la chute du pouvoir de
Mobutu, les Etats Unis ont admis qu'ils ont activement participé à cette chute
en armant le FPR et en l'entraînant. Des soldats américains ont même été sur le
sol zaïrois pour soutenir le FPR et les abanyamurenge. Bien avant même cette
chute, des entreprises pillards américaines avaient déjà conclu avec KABILA des
contrats d'exploitation des mines dans la riche province du Katanga alors occupée
par les mercenaires de KABILA.
Pourquoi
les Etats Unis ont-ils préféré mener une guerre contre un général MOBUTU alors
moribond? Son état de santé ne lui laissait à peine que quelques mois de
survie. Pourquoi ont-ils conclu des accords d'exploitation des mines avec les
rebelles alors que le gouvernement officiellement reconnu était encore en
place? Pourquoi pendant les massacres au Rwanda de 1994, l'ambassadeur du
Rwanda auprès des Nations Unies a été chassé par les américains. C'est vrai
qu'il était hutu, mais les massacres ont eu lieu alors qu'il faisait sa
carrière diplomatique aux USA. Tout cela montre que les pays dits
"développés" et en particulier les Etats Unis, ont leur propre vision
sur le monde. L'impérialisme américain ne voulait pas du tout rater l'occasion
qui s'était présentée de remplacer les européens dans les pays des Grands Lacs.
Avec la conquête du Rwanda qui a servie particulièrement de tremplin pour
attaquer le Zaïre, les américains voyaient leur rêve de piller en maître le
Zaïre prêt à se réaliser. Si actuellement, la guerre froide semble avoir
terminée, les raisons profondes qui l'avaient poussée à être engagée persistent
encore.
Le
comportement de l'Etat américain dans les conflits de ce monde pousse à se
demander si certaines valeurs démocratiques sont standards et universelles. En
effet, ce sont les USA qui essayent de donner plus de leçons aux autres Etats
en ce qui concerne la démocratie. Or, l'histoire nous montre que dès la
première guerre mondiale et même bien avant, les dirigeants de ce puissant pays
soi-disant démocratique devaient, si justice il y avait, être traduits devant
les tribunaux internationaux ayant la compétence de juger les crimes de guerre,
les crimes contre l'humanité et les génocides. A titre d'exemple, citons: la
honteuse guerre du VIETNAM où les américains se sont distingués par une
animosité sans semblable sous le prétexte de lutter contre le communisme, le
génocide au CAMBODGE où Pol Pot était l'homme incontestable des américains, en
ANGOLA où l'UNITA était l'outil de l'impérialisme américain, au SOUDAN où des
milliers de personnes continuent de mourir suite à une sale guerre des
religions soutenue par les USA ou encore au CHILI où le général Pinochet a été
mis au pouvoir par les américains après un putch sanglant. Pinochet a dans la
suite exterminé plusieurs chiliens sur simple consigne des américains.
L'expérience tragique du Soudan devrait faire comprendre aux impérialistes
américains que: qu'on soit animiste ou musulman, communiste ou capitaliste, le
droit à la nourriture est un droit le plus élémentaire de l'être humain. Dans
la recherche prospective visant son hégémonie sur le reste du Monde, l’Occident
et en particulier les USA, base sa stratégie de développement sur la violence,
le cynisme, le racisme, tout cela constituant une source de pillage des
richesses du Tiers Monde. Le racisme des occidentaux, qui exclue
automatiquement les africains, comme le définit D. Banota, est loin d’être une
propriété de niveau individuel mais est défini par une nécessité économique de
pillage configurée au niveau collectif en Occident. Toute cette stratégie
relève d’une réflexion mûrie et à long terme d’un plan global visant à empêcher
le continent noir à se développer d’une manière autonome et donc incontrôlée par
l’Occident. La politique extérieure des USA en matière de mondialisation de la
démocratie constitue ainsi une catastrophe humaine pour plusieurs peuples.
Un minimum de
respect pour un Président* de la République.
Alors
que Habyarimana rentrait d'une réunion importante qui devait mettre en place
les institutions de transition démocratique, son avion fut abattu à l'aéroport
international Grégoire Kayibanda. Cet aéroport avait été l'objet de convoitise
des différents contingents de la MINUAR stationnées à Kigali. Finalement,
c'était le contingent belge qui avait obtenu gain de cause pour assurer la
sécurité de cet aéroport. Au moment de la rédaction de ces lignes, c-à-d cinq
ans après les événements tragiques du Rwanda, les Nations Unies n'ont jamais
voulu montrer officiellement ce qui s'est produit cette nuit là. C'est une
attitude inamicale et humiliante, non seulement envers feu les présidents (et
les autres victimes de l'attentat), mais aussi et surtout envers le peuple
rwandais qui a été directement entraîné dans les massacres. Dans une lettre
officielle adressée aux hauts dirigeants de ce monde, les détenus d'Arusha
écrivent: "le comportement inamical de certains pays traditionnellement
amis du Rwanda s'est progressivement précisé et leur engagement au côté du FPR
s'est avéré déterminent dans sa guerre de reconquête du pouvoir par les
armes"[77]. Un
pays comme la Belgique, dont les soldats campaient dans la zone où s'est
produit l'accident, continue toujours de garder son silence. Pourtant, il était
parmi les meilleurs amis du Rwanda.
Ce
n'était pas pour la première fois dans l'histoire qu'un attentat contre une
haute personnalité politique d'un pays conduisait à des massacres. Il y a lieu
d'évoquer la raison de la première guerre mondiale où l'attentat mortel contre
un prince avait fait basculer toute l'humanité dans l'horreur. Faisant un peu
allusion à l'histoire, il y avait donc lieu de prévenir ce qui allait se passer
après la mort des deux présidents afin d'éviter le pire. C'est pourquoi, il y a
lieu de croire que les auteurs de l'attentat s'attendaient à tout. Ils n'ont
pas du tout été étonné outre mesure de la suite donnée à ce crime qu'ils
avaient minutieusement préparé. Ils n'ont pas non plus été pris au dépourvu par
la guerre qui allait s'intensifier, c'était le contraire. C'était le début de
la réussite de leur plan. D'ailleurs, l'assassinat tragique du président
NDADAYE du Burundi en 1993, tué également par les tutsi, montre bien à quel
degré l'élimination des dirigeants hutu dans les pays des Grands Lacs était
soigneusement préparée. Cet assassinat s'est lui aussi suivi par une
monstrueuse élimination du peuple burundais. Décidément, la solidarité
sanguinaire des dirigeants tutsi des pays des Grands Lacs continue d'échapper à
la vigilance de la communauté internationale.
Ceci
étant, les deux présidents rwandais et burundais ont été abattus comme des
oiseaux qui survolaient l'aéroport Grégoire Kayibanda. Pourtant, cet aéroport
était supposé être gardé par des troupes assez expérimentés et bien équipés. Il
est plus que normal de demander que ceux qui étaient chargé de garder
l'aéroport mettent au clair ce qui s'est produit cette nuit là. Qu'ils
expliquent aux peuples rwandais et burundais ce qu'ils ont fait pour protéger l'aéroport. Pourtant, sous la pression des
parents des 10 casques bleus tués à Kigali, une enquête parlementaire belge a
été ouverte pour déterminer la cause de leur mort. Sans toutefois vouloir
mettre en cause la nécessité et la pertinence de cette enquête, il y a lieu de
se demander pourquoi on a élucidé le problème des soldats tués alors qu'ils
gardaient l'aéroport et l'enquête de celui qui était sensé être gardé a été
mise en oubliette. Cela devrait servir de leçon à certains dirigeants des pays
en développement, qui trouvent encore en des armées étrangères stationnées sur
leur territoire (même s'il y a eu des accords bilatéraux y relatifs), une force
de protection de leurs pays. Plus
d'illusions!
La
guerre déclenchée par le FPR depuis 1990 est la plus meurtrière que le pays ait
jamais connue. Avec un effectif probable dépassant de loin un million de
disparus, elle a plongé le Rwanda dans une longue situation de détresse. On a
même tendance à penser que derrière cette guerre se cachait une visée
malthusienne ( pour les tenants de cette guerre ) selon laquelle le pays était
trop surpeuplé et qu’il fallait trouver un moyen pour limiter cette
surpopulation. Avec la rentrée massive des réfugiés hutu, il y avait lieu de
penser que la diminution de l’effectif total ne sera pas assez visible, mais
avec l'élimination programmée d'une partie de ces réfugiés qui continue, le
contraire peut aussi être vrai. Par contre, les conditions socio-économiques
s’étant visiblement détériorées, il y a lieu de s’attendre à des épidémies qui
vont jouer sur l’évolution future de la population ( augmentation de la
mortalité infantile, sida, etc. ).
Concernant
la sécurité dans le pays, force est de constater que le FPR a fait du Rwanda un
pays où chacun a peur de son voisin. Si avant la guerre lancée en octobre 1990,
le Rwanda était connu pou être un pays de paix, maintenant il est réputé comme
un pays de la peur et de la terreur. Tous les rwandais de l'ethnie hutu ont été
menacé depuis l'agression de 1990. Après les représailles des hutu contre les tutsi en 1994, tous les hutu qui ont eu
les moyens de fuir la terreur tutsi ont quitté le Rwanda. Ceux qui n'ont pas pu
le faire ont été contraint de se soumettre à la volonté des nouveaux maîtres.
Chaque jour, on compte des disparus. Est-ce que le pouvoir est derrière toutes
ces disparitions quotidiennes? Difficile d'affirmer n'importe quoi. Dans tous
les cas, un gouvernement qui n'est pas à même de protéger sa population n'est
pas digne de ce nom et doit assumer toute sa responsabilité.
Faisant
toujours suite à cette guerre, le vieux démon ethnique a été ressuscité
tellement que même l’enfant qui naît actuellement sait de quelle ethnie il fait
partie. C’est pourquoi nous pensons que la seule suppression de la mention
ethnique dans les pièces d’identité sans prendre d'autres mesures est un faux
problème. Elle constitue une approche inappropriée pour résoudre le problème
rwandais. Faire semblant d’oublier son identité sociale alors qu’on reste
foncièrement tutsi ou hutu n’améliore en rien le problème. Le cas du voisin du
sud: le Burundi, est là pour témoigner.
A
ce propos, voici ce que dit Pierre Erny [78]:
« Vouloir biaiser une réalité biologique et sociale à partir de
considérations morales est le meilleur moyen de tout embrouiller. Si l’on
élimine artificiellement le paramètre racial au lieu de le traiter
objectivement et sans passion, on le conduit inévitablement à resurgir dans
l’irrationnel ». Dans le cas du Rwanda, il faut reconnaître sincèrement qu'il y
a un problème de partage du pouvoir*
entre les hutu et les tutsi qui date d'ailleurs des années de l'indépendance. A
défaut de responsables politiques sincères et soucieux d’abord de l’intérêt du
peuple rwandais, la jeunesse risque de grandir dans un climat de lutte
interethnique masquée, tendant tôt ou tard à une nouvelle explosion.
D'ailleurs, la façon dont Habyarimana a géré ce problème n'a qu'à servir
d'exemple. Pour arriver au trône, il s'est servi du problème hutu tutsi pour
éliminer les leaders hutu qui avaient pourtant lutté corps et âme pour
l'indépendance du Rwanda. Tout en se considérant comme un fervent défenseur des
droits des tutsi, il a masqué ce problème qui a resurgit en 1990 avec l'attaque
du FPR. Comment peut-on comprendre que ce sont les tutsi qu'il a défendu et ce
sont les mêmes qui ont été à la base de sa chute horrible? Ou il les a mal
défendu, ou ils sont ingrats. D'ailleurs, en regardant de plus près, il est
probable que ce soient les deux à la fois. De toutes les façons, le bilan de
son régime sur cette question est aujourd'hui sombre. La communauté
internationale s'était laissée encore une fois tomber dans le piège en
sacralisant son régime.
Les
effets de la guerre sur l’agriculture sont assez variés et graves. En juillet
1994, une partie importante des agriculteurs se sont réfugiés à l’extérieur du
pays. Le secteur agricole, qui est la base de l’économie nationale, s’est
essoufflé. En effet, que ce soit pour les cultures vivrières ou d’exportation,
ce sont les petits agriculteurs qui détenaient la presque totalité de la
production. Pour les agriculteurs qui ont regagné leurs terroirs, le climat
d’insécurité et le manque de confiance envers les nouveaux dirigeants ne
militent pas en faveur d’une amélioration de la production. C’est ainsi que la
production pour l’autosubsistance de la famille risque d’être amplement
suffisante, ce qui va se répercuter sur la disponibilité alimentaire nationale,
qui était d’ailleurs aussi presque à la limite du nécessaire.
Par
ailleurs, l’abandon prolongé des champs de cultures depuis le mois d'avril 1994
s’est répercuté négativement sur l’économie du pays. Deux saisons culturales
ont été complètement ratées. La production alimentaire a chuté de plus de la
moitié. Les fermes pilotes, dont celle de l’Institut de Recherches Agronomiques
du Rwanda ( ISAR ), qui constituaient l’espoir pour l’élevage moderne, ont été
pillées. Les bâtiments de cet institut de recherches agronomiques ont été transformés
en une caserne après la victoire du FPR. Bref, le secteur agricole qui
intéressait 90 % de la population a été gravement atteint ce qui explique la
faim qui sévit dans tout le pays. La faim et la pauvreté surtout dans le monde
rural risquent de pousser les gens à émigrer vers les villes. Ce type de
migration conduit tôt ou tard à une tension sociale et à des violences
imprévisibles ainsi qu’à la dégradation de l’environnement urbain.
De même,
l’abandon des réalisations menées en matière de protection des sols ( fossés
anti-érosives, terrasses radicales, haies anti-érosives, l’agroforesterie, etc.
), constitue un coup dur pour l’agriculture rwandaise particulièrement pour
l’environnement. En effet, ces actions qui avaient été réalisées sous la sueur
du peuple afin de pouvoir augmenter la production agricole et sauvegarder
l’environnement sont maintenant délaissées alors qu’elles nécessitent une
protection et un entretien réguliers. Les perspectives de ce secteur dans le
court terme laissent planer un certain pessimisme relatif à l’augmentation de
la production. Sa reprise dynamique sera conditionnée par la stabilisation de
la population dans son terroir tout en veillant à sa sécurité, ce qui va
engendrer une confiance aux producteurs pour la reprise des activités
économiques.
Le
long maintien des agriculteurs dans les limites hors du pays (avril 1994-1996),
ce qui semblait d'ailleurs comme une nouvelle politique en matière de
population des nouvelles autorités de Kigali, et donc un refus de leur
rapatriement dans des conditions humaines, constituait un élément d’insécurité
et déstabilisateur de toute la région des Grands Lacs. Plus ils tardaient à
rentrer, plus il se créait un sentiment de retour par n’importe quel moyen et
plus l’insécurité guettait le pays, rendant aléatoire toute idée de
développement à l’initiative des nouveaux dirigeants. Cela ne faisait que
renforcer les oppositions entre les rwandais (les hutu et les tutsi). De plus, l’entassement
de plus de 100.000 hutu dans des prisons mouroirs *, sans aucun jugement (plusieurs sont
innocents) ne milite pas en faveur de la réconciliation nationale, condition
sans laquelle il sera difficile de penser au développement du pays.
Du point de vue purement alimentaire, après près de cinq
ans de pouvoir tutsi, le pays est totalement sinistré. L'approvisionnement en
denrées alimentaires principales est assuré par l'Ouganda. Cela est
particulièrement inquiétant pour la banane, dont la totalité vient de l'Ouganda
alors que la préfecture de Kibungo était le véritable grenier du pays. Les
habitants de Kibungo ayant été les victimes de la barbarie FPR après sa prise
du pouvoir, la majorité d'entre eux a été massacré. Les squatters du FPR ne se
sont jamais souciés de l'avenir des plantations de bananiers de Kibungo.
Résultat: le Rwanda importe des bananes, ce qui est inconcevable pour toute
personne qui connaît un peu le pays. Il en est de même pour la pomme de terre.
Si avant la guerre, le ministère rwandais de l'agriculture pouvait se féliciter
des résultats atteints en ce qui concerne la culture de la pomme de terre, il
n'en était pas de même pour les autres cultures. En effet, l'introduction des
variétés assez performantes de cette culture avait permis d'arriver à une
production suffisante tellement que le pays pouvait se sentir autosuffisant.
L'Institut des Sciences Agronomiques au
Rwanda (ISAR) avait réalisé des progrès énormes en ce qui concerne les quantités
produites par cette culture.
Les
préfectures du Nord du Rwanda étaient particulièrement intéressantes à cet
égard. Après la prise du pouvoir par le FPR, l'ISAR a été transformé en une
caserne. La région du Nord du pays, dont la population était presque à cent
pour cent hutu et dont les terres volcaniques sont assez riches, a été
considérée comme une région avec une grande insécurité. La population a été
massacrée et les survivants ont été obligés d'aller vivre dans les camps
installés loin de leurs villages (IMIDUGUDU) et donc de leurs champs. C'est
ainsi que le Rwanda FPR connaît une pénurie alimentaire grave. Pourtant cette
pénurie peut être surmontée en peu de temps si les autorités avaient un sens du
bien être de leur population. En juin 1999, les responsables du programme
alimentaire mondial (PAM) ont sonné l'alarme pour venir en aide à la population
du pays. Un habitant rwandais sur cinq n'avait pas assez de nourriture et était
menacé par la faim. Ce bilan catastrophique ne peut pas trouver une solution
dans le court terme que si les autorités rwandaises optaient pour des
politiques de développement du secteur agricole en particulier. Comme aucun
progrès durable ne peut être atteint dans un climat d'exclusion ethnique et
d'insécurité, les responsables rwandais devraient comprendre que la guerre
inhibe tous les efforts du développement. La cessation des guerres d'agression
et la conclusion d'un pacte de paix avec les voisins constituera un pas
important vers l'autosuffisance alimentaire des populations actuellement
éprouvées. Par ailleurs, la clé du développement nationale passe d'abord par
une solution juste, équilibrée au problème social interne qui malheureusement
continue de miner les rwandais.
Concernant
la confiance de la population en ses dirigeants, même si les autorités de la seconde
république étaient fermes en ce qui concerne la participation aux travaux
communautaires de développement, les autorités actuelles risquent d’utiliser la
force pour pousser les gens à participer à ces travaux. Les travaux forcés sous
la colonisation ainsi que le joug féodal ne s’étant jamais effacés dans la
mémoire des hutu, on risque de buter sur une opposition douce entraînant une
situation qui finira par éclater.
Sous
le régime Habyarimana, la majorité des hutu a été obligé de suivre moutonnement
le régime. C'est ainsi que, tout le monde était de fait membre du parti unique
le MRND. Les travaux communautaires de développement (umuganda), dont la
philosophie et le bilan ne sont pas à mettre en cause, étaient aussi coercitifs.
Un exemple parmi tant d'autres est celui des médecins. Qu'on ait des malades à
soigner en urgence ou pas, un médecin
devait aller faire les travaux communautaires le samedi. Les rwandais ne sont
donc pas étrangers à de tels actes qui arrivent même à l'humiliation. Le comble
de la tragédie du régime tutsi actuellement à Kigali est que derrière cette
humiliation, il y a beaucoup de disparitions surtout des jeunes garçons et des
intellectuels hutu. Les autres sont mis en prison ou enrôlés par force pour aller
combattre au Congo voisin. Cette façon d'agir des nouvelles autorités de Kigali
a ainsi créé un climat d'insécurité dans tout le pays. Malgré cela, les pays
limitrophes, continuent de rapatrier manu militari des hutu qui avaient cherché
un refuge chez eux. Cela se fait avec la complicité des dirigeants marionnettes
hutu de Kigali. Décidément, le raisonnement de plusieurs rwandais avant la
guerre d'octobre reste valable. Umuhutu w'icyitso arutwa n'inkotanyi autrement
dit un inyenzi inkotanyi est mieux qu'un hutu conspirateur.
A
l’échelle régionale, les rwandais et les burundais étant des peuples frères où
des minorités sont parvenus à dominer la majorité, les tutsi rwandais ont
d'ores et déjà coalisé militairemenr
avec leurs frères burundais. Ils s'appuient sur des armées monoethniques afin
de pouvoir exploiter et dominer longtemps les hutu. Cela constitue un facteur
en plus d'aggravation de l’insécurité dans la région.
Dans
le souci d’un équilibre harmonieux entre la population et le développement, le gouvernement
rwandais avait adopté en 1990, une politique de population dont l’objectif
était de diminuer la fécondité en ramenant le nombre moyen d’enfants par femmes
de 8 à 4 enfants à l’an 2000. Après une guerre fratricide qui a emporté
plusieurs vies humaines et dans un climat de manque de confiance entre les
administrés et l’administration, peut-on encore parler de limitation de
naissances? Si avant la guerre, le planning familial avait du mal à être
accepté, nous pensons que, quels que soient les termes à utiliser, il sera
difficile à un tutsi de dire à un hutu de limiter sa procréation et vice versa.
Pourtant, une politique démographique est nécessaire.
Quant
aux biens saisis et que les anciens réfugiés tutsi considèrent comme une
récompense (butin) après quatre années de lutte, ces biens constituent à la
longue une bombe à retardement qui tôt ou tard va sauter. En effet, quelque
soit la durée que les propriétaires vont passer à l’extérieur, leur retour
entraînera la réclamation de leurs biens. Nous pensons que c’est un mauvais
antécédent pour la réconciliation des rwandais, étant donné que plusieurs
tentatives de récupérations de ces biens se sont suivi par des enlèvements et
des disparitions des propriétaires. Pourra-t-on encore penser aux investissements
privés de développement quand la propriété privée est violée sans recours?
En
matière d’éducation et de santé, une partie importante du personnel médical et
enseignant n’est plus dans le pays, la majorité se trouvant à l’extérieur. Les
élèves aussi ont subi le sort de leurs parents. Si la conjoncture
socio-économique avant la guerre avait été aggravée par le programme
d’ajustement structurel qui n’était pas favorable au développement du secteur
médical, notamment en ce qui concerne la disponibilité des médicaments dans
toutes les infrastructures sanitaires en place, il y a lieu de se demander pas
mal de questions sur l’équipement actuel et futur de ces infrastructures ainsi
que sur la qualité des services rendus. La même question se pose pour le
secteur de l’éducation.
Tout
comme plusieurs autres pays en voie de développement, le Rwanda reste classé
parmi les régions sanitaires où les maladies endémiques n'ont pas été encore
été éradiquées. Parmi les terribles maladies qui guettaient même le pays avant
la guerre, il faut citer le sida dont les facteurs sont tout à fait réunis pour
sa propagation.
On peut citer: -l'entassement des hutu dans des
camps de réfugiés sous des conditions hygiéniques insupportables;
- les bavures contre les droits de
l'homme commises par les deux parties en conflit dont la violation des femmes
et des enfants;
-
la rentrée massive au Rwanda des réfugiés tutsi venant d'un pays réputé en ce
qui concerne cette maladie (Ouganda);
-
l'utilisation d'un personnel médical insuffisant et non compétent;
-
le manque de moyens pour la prévention et la lutte de cette maladie et qui sait
encore, la rancune ancrée dans l'esprit de certains individus mal intentionnés
exerçant dans la profession médicale....; tout cela montre que la guerre aura
une effet dévastatrice sur la population rwandaise dans les années à venir.
La
vie presque impossible menée par les hutu dans les camps au Zaïre a fait qu'un
bon nombre y a laissé la vie. L'attaque menée par le FPR et les soi-disants
" abanyamurenge" pour détruire ces camps a fait plusieurs victimes
sur place. Une bonne partie de ceux qui ont pu rentrer au pays sont morts aussi
chez-eux (les soins n'étaient pas suffisants pour des personnes ainsi
affaiblies). En général, on peut dire que cette guerre aura un effet
catastrophique sur l'évolution de la
population rwandaise sans distinction de classe d'âge, mais il est fort
probable que la tranche d'âge des jeunes sera plus touchée.
Concernant
l’occupation de l’espace national, les villes ont été très vite occupées, mais
la campagne n’a pas aussi été épargné. Quelques paysans tutsi se sont surtout
installés avec leurs troupeaux dans les préfectures limitrophes avec l’Ouganda
et le Burundi. Par ailleurs, certaines préfectures sont devenues des vraies
tutsilands. Cette occupation de la campagne amène à se poser la question du
partage des terres entre les agriculteurs. Y aura- t-il une réforme agraire
conduite par le gouvernement ou le plus fort continuera à occuper autant de terres
qu’il veut? Jusqu’à présent, aucune politique en la matière n’a été avancée.
Les militaires les plus hauts gradés se sont partagés les plus bonnes terres.
Si le problème de partage des terres n’est pas réglée officiellement, la
population risquera de régler ce problème en utilisant la force, ce qui risque
de causer un climat d’insécurité.
Par
ailleurs, pour résoudre le problème des personnes sans propriété, le
gouvernement s’est proposé de distribuer l’espace du parc national de l’Akagera
entre les agriculteurs-éleveurs[79].
La région de l’Akagera étant classée parmi les zones agricoles du pays à
écosystème trop fragile, nous pensons qu’il a été trop imprudent et dangereux
d’y installer les agriculteurs. La production agricole n’y est pas appropriée
et est trop limitée dans le temps. L’élimination probable de la faune et de la
flore du parc portera préjudice à l’environnement et on aura certainement des
retombées non intéressantes sur la vie dans la région, sans minimiser des
répercussions négatives éventuelles sur l’économie nationale (ce parc était
l’un des rares sources de devises du pays).
Toujours
à propos de l’occupation de l’espace, l’apparition des préfectures ou des zones
habitées essentiellement par une seule ethnie (tutsiland et hutuland) constitue
un antécédent malheureux pour le développement de ces régions. L’opposition
presque automatique de la minorité de la population hutu de ces régions est
dans le court terme une source d’insécurité et de violences probables. On
risque aussi d’assister à une répartition inégale de l’investissement
socio-économique dans ces zones, qui sera vraisemblablement assimilé aux
ethnies avec des privilèges absolument inégales pour les uns et pour les
autres.
La
guerre, qui a commencé en 1990 a détruit tout le pays. Une année après la
victoire des tutsi sur les hutu, le problème de la rentrée des réfugiés, qui
était à la base de ce conflit n’avait pas encore trouvé de solution et même
l’acuité de la question avait prise une autre ampleur. Le chiffre des réfugiés rwandais hutu s’était
multiplié par plus de 3 fois par rapport à celui de 1990. La solution prise par
le gouvernement tutsi de Kigali a été de les massacrer dans les camps, les
rescapés étant obligé de regagner les prisons à l'intérieur du pays (cfr. guerre
au Zaïre). A l’heure actuelle, aucun vrai programme de réconciliation n’a été
envisagé. Pourtant, des propagandes diverses, même à l'extérieur du pays et non
sans intérêt pour les uns ou pour les autres, continuent de diviser les
rwandais au lieu de les unir (après la guerre en 1994, tout individu hutu, même
dans les pays qui étaient censé connaître le problème rwandais, a été considéré
comme génocidaire). A moins que les concernés ne se mettent autour d’une table
pour régler leur différend, la guerre risque de reprendre et la fin de cette
phase prochaine sera probablement décisive vers la reconstruction réelle du
pays.
En
général, avec un programme officiel publié par le Front Patriotique Rwandais et
auquel toute personne animée de bon sens pouvait parfaitement adhérer
« unité national, institutions démocratiques, économie dynamique, efforts
en vue de l’industrialisation, lutte contre la corruption, droit des réfugiés à
rentrer au pays, droit à la sécurité, coopération interafricaine » [80]
il est malheureux de remarquer qu’après plus de quatre années au pouvoir, de
bonnes intentions et de promesses politiques du FPR ne sont devenues que des
chimères. Du point de vue démocratique, il est malheureux de remarquer que la
démocratie, tant souhaitée par la majorité des rwandais est restée lettre
morte. Le FPR qui en faisait un outil de propagande contre le pouvoir de
Habyarimana, reste actuellement muet sur ce sujet. Pourtant, le manque de
démocratie du temps de Habyarimana est
l'une des causes qui a plongé le pays dans les pires massacres que le
Rwanda ait jamais connus. Cinq ans après avoir pris le pouvoir à Kigali, les
autorités FPR viennent de décréter qu'ils ne veulent pas mettre en jeu leur
pouvoir par la voie des urnes. Pourtant ils s'étaient donné un délai de cinq
ans pour accorder au peuple rwandais d'élire ses dirigeants. Tout cela montre
encore que les gouvernants ne peuvent pas bien gouverner s'ils ont peur de
leurs gouvernés. Aussi longtemps que les tutsi de Kigali auront peur des hutu,
ils ne pourront jamais mettre en jeu le pouvoir qu'ils ont acquis par les
armes, après quatre années meurtrières de combats. Ici encore, il y a lieu de
se demander l'utilité de la communauté internationale. Elle continue de
soutenir un régime oppressif qui du point de vue développement du pays reste
totalement absent. Sur tous ces points cités, il faudra probablement une succession de plusieurs
républiques pour atteindre le niveau de développement que le Rwanda avait
atteint avant la guerre. Curieusement, même en ce qui concerne le droit des
réfugiés à rentrer, il est étonnant de remarquer que certains intellectuels
tutsi ont profité des événements malheureux qui ont secoué le pays pour
renforcer leur droit d’asile (nouvelles demandes d’asile, regroupement des familles
élargies à l’extérieur du Rwanda, etc.).
Dans
les faits, les tutsi qui quittent actuellement le Rwanda sont des réfugiés
économiques. Pourtant, ils se déclarent aussi comme des réfugiés politiques.
Afin d'être accueillis sans problème par les pays occidentaux, ils se
considèrent comme des victimes du régime tutsi de Kigali et donc comme des
réfugiés politiques. C'est ainsi qu'ils annoncent officiellement qu'ils sont
hutu. Les pays occidentaux devraient se demander pourquoi presque tous les
rwandais qui arrivent chez eux, avec l'intention de demander l'asile, se
déclarent tous comme des hutu. Pourtant, ils sont hutu mais aussi et tutsi.
Décidément, la suppression de la mention tutsi dans les identités a déjà
commencé de porter ses fruits. Ils se font passer pour des hutu alors qu'ils
sont tutsi. D'ailleurs, parmi les candidats réfugiés rwandais après 1994, rares
sont des tutsi qui ont déclaré correctement leur ethnie. Etre tutsi leur
créerait-il un tort? Pourtant, ils sont nombreux à s'être présentés comme des
hutu chassés par le pouvoir tutsi de Kigali.
Sous
le régime précédent, il n'y a jamais eu ou presque pas de réfugiés rwandais.
Aussi longtemps que les hutu de l'intérieur du Rwanda se feront passer pour des
tutsi (on a remarqué que certains hutu au pouvoir à Kigali se font passer pour
des tutsi afin de rester à leurs postes) pour pouvoir survivre, et des tutsi
pour des hutu pour des raisons diverses, le Rwanda ne pourra jamais vivre en
paix. La communauté internationale qui est le principal bailleur des fonds des
actions de développement du Rwanda, mais aussi, le principal bailleur des
divers conflits, devrait comprendre que les pays moins avancés ne pourront
jamais se développer tout en entretenant des guerres d'agression.
Le
régime minoritaire de Kigali, qui a peur de sa population, risque de ne jamais
penser à la démocratisation des institutions du pays. En effet, l'organisation
des élections libres et transparentes conduirait inévitablement à la chute de
ce régime d'où les bavures actuelles des droits de l'homme (arrestations
arbitraires, exécutions sommaires, etc.) qui visent essentiellement tous ceux
qui sont potentiellement présumés capables de s'opposer à leur régime. Etant
donné que tout cela se fait devant une communauté internationale qui semble
cautionner cette situation, le pays risque fort de glisser vers le drame d'un
totalitarisme militaire tutsi. Ainsi, la communauté internationale qui continue
de soutenir un régime imposé à la majorité de la population par la force,
devrait comprendre que la paix, condition nécessaire pour un développement
durable n'est possible au Rwanda sans une solution juste du problème
politico-ethnique rwandais.
Du point de vue économique, force est de constater que la
guerre des inyenzi-inkotanyi a plongé le Rwanda dans un gouffre que seule la
communauté internationale peut combler. A l'instar des autres pays sortis de la
guerre, le Rwanda devait bénéficier d'un plan spécial de sauvetage. Ce plan a
été établi. L'utilisation des fonds alloués à ce projet de relance des actions
de développement devaient normalement être minutieusement contrôlée par la
communauté internationale. Hélas, ce ne fut malheureusement pas le cas. Au lieu
de s'occuper de la reconstruction du pays, les nouvelles autorités de Kigali se
sont cachée derrière le paravent du génocide de 1994 afin de privilégier
l'achat des armes ainsi que des détournements des fonds publics. L'attaque par
le Rwanda de son voisin de l'OUEST, avec une guerre qui vient de durer plus de
deux ans, montre à quel point l'armement a été privilégié par rapport aux
actions de développement. Les experts estiment que pendant un mois, le Rwanda
dépense un million de dollars pour entretenir cette guerre. Pourtant, le pays
n'a pas de tels moyens.
D'où sont venus alors ces milliards de dollars?
Apparemment, la communauté internationale y est pour quelque chose. Tous les
fonds qui devaient servir à la reconstruction et au développement du pays sont orientés dans la guerre. La communauté
internationale ne devrait pas se poser des questions sur la provenance de ces
fonds. Pourtant, elle a laissé faire et le F.M.I. continue de verser des prêts.
Qui va payer ces millions de dollars versés pour massacrer les enfants du pays
ainsi que leurs voisins de l'ouest du
Rwanda? A part le secteur militaire qui bat le record dans le recrutement des
soldats à envoyer sur le front, les autres secteurs du pays sont paralysés. Les
jeunes ne peuvent plus trouver du travail dans le pays. Même les tutsi qui
voient plus loin ont commencé aussi de fuir le Rwanda. Malheureusement, ils
gonflent l'effectif des réfugiés rwandais.
Derrière cette agression du Congo suivi par l'occupation
de sa partie de l'est, se cachent quelques réalités économiques tant convoitées
aussi bien par les grandes puissances de ce globe que par les voisins immédiats
du Congo. En fait, le but principal qui a poussé les tutsi rwandais à attaquer
le Congo démocratique n'est ni de sécuriser ses frontières, ni de défendre
leurs congénères: abanyamurenge. Ce sont principalement les richesses minières
de ce pays qui ont réellement été à la base du conflit que continuent d'appuyer
indirectement, mais d'une façon assurée, les divers pays impérialistes. Si,
d'une façon régulière le Rwanda exportait quelques unités de kilo d'or et de cassitérite,
il est frappant de remarquer que pour l'année 1998, il a exporté plusieurs
dizaines de tonnes de diamants et d'or. Comment peut on expliquer qu'un pays
dont le sous sol n'a pas de diamant, exporte de telles quantités? Le Rwanda ne
pourra quand même pas continuer de piller éternellement le sous sol du Congo!
Ce qui est pire encore, c'est que les recettes de ces exportations ne vont pas
dans les caisses de l'Etat, mais servent à quelques individus seulement. C'est
pourquoi, la guerre que le Rwanda continue de mener contre le Congo cache une
certaine réalité économique. Ses victimes devraient tôt ou tard être demandées
à quelques individus malhonnêtes qui
s'enrichissent illicitement au mépris des vies humaines des populations
rwandaises et congolaises. La communauté internationale y est pour grand chose.
Malgré la situation désastreuse de l'économie nationale, les responsables tutsi
continuent de tromper le monde avec les fausses statistiques (ils affirment par
exemple que la croissance nationale a été plus de 8 %, que l'Etat de droit a
été réetabli, etc.).
En
ce qui concerne les relations entre le Rwanda FPR et les autres pays, il y a
lieu de se demander comment vont évoluer
les relations du gouvernement tutsi de Kigali avec ses voisins directs. Si ce
gouvernement a fait du génocide de 1994, un vrai fond de commerce, rares sont
les pays qui ont pu ou voulu comprendre la réalité fondamentale du problème
rwandais. Il est politico-économico-ethnique. Les autres tentatives
d'explication ne sont que secondaires. Le génocide donc n'a été qu'une
conséquence de la lutte pour le pouvoir. Il ne devrait donc en aucun cas servir
d'alibi pour le pouvoir actuel afin de faire n'importe quoi dans le pays et à
l'extérieur. Pourtant, plusieurs pays semblent être d'accord avec le projet
FPR. Celui-ci continue de se considérer comme victime des massacres
interethniques au Rwanda alors que c'est lui qui a été à la base de tous les
maux que connaît le pays depuis octobre 1990. Si tout le monde voulait
reconnaître la vérité sur la guerre de 1994 au Rwanda, quelle serait l'attitude
du FPR? Quelle que soit la prise de position des divers pays à ce propos, le
FPR a pu tromper l'opinion internationale, ce qui milite jusqu'à présent en sa
faveur. Pourvu que ça dure. Tromper une fois tout le monde, c'est possible,
mais tromper toujours tout le monde, c'est impossible. C'est là le piège qui
attend les nouvelles autorités tutsi de Kigali. Si les pays commençaient à agir
objectivement selon que tel acteur dans le conflit rwandais a été responsable
de ceci ou de cela, la réalité leur serait apocalyptique. Confions tout à
l'avenir. Peut-être, il nous le prouvera.
La société rwandaise
après la prise du pouvoir par les inyenzi-inkotanyi
La
prise du pouvoir par la minorité tutsi à Kigali en juillet 1994 a changé toute
la monographie du Rwanda. Toutes les données relatives à la population ont
complètement changé suite aux effets de la guerre d'une part et de l'autre part
suite à un envahissement massif du territoire national par tous les étrangers
qui avaient combattu du côté de cette minorité. Ainsi, les proportions
ethniques dans l'occupation du territoire se sont vu brutalement modifiés et
quelques préfectures sont purement devenu des chasse gardés des tutsi: des
tutsilands (préfecture de Byumba, Kibungo, ...).
La
démocratie étant devenue ces dernières années une arme efficace et un facteur
nécessaire exigé par les bailleurs de fonds, cette minorité installée à Kigali
n'est pas sans le savoir. Même si les pays impérialistes, en l'occurrence les
américains continuent de soutenir cette occupation d'après guerre, les tutsi au
pouvoir connaissent qu'un jour ou l'autre le courant démocratique finira par
souffler. La lutte sera rude et même catastrophique pour plusieurs vies
humaines des hutu, mais la démocratie finira par s'imposer. Il faut reconnaître
que la reconnaissance d'une armée rebelle tutsi par la communauté
internationale comme une armée nationale a porté un coup dur au projet de la
démocratisation du Rwanda. En effet, au moment où les rwandais se plaignaient
que l'armée Habyarimana constituait un frein à la démocratisation, ils
n'avaient jamais pensé que cette armée régionale sera remplacé par une armée
monoethnique. Cette erreur de jugement n'est pas à mettre sur le dos du peuple rwandais,
mais à ses dirigeants qui n'ont pas pu voir plus loin. Un pouvoir dictatorial
tutsi, soutenu par une armée monoethnique tutsi, ne pourra être ébranlé que par
l'emploi d'une certaine force. Un changement paisible de pouvoir au Rwanda ne
devient ainsi qu'un rêve chimérique.
Le
retour à la démocratie inquiète toujours la minorité au pouvoir à Kigali. C'est
pourquoi, après leur victoire, les tutsi essayent de massacrer le plus possible
de hutu. L'objectif serait de réduire la population hutu à un taux avoisinant
celui des tutsi, c'est-à-dire plus ou moins 15 %. Ils ont déjà commencé ce sale
besogne avec la complaisance de certaines puissances occidentales. La mise en
exécution de cet objectif a déjà trouvé sa démonstration dans la guerre que les
pays voisins de l'ex-Zaïre ont lancé contre ce dernier en 1996. Les puissances
qui dirigent les Nations Unies ont d'abord longtemps tergiversé sur la force
internationale de secours des réfugiés. Ils ont finalement décidé qu'aucune
mission n'était nécessaire. Pourtant, ils savaient bien que les réfugiés hutu
avaient été attaqué par ceux qui les avaient chassé de leurs pays. Plusieurs
hutu ont été tué dans cette opération virtuellement parrainée par les
américains. Les survivants ont été obligé de retourner dans le pays. Est-ce que
la communauté internationale s'est donné la peine de suivre leur sort? Le
silence qui a caractérisé les médias dans les boucheries humaines de Goma,
Bukavu, Tingitingi, Kisangani..., présagent déjà une complaisance notoire ainsi
qu'un pessimisme de haute trahison quant à leur sort. Quel a été le sort des
milliers d'autres restés dans le champ des tirs des rebelles rwando-zaïrois?
N'allez pas loin pour trouver la solution.
Le
Rwanda après 1994 rique de voir émerger une société multiculturelle. Si avant
la guerre, les rwandais (hutu et tutsi) se communiquaient avec une seule langue
maternelle (kinyarwanda) et avec une seule langue étrangère (le français) qui
était d'ailleurs officielle, cette situation a changé. La provenance des réfugiés
tutsi dans plusieurs pays a fait que les langues prolifèrent. Les langues
officielles qui étaient normalement le kinyarwanda et le français se sont vu
concurrencé par l'anglais. Dans le cercle de certains tutsi, les langues les
plus usuelles sont celles des pays voisins. Ceux qui se bornaient sur
l'argument culturel de la langue pour expliquer que les hutu et les tutsi sont
les mêmes risquent d'être étonnés dans un proche avenir. En effet, avec
l'arrivée au pouvoir des tutsi en 1994, on peut dire que le pays est peuplé par
un mixing de populations en provenance de divers pays. La culture rwandaise
risque d'ailleurs être de second plan.
Trente
trois années après le recouvrement de son indépendance, l’avenir du Rwanda,
tout comme d’ailleurs celui de plusieurs autres pays en développement paraît
assez sombre. La dépendance assez prononcée du Rwanda vis à vis de l’extérieur,
l’ingérence des pays dits « développés » dans les affaires des pays
sous développés, les dirigeants peu soucieux de l’intérêt de la grande masse
paysanne et souvent corrompus, la puissance hégémonique dont rêvent la plupart
des pays, sont autant de critères parmi tant d’autres qui enferment plusieurs
pays dans le sous développement.
La
guerre imposée au Rwanda à partir de l’extérieur depuis 1990 a été assez
meurtrière. Tout le pays a été détruit et la reconstruction ne se fera pas dans
un jour. Malgré cette accalmie relative qui est dans le pays, les risques
d’explosion sont éminentes. Cette malheureuse expérience a montré que la guerre
ne peut pas résoudre les problèmes. Malgré qu’on admette que celui qui veut la
paix prépare la guerre, les différents antagonistes de ce conflit devraient
oeuvrer pour que cesse tout ambition qui conduirait à la reprise de la guerre.
Tout devrait ainsi être fait pour arriver à une paix durable, seule capable de
permettre la reconstruction du pays.
Quant
aux milliers de réfugiés qui étaient encore à l’extérieur du pays, nous
pensions que la meilleure approche qui pouvait donner une solution durable au
conflit rwandais, était de procéder paisiblement au rapatriement de ces réfugiés. Hormis l’effet négatif que
leur absence exerçait sur l’économie nationale, ils constituaient également une
source potentielle d’insécurité aussi bien à l’intérieur du pays que pour toute
la région. Cela n'a pas été fait d'une façon pacifique, puisque la guerre
livrée contre le Zaïre pour chasser ces réfugiés a coûté la vie à une partie
importante d'entre eux. Par ailleurs, nous pensions qu’il était grand temps de
résoudre d’une façon pacifique et définitive le problème des réfugiés rwandais.
Ceux qui justifient le bien fondé de cette guerre par la recherche d’une
solution au problème des réfugiés devraient comprendre que la guerre n’a rien
résolu, mais que par contre elle a accentué les divergences entre les rwandais.
Elle a laissé les survécus dans une situation psychologique et économique grave
que le pays n’a jamais probablement vécue.
Le
problème hutu tutsi est devenu une réalité évidente. Quiconque voudra ignorer
cette problématique n'aura qu'une vision sociale erronée du Rwanda. Le défi
lancé à chaque rwandais est de surmonter les limites sociales divisionnistes
tout en reconnaissant son identité personnelle. Cela ne pourra pas se réaliser
en un jour. Il faudra des années, des décennies ou même peut-être un siècle.
L'important est d'y arriver. Ceux qui, volontairement ou pas, essayent de
cacher ce problème rendent un mauvais service aux rwandais. La sagesse
rwandaise nous répète que: IBUYE RYABONETSE NTILIBA LIKISHE ISUKA, ce qui peut
littéralement se traduire par "quelle que soit la pierre qui se trouve
dans votre champs, si elle est visible, elle ne peut pas abîmer votre
houe".
Dans
le cadre d'un développement national durable, l’approche de solutions surtout
du problème hutu-tutsi ne devrait pas normalement être passagère comme c'est le
cas actuellement. Ceci demande une mobilisation de toutes les ressources
humaines et économiques du pays mais aussi une grande franchise et une
responsabilité patriotique de la part des dirigeants. L’intervention de la
communauté internationale ne pourra que venir en appuie.
Concernant
la réconciliation, il faut dès maintenant savoir que c'est un travail de longue
haleine. Contrairement à ce qu'a fait le FPR, la formation* de tout un peuple ne se fait jamais en
deux mois. Des cours magistraux, quels que soient leur contenu et les individus
qui les dispensent, ne peuvent en aucun cas servir pour former un homme
nouveau, libre de toute vieille pensée désuète. Ce travail devrait être aussi
bien planifié, non coercetif et concerner tous les rwandais, quelles que soient
leurs origines.
L’économie
du pays a été complètement paralysée suite aux intérêts particuliers des belligérants.
Tout un peuple a été mis en déroute. Sans aucune vision du développement qui
donnerait une priorité à l’intérêt de la nation avant les intérêts
particuliers, le pays court encore vers une catastrophe. Au lieu d'afficher une
volonté ferme de s’armer pour lutter contre ses concitoyens, il est grand temps
de restructurer le secteur agricole, qui occupe 90 % de toute la population et
qui constitue la principale branche de l’économie nationale, de lutter contre
les diverses épidémies et l’analphabétisme qui guettent le peuple rwandais. La
relance du secteur agricole, en y injectant des moyens nécessaires et en
essayant de lutter contre la miniaturisation des parcelles agricoles familiales
par une politique agricole appropriée pourra être bénéfique pour la relance de
toute l’économie. Le choix préféré par le régime FPR de s'enfermer dans une logique de guerre à gagner coûte que coûte
ne conduit le pays qu'à sa nouvelle destruction.
Afin
de lutter efficacement contre le fléau de la misère et de la pauvreté, un
gouvernement soucieux des intérêts de la grande masse de la population
rwandaise devrait être formé. Si la superficie d’une exploitation agricole
familiale oscillait autour d’un hectare avant la guerre, l'évolution de cette
situation dans un proche avenir n'est pas de bonne augure. Par ailleurs, le
nombre d'enfants par femme continue d'être assez élevé. A cette fin, le
gouvernement devrait vite adopter des politiques claires et appropriées en
matière agricole, démographique et de l'habitat.
Pour
asseoir une vraie politique de développement, un climat de confiance entre la
population et les responsables du pays devrait être vite instauré. Cette
confiance ne peut se cultiver qu’à travers les outils de la démocratie,
particulièrement les élections des dirigeants. Tout cela exige comme préalable
la paix. Cette paix ne pourra se concevoir sans la participation des puissances
étrangères qui n’ont pas hésité à participer sans réserve au côté de l’une ou
de l’autre partie en conflit. Pourra-t-on attendre de l'Ouganda ou des Etats
Unis d'Amérique un plan Marshall pour le Rwanda? Malheureusement, quand il
s’agit de déstabiliser les régimes, les financements des armes sont très vite
disponibles mais quand il s'agit des actions de développement, les fonds viennent
au compte-gouttes. La guerre au Rwanda a été déclenché par les ex-réfugiés,
mais elle a été soutenu financièrement, moralement et matériellement par les
puissances étrangères. Aussi longtemps que ces puissances ne se seront jamais
mis en cause, la guerre risque de s’éterniser. La mise en cause des politiques
belligérantes et impérialistes de ces
pays constitue donc un pas important dans la reconstruction non seulement du
Rwanda, mais de plusieurs pays du globe.
La
communauté internationale, qui avait pourtant soutenu les accords d'Arusha n'a
pas exigé leur exécution. Les conséquences sont pourtant catastrophiques. Le
Rwanda et le Burundi ne pourront jamais être démocratiques avec leurs armées
monoethniques tutsi. Il faudra d'abord les détruire pour libérer ces pays étant
donné que l'expérience politique malheureuse du Burundi a montré que la voie
pacifique ne mène nul part. Le pouvoir n'est ni jamais offert si gentiment à
son adversaire ni partagé comme certains veulent nous le faire croire, mais il est
donné par le peuple ou est conquis par la force.
Aussi
longtemps que les vrais causes de la tragédie rwandaise n’auront pas été
élucidées; aussi longtemps que les racines du conflit n’auront pas été secouées
et aussi longtemps que les coupables des
deux parties en conflit n'auront pas été punis, il sera toujours difficile
de reconstruire le Rwanda. A mon avis, parallèlement aux actions du tribunal pour le Rwanda, la communauté
internationale qui est jusqu’à présent la seule à pouvoir rétablir l’ordre et
la paix dans le pays, devrait exiger un programme de démocratisation profonde
de la vie nationale. A l’instar du protocole d’accord sur l’intégration des
forces armées des deux parties en conflit, qui avait été signé à Arusha le 3
août 1993, il faudrait revoir à fonds la mission ainsi que la composition
ethnique de l’armée nationale dans ce processus. Ici, l'option de la
suppression de l'armée nationale ne serait pas à exclure, (il y a des pays qui
vivent sans armée). Par ailleurs, la solution au problème rwandais devra
s'inscrire dans un cadre régional. C'est en rétablissant la paix dans les pays
des Grands Lacs que chaque pays se sentira sécurisé individuellement.
Etant
donné le climat de peur et de méfiance qui continue de régner au Rwanda,
principalement parmi ceux qui pilotent l'avenir du pays, l'armement dépasse
plus que jamais toute autre initiative de développement. Pourtant, le rwandais
n'a pas besoin ni de bombe, ni de kalachnikov, ni d'autres armes de
destruction. Il a besoin de vivre, de la paix. Cette paix ne pourra être
concevable que s'il y a des hommes et des femmes animés de bonne volonté
(toutes ethnies confondues), capables de dépasser les haines actuelles et créer
un Rwanda nouveau. Le développement du Rwanda ne peut se concevoir sans cette
paix qui ne peut être durable que si tous les rwandais (différentes mouvances
politiques et ethniques) acceptent de s’asseoir ensemble et débattre
sincèrement leurs problèmes. Un
gouvernement imposé par la force, soit par les pays limitrophes ou par la
communauté internationale, ne pourra en aucun cas résoudre ces problèmes. C'est
pourquoi la création d’un Etat de droit et démocratique contribuerait à amener
cette paix. C’est là que la communauté internationale devrait mettre tout son
mieux pour épauler le pays dans son effort vers le développement.
C'est
dans ce cadre que seul un Etat de droit au Rwanda pourra considérer l'individu
hutu et tutsi tels qu’ils sont, en respectant leurs valeurs individuelles mais
également en tenant compte de leurs valeurs collectives. Nous restons ainsi
convaincu que le principal moyen pour arriver à une paix durable et entamer un
processus de développent, c’est de créer un Etat de droit. C’est en vivant dans
un Etat réel de droit que les rwandais pourront cohabiter ensemble.
Ethnologiquement parlant, les hutu et les tutsi pourront être fiers de ce
qu’ils sont et ne nieront plus leurs identités. Cette diversité identitaire
pourra être même enrichissante.
L'histoire
du Rwanda reflète la vie des rwandais dans leur dure et longue lutte pour le
développement. Avec la guerre imposée au Rwanda par le FPR depuis 1990, cette
histoire est passionnément transformée par tous ceux qui prétendent connaître
la vérité des rwandais. Qu'ils soient professeurs, savants, experts ou que sais-je
encore, personne ne peut connaître la réalité rwandaise plus que les rwandais
eux-mêmes. Nous avons donc le devoir d'écrire notre histoire. Attendre que les
autres le fassent pour nous, souvent avec passion, est un signe de manquement
et de faiblesse des intellectuels du pays.
Concernant
les biens occupés et saisis, les autorités actuelles sont juridiquement sensés
être responsables de tout ce qui se passe. Ils devraient éclaircir le mode de
leur gestion en attendant que les propriétaires rentrent. Faute d’une gestion
claire basée sur la loi, on peut s’attendre aux luttes éventuelles même entre
les occupants actuels sans parler des vrais propriétaires qui ne peuvent jamais
oublier les efforts investis pour profiter aux autres. Il en est de même en ce
qui concerne l’occupation spatiale du pays. Les départements ministériels ayant
l’aménagement du territoire dans leurs attributions devraient s’atteler à ce
que l’accroissement des villes du pays soit planifié. Sans cette vision
organisatrice de l’espace urbaine et rural, le Rwanda risque de sombrer dans
des problèmes économiques et environnementales que nos générations futures ne
pourront jamais nous pardonner. C’est dans ce sens qu’un large programme de
création des pôles ruraux de développement avait été entamé sous l'ancien
régime. Il devrait recevoir des autorités FPR le feu vert pour son exécution
urgente.
Cette
guerre a emporté plusieurs vies humaines. Les chiffres actuellement avancés par
tous ceux qui s’intéressent, de loin ou de près, à l’avenir du Rwanda sont tout
à fait sentimentaux. Afin de permettre aux planificateurs de la reconstruction
de partir d’une base sûre, nous pensons que les bailleurs de fonds qui oeuvrent
déjà dans le pays, devraient inclure dans leurs priorités, un recensement
général de la population et de l’habitat qui lèverait le voile sur toutes ces
ambiguïtés. Dans le même cadre, un inventaire des infrastructures existantes et
détruites par la guerre faciliterait la tâche à la reconstruction.
Par
ailleurs, la situation du bien être de la population rwandaise s’est
sensiblement détériorée. La campagne qui, il n y a pas longtemps, ne
connaissait jamais de jachère, est restée longtemps relativement vide. L’offre
en produits alimentaires a diminué, l’état sanitaire s’est empiré suite au
manque de médicaments, du personnel médical mais aussi des frais relatifs aux
soins de santé. Tout cela est en grande partie le résultat de la mauvaise
gestion de la chose publique par le FPR. Le PNB par habitant a chuté de 320 dollars
américains en 1988 à 60 dollars en 1997. Devant cette situation, l’école est
fréquentée seulement par ceux qui ont encore les moyens. Tels sont les défis
que le pays doit affronter à l’aube du vingt et unième siècle.
Dans
le but de lutter contre le problème de l'impunité, de construire un nouveau
Rwanda fondé sur une base solide, un tribunal national pénal, indépendant,
impartial pour le Rwanda (sinon la restructuration du mandat du tribunal
international actuel) est nécessaire.
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Annexe
1
NEUF MOIS DE
TRAGEDIE A L’EST DU ZAIRE
MON JOURNAL (par l’Abbé NTIHABOSE Jean
Berchmans)
Introduction
Qu’est ce que l’opinion internationale ?
Avant, quand j’étais encore petit, je croyais que
l’Opinion Internationale était un ensemble d’opinions et des idées
constructives qui défendent le droit de l’homme et qui luttent pour la paix
entre les habitants du monde. Je me disais que l’Opinion Internationale était
la voix des sans voix qui permettait aux grandes puissances d’intervenir
militairement et humanitairement pour trancher les conflits ou pour sauver les
faibles dont les droits étaient piétinés par les forces du mal. Ceci faisait
l’ombre dans plusieurs têtes, croyant qu’elles sont protégées par cette opinion
Internationale.
Au fur et à mesure que je grandissais, je me suis
rendu compte que cette "Opinion Internationale" n'existait pas. Si
elle existait, elle aurait sauvé beaucoup de Rwandais Tutsi qui ont été
massacrés en 1994, ou les HUTU exterminés par l'Armée Patriotique Rwandaise
dans les camps de KIBEHO (RWANDA en 1995, ou encore les HUTU massacrés par
l'Armée Patriotique Rwandaise dans les camps des réfugiés à l'Est du Zaïre et
en les poursuivant jusque dans la Forêt Equatoriale, à KISANGANI, en TANZANIE,
au KENYA et ailleurs.
Cette pseudo-Opinion Internationale, qu'on ne me le
chante plus! Elle n'a jamais existé et n'existera pas. Seuls existent et vivent
les Américains qui ont le droit de tuer de protéger qui ils veulent,
heureusement Dieu seul garde le pouvoir de sauver de ressusciter les morts. Il
est étonnant de voir comment, depuis que la guerre a fait rage à l'Est du
Zaïre, tant de malheurs ont frappé et continuent de frapper les réfugiés qui
vivent dans ce pays, à l'ombre des caméras et des micros des journalistes de
cette pseudo-opinion Internationale.
Les camps des réfugiés rwandais et burundais sont
installés au Zaïre depuis 1194. Plusieurs signes précurseurs avaient montré que
ces camps pouvaient faire l'objet d'attaque en provenance du Rwanda et du
Burundi. Dans les camps de réfugiés du Nord et du Sud Kivu, de telles attaques
s'étaient d'ailleurs concrétisées tout au long des années 1995 et 1996.
Qu'a-t-elle fait cette Opinion pour interdire et condamner toutes ces
provocations???
L'objectif notre écrit est d'attirer l'attention des
hommes de bonne volonté sur les atrocités dont les réfugiés rwandais et
burundais ont été et continuent à être victimes à l'Est de la République
Démocratique du Congo.
Je suis prêtre rwandais, rescapé des exactions
orchestrées par les militaires tutsi venus du Rwanda et du Burundi. (Ici, je ne
suis pas autorisé d'utiliser le terme génocide, il est uniquement utilisé par
les Américains et leurs alliés, les Tutsi du Rwanda, pas aux hutu qui subissent
ce sort et en sont victimes. Je me contenterai du horrible terme
"massacre". J'ai fait l'expérience de neuf mois dans la forêt
contrôlée par les Tutsi, donc rien à cacher sur des choses que j'ai vues et
vécues pendant ces mois de calvaire.
C'était le 2 novembre 1996 à 5h00 du matin, quand
les militaires qui étaient chargés de la sécurité au camp sont venus me
réveiller m'apprenant que l'ennemi (i.e. les militaires TUTSI en provenance du
RWANDA) progressait vers le camp. J'avais passé la nuit avec mon confrère
l'abbé MATEGEKO Aimé qui vivait au camp de Nyakavogo (Bukavu-ville). Quand noua
eûmes appris la nouvelle, nous avons donné la communion aux chrétiens qui
étaient venus dans la messe. Nous les exhortions d'aller à la maison pour faire
ce que les autres faisaient. Vers 9h00, nous apprenions que l'ennemi était
maîtrisé à Miti à 5 km du camp. Les chrétiens qui étaient venus en retard nous
demandèrent alors de leur dire la messe. Nous avions annoncé qu'elle soit
dédiée au feu Mgr MUNZIHIRWA Christophe.
Juste nous commençâmes la messe et pendant la
consécration, le bruit des coups de bombes et fusils individuels retentissent
dans tous les coins du camp. La population commença à courir. Quand nous
allions stopper la messe, un des fidèles, Paul ULIMUBENSHI, nous déclara:
"Mes fils n'ayez pas peur,
finissons la messe, Jésus est le grand combattant, il va nous protéger". A
ces conseils, nous acceptâmes et accélérâmes la messe. Au moment de la
communion, toute personne qui venait de communier sortait en toute hâte. Mon
confrère et moi, nous restâmes seuls en train de finir la messe sous la
détonation de l'arme automatique.
De plus en plus, les coups de tirs devenaient plus
nourris. C'est ainsi que je pris la moto en direction de KAVUMU vers
l'aéroport. Arrivé entre le camp KASHUSHA et le camp INERA, une bombe tomba
devant moi dans la foule. J'ai trouvé beaucoup de personnes déchiquetées et
j'ai vu une femme qui avait les jambes coupées, son mari lui ravit un enfant dans
son dos. Quand je suis arrivé au centre de KAVUMU, je me suis arrêté pour
attendre les autres, il n'était pas prudent de marcher seul. Quelques minutes
plus tard, la grande foule arriva. Il y avait parmi eux des blessés
innombrables poussant des crise désespoir. Je suis arrivé au camp de KALEHE
sans problème. Le soir, une grande foule de piétons arriva fatiguée, épuisée et
vaincue par le désespoir total.
Le jour suivant, le dimanche du 3 novembre 1996,
nous trouvâmes d'autres personnes qui avaient pris la direction du Nord au Parc
National de KAHUZI-BIEGA. Dans cette forêt, ils avaient rencontré des
militaires tutsi et les jeunes Bashi qui les ont accueilli avec les balles et
les coups de machettes. Le mouvement des fuyards qui prenaient toutes les directions
nous inquiétaient et nous plongeaient dans la confusion totale. On ne savait ni
où aller, ni où rester. Parmi tous ces gens, il y avait beaucoup de blessés
sans soins. Quand la foule de gens des camps de KASHUSHA, INERA, ADI-KIVU et
MUDAKA s'est déversée sur le camp de KALEHE et KABILA, ceux-ci ont été effrayé
et obligé de fuir aussi plus loin, certains vers le centre de NYABIBWE et
d'autres vers les hautes montagnes des environs.
NYABIBWE est un grand centre commercial qui est
situé à 100km de Bukavu. C'est une ville mal placée dans les coins des versants
des collines. Tous les réfugiés des camps de Nord Bukavu et de l'Ile Idjwi Nord
et Sud s'étaient accumulés dans l'exiguïté de ce petit coin de Nyabibwe. Il n'y
avait pas d'eau ni de toilette. Pour trouver un peu d'eau, il fallait faire
deux kilomètres pour aller puiser le lac Kivu. D'autres, comme c'était un temps
pluvieux, récupéraient l'eau des tuiles ou puisaient l'eau sale des sources
intermittentes de la saison.
Ce manque
d'hygiène fut à la base de nombreuses maladies, de façon que plus de cinquante
personnes rendaient leur âme chaque jour. Les prêtres étaient sollicités pour
bénir et diriger les cérémonies d'enterrement de leurs fidèles. A cela, il
fallait ajouter les victimes des accidents de roulage, des noyades de bateaux
surchargés qui venaient de l'Ile Idjwi, des blessés non soignés, etc. le
refrain du chant des journalistes: "catastrophe humanitaire" avait
beaucoup de couples!
Après une semaine de bousculade et de promiscuité
dans ce petit coin de Nyabibwe, on nous a obligés de monter vers SHANJI, une
région habitée par les Rwandophones. C'est une région située au Nord-Ouest de
Nyabibwe, à deux jours de marche à pied. Les gens obéirent désespérés et
montèrent en se faufilant dans le forêt des bambous. La seconde étape du chemin
de la croix commença. Des montées escarpées, la boue et les glissades ont
éprouvé les gens, de façon qu'ils regrettaient d'être nés. En haut comme en bas
du chemin, c'étaient des abris de fortune construites à la hâte pour loger les
fatigués et les malades.
Après une semaine dans la région de Shanji, un grand
nombre de réfugiés venait de s'installer et les activités quotidiennes
commencèrent. L'espoir de la vie était favorable. L'accueil de la population
locale, les nouvelles des radios qui parlaient de l'arrivée des forces ONUSIENNES pour protéger les
réfugiés donnaient l'espoir d'un lendemain meilleur.
Shanji avait deux entrées: une des piétons qui
piquait directement de Nyabibwe, une autre qui se greffait entre Nyabibwe et la
paroisse de BOBANDANA et aboutissant dans un petit centre de Numbi à deux
kilomètres de Shanji. Cette deuxième entrée est une route très peu fréquentée.
Il a fallu l'intervention des caterpillars pour la réaménager, afin que les
véhicules puissent passer. Le même jour qu'on l'avait inauguré, c'est alors que
le camp a été sauvagement attaqué.
Les gens devenaient de plus en plus paisibles et
attendaient avec impatience les sauveurs qui viendraient d'Europe et
d'Amérique. Le proverbe rwandais dit bien: "Uwarose nabi burinda bucya" (Une fois qu'on a des cauchemars,
ils durent toute la nuit).
Brusquement, le 21 novembre 1996 à 9h00 du matin,
les coups de tir et de bombes commencèrent à se faire entendre, dans tous les
coins, surtout dans les deux entrées. Ce fut là que beaucoup de gens se
concentraient. La panique répandit de nouveau sur la foule totalement
désespérée. Dans tous les chemins de sortie, il y avait des embuscades des
militaires tutsi qui tirèrent quand la foule s'approchait. Ils n'avaient pas
peur de tirer dans la foule. Cette fois-ci, chacun pour soi, Dieu pour les
autres: chacun sauvait sa peau! Toutes les personnes qui ont suivi les chemins
préexistants de sortie ont été, soit attaquées et sauvagement dépecées, soit
forcées de retourner en arrière. La foule qui a forcé un chemin dans la forêt a
pu passer sans peine.
Le groupe dont je faisais part a été barricadé par
des militaires tutsi. La foule a foncé malgré les tirs automatiques, les bruits
des jerricans et des casseroles et le jet des pierres effrayèrent les
militaires qui fuirent. Les jeunes qui étaient dans le groupe ne les ont pas
laissé partir, ils les ont suivi et les ont capturés vifs. Vous imaginez leur
sort. Désespérément, après un jour de marche, éparpillés, nous nous retrouvâmes
sur un même chemin vers KISANGANI.
La marche
proprement dite
Shanji, comme les régions environnantes est un
endroit qui n'est pas trop habité. Cette région a commencé à être peuplée à
partir de l'an 1970. Les villages sont espacés et séparés par des champs
arables et des forêts. Il n'y a pas de routes. Ces villages sont reliés par des
sentiers.
Pendant la fuite, ces sentiers étaient agrandis et d'autres
créés par la foule. Le drame devenait accablant quand nous arrivions sur un
pont ou dans un mauvais endroit, pente laide et glissante et forêt dense. Dans
ces endroits, nous étions obligés d'attendre plusieurs heures debout, fardeau
sur la tête pour pouvoir passer. Quand quelqu'un était déjà engagé dans la
chaîne, il était impossible d'y sortir. Devant, derrière et à côté, c'était
bloqué, on se croirait dans une boîte de conserves. Chacun voulait partir ou
franchir plus vite, mais les circonstances ne le permettaient pas. Je me
souviens quand nous étions sur le fleuve NYABARONGO, le troisième jour après
l'attaque de Shanji, j'ai passé la nuit debout sur le pont. Le quatrième jour,
je me suis reposé toute une journée, car mes jambes étaient gonflées. Ce fut le
jour où je me suis retrouvé avec Monseigneur Jean, car on s'était séparés lors
de l'attaque du 21 novembre 1996 en haut de Shanji.
Cette torture de marche fatiguait les gens, de façon
que beaucoup se décourageaient et construisaient des huttes en haut et en bas
du chemin. L'étroitesse du chemin et la surpopulation dans ces chemins ne
permettaient pas aux gens de marcher plus rapidement, on faisait moins d'un
kilomètre par jour.
D'aucuns se demanderont sans doute ce que mangeaient
cette foule, ces pauvres réfugiés abandonnés à eux-mêmes depuis le mois
d'octobre 1996. Ils avaient laissés même le peu qu'ils avaient dans las tentes
à KASHUSHA et INERA lors de l'attaque du 2 novembre 1996 et à Shanji le 21
novembre 1996. Les plus jeunes allaient dans les environs acheter des vivres et
les revendre, les autres ne craignaient pas de s'emparer des récoltes dans les
champs des paysans et même dans les forêts. Heureusement que nous avions
traversé une région fertile. Pour planter, il suffit de faire le défrichement,
de brûler et de faire le bouturage de manioc ou de colocases. Après la récolte,
le cycle continue de lui-même. Les tiges de manioc ou de colocase poussent très
bien dans la forêt où les réfugiés font aussi la chasse au gibier.
Moi, j'avais honte d'aller piller les vivres avec
les autres. Cependant, je n'avais pas la capacité de m'en procurer, étant donné
que sans de nouveaux-zaïres, on n'acceptait pas les dollars. L'échange en
nouveaux-zaïres était tellement difficile que pour échanger un billet de cent
dollars américains, il fallait accepter de laisser 20 dollars à l'échangeur de
commission. Je me contentais de quémander à tout le monde. Mes choralistes se
portaient volontaires et par surprises m'apportaient des maniocs, bananes et
colocases. Personne n'est mort de faim pendant la marche, mais on enregistrait
des victimes de la malnutrition, car la variation de menu était impossible.
Le 1er décembre 1996, mon voyage s'est
passé normalement jusqu'à BILIKO. Là mon vieux, Mgr Jean commençait à
s'affaiblir. Il nous a obligés à prendre le repos de deux jours, pour qu'il
puisse récupérer un peu d'énergie. pendant ce repos, j'ai aidé un ami du camp
ADI-KIVU qui venait de perdre trois enfants à cause des maniocs qu'ils avaient
mangés crus.
Le 4 décembre 1996, nous avons continué la marche.
Le chemin était devenu plus impraticable qu'avant. Il pleuvait abondamment.
C'était des montées et des descentes. Les plateformes n'existent pas. Dans
cette région, il y a beaucoup de fleuves, les stationnements à la chaîne
étaient revenus et mon fardeau pesait beaucoup plus lourd sur ma tête.
Le 7 décembre 1996, Monseigneur Jean ne pouvait pas
marcher. Jean Baptiste et moi, avons fabriqué une civière en liane sur laquelle
nous l'avons transporté, avec l'aide des chrétiens. Nous ne faisions pas
beaucoup de kilomètres par jour.
Le 9 décembre 1996, nous sommes arrivés sur un grand
centre du nom de MUSENGE, surnommé "JERUSALEM". C'est un centre
développé, il y a des maisons en briques cuites et beaucoup d'usines
d'extraction d'huile de palme. Nous avions pris un jour de repos, car
Monseigneur Jean avait des jambes gonflées et souffrait aussi de la malaria.
Le 11 décembre 1996, Nous avons continué notre
voyage avec notre malade. Nous sommes arrivés sur un petit centre à 8 heures de
marche depuis Musenge, c'était à peu près 17h00. Beaucoup de gens revenaient en
arrière traumatisés, disant que le pont de LOWA était occupé par des militaires
tutsi. Ceux qui avaient essayé de traverser ce jour étaient tous tués par les
balles, les couteaux ou noyés.
Le 12 décembre 1996, très tôt le matin, nous avons
décidé de retourner en arrière sur le grand centre de J2RUSALEM. Le soir, les
militaires venus de Bukavu et de Mugunga se sont concertés pour voir ensemble
comment libérer le pont et protéger la population jusqu'à la zone de WALIKALE.
Le soir même, ils sont partis.
Le 13 décembre 1996, toute la journée, nous restâmes
à l'écoute de la nouvelle qui nous dirait que le pont était libéré. Le soir,
les bruits circulaient comme quoi le pont était libéré que nos militaires
n'avaient rencontré aucune résistance au pont et qu'ils avaient continué leur
voyage. Sans hésitation, ce soir même, les fuyards se mirent en route.
Le 14 décembre 1996, le matin de bonne heure, quand
j'allais aussi me mettre en route, l'Abbé Jean baptiste me suggéra une idée. En
effet, la veille, nous avions attendu en vain un messager des militaires pour
confirmer la libération du pont. Alors, il serait possible que, comme ils le
disaient le pont serait libéré. Par contre, les militaires tutsi auraient vu un
grand effectif de nos militaires et se seraient cachés. Après la colonne de nos
militaires, ils seraient revenus attendre les réfugiés plus loin du pont que si
je partais, je risquais d'être encerclé par les ennemis.
La meilleure stratégie était de manger d'abord et de
partir vers 11h00 pour faire l'observation et revenir prendre les autres Je
consentis et me suis mis en route vers 11h00, accompagné de mes deux sœurs. Le
soir quand nous étions sur le point d'arriver sur le pont, nous croisâmes
beaucoup de blessés. Une femme qui avait reçu une cartouche dans le ventre
mourut la même nuit et un homme qui avait une main amputée criait toute la
nuit. Nous passâmes la nuit en nous demandant ce que nous allions faire.
Le 15 décembre 1966 matin, j'ai rencontré un ami, nommé Ananie, l'ancien journaliste de la Radio-Rwanda. Nous avons échangé des idées et finalement avons opté pour retourner au grand centre de Jérusalem. Au moment même où nous pliions bagages, je vus des personnes en train de tomber, d'autres saigner et le bruit des armes automatiques me fit perdre la tête de façon que je n'ai pas su où est passé Ananie et André (l'ancien magasinier du camp INERA). J'ai pensé qu'ils ont pris la direction opposée de celle que moi et mes deux sœurs, ainsi que Bernard et ses trois fils avons prise. Arrivé au sommet de la deuxième montagne à partir du chemin, j’avais toujours envie d'aller voir Mgr Jean et l'Abbé Jean Baptiste. J'empruntai le chemin vers la troisième montagne, là on voyait bien le fameux centre. Quel catastrophe! On voyait s'échapper les fumées noires, les tirs aux rafales et aux bombes se faisaient entendre. Cette fois-ci c'était sérieux.
Nous nous enfonçâmes dans la forêt. L’idée qui nous venait en tête était de retourner en arrière. Nous pensions à venir vers SHANJI, milieu habité par nos congénères Hutu. Ils allaient nous cacher ou peut-être nous montrer un chemin des forêts nous menant à Bukavu. Une fois arrivé, la Croix-Rouge ou le HCR allait nous conduire au Rwanda.
C’était impossible de continuer vers WALIKALE. Il n’y avait aucun pont qu’on pouvait traverser ou même avec autres moyens si on parvenait à franchir le fleuve, la région était sous le contrôle des militaires tutsi, on risquait de tomber dans leur embuscade, ne sachant pas comment les déborder.
Aussitôt dit aussitôt fait, nous primes l’orientation vers SHANJI. La similitude des collines et la forêt dense nous désorientant énormément. Je me souviens qu’une fois on s’est retrouvé sur un même point de départ après deux jours de marche. Malgré cela, on était loin de se décourager car on était entre la vie et la mort. Pour lever ce défi, on devait prendre l’azimut (5H00 du matin on examinait par où levait le soleil). Quand nous étions au camp, le soleil venait de Cyangugu (Rwanda). Donc, si nous prenions la direction du soleil, il y avait moins de risques de se perdre. Encore, il ne fallait pas suivre les senties des chasseurs ; il fallait suivre le chemin droit, c’est à dire monter et descendre la montagne, prendre une autre et ainsi de suite. Beaucoup de gens m’avaient suivi, et respectaient mes consignes. Celui qui faisait la tête dure était chassé du groupe.
Le 19 décembre 1996, nous avions rencontré un groupe qui avait capturé un militaire blanc, lui aussi s’était égaré dans la forêt. Il parlait mal le français avec l’accent anglais. En répondant à l’interrogatoire disait qu’il est français qu’il est venu sauver les réfugiés et que par erreur il s’est séparé des autres. Mais malgré ses explications, son langage le trahissait. On le jugea comme un américain qui s’était séparé des militaires tutsi lors de l’attaque du 15 décembre 1996 à Musenge. La colère des traumatisés se déversa sur lui et il disparut.
Le 25 décembre 1996, nous somme tombés sur un autre groupe qui s’était découragé, qui avait préféré habiter la forêt et qui s’était confié à la providence. Parmi eux faisait parti Gikongoro, un grand commerçant du camp Kashusha avec toute sa famille que je connaissais. Nous avons échangé quelques nouvelles et nous nous sommes installé un peu plus loin d’eux. Ce soir, nous avons fêté la Noël par célébration de la parole, après, nous avons mangé les colocases grillés.
Le 26 décembre 1996, trois femmes enceintes de notre groupe mirent au monde deux garçons et une fille. Deux d’entre elles n’avaient pas de maris. Sur place on ne pouvait pas les laisser seules, le groupe décida d’attendre qu’elles se remettent pour deux jours.
Le 28 décembre 1996, le jour qu’on devrait prendre le voyage, à 5H50 derrière ma tente, j’entendis un coup de fusil suivi d’un cri : Mayi-Mayi. Brusquement, je n’eus pas le temps de prendre quelque chose que ce soit, j’ai pris la fuite. Une sœur qui me suivait, Sœur Madeleine de la Congrégation Deus-Caritas, reçut une balle dans le dos qui déchira toute sa poitrine. Elle m’appela une fois. Au moment où je la regardais, le sang coulait et j’eus peur. Je l’ai bénie et continuai ma course. Derrière, c’était des cris et des pleurs des personnes qu’on égorgeait à l’arme blanche et des tirs de rafale. Arrivé un peu loin, j’aperçus Sœur Basillusa BAMPIRE qui détachait son pagne pris dans les ronces, elle me suivit sans mot dire. Au fur et à mesure que nous avancions, nous rencontrions d’autres personnes terrorisées qui couraient sans savoir où aller. Depuis longtemps, j’avais été guide, même à ce moment, ils m’ont suivi.
Vers 15H00, on était devenu un grand groupe. Lorsque nous nous sommes assurés que nous étions très loin de l’ennemi, nous nous sommes reposés pour évaluer ceux qui étaient morts parmi nous : nous avons remarqué que les trois femmes et leurs bébés étaient morts, une des trois sœurs et beaucoup d’autres dont on n’a pas pu dénombrer.
Le matin, je ne pouvais pas marcher, j’avais une foulure du côté du pied gauche et la jambe était gonflée. Sœur Virginie MUKANTWALI, avait aussi une entorse au dos. Au moment de l’attaque, elle était tombée dans un trou et s’était fait mal au dos. Avec quelques amis, nous nous sommes reposés toute la journée. Pour calmer les douleurs, on s’est massé avec des herbes médicinales.
Le lendemain, l’aventure continua. Tous les chemins étaient barricadés par des émeutiers. Quand nous écoutions un coup de tir devant nous, nous devions dévier le chemin à 5 kilomètres. C’est pourquoi, il a fallu plusieurs jours pour sortir de la forêt.
Après l’attaque du 28 décembre 1996, nous n’avions plus rien, mon poste radio pour les informations, mes habits, casseroles, sheeting, … tout était perdu. On dormait à la belle étoile, quand on tombait sur les colocases et les bananes, nous les mangions grillés.
Dans toutes les circonstances, il faut garder le moral haut.
En chemin, la prudence était de rigueur, si bien qu’à moindre tir devant nous, nous devions changer de direction pour une distance de 5 kilomètres toujours. Vers le Nord, ceci nous a beaucoup égarés de façon que nous sommes tombés dans une forêt vierge, jamais fréquentée par ni chasseur ou ni cultivateur. A ce moment, la provision que nous avions s’épuisa. Il faut dire que nous n’en transportions pas beaucoup. Nous n’avions ni sacs, ni pagnes pour faire le fardeau si bien même que nous commencions à faiblir davantage. La faim s’empara de nous sérieusement. J’exhortais les autres en leur faisant espérer d’avoir de quoi manger le lendemain ! Du courage, leur disais-je ! Et comme c’était la parole de l’homme de Dieu, rien à craindre, se disaient-ils.
Je leur apprenais à manger la sève du phloeme et xylème du bois, les bourgeons de fougère et les feuilles non-amères. Je leur apprenais cela avec une dose d’humour et leur donnais une bibliographie inventée. Ils me croyaient, car j’étais le plus instruit du groupe, en plus de cela, j’étais considéré comme l’homme de Dieu.
Après sept jours de boulimie, nous sommes tombés dans une bananeraie. Nous avons été dirigés dans cet endroit par un jeune homme du nom de SAKINDI Célestin. Il avait découvert du haut d’un grand arbre quand il inspectait les lieux en bon éclaireur. Quelle fête. Sans attendre, nous nous sommes mis à récolter … un jeune homme est alors tombé sur un régime de bananes mûres, même si tout le monde n’a pas été servi, quand même ça a sauvé beaucoup de gens au bout de souffle. Chaque fois, nous prenions des précautions d’aller faire la cuisine loin du lieu d’approvisionnement pour éviter l’accrochage avec les propriétaires.
Il y avait longtemps que nous avions cessé d’employer l’allumette, la boite d’allumettes que nous avions était complètement mouillée. Par chance, nous aperçûmes une fumée un peu loin dans la forêt. Le groupe décida d’envoyer quatre hommes chercher du feu. J’étais du nombre. Nous pensions qu’il s’agissait d’autres fuyards, mais au contraire , c’était un chasseur qui préparait son repas. Quelle scène : lorsqu’il nous aperçut, il s’est sauvé en toute hâte. Nous avions l’apparence des sauvages. Quant à nous, au lieu de chercher le feu, nous nous sommes précipités sur la pâte de manioc qui était dans sa casserole et la mangions gloutonnement. Pourtant, nous avons eu peur de prendre sur la viande qui était dans sa soupière. Par après, nous avons pris du feu et la casserole. Nous avions tellement besoin de cette dernière pour chauffer l’eau avec laquelle désinfecter les blessures et masser les enflures. Dans notre groupe, il y avait une fille dont la main gauche était blessée par balle. Les larves sortaient de sa blessure infectée. Puisque nos souliers étaient tellement usés et jetés dans la forêt, ceux qui n’étaient pas habitués à marcher pieds nus avaient les pieds et d’autres parties du corps écorchés par les épines. Alors, pour les soigner et prévenir les infections éventuelles, le seul remède qui nous restait était d’utiliser l’eau chaude. Imaginez-vous que dans un groupe de cent personnes, nous n’avions aucune casserole ! A vous de juger si l’histoire de la casserole volée est un péché. Dieu seul sait !
Même la mort nous a refusé ses faveurs, alors que nous la courtisions.
Quand nous venions d’être sauvé de la faim de sept jours et après un repos raisonnable d’une journée, nous avons repris le voyage. Deux jours après, nous sommes arrivés sur un grand fleuve. C’était celui que lors du départ nous avions traversé après BILIKO. Ce fleuve avait un débit terrible et était profond. C’était impossible de le traverser à pied. Nous l’avions longé vers le Nord en cherchant un endroit passable.
Brusquement, nous sommes arrivés sur un pont d’un seul
arbre. Au moment où nous nous apprêtions pour franchir, un groupe de Mayi-Mayi
nous encercla. La seule issue pour fuir menait dans le fleuve. Aussi était-il
inutile, car un autre groupe nous attendait de l’autre rive. J’étais au devant
de la colonne. Tous chantaient en swahili en nous intimidant : « Mushimame (arrêtez-vous) munafuka (vous
mourrez), Banyarwanda ba genosidere (Rwandais génocidaires).
L’idée de me jeter dans le fleuve m’est venu en tête, mais j’eus peur. Surtout, je craignais les tortures de ces rebelles sauvages. Après leurs chants de moquerie, ils nous obligèrent à enlever tous les habits. Pantalons, chemises, pagnes, blouses, etc. et de nous éloigner de dix mètres. Quand ils terminèrent la fouille des habits, ils nous appelèrent pour les reprendre. Imaginez-vous la honte et la peur nous regardant nus les uns des autres ! Quand mon tour arriva, ils m’appelèrent. Si contents qu’ils étaient, me demandèrent ce que pouvaient acheter 1.800 USD qu’ils avaient découverts dans la ceinture de mon pantalon. Voici la conversation :
- Cet argent peut acheter deux camionnettes, leur dis-je.
- Quelle fonction faisais-tu au Rwanda ?
- J’étais commerçant.
- N’as-tu pas exercé une fonction militaire ?
- Non.
- Y’a-t-il des INTERAHAMWE ou ex-FAR dans votre groupe ?
- Non.
Après toute cette torture morale et questions
saugrenues, le grand chef nous obligea à nous agenouiller mains en l’air et à
prier pour la dernière fois. Ses sujets se mirent sur leurs gardes pour
empêcher toute fuite possible. Les femmes et les enfants commencèrent à
pleurer. Je ne sais pas d’où m’est venu la force de supplier ce grand chef en
ces termes : « Excellence,
vous voyez vous-même que nous sommes des malheureux du monde. Vous nous avez
fouillé partout, vous n’avez trouvé aucune arme et nous n’avons montré aucune
insoumission. Pourquoi voulez-vous nous tuer ? Je vous vois âgé, vous
pourriez avoir des enfants comme ceux-là qui pleurent, pourquoi voulez-vous
vous salir par le sang de ces innocents ? » L’homme me regarda et
hocha la tête, après un petit moment me répondit : « Heureusement que vous aviez l’argent et que vous nous avez obéi,
sinon nous allions vous tuer. Maintenant, voilà ce que vous allez faire :
ne continuez pas à errer dans la forêt, partout nous y avons des positions des
militaires. Dans quelques mètres, vous pouvez tomber sur un autre groupe qui ne
vous laisserait pas la vie sauve. Donc je vous donne deux militaires qui vont
vous accompagner jusqu’au chemin qui conduit à l’endroit d’où vous êtes venus,
comme ça, il y aura moins de risques de vous tromper. Quand vous serez dans ce
chemin, n’allez ni à gauche ni à droite, sinon vous risquez votre vie. »
Un militaire se mit devant nous et un autre derrière. Nous marchions au rythme de ces militaires, les plaies que nous avions aux pieds, la fatigue et la faiblesse que nous avions à ce moment-là, nous ne les sentions pas. Arrivés tout près de ce fameux chemin, ces militaires nous dirent au revoir et nous souhaitèrent bonne chance.
LE CHEMIN DE
LAMORT
Quand nous arrivâmes sur le grand chemin, celui que
nous avions suivi en allant vers KISANGANI, nous fûmes empris par le chagrin.
Tout au long du chemin, à gauche et à droite, c’étaient jonchés de cadavres
nus, qui commençaient à se décomposer. Sur le chemin coulait le lymphe produit
par les cadavres pourris. Parmi les morts, on trouvait ceux qui avaient les
jambes ou les bras amputés , d’autres qui avaient reçu les coups de machettes
dans la tête et ceux qui avaient encore des bâtons pointus plantés dans leurs
corps. Nous avons fait trois jours et trois nuits dans ce chemin horrible
entrain de marcher sur les cadavres. La piste était devenu un véritable chemin
de mort. Personne n’y passait, on voyait les chiens les chacals et les vautours qui venaient
dévorer les morts.
Durant ces trois jours, nous mangions les provisions
qu’avaient laissées ces morts. A quelques mètres de là, nous avions trouvé des
sacs roulés où il y avait des maniocs et des colocases qui commençaient à
germer. Rien n’était tabou à ce moment : on mangeait sans penser à quoi
que ce soit. Vers 15H00, nous nous retirions de la forêt pour faire la cuisine
et prendre un petit repos et vers 18H00, c’était encore le départ. La nuit pour
nous était plus paisible que le jour. Dans la forêt, les nuits sont très
calmes. On ne rencontre personne. Une fois pendant la journée, nous avons vu
deux BATEMBO qui déshabillaient les cadavres et prenaient leurs habits.
Ce sentier de Maccabées se terminait à un petit
centre de MIHANDA. Tous les gens tués avaient été objet des attaques perpétrées
des colonnes sur l’itinéraire partant de SHANJI. C’était surtout les fatigués,
les malades et leurs gardes, les vieux, les vieilles et les enfants qui ont été
la première cible quand les militaires tutsi avaient pris la décision de
poursuivre les réfugiés vers KISANGANI.
Au moment où nous sommes arrivés à MIHANDA, nous
avons commencé à respirer l’air normal. Là au moins, la population avait
enterré les dépouilles. Beaucoup de personnes venaient nous voir et
s’étonnaient de notre état, puisque nous ressemblions à des sauvages. D’un coup
un autre groupe de Mayi-Mayi mêlés de quelques tutsi nous tomba dessus et
commença à nous terroriser. Ils commençaient à choisir les femmes dont ils
allaient s’approprier. c’est alors qu’un Pasteur protestant (pentecôtiste) du
nom d’Ezechias MUSAMBI intervint et les traita de voyous. Le roi CHABANGO des
Batembo, venait de faire un circulaire interdisant aux Mayi-Mayi de tuer encore
les réfugiés. Il leur ordonnait plutôt de guider ces réfugiés vers les chemins
qui conduisent chez eux. Ezechias MUSAMBI nous amena chez-lui. C'est là que
nous avons passé la nuit. Durant cette nuit, il nous raconta des histoires des
réfugiés mais aussi des autochtones massacrés. Ces derniers étaient assassinés,
car ils avaient été jugé coupables de cacher les réfugiés.
Il nous disait : nous « mes chers amis, la vie actuelle n’a plus en, ni de valeur, il faut la prendre seulement comme un combat. Au cours de ces événements, j’étais comme TOBIE qui, au moment où il enterrait les morts fut éprouvé par l’Ange Raphaël (Tob. 2). Avec mes chrétiens, nous avons enterré tous les morts qui étaient jonchés sur le terrain. Il faut voir mes chers amis, avec quels risques encourrions-nous quand faisions cette bonne action ».
Le lendemain matin, il nous accompagna et nous
montra le chemin. Au loin, à une distance de deux jours de marche, il nous
signala qu’il y avait une région habitée par les Hutu. Là aussi, il fallait
être prudent, on ne sait pas si les tutsi ne leur ont pas interdit de loger les
réfugiés. Après ces conseils, nous lui temoignâmes notre reconnaissance et il
prit congé de nous. La soi-disant distance de deux jours, nous l’avions
parcourue en quatre jours. On s’étonnait de voir que toutes les maisons étaient
désertes. Avant que nous n’arrivions dans la région des Hutu, nous sommes allés
loger dans un village et nous nous sommes partagés les maisons. C’est un bon
souvenir (…)
Depuis le 28 décembre1996, nous avions perdu la notion du temps. Mon petit peste récepteur et ma montre étaient perdus. Les jours se ressemblaient alors qu’ils se suivaient, ils étaient tous caractérisés par la pluie. Le lundi, le dimanche, …, n’existaient pas chez nous. A notre grand étonnement, nous étions arrivés dans la région hutu sans le savoir. Tous ces derniers jours, nous avions l’habitude de voyager la nuit. Cette fois-ci, il avait plu à mi-nuit et le voyage s’interrompit. c’était une pluie torrentielle. Nous suivions le chemin alors boueux et glissant. Ces obstacles nous empêchèrent de continuer et nous nous camouflions dans une brousse qui était à côté d’une maison habitée.
C’était très tôt le matin que nous avons écouté une
voix féminine en train de parler le kinyarwanda. Lorsque nous nous demandions
encore comment nous allons nous présenter, un enfant qui allait puiser de l’eau
nous surprit-il retourna à la maison en criant au secours en ces termes :
« j’ai vu des hommes et des femmes
couchés là tout près de la maison ». jean Baptiste HABINEZA et
Célestin SAKINDI se levèrent et se dirigèrent vers la maison. Le propriétaire
de la maison s’appelait GATABAZI SEKARAGWENYEZA. Aux cris de son enfant, il se
leva. En apercevant ces hommes, la peur le saisit. Il hésita à leur donner la
main. Ils étaient comme de véritables animaux sauvages. Ils le supplièrent et
finalement, il acquiesça à parler avec eux. Après un certain temps, ils nous
appelèrent. Il fut pris de pitié en voyant les mamans en guenilles et les
enfants tremblotant, les hommes en haillons, leurs barbes et leurs cheveux
pleins de poux.
GATABAZI était Mushamuka (Chef coutumier) du
village. Nous lui racontâmes notre aventure. Après, il nous persuada que nous
ne pouvions pas aller plus loin que de là. Les Tutsi avaient envahi cette
région. Après avoir chassé les réfugiés qui étaient à Shanji, ils étaient
maintenant occupés à tuer les grandes personnalités de Shanji. Là-bas les gens
ne se déplacent plus vers l’Est. il nous disait qu’avant de rentrer chez nous,
il fallait attendre que la situation se normalise un peu. Tous ceux qui avaient
tenté de rentrer ont été tués avant qu’ils n’aient pu atteindre les bureaux du HCR
ou de l Croix-Rouge. Il nous informa que nous étions encerclés par les
positions des militaires tutsi : Shanji, Numbi, Ngungu, Nyabibwe,
Bunyakili,et Karehe. Et malheureusement, les bureaux de rapatriement se
trouvaient aussi dans ces centres. Il témoignait que les réfugiés qui
s’aventurent vers ces centres sont exécutés avant d’y accéder. Il nous raconta
ce qui suit :
Au moment où vous étiez encore sur le chemin de
Kisangani, il y avait une famille avec trois enfants qui, à cause de la maladie
ne pouvaient pas suivre les autres. Ils avaient dressé leur sheeting en bas du
chemin. Un jour, quand j’y suis passé, j’ai eu pitié de ces enfants qui
tremblotaient et je leur ai proposé de venir s’abriter chez moi. Ils ont
accepté et sont venus. Après un certain temps, la femme s’est remise et l’homme
a souhaité de rentrer avec sa famille. Je les ai accompagné jusqu’à Nyabibwe.
Au moment où nous descendions la colline de Nyabibwe pour entrer dans le
centre, deux militaires sont sortis brusquement de la brousse. Ils commencèrent
à nous interroger. Je fus prudent et fis semblant de ne pas comprendre ce
qu’ils disaient. Je leur parlai en swahili. Ils demandèrent à l’homme d’où ils
venaient et où ils allaient. Après s’être expliqué, ils commencèrent à les
torturer avec une baïonnette qu’ils lui piquaient partout sur le corps. C’était
la première fois que je voyais un militaire tutsi. Quand l’homme et le femme
commencèrent à crier, je me sauvais en courant.
Après cette histoire horrible, l’homme nous
conseilla de ne pas oser nous aventurer, mais plutôt d’attendre la
normalisation de la situation. Mieux valait d’être tué par les maladies ou la
faim de ce milieu que d’être tué par les couteaux qu’il avait vus à Nyabibwe.
Il n’y avait pas de sécurité là aussi, car les Tutsi venaient piller les
vaches, tuaient les bergers et toutes les personnes qu’ils rencontraient.
Jusqu’à ce moment-là, la forêt était notre meilleur refuge. Quand ils
arrivaient, nous nous cachions dedans et sortions après le passage de ces
sanguinaires. Considérant tous ces conseils du sage témoin oculaire, ceux qui
avaient l’intention d’aller au Rwanda commencèrent à changer d’avis. Les
voisins de GATABAZI qui nous avaient vu fourmiller chez lui, étaient venu se
rendre compte eux-mêmes de ce qui s’était passé. Chacun à son tour donnait le
témoignage de ce qu’il avait vu ou entendu des exactions Tutsi. Finalement, ils
prirent soin de nous et nous logèrent. Quant à mes deux sœurs et moi, nous
fûmes amenés par une femme adventiste. Son mari était guérisseur traditionnel. Ils nous ont nourris et soignés pendant un
mois. Dans la suite, nous avons commencé à nous prendre en charge nous-mêmes.
Le 19 janvier 1997 à 6H00 du matin, nous étions
satisfaits de cette région favorable et compréhensible à nos problèmes. Il
fallait changer la vision de la vie et accepter la souffrance. Trois mois
d’errance, de fatigue morale et de faim nous avaient marqués. J’avais perdu
plus de 15 kg. Pour retrouver la vie normale, le guérisseur nous a obligé de
prendre les médicaments, afin de vomir et dégager les saletés qui étaient dans
nos ventres. Ce fut après qu’il commença les soins des plaies couvrant tout le
corps. Mon pied droit avait une grande et profonde plaie. Il y versa une sève
des feuilles pétries, ceci me fit sentir une grande douleur. Sœur Virginie
souffrait de l’enflure au dos et elle bénéficiait d’un traitement différent du
mien. Ces traitements étaient tellement efficaces qu’un mois plus tard, nous
avons commencé à travailler les champs et aussitôt j’ai eu la force de me
construire une hutte à trois chambres. La vie a repris petit à petit, dans la
peur et l’incertitude. Chaque fois, nous entendions les nouvelles des
assassinats, des disparitions et des attaques à mains armées. Quand les
militaires tutsi venaient dans notre région, nous nous retirions dans la forêt.
Le 28 février 1997, les militaires tutsi ont attaqué
à RUMBISHI chez un pasteur protestant, ils le tuèrent avec sa femme et ses
quatre enfants par balles, ainsi que deux femmes réfugiées et leurs enfants par
baïonnettes. Les autochtones avaient le privilège d’être tués par balles,
tandis que les réfugiés étaient tués par baïonnettes et souvent restaient à
moitié morts.
Le 31 avril 1997, ils ont attaqué au marché de
CYAMBOMBO, trente personnes furent tuées et beaucoup d’autres blessées.
Le 15 mai 1997, ils ont attaqué le centre de
DUSUNGUTI, ils brûlèrent un village de
Batembo. Il y eut beaucoup de morts et de blessés. C’était les camps militaires
de NGUNGU, NUMBI, SHANJE et BUNYAKILI qui s’étaient déversés sur la région. Ils
cherchaient les Mayi-Mayi et les réfugiés, mais ils n’ont tué que les
autochtones.
Après la prise du pouvoir par KABILA, les tutsi se
sont éparpillés dans la population pour y chercher les rebelles. Mais au juste,
ils cherchaient les réfugiés. Ils savaient bien où étaient les positions des
rebelles Mayi-Mayi et n’y allaient pas.
Le 24 mai 1997, il y eut l’assassinat de HAKIZIMANA
Justin et son fils muet surpris dans la cachette. Ils habitaient
Mpanama-Ziralo.
Le 25 mai 1997, un groupe de 15 réfugiés fut
massacrés par les Tutsi à BIRUMBI, alors qu’ils se dirigeaient vers le
Rwanda . nous entendions des cas d’assassinat souvent ici et là, ceci pour
dire que le règne des Tutsi dans la région qui m’hébergeait a été marqué par le
sang. « TUER » était leur
devise.
Il faut dire qu’à part l’insécurité qui est devenu
monnaie courante, nous étions bien intégrés dans la population locale. Pour
manger, il fallait suer. La nourriture qu’on trouvait sur place consistait en
colocases, maniocs et bananes. Notre pain, mes deux sœurs et moi, nous le
gagnions en terme de 30 kg de manioc qu’on obtenait après trois jours de travail
de champ. Ce panier nous aidait pendant quatre jours. Quant aux bananes, nous
les quémandions. Les habitants de Ziralo ne savaient pas manger les bananes
dont on tire la bière. Quand nous allions les demander, ils nous les donnaient
avec un bon cœur. Ils s’étonnaient d’ailleurs de comment nous allions manger
ces bananes amères. Mais, plus on a faim, moins on distingue les goûts (Haryoha inzara », dit-on en
kinyarwanda).
Au début le travail des champs m’a un peu gêné, mais par après, j’ai acquis l’expérience. Les gens avec qui nous vivions ensemble nous exhortaient aussi à cultiver pour nous-mêmes. Notre patron nous avait alloué une parcelle où nous avions planté les pommes de terre et les patates douces, je suis parti après avoir récolté seulement les pommes de terre.
Pour varier la nourriture, j’allais à RUMBISHI
travailler aux champs des paysans, afin de recevoir en retour sept kilo de
sorgho après deux jours de travail, un kilo et demi de haricot après une
journée. Les gens de RUMBISHI sont forts et robustes. Ils commencent le travail
à 8H00 pour rentrer à 17H00. il faut être bien entraîné pour pouvoir suivre ce
rythme. Je consacrais trois jours par mois de travail pour les haricots et le
sorgho, mes sœurs avaient renoncé à ce genre de boulot ! Je me suis rendu
à RUMBISHI pour la première fois le 25 mars 1997. Pour égayer mon patron, je
devais lui montrer que je maîtrisais ce métier. Après trois jours, je suis
rentré fatigué et malade. J’ai chauffé de l’eau pour me masser tout le corps.
Cependant, le mois suivant, je ne me suis pas découragé, j’ai persisté.
L’argent
ZIRALO est une région non développée. Sa population
pratique encore le troc. Les marchés n’existent pas. Les écoles non plus, sauf
quelques sectes qui essaient de faire le culte samedi et dimanche. Il n’y a pas
de projets de développement, car évidemment, cette région est nouvellement
habitée. La première maison a été construite en 1980. Dans ce coin, on ne peut
pas trouver de l’argent à moins d’aller vendre des colocases ou du manioc au marché
de GATSIRO, RUMBISHI et CYAMBOMBO. Je n’y allais pas, étant donné la
distance et le temps qu'il fallait attendre avant l'écoulement difficile de
telles marchandises.
J’avais plutôt découvert un moyen de gagner un peu
d’argent, afin d’acheter du savon et du sel. Un voisin m’avait avancé 100.000
Nouveaux Zaïres (NZ). J’ai acheté un jerrican et j’allais vendre le vin de
banane dans le marché le plus proche de RUMBISHI, qui était à trois heures de
marche à pied. Je pouvais gagner entre 40.000 et 50.000 NZ par jerrican,
nécessaire pour n’acheter que du sel et du savon. Je n’ai jamais vu un travail
aussi fatiguant que celui de porter un fardeau sur la tête ! Pour la
première fois, j’avais pensé que c’était facile. C’est ainsi que je mis un
jerrican de 32 kg et suivis les autres, mais après 45 minutes, la tête se
chauffa, le coup commença à me faire remarquer la surcharge que j’endurais. La
sueur mêlée aux larmes survinrent. C’est à ce moment que je me suis demandé
pourquoi Dieu ne m’avait pas épargné de cette peine en me laissant mourir comme
les autres. De toutes les façons, j’ai repris courage et je continuais.
A mes côtés, il y avait un jeune du mouvement
charismatique du camp INERA. Il se nommait NSENGIMANA Innocent. Il m’assistait.
L’argent que nous gagnions était soigneusement gardé et ne devait pas être
dépensé n’importe comment. Malgré les haillons que nous portions, on ne devait
pas dépenser ou prendre de cet argent pour acheter de nouveaux habits et
personne n’en était complexé.
LA PASTORALE
Au début de mon installation à ZIRALO, j’avais
interdit à ceux qui me connaissaient de dire à quiconque que j’étais prêtre. Le
prêtre dans cette région contrôlée par les rebelles était une personne
recherchée et indésirable, parce qu’il était leader de l’opinion du peuple, il
osait dire la vérité et jouait un rôle prépondérant de guide du peuple de Dieu.
Mais cette interdiction n’a pas tenu longtemps. Au troisième jour, les gens
curieux étaient venus voir un prêtre qui avait fait le tour de la forêt
pieds-nus !
J’étais devenu un objet de curiosité. Beaucoup
n’avaient jamais vu un prêtre, puisqu’avant moi, aucun autre n’avait été là.
Eux qui avaient voyagé jusqu’à Goma ou Bukavu savaient qu’ils n’existaient que
des Pères Blancs ! ils s’étonnaient d’entendre parler d’un prêtre noir, de
ma taille encore. C’étaient des réfugiés que nous rencontrions qui répandaient
la nouvelle. Ils avaient retrouvé le Padri (Père) qui était aussi malheureux
qu’eux. Tout le monde voulait me voir !
Les samedis, je recevais beaucoup de visites, car
c’était le jour chômé pour tout le monde. Ceux qui voulaient les conseils, ceux
qui cherchaient des leurs, … en quelques mois je continuais à les aider
spirituellement. Les dimanches, nous nous réunissions avec les réfugiés qui
restaient tout près pour faire la célébration de la parole et citer le rosaire.
Un groupe de légionnaires de Mpanama m’invitait souvent pour la confession…
Nous faisions tout ça clandestinement pour ne pas nous causer des ennuis des
sectes qui sont très jaloux de l’église catholique. Sans aucune protection,
nous avions peur aussi d’être détectés par les Tutsi qui étaient aux environs.
PRETRE PARTOUT ET POUR TOUJOURS
C’est vrai qu’un prêtre ne passe pas inaperçu, le
fait d’avoir été devant beaucoup de fidèles pendant la messe, le rend toujours
et partout identifiable. Et, surtout dans la société africaine, c’est une
personnalité très considérée. Dans ce petit coin où je me cachais, la nouvelle
d’un prêtre qui vit avec deux sœurs s’est répandue progressivement dans toute la
région, même jusqu’à Shanje, le grand camp militaire tutsi. Ils croyaient
peut-être que c’était un grand politicien qui organisait je ne sais quelles
révoltes.
Vers fin mai 1997, le 23 mai 1997, un jeune Tutsi
habillé en civile est venu espionner ce fameux prêtre. Il arriva chez moi à
9H00 du matin et me posa ces questions auxquelles je répondis :
-
Toi, où est le prêtre qui vit ici ?
-
Il y a une semaine qu’il est parti
-
Où ?
-
Au Rwanda.
- Ses deux sœurs aussi sont
partis avec lui ?
-
Bien sûr ! comment pouvait-il les laisser ici ?
- Toi aussi tu es
réfugié ?
-
Non. Je suis ici seulement depuis deux ans, mais je ne suis pas réfugié.
A mon tour maintenant de lui poser ces questions.
-
Ce prêtre dont tu parles, où est-ce que tu le connais ?
- Il
est de chez nous, moi aussi je suis réfugié
-
Vous êtes de quelle commune au Rwanda ?
- Commune de Kivumu.
C’était l’heure du petit déjeuner, nous partageâmes
avec lui un repas composé de colocases, après quoi i s’en alla. Après son
départ, les voisins sont venus me confirmer qu’il était Tutsi. Ils m’ont
conseillé de quitter les lieux pour leur
épargner des ennuis. Je refusai. Durant toute la semaine, je ne sentais pas
trop de peur en moi-même.
Un autre Tutsi est venu du Rwanda. Il s’appelait
RUTEKELI. Avant la guerre, il habitait RUMBISHI et s’était réfugié au Rwanda
pendant la guerre de Laurent Kabila. Un jour, quand il partageait un verre avec
las Hutu de RUMBISHI, il leur annonça qu’il y avait un prêtre avec deux
religieuses dans la région, que les militaires allaient arrêter. Heureusement,
j’étais bien connu à Rumbishi, car j’y allais souvent pour vendre la bière de
banane et chercher du travail.
Le 30 mai 1997, j’ai trouvé un messager
m’avertissant que ma vie était en danger et que je devais quitter les lieux le
plus vite possible. Le soir même, nous avons plié bagages et nous nous
dirigeâmes vers Bukavu. Mon intention était d’aller au Rwanda, au lieu d’être
tué dans la forêt. Mieux valait être tué au Rwanda, là au moins je pouvais être
enterré par quelques rescapés de ma famille.
De Ziralo à Goma, il y avait un trajet de deux à
trois jours de marche à pied. De Ziralo à Bukavu, il faut faire cinq jours à
pied. J’ai préféré emprunter la voie de Bukavu, car les nouvelles disaient que
les militaires orchestraient beaucoup d’atrocités en jetant les hommes au Lac
Vert. Ce n’était que les femmes seulement qui pouvaient arriver au Rwanda. En
plus de la sécurité qui était à Bukavu, j’y avais aussi beaucoup d’amis. Avant
de traverser la frontière, je pensais pouvoir recueillir des informations sur
la stratégie à adopter de l’autre côté de la Rusizi. D’autre part, les gens
pouvaient me déconseiller de rentrer au Rwanda et allaient me cacher ou m’aider
à sortir de la République Démocratique du Congo (ex-Zaïre) et aller ailleurs.
Aussitôt dit aussitôt fait ! Nous escaladâmes les montagnes jusqu’à CYAMBOMBO où nous sommes allés loger chez un catéchiste catholique. Il nous forma que dans la forêt de KABUNGA, il y avait des militaires tutsi qui faisaient la chasse aux vaches. Etant donné que quelques éleveurs avaient caché leur bovin dans la forêt. C’était pour cela que le pillage s’était déplacé de ce côté là. Il nous proposa d’attendre une semaine chez lui. Après, il n’y avait pas beaucoup d’insécurité, nous avons décidé de sortir de cette forêt qu’il fallait traverser pendant deux jours. Notre hôte nous donna un guide pour nous accompagner jusqu’à KABAMBA (le grand marché qui est sur la route Bukavu-Goma). L’itinéraire que nous devions suivre était : Gitindiro, Mudugudu, Nyamugali, Mwami w’Idjwi, Nyabarongo, Kayitoreya, Bushaku, Remera et Kabamba.
Le 8 juin 1997, nous nous mîmes en route avec notre
brave accompagnateur, Monsieur BIGENZI. Heureusement, nous n’avions rencontré
aucun obstacle jusqu’à Bushaku. Ce dernier est une collectivité située dans les
hauteurs de Kalehe. Il était dangereux de descendre jusqu’à la grande route. La
semaine avant notre rivée, les militaires du centre de Bushaku avaient exécuté
sommairement 18 réfugiés au centre de Nyabarongo et 28 dans la forêt de
Kadasomwa. Ces premiers faisaient comme nous le trajet ZIRALO-RWANDA. Ces
massacre avaient provoqué une grande panique dans la région de telle façon que
personne ne pouvait quitter Bushaku vers Kabamba. Cette direction avait effrayé
les gens, car elle était devenue pour eux un abattoir des réfugiés. Le bureau
de rapatriement annoncé à la radio n’y avait jamais été, les réfugiés qui
suivaient aveuglement ces nouvelles de la radio tombaient dans l’embuscade et
étaient directement massacrés au grand jour. Un pasteur adventiste du nom de
SAFARI, avait renoncé à accompagner les réfugiés, le dernier groupe qu’il avait
guidé avait été tué devant ses propres yeux le 2 juin 1997 à Kabamba.
Considérant toutes ces informations, un chef
coutumier nous montra une forêt dans laquelle nous devions construire une
hutte, en attendant que la situation se normalisât. Il ne pouvait pas nous
prêter une maison, parce qu’il fut un temps où les tutsi venaient fouiller les
maisons à la recherche des réfugiés. Quand ils en attrapaient un, c’était la
peine capitale pour toute la famille qui l’hébergeait. Il nous cita l’exemple
de SEBANAGE de NYABIZIGURO qui fut victime avec sa femme, ses cinq enfants et
deux jeunes réfugiés sous prétexte qu’il logeait les Interahamwe. Nous
installâmes notre hutte et partageâmes la vie avec les singes de cette jungle
jusqu’au 24 juillet 1997.
RUSHAKU est habité par les Zaïrois qui parlent Mashi
et Kinyarwanda. On y trouve les mêmes activités qu’à Ziralo. Pendant le petit
temps que j’y suis resté, le problème d’intégration ne s’est pas posé. J’étais
habitué aux deux peuples. La présence des militaires ne me faisait pas peur.
Nous avions l’habitude de passer la nuit dans la forêt lors de la tempête et
nous restions vigilants quand la chasse à l’homme commençait. Pendant mon
séjour, l’insécurité était caractérisée par le vol des vaches à mains armées.
Le 1er juillet 1997, un groupe de
Mayi-Mayi a raflé 200 vaches de la population.
Le 7 juillet, un autre groupe de militaires tutsi de
Kalehe escalada les collines qui surplombent Kalehe, pilla les 70 vaches de
Bushaku et tua un berger.
Le 15 juillet 1997, les attaques des Mayi-Mayi et
des tutsi continuèrent. Les mayi-Mayi à leur tour prirent 50 vaches à Bushaku,
70 à Nyabarongo et rentrèrent chez eux à Bunyakili.
Jusqu’au 24 juillet 1997, la situation ne
s’améliorait pas. Les amis Bashi sont venus me prendre. Ils me conseillèrent de
laisser mes sœurs avec un confrère qui m’avait rejoint là bas. Il ne fallait
pas risquer quatre personnes à la fois, car le réfugié qui est attrapé est vite
tué ! Après la réussite de la première opération ça sera leur tour… Je
logeais dans leurs familles jusqu’à ce qu’ils aient pu m’aider à quitter le
Zaïre. L’endroit où je passais la nuit était différent de là où je restais la
journée. L’idée de rentrer au Rwanda s’était estompée. Aucune personne ne me
conseillait d’y aller.
En vue de me préparer psychologiquement au voyage de
départ de la République Démocratique du Congo, mes amis m’ont conseillé de me
promener dans la ville pour me familiariser aux visages tutsi. Le passage qu’on
devrait prendre pour sortir était plein de barrières. Un jour quand je me
promenais dans la ville, j’ai croisé un militaire tutsi au feu rouge. Il avait
un fusil sur l’épaule et dans la foule nous étions très serrée l’un de l’autre
de façon que personne ne pouvait éviter l’autre.
-
Qui était-il au juste ?
Angelbert, mon ancien choraliste dans la paroisse de
KIBI NGO, Diocèse de Nyundo. Il me salua avec enthousiasme et étonnement.
Il ne pensait pas que j’étais encore vivant. Effrayé, moi aussi je fis le malin
de le saluer avec émotions. Nous échangeâmes des nouvelles d’il y a longtemps.
J’eus le courage de lui demander s’il n’allait pas me tuer. Très gentiment, il
me rappela la fille d’un enseignant MUGEMANGANGO Justin de Kibingo que
j’ai sauvé lors des massacres et que j’avais remis aux militaires français de
l’Opération Turquoise en 1994. Il me rassura qu’il ne pouvait pas faire ce
péché. Je lui ai proposé d’aller prendre un verre avec moi et il accepta.
Au cours de notre conversation, je lui ai exprimé
mon désir de rentrer au Rwanda, il me conseilla d’attendre un peu. « Au Rwanda, il y a trop de violences », m’a-t-il
dit. Si tu rentres, ajouta-t-il, saches que tu seras directement mis en prison.
Malheureusement, nous n’avions pas beaucoup de temps pour discuter. Après cette
rencontre, il m’a demandé l’endroit où je logeais, disant qu’il allait venir me
rendre visite un jour. Je regrette de lui avoir menti, car on est jamais sûr
avec les Tutsi d’aujourd’hui !
Même au moment où j’étais dans la ville de Bukavu,
la chasse aux Hutu n’avait pas encore cessé. Après la destruction des camps de
réfugiés de Bukavu, les réfugiés attrapés étaient triés, les plus forts étaient
abattus et les autres renvoyés au Rwanda. Par après, ceux qu’on attrapaient
étaient emprisonnés dans le camp militaire de SAYO et tués après beaucoup de
tortures. Des fois, quand la Croix Rouge apprenait qu’il y avait un réfugié
emprisonné, elle allait le faire libérer et l’extradait au Rwanda. Ce fut le
cas de Monsieur TEMAHAGALI Justin, ancien ambassadeur rwandais à Kinshasa et de
Monsieur KAYOGORA, ancien Directeur du Lycée de Kigali. Malheureusement, la
Croix Rouge est intervenue quand l’œil de TEMAHAGALI avait été déjà arraché.
Les militaires tutsi n’étaient pas contents de ce que faisait la Croix-Rouge,
c’est pourquoi en ce moment là, celui qu’ils attrapaient était tué sur le
champ. Et c’est ce qui se fait actuellement.
Les militaires tutsi utilisaient et utilisent les
voyous de la ville dans la recherche des réfugiés cachés de part et d’autre de
la ville. Ces voyous recevaient et reçoivent 60 USD par tête. A KADUTU et à
ESSENCE, le 29 et le 30 juillet 1997, ils ont tué plus de cinq personnes livrés
par ces bandits. Comme toujours, je dormais sans l’espoir de me réveiller le
lendemain et quand je me réveillais, c’était sans espoir de voir le coucher du
soleil. Heureusement, le 18 août 1997, mon Dieu d’amour infini m’enveloppa dans
son manteau et me fit sortir de ce pays des sanguinaires.
Grandes grâces
à Yahvé sur mes lèvres, louanges à lui parmi la multitude, car il se tient à la
droite du pauvre pour sauver de ses juges son âme (Ps 109, 30-31).
Conclusion
Un massacre atomique de Hutu, nouvelle formule a eu
lieu. L’Opinion Internationale, si l’opinion il y a, a péché par défaut et par
omission et par complicité. Elle a montré ce dont elle est capable de
faire : « rien ou accepter
l’inacceptable ou cautionner le mal ».
Les hommes de bonne volonté ont submergé la surface
des maux de l’humanité par leur vrai visage. Ceux qui se targuent de cette
idéale incommensurable et qui ont complicité pour se détraumatiser en regardant
les bouchers conduire à l’abattoir une population sans défense ont souillé, tué
et sacrifié la philosophie humaniste.
Ceux qui se sont obstinés à refuser les démagogies
politiciennes et se sont abîmés dans la recherche d’une trêve pour les réfugiés
oubliés et laissés aux bêtes féroces dont les loups étaient plus exterminateurs
pendant le calvaire forcé semé d’embûches et d’épines sordides, ceux-là, Dieu
seul les remerciera, je pense spécialement à Madame Emma Bonino.
Le cauchemar d’une vie enviable vécue, la nausée
nauséabonde d’une traversée jonchée de cadavres martyrisés par la pesée
kagamienne, kabilienne, kagutienne et clintonienne, déchiquetés par les oiseaux
voraces de cette forêt impénétrable équatoriale semée d’épines qui nous
pénétraient dans les pieds jusqu’à l’os, le souvenir ineffaçable qui nous hante
devant la présence de ceux qu’on appelait jadis les puissances du monde, est
une maladie incurable épidémique, pour ceux-là qui nous ont précédés à gagner
la tombe que nous regagnerons au bout de notre atteinte chronique que les
médias ont marginalisé aux calendes grecques.
Ce dont nous sommes témoins vivants dépasse le cadre
humain et l’humanitaire était seul capable de lui trouver une solution. Nous ne
saurions le décrire par le langage humain. Les événements qui se sont suivis
allaient le macabre, le dérisoire, le rare et le monstrueux.
Le macabre, parce que pendant la
tragédie, comme si le monde était à l’envers, seules les condamnations d’un
peuple sans défense ont été entendues et la boucherie ne s’est pas arrêtée.
LE dérisoire, parce que la mort dans l’âme
au fur du voyage en enfer, certains acceptaient de mourir décapités que mourir
de la faim.
Le rare, parce que dans ce désert de
faim, de maladies, de massacres, d’abattue, des oasis, de pauvres zaïrois ont
sauvé la vie de ceux pour lesquels ils ont eu un cœur attendri par leur
souffrance. Qu’ils soient comblés de grâces, ceux-là qui ont au moins pensé à
eux !
Le monstrueux,
parce qu’au
delà des discours, démagogies humanistes et politiques mensongères, un plan
d’élimination systématique par balle, starvation, fatigue et suicide a été mis
en détonation avec des moyens très sophistiqués. L’ambassadeur des Etats Unis
d’Amérique à KIGALI en est témoin.
A dire vrai, c’est très amusant à l’instar des
spectacles des gladiateurs romains où Néron incendiant Rome de voir ces
caravanes HUTU au SAHARA AQUATORIAL sans pain ni vain de vie. C’est très
amusant de voir ces traînées de gens, cet amas touffus fatigués, diminués petit
à petit, bon parce qu’elles combattaient l’ennemi commun pour sa survie, mais
parce qu’elles se laissaient faire à cause d’une condamnation universelle, mais
que dis-je d’une bouc-émissarisation engagé à condition de ne pas faire partie
de cette foule désespérée.
Au demeurant, l’aventure ambiguë, dilemnatique et
dangereuse continue pour certains oubliés de la forêt de le république
Démocratique du Congo, Dieu seul les protège, le monde entier s’en fout,
malheureusement, l’Eglise aussi.
En mon humble qualité de prêtre et témoin oculaire
incontesté, j’ose demander à bon entendeur ce qui suit :
1. Les politiciens du monde
entier sont malades de la peste, seuls les Hutu pauvres et les Tutsi pauvres
doivent payer le forfait comme la gazelle de chez la Fontaine. Que tous les
opiniâtres qui se sont abîmés dans les condamnations injustifiées contre les
HUTU disent « mea culpa » et demandent pardon aux HUTU, à la communauté
internationale pour enfin s’en remettre à Dieu.
2. Une enquête internationale
devrait s’ouvrir pour élucider et officialiser les auteurs et les complices de
l’holocauste planifié et systématiquement accompli contre les réfugiés hutu
jetés en pâturage aux aléas de la forêt Equatoriale de la République
Démocratique du Congo d’un côté ou conduits à la mort dans l’âme vers leurs
égorgeurs du Gouvernement de Kigali de l’autre.
A l’instar de la Révolution Française et l’Indépendance américaine, les africains doivent se lever comme un seul homme pour chasser au trône le démon qui saccage les africains et installe le règne de la terreur au profit de ses appétits insatiables. Le sang des martyrs doit générer la liberté et la paix.
SIGLES
ET ABREVIATIONS UTILISEES
A.P.R. : Armée patriotique Rwandaise, branche
armée du FPR devenue armée nationale depuis 1994
ECHO : Office humanitaire de la communauté
européenne
F.P.R. : Front patriotique Rwandais
MINIREISO : Ministère de la réhabilitation et
de l’intégration sociale
UNHCR :
Haut commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés
RGP 91 : recensement général de la population
rwandaise au 15 août 1991
Annexe 2
LIBERATION
RWANDA: enquête sur la terreur tutsie
Plus de 100.000 Hutus auraient été tués depuis avril
1994
En s’appuyant sur des listes de victimes et en recoupant des témoignages, «Libération» est en mesure d’avancer que le Front Patriotique Rwandais (FPR), l’ancien mouvement rebelle tutsi au pouvoir à Kigali depuis juillet 1994, est responsable de la mort de plus de 100.000 Hutus depuis 22 mois. Ces massacres ont débuté en avril 1994 alors que les milices hutues entamaient le génocide de 800.000 Tutsis. Pour Gérard Prunier, chercheur au CNRS, les extrémistes tutsis imposent une politique de domination ethnique totale au Rwanda.
Mardi 27 FEVRIER 1996
EVENEMENT
Le nouveau régime de Kigali serait responsable de
plus de 100.000 morts
RWANDA:
EXECUTIONS MASSIVES DE HUTUS DANS L’OMBRE DU GENOCIDE DES TUTSIS
Selon
des témoignages recueillis par Libération, corroborés par des recoupements
effectués à partir de listes de victimes, le Front Patriotique Rwandais (FPR),
émanation de l’ethnie minoritaire tutsie, a toléré, voire organisé, le massacre
d’au moins plusieurs dizaines de milliers de civils hutus au fur et à mesure de
son avancée et depuis sa prise de pouvoir en juillet 1994. Ces tueries,
intervenant sous couvert de l’émotion provoquée par le génocide de 800.000
tutsis entre avril et juillet 1994, ont été passées sous silence par la
communauté internationale, qui tarde à mettre en place une commission
d’enquête.
L |
e Front Patriotique Rwandais (FPR), l’ancien
mouvement rebelle tutsi au pouvoir à Kigali depuis juillet 1994, est
responsable de massacres de très grande ampleur qui, selon une estimation
prudente, ont coûté la vie à plus de 100.000 Hutus. D’importantes tueries, à
caractère systématique, ont eu lieu entre avril et septembre 1994 lorsque, au
fur et à mesure de son avancée militaire, le FPR a liquidé des centaines de
milliers de civils hutus en même temps qu’il a mis fin au génocide des Tutsis,
dont 800.000 - sur 930.000 vivant au Rwanda - venaient d’être exterminés. Se
poursuivant après le génocide par des massacres ponctuels de moindre ampleur,
les représailles du FPR n’ont eu ni le caractère spontané ni la nature
vengeresse d’une réaction «à chaud». Au cours des vingt-deux derniers mois, à
l’ombre du génocide des tutsis, le FPR a érigé au Rwanda une nouvelle
dictature.
En
novembre dernier, l’ancien chef du gouvernement d’union nationale à Kigali,
Faustin Twagiramungu, limogé trois mois plus tôt et, depuis, exilé à Bruxelles,
a évalué le nombre des hutus tués par le FPR à «au moins 250.000». Mais il est resté redevable des « preuves
irréfutables » qu’il avait prétendu détenir. L’un de ses proches, Sixbert
Musangamfura, chef des renseignements généraux à Kigali jusqu’en août 1995,
s’est ensuite discrédité en avançant, en décembre, une autre accusation
chiffrée: « autour de 312.726 Hutus
massacrés »...
En réalité, aucune enquête sérieuse permettant de
dresser un bilan chiffré n’a jusqu’à présent été menée. Cependant, Libération a pu examiner et recouper des
listes nominatives de victimes dressées en avril 1995 pour onze des dix sept communes
de la préfecture de Gitarama, au centre du Rwanda, au niveau des «cellules»,
unités administratives de base regroupant chacune une cinquantaine de familles.
Précisant
la filiation parentale et la date de disparition, ces listes révèlent que le
gros de la répression antihutue s’est produit dans les premiers mois suivant
l’occupation des lieux par le FPR en l’occurrence fin mai à septembre 1994, et
dans une moindre mesure en février-mars 1995. Sans tenir copte des parents
morts dans les mêmes circonstances mais dont les noms ne sont pas spécifiés, le
bilan s’élève à plus de 17.000 victimes. Ce qui recoupe le décompte d’un second
jeu de listes, établi indépendamment au niveau des paroisses et faisant état,
pour la même période et pour l’ensemble de la préfecture, de 25.000 morts
hutus.
A
l’échelle du Rwanda, ce bilan accréditerait un ordre de grandeur de 150.000
victimes. Mais en supposant - au mépris des faits - que l’intensité des
représailles du FPR et la proportion des hutus restés sur place lors de son
avancée aient été partout les mêmes, ce calcul n’a d’autre valeur que celle
d’engager clairement la responsabilité des nouveaux dirigeants: même «à chaud»,
en réaction au génocide, l’armée du FPR n’a pas pu commettre des exactions
d’une telle ampleur en multipliant simplement des actes individuels de
vengeance ou des «bavures». D’ou la multiplication des appels à l’envoi d’une
commission d’enquête internationale pour établir précisément les faits,
remonter la chaîne de commandement au sein du FPR et, ce faisant, pour couper
l’herbe sous les pieds des propagandistes du «double génocide», les extrémistes
hutus qui se prétendent victimes d’un second génocide pour faire oublier le
premier.
STEPHEN SMITH
EVENEMENT
« Au camp de Gabiro,
les corps étaient brûlés
et les restes
enterrés au bulldozer »
Récit d’un témoin hutu sur les
massacres organisés par le FPR.
E |
xpurgé de ce
qui permettrait d’en identifier l’auteur, ce témoignage émane d’un Hutu enrôlé
par le Front Patriotique Rwandais (FPR) en juillet 1994. Les précisions entre
parenthèses ont été rajoutées par la rédaction. «Libération a recueilli
d’autres témoignages corroborant les faits rapportés ici.
« Le
7 avril 1994, tôt le matin, nous avons appris que, la veille au soir, l’avion
du président Habyarimana avait été abattu. C’était l’arrêt total de la vie sur
toute l’étendue du pays. Seulement les militaires et les miliciens Interahamwe
(« ceux qui travaillent ensemble », la milice de l’ancien parti
unique) pouvaient circuler dans les quartiers de Kigali, et, directement, a commencé
la chasse aux tutsis et aux hutus membres des partis d’opposition. Moi et ma
famille, nous craignions le pire. Nous n’avions jamais milité pour la cause
hutue et, dans notre quartier, certains savaient qu’un proche de la famille
avait rejoint le FPR. Pour les miliciens, nous étions donc des « Hutu
douteux ». A plusieurs reprises, ils sont venus fouiller la maison. Ils
nous ont battus et, une nuit, ils ont enlevé ma petite soeur. Le lendemain,
grâce à l’intervention d’un voisin, elle est revenue à la maison. Je suis sûr
qu’elle avait été violée, mais elle n’en a jamais parlée.
Notre misère a duré trois mois. Ce n’est que dans la nuit
du 3 au 4 juillet que les militaires et les miliciens ont quitté notre
quartier. Nous nous sommes alors cachés, enfermés dans notre maison, parce que
la population était censée les suivre et, si on nous avait découvert, on nous
aurait sûrement tués. Mais tout s’est bien passé. Le matin, vers 9 heures, les
premiers soldats du FPR sont arrivés. Ma mère leur a signalé notre présence. Nous
avons été rapidement évacués du quartier et, après une simple fouille, nous
nous sommes retrouvés avec d’autres dans un lieu de rassemblement, un
orphelinat. C’est là que, le lendemain, ont commencé les interrogatoire pour
identification. On a beaucoup insisté sur l’ethnie, l’adhésion à un parti
politique. J’ai dit que j’avais un parent au FPR. Finalement, en raison de ma
formation sanitaire, le lieutenant Kabera du DMI (Directorate of Military
Intelligence, le renseignement militaire) m’a demandé de me mettre à la
disposition de leur service médical. J’étais réticent, parce que j’avais peur
de la guerre, mais il a insisté en me menaçant. Alors j’ai accepté et on m’a
transféré vers un autre lieu de rassemblement.
Là-bas,
les interrogatoires ont continué. On voulait savoir l’ethnie du père, de la
mère, des gens qui nous avaient sauvés. J’étais environ avec 150 jeunes, dont
je connaissais la plupart parce qu’ils étaient de mon quartier. Tous les jours
, il en disparaissait. On faisait le tri, et ceux qui ne réussissaient pas leur
interrogatoire étaient mis dans un autre bâtiment. J’ai pris peur. Mais une
semaine plus tard, on m’a transféré à Masaka, commune de Kanombe. Dans les
locaux du projet Kigali-Est, le FPR avait installé un dispensaire pour les blessés
légers, les cas les plus graves étant traités à l’hôpital du camp militaire de
Kanombe. Moi, je faisais partie de l’équipe médicale. Mais d’autres
recrues étaient réquisitionnées pour ce qu’on appelait le manpower (main-d’oeuvre). Ils allaient à un endroit près de
l’orphelinat Saint-Agathe, où ils procédaient à la mise à mort de personnes
ramassées dans les quartiers de Kigali. C’était ceux qui avaient raté leurs
interrogatoires.
D’abord,
je ne voulais pas le croire. Mais les recrues avec lesquelles je passais la
nuit me quémandaient des décharges médicales pour ne pas avoir à retourner
là-bas. Ils racontaient tous la même chose. Puis, j’avais un ami d’enfance, un
tutsi qui a fait des études et à qui je faisais vraiment confiance. Lui aussi
m’a supplié de lui inventer une maladie. « Il
disait qu’en cinq jours, il avait compté plusieurs milliers de cadavres. Les
gens arrivaient vivants, on leur faisait l’ingoyi (le ligotage des coudes dans
le dos) et plus on les tuait d’un coup précis sur l’os frontal du crâne à
l’aide d’un marteau, d’une houe ou d’une massue. De ce travail était
chargé une unité spécial du DMI. Après, il fallait brûler et enterrer les
cadavres. Des camions et des citernes, avec des plaques d’immatriculation
ougandaises, apportaient du bois et de l’essence.
Ca
a duré trois semaines. Un matin, début août, le lieutenant-colonel Rwahama nous
a rassemblé pour nous remercier de notre aide au « dur travail que nous
avons accompli ici ». Tout le monde savait de quoi il était question. Pour
« formation militaire approfondie », j’ai été alors envoyé à Gabiro,
dans le parc naturel de l’Akagera. c’est un domaine de chasse, dont les
bâtiments ont été transformés en camp d’entraînement. Par moment, nous y étions
8.000, par régiment de 450 hommes. On nous apprenait le maniement des armes,
des grenades, de l’artillerie pour certains, et les tactiques militaires. Il
n’y avait que très peu de hutus, la plupart des recrues étaient des tutsis du
Zaïre, de l’Ouganda, du Burundi et du Rwanda. Les interrogations n’y ont jamais
cessé et, le matin, des Hutu manquaient toujours à l’appel. L’instructeur
donnait alors pour explication: «Il est
au camp CDR, où il a rejoint les siens». Nous savions tous ce que cela
voulait dire, d’autant qu’on menaçait du même sort ceux tentés par la
désertion.
Le
camp CDR (Coalition pour la défense de la République, le parti extrémiste hutu
créé à la fin de l’ancien régime Habyarimana) se trouvait à environ cinq
kilomètres en retraite de la grande route Kigali-Kampala, avec un chemin de
desserte qui passait juste au dessus de notre camp. En fait, c’était une base
militaire de l’ancien régime. Dans la journée, on entendait le bruit des
bulldozers et on voyait passer des camions-remorques et des citernes. Le soir,
aux heures du crépuscule, on voyait du feu et, parfois, nous étions envahi par
une fumée intense. Ca sentait la chair brûlée, c’était écoeurant. Ceux qui
allaient faire du manpower là-bas étaient sélectionnés, tous des tutsis. Le DMI
vivait en permanence dans ce camp et, un jour, un officier est passé chez nous
prendre de l’eau. Quand il m’a vu, il a dit: «Il y a donc toujours un Hutu dans ce pays ». J’étais
terrorisé et je me suis vite mêlé à mes camarades.
Ceux qui travaillaient au camp CDR disaient que c’était la
même chose qu’à Masaka. Ils aidaient à brûler les corps, dont les restes
étaient enterrés par les bulldozers. Beaucoup ont craqué nerveusement mais ceux
qui succombaient à la folie ou à la dépression ont été eux-mêmes tués au camp
CDR. Pour moi, ça duré neuf mois. Je ne sais pas si c’est à cause de mon
travail médical, de mon parent au FPR ou par simple chance que j’en suis sorti
vivant.
Recueilli par S. Sm.
EDITORIAL par Jacques AMALRIC
Vengeance
et justice
C’est
le mois prochain ou au début d’avril, à en croire le gouvernement de Kigali,
que devraient commencer les procès de dizaines de milliers de Hutus accusés
d’avoir participés au massacre de huit cent mille tutsis, vivant alors au
Rwanda (sur un total de moins d’ un million). La démesure de l’abomination
commise entre avril et juillet 1994 n’incite pas à la pitié à l’égard des
inculpés. Le climat et les conditions dans lesquels ces lampistes vont être
déférés devant une magistrature improbable interdisent cependant d’espérer que
justice va être faite. A quelques exceptions près, ce ne sont pas les
responsables du génocide qui croupissent depuis des mois dans les prisons de
Kigali et d’ailleurs. Les vrais massacreurs ont quitté le Rwanda depuis
longtemps, avec la plupart de leurs légions d’assassins. Ils forment les plus
gros bataillons des réfugiés entassés dans les camps da Zaïre et de Tanzanie,
où ils préparent leur revanche contre les tutsis de l’extérieur, ceux du Front
Patriotique Rwandais (FPR), qui règnent aujourd’hui en maîtres dans le pays.
Les
procès qui se préparent promettent d’être les plus expéditifs. Par la force des
choses, le Rwanda n’a pratiquement plus de magistrats, d’avocats, d’enquêteurs
de police. Plus grave: les autorités du FPR ont mis longtemps à accepter
vraiment la création par le Conseil de sécurité, en novembre 1994, d’un tribunal
pénal chargé de juger les auteurs du génocide. Elles craignent sans doute qu’il
ne constitue une échappatoire pour les assassins mais, surtout, qu’il ne
symbolise une mise sous tutelle de ce malheureux pays, dont bien peu de
ressortissants encore en vie peuvent s’affirmer totalement innocents. La
parodie de justice qui se prépare relève donc, avant tout, de la vengeance et
de la dissuasion. Une vengeance qui ne se conçoit que comme collective, et une
dissuasion qui vise à convaincre les réfugiés hutus de ne surtout pas
refranchir la frontière. Plusieurs massacres de Hutus, commis par les forces du
FPR tout de suite après le génocide, mais aussi bien plus tard, relèvent
assurément du même calcul. Faute d’avoir su arrêter cet holocauste africain, et
au lieu de se voiler la face, la sacro-sainte communauté internationale aurait
été bien inspirée d’assumer ses responsabilités dans le désert juridique,
politique et économique que constitue le Rwanda d’aujourd’hui. C’est tout le
contraire qu’elle a choisi de faire, en feignant de croire qu’il s’agit de
presque d’un pays comme un autre, avec un sérieux problème de réfugiés. Tout
est ainsi en place pour que le drame continue.
MARDI 27 FEVRIER 1996
EVENEMENT
Giti, à
l’écart du génocide mais pas des représailles
Dans la commune, la majorité des victimes sont
hutues.
Giti, envoyé
spécial
S |
’étirant le long d’une petite piste en latérite, à
flanc de collines, la commune de Giti ressemble à beaucoup d’autres: des
maisons dispersées au milieu des bananeraies, des champs de maïs en pente, des
choux et des pommes de terre cultivés dans la vallée d’une rivière et , sur un
sommet, la mairie, l’église et le dispensaire. Pourtant, Giti est une
exception. Ici, à une cinquantaine de kilomètres au nord-est de Kigali, le
génocide n’a pas eu lieu. Alors que, partout ailleurs, les tutsis se firent
massacrer dans les jours suivant l’attentat meurtrier contre l’avion de
l’ex-président Habyarimana, le 6 avril 1994, l’ancien maître de Giti, Edouard
Sebushunga, parvint à maintenir l’ordre dans sa commune de 45.271 âmes. Même
s’il y eut quelques morts et s’il fallut que les gendarmes du village ouvrent
le feu sur des miliciens venant des collines alentour pour provoquer
l’hécatombe.
Giti, terre d’espoir au pays des
fosses communes? Certainement comparé à Murambi, non loin, où la maître extrémiste Jean
Baptiste Gatete orchestrait le génocide qui a fait, dans cette seule commune et
en cinq jours, plus de 15.000 victimes. Lorsque le Front Patriotique Rwandais
(FPR) s’est emparé de Murambi le 13 avril 1994, il a tué à son tour près de
10.000 civils hutus. Cependant, quoique nombreux, ces morts pèsent moins lourd
sur l’avenir que ceux qu’il y a eu, en l’absence du génocide, à Giti. Combien?
«Beaucoup, dit un habitant hutu, beaucoup trop.» Originaire de Giti, un
réfugié du camp de Kibumba, dans l’est du Zaïre, avance - sans preuve - le
chiffre de 2.000. On ne connaîtra peut-être jamais le nombre exact. Mais
lorsqu’en juin dernier le préfet de Byumba, Déogratias Kayumba, est venu à Giti
pour une cérémonie d’inhumation des victimes du génocide, il savait comme tout
le monde qu’il consacrait une terre abritant plus de hutus que de tutsis.
Depuis
dix-neuf mois, le «nouveau Rwanda», celui du FPR et de la diaspora tutsie
revenue, se construit dans le souvenir omniprésent du génocide. Mais la mémoire
est tronquée. A la vérité de l’éradication de 800.000 tutsis se mêlent des
mensonges intéressés, la raison d’un Etat accaparé par une armée victorieuse:
celle des tutsis venus de l’Ouganda, du Burundi, du Zaïre et d’ailleurs. Cette
armée a tué des civils hutus, massivement. A Kayonza, dans la préfecture de Kibungo,
où, lors de la première «réunion de pacification» en mai 1994, sucre et sel ont
été distribués. Le lendemain, lorsque l’affluence fut plus grande, hommes,
femmes et enfants ont été fauchés. A Ngoma, dans la commune de Mbogo, des
civils ont été enfermés dans une école primaire puis déchiquetés à la
grenade. A Butamwa, également dans la préfecture de Kigali rural, une
centaine de civils rassemblés ont été fusillés. Lorsque la mission des Nations
unies pour l’assistance au Rwanda (Minuar) a enquêté sur ce «crime contre
l’humanité», elle n’a pas trouvé de témoins jusqu’à ce que, finalement, le
directeur du centre scolaire, Alexis Rubandabaliyo, se décide à parler. Arrêté
et affreusement torturé, il est mort en novembre dernier.
«Au début, j’ai cru à des dérapages et, si l’armée avait cessé de tuer à
l’automne 1994, j’aurais admis la colère», explique l’ancien procureur de
Kigali, François-Xavier Nsanzuwera, réfugié à Bruxelles depuis mars 1995. «Mais
le génocide est devenu une sorte d’industrie, une carte de visite, une
justification pour les violations actuelles des libertés fondamentales. Il y a
volonté délibérée de tuer les hutus.» Dans le pays, personne n’oserait
l’affirmer au grand jour. Mais quand les habitants de la commune de Muyira se
réunissent dans le secret pour rédiger un «appel
au secours» à Amnesty International, ils dénoncent des faits précis,
imputés à «l’escadron antihutu dirigé par
le bourgmestre Pierre-Céléstin Kayihura». Leur conclusion: «La non-poursuite de telles actions
signifierait qu’il n’y a pas de faute à tuer un Hutu.» Or, en la matière,
l’impunité est la règle. «Ces femmes et
ces enfants étaient-ils armés?», a demandé un observateur des droits de
l’homme des Nations unies au sergent de l’armée patriotique rwandaise ‘APR)
ayant fusillé, il y a un an, au moins treize civils dans la forêt de Nyungwe. «Non. - Alors, vous les avez froidement
abattus? - Oui.» Le sergent, de même que le colonel commandant le secteur
militaire, sévissent toujours.
En
janvier 1995, le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) a lancé un «cri
d’alarme» au sujet du surpeuplement des prisons. A l’époque, six mois après la
fin du génocide, 19.000 présumés coupables avaient été arrêtés. Depuis, au
rythme constant de 700 nouvelles arrestations par semaine, plus de 250
«cachots» et 14 prisons se sont remplis de 66.000 détenus. La réaction de la
communauté internationale? Elle s’est mise à construire des « camps de
détention provisoire ». Cinq sont en cours d’aménagement et l’un, à
Nsinda, à 60 kilomètres à l’est de Kigali, abrite déjà 5.100 détenus, sa
capacité prévue. Curieusement, les prisonniers s’y entassent dans les lits en
bas sans toucher à la rangée en haut. « C’est pour ceux qui vont
venir », explique l’un d’eux. Sage précaution. Lors d’une réunion avec les
Nations unies, le gouvernement rwandais a déjà annoncé qu’en cas de retour
massif des réfugiés du Zaïre, du Burundi et de la Tanzanie, il fallait
s’attendre à «plus de 200.000 détenus». Or, même dans les conditions inhumaines
qui y règnent actuellement, les prisons et les camps ne pourront enfermer que
112.000 personnes. Aussi, le PNUD propose-t-il aux bailleurs de fonds du
Rwanda, pour 30 millions de dollars, un «programme
accéléré de construction de prisons».
Quand tous ces «génocideurs» présumés seront-ils jugés?
« Tant que l’épuration ethnique de la magistrature ne sera pas terminée,
il n’y aura pas de jugement », a estimé, début janvier, Francois-Xavier
Nsanzuwera. Il y a un an, l’ancien procureur de Kigali avait voulu ouvrir
le procès de centaines de coupables, passés aux aveux. mais le FPR s’était
opposé. Depuis, en trois cours accélérés de huit semaines, quelque 300
magistrats ont été formés, de même que 90 procureurs et 250 inspecteurs de la
police judiciaire. En même temps, des magistrats confirmés tous hutus - ont été
arrêtés ou limogés, le dernier en date, Silas Munyagishali, substitut du
procureur de Kigali, le 13 février. Trois jours plus tard, le gouvernement
rwandais a annoncé l’ouverture des premiers procès pour « fin mars début
avril »,à la veille du second anniversaire du début du génocide.
«Rendre la justice n’a été une priorité
absolue qu’aux yeux du monde extérieur, estime un magistrat à Kigali. Pour le FPR, c’est un enjeu politique qu’il
fallait maîtriser. » Dans un carton, l’homme qui travaille toujours
dans un bureau aux vitres cassées a collectionné des coupures de la presse
internationale décrivant « l’appareil judiciaire massacré » ou
« une justice de bouts de chandelle ». S’il est vrai que la justice a
été anéantie par le génocide, sa « réhabilitation » a été
délibérément retardée. Selon les chiffres que le ministère rwandais de la
Justice vient de publier, sur 9,2 millions de dollars mis à disposition par les
bailleurs de fonds étrangers, seulement 5,4 - soit à peine plus de la moitié -
ont été employés.
A présent, la justice se met en
marche. En
fonction du degré de leur culpabilité d’exécutant, d’organisateur ou de
commanditaire du génocide, les prévenus seront « triés» et, pour les moins
compromis d’entre eux, pourront «négocier» leur peine en échange d’aveux
«complets et sincères». Pour les autres, passibles de la peine de mort, ils
devront comparaître devant un jury populaire. Une justice équitable
pourra-t-elle être administrée? Il faut se rappeler, explique un magistrat
étranger, que la justice allemande, pourtant équipée du nécessaire, n’a jugée
depuis cinquante ans qu’environ 12.500 personnes impliquées dans l’Holocauste.
Peut-être le gouvernement allemand manquait-il de volonté, mais il en faudrait
beaucoup pour vider ici les prisons.»
Titanesque, la tâche n’effraierait
pas si le
silence gêné de la communauté internationale et la terreur du nouveau régime
n’avait pas entamé ce qu’un prêtre catholique appelle «la pureté du génocide».
Le Mal n’est plus absolu. Lorsque, dans une paroisse de Kigali, un Hutu a été
arrêté comme «génocideur», un rescapé tutsi est allé se confesser. «Mon père, cet homme m’a sauvé du génocide. -
Pourquoi ne le dis-tu pas pour le sauver? - Parce qu’il m’a sauvé, moi le
tutsi, n’est-ce pas la preuve que j’étais complice d’un hutu «génocideur»?
Alors, ils vont me tuer moi aussi.»·
STEPHEN SMITH
Des orphelins hutus dont les parents ont été
massacrés le 22 avril 1995 au camp de Kibeho. Ce jour-là, dans le but de vider
ce camp de quelque 90.000 «déplacés» hutus, dans le sud-ouest du Rwanda,
l’armée du FPR a ouvert le feu. Bilan: 338 victimes selon le gouvernement
rwandais, «environ 2.000» selon les Nations unies, «plus de 3.000» selon le
Haut Commissariat au droits de l’homme, «plus de 4.000» selon Médecins sans
frontières (MSF), à l’époque témoin sur place et, depuis décembre, l’une des 43
ONG expulsées.
Les extrémistes
Gérard Prunier, l’un des meilleurs
C |
hercheur au CNRS, spécialiste de la corne de
l’Afrique et expert au sein de la cellule de crise du ministère français de la
Défense pendant l’opération Turquoise de l’été 1994, Gérard Prunier, 53 ans,
vient de publier (en anglais) une histoire du génocide au Rwanda (1). Une
provocation de la part d’un auteur qui explique l’engagement massif de la
France aux côtés de l’ancien régime rwandais par une «peur paranoïaque des
Anglo-Saxons». Et qui, pour sa part peu suspect de souffrir du «complexe de
Fachoda» (2), n’en juge pas moins sévèrement le nouveau régime au Rwanda.
Entretien.
Dans votre livre, vous expliquez que
l’indiscipline a gagné les rangs du FPR quand il a fallu recruter massivement
pour conquérir l’ensemble du pays. Est-ce l’explication pour les exactions
commises par le FPR pendant la guerre, puis après sa victoire en juillet 1994?
Pour
le passé, oui, pour la période actuelle, non. Fin 1992, le FPR, jusque-là un
petit groupe de guérilla de moins de 2.500 hommes, commence à recruter à
l’intérieur du Rwanda et dans la diaspora tutsie notamment du Burundi. Il n’y a
alors plus de critères de sélection, et des dizaines de milliers de recrues, en
découvrant au fur et à mesure le massacre de leurs parents, se livrent à des
actes de vengeance. Je suis absolument convaincu que des massacres du FPR ont
eu lieu, les premiers autour de Byumba, directement au printemps 1993 sur des
groupes de déplacés (hutus, ndrl). J’ai également des preuves pour des tueries
dans la préfecture de Kibungo, où il y a eu 1.500 morts sur une colline, dans
la préfecture de Gitarama, où le FPR a tué quelque 800 personnes revenues du
Burundi, et dans l’arboretum de Butare, où au moins 1.200 personnes ont été
massacrées à froid, bien après la fin des combats.
CHRONOLOGIE DES FAITS
Quatre ans de conflit
1er octobre
1990: Le
Front Patriotique Rwandais (FPR), issu de la diaspora tutsie, attaque le
Rwanda, à majorité hutue (85 % de la population).
10 juin 1991: instauration du
multipartisme au Rwanda
Juillet 1992: ouverture des négociations
de paix à Arusha (Tanzanie).
4 août 1993: signature des accords
d’Arusha prévoyant le partage du pouvoir en attendant des élections.
5 octobre 1993: l’ONU décide le déploiement
de Casques bleus (Mission d’assistance des Nations Unies au Rwanda, Minuar).
15 décembre
1993: fin
de l’opération Noroît.
6 avril 1994: attentat meurtrier contre
l’avion du président Habyarimana.
7 avril 1994: début des massacres des
tutsi et d’opposants hutus.
22 avril 1994: Conseil de sécurité réduit
les effectifs de la Minuar de 2.600 à 270 personnes, dont 120 civils.
5 juin 1994: Massacre par le FPR à
Gakurazo de 3 évêques catholiques et de 9 prêtres
23 juin 1994: intervention militaro-humanitaire
de la France, mandatée par l’ONU (opération turquoise).
4 juillet 1994: prise de Kigali par le
FPR.
19 juillet
1994: prise
de fonction du Premier ministre, Faustin Twagiramungu, à la tête d’un
gouvernement formé par le FPR et des opposants à l’ancien régime.
2 août 1994: fin de l’opération
Turquoise, la Minuar 2 prend de la relève.
8 novembre
1994:
création, par le Conseil de sécurité, du tribunal pénal pour le Rwanda (TPR).
22 avril 1995: à Kibeho, dans le
sud-ouest du Rwanda au moins 2.000 « déplacés » hutus sont tués par
l’armée du FPR.
29 août 1995: limogeage du Premier
ministre Twagiramungu et de quatre membres de son gouvernement, dont les
ministres de l’Intérieur et de la Justice.
11 septembre
1995:
massacre de 118 civils à Kanama par l’armée FPR.
6 décembre
1995: le
gouvernement rwandais expulse 43 ONG.
12 décembre 1995: prolongation, pour un ultime mandat
jusqu’au 8 mars 1996, de la Minuar 2 dont les effectifs passent à 1.200 Casques
bleus.
Annexe 4
LE MANIFESTE DES BAHUTU du 24
mars 1957
24 mars 1957
Des rumeurs seront déjà
parvenues à l’autorité du Gouvernement par la presse et peut-être aussi par la
parole au sujet de la situation actuelle des relations muhutu-mututsi au
Rwanda. Inconscientes ou non, elles touchent un problème qui nous paraît grave,
problème qui pourrait déparer on peut-être même un jour torpiller l’œuvre si
grandiose que la Belgique réalise au Rwanda. Le problème racial indigène est
sans doute d’ordre intérieur, mais qu’est-ce qui reste intérieur ou local à
l’âge ou le monde en arrive ! Comment peut-il rester caché au moment où
les complications politiques indigènes et européennes semblent s’affronter ?
Aux complications politiques, sociales et économiques s’ajoute l’élément race
dont l’aigreur semble s’accentuer de plus en plus. En effet, par le canal de la
culture, les avantages de la civilisation actuelle semblent se diriger
carrément d’un côté, - le côté mututsi – préparant ainsi plus de difficultés
dans l’avenir que ce qu’on se plaît à appeler aujourd’hui « les problèmes
qui divisent ». Il ne servirait en effet à rien de durable de solutionner
le problème mututsi-belge si l’on laisse le problème fondamental mututsi-muhutu.
C’est à ce problème que nous voulons contribuer à apporter quelques éclaircissements. Il nous a paru constructif d’en montrer en quelques mots les réalités angoissantes à l’Autorité Tutélaire qui est ici pour toute la population et non pour une caste qui représente à peine 14% des habitants. ------------------------------------------- crée par l’ancienne structure politico-sociale du Rwanda, en particulier le buhake, et de l’application à fond et généralisée de l’administration indirecte, ainsi que la disparition de certaines institutions sociales anciennes qui ont été effacées sans qu’on ait permis à des institutions modernes, occidentales correspondantes de s’établir et de compenser. Aussi, serions –nous heureux de voir s’établir rapidement le syndicalisme, aider et encourager la formation d’une classe moyenne forte. La peur, le complexe d’infériorité et le besoin « atavique » d’un tuteur, attribués à l’essence du Muhutu, si tant est vrai qu’ils sont une réalité, sont des séquelles du système féodal. A supposer leur réalité, la civilisation qu’apportent les Belges n’aurait réalisé grand’chose, s’il n’était fait des efforts positifs pour lever effectivement ces obstacles à l’émancipation du Rwanda intégral.
1. –Objections prétextées contre la
promotion muhutu
Contre l’ascension du Muhutu, nombreuses sont les objections qu’on présente. Sans ignorer les déficiences du Muhutu, nous pensons que chaque race et chaque classe a les siennes et nous voudrions une action qui les corrige au lieu de refouler systématiquement les Bahutu dans une situation éternellement inférieure. On prétexte spécialement :
a) «Que les Bahutu furent chefs dans le pays.» Anachronisme raffiné que le présent ne peut confirmer suffisamment.
b) « Les vertus sociales du Mututsi qui le présenteraient comme natus ad imperium ! » - La même vertu peut être présentée autrement par un Italien que par un Allemand, par un Anglais que par un Japonais, par un Flamand que par un Wallon.
c) « Qu’on fait les Bahutu évolués pour l’ascension de leurs congénères ? ? » - C’est une question d’atmosphère et du buhake particulièrement qui a souvent influencé le système des nominations. Ensuite, le manque de liberté suffisante d’initiative dans une structure absolutiste, l’infériorité économique imposée au Muhutu par les structures sociales, les fonctions systématiquement subalternes où ils sont tenus, handicapent tout essai du muhutu pour ses congénères.
d)
« Que diable ils présentent leurs candidatures ou attendent que le
complexe d’infériorité soit liquidé ». – Les candidatures supposent un
sens démocratique, ou alors il faut ignorer ce que ce prétexte peut laisser
entendre de tendance au buhake que les gens ont abandonné (sans pour cela
abandonner le respect de l’autorité).
A ce sujet, il faudrait rappeler la réflexion d’un
hamite notable : «Il ne faudrait pas que les Bahutu soient élevés par les
soins du blanc, mais par la méthode traditionnelle du Mututsi » Nous ne
pensons pas que l’ancien ennoblissement soit une pratique à ressusciter dans la
rencontre Europe-Afrique.
e) « Et les foules suivront. » - L’interaction élite-masse est indéniable, mais il conditionne que l’élite soit de la masse. Au fond du problème il s’agit d’un colonialisme à deux étages : le Muhutu devant supporter le hamite et sa domination et l’Européen et ses lois passant systématiquement par le canal mututsi (leta mbirigi et leta ntutsi) ! La méthode de la remorque « blanc-hamite-muhutu » est à exclure. Des exemples ont pu montrer que « les foules » ne suivent pas automatiquement toujours.
f)
« L’union, condition de front commun et unique pour l’indépendance du
pays, doit faire taire toutes les revendications bahutu.» - il est fort douteux
que l’union de cette manière, le parti unique, soit vraiment nécessaire si en
fait l’émancipation est fruit mûri – Ajoutons que la section de la population
que le départ de l’européen pourrait réduire dans une servitude pire que la
première aurait tout au moins le droit de s’abstenir de coopérer à
l’indépendance autrement que par des efforts de travail acharné et de
manifestations des différences qu'il lui semble nécessaire de soigner d’abord.
II. En quoi consiste le problème racial indigène ?
D’aucuns se sont demandés s’il s’agit là d’un conflit social ou d’un conflit racial. Nous pensons que c’est de la littérature. Dans la réalité des choses et dans les réflexions des gens, il est l’un et l’autre. On pourrait cependant le préciser : le problème est avant tout un problème de monopole politique dont dispose une race, le mututsi ; monopole politique qui, étant donné l’ensemble des structures actuelles, devient un monopole économique et social ; monopole politique, économique et social qui, vu les sélections de facto dans l’enseignement, parvient à être un monopole culturel, au grand désespoir des Bahutu qui se voient condamner à rester d’éternels manœuvres subalternes, et pis encore, après une indépendance éventuelle qu’ils auront aidé à conquérir sans savoir ce qu’ils font. Le buhake est sans doute supprimé, mais il est mieux remplacé par ce monopole total qui , en grande partie, occasionne les abus dont la population se plaint.
-Monopole politique. –Les prétendus anciens chefs bahutu ne furent que des exceptions, pour confirmer la règle ! Et les occasions qui permettaient même ces exceptions n’existent plus : il ne s’agit évidemment pas de rétablir la vieille coutume de l’ennoblissement des Bahutu. Quant aux fameux métissages ou « mutations » de bahutu en hamites, la statistique, une généalogie bien établie et peut-être aussi les médecins, peuvent seuls donner des précisions objectives et assez solides pour réfuter le sens commun auquel on se réfère pourtant pour bien d’autres choses.
Monopole économique et social. – Les privilèges de son frère qui commande la colline ont toujours concouru à rehausser le mututsi privé. Certaines fonctions sociales furent même « réservées » à la noblesse et la civilisation actuelle, par l’administration indirecte, n’a fait que renforcer et quasi généraliser cette réserve. Le récent partage des vaches a bien montré la faiblesse de la propriété en fait de bétail au moins. La terre elle-même dans plus de la moitié du Rwanda – les régions les plus hamitisées – est à peine une vraie propriété pour l’occupant. Cette occupation en fait précaire n’encourage guère le travail et en conséquence les gens qui n’ont que leurs bras pour s’enrichir en sont désavantagés. NOUS LAISSONS SOUS SSILENCE LE SYST7ME DE TOUT GENRE DE CORV2ES ? SEUL MONOPOLE DU Muhutu, le Mututsi ayant ainsi toutes les avances pour promouvoir les finances à la maison.
Monopole culturel. – Encore une fois on pourrait contester la qualité des vrais hamites à quelques numéros ; mais la sélection de fait (opérée par le hasard ?) que présentent actuellement les établissements secondaires, crève les yeux. Des arguments ne manquent pas alors pour démontrer que le Muhutu est inapte, qu’il est pauvre, qu’il ne sait pas se présenter. L’inaptitude est à prouver ; la pauvreté et son lot dans le système social actuel ; quant aux manières, une plus grande largeur d’esprit serait à souhaiter. Demain on réclamera les diplômes et ce sera juste, et les diplômes ne seront en général que d’un côté, le Muhutu ne saura même pas le sens de ce mot. Et si par hasard (la Providence nous en garde) une autre force intervenait qui sache opposer le nombre, l’aigreur et le désespoir aux diplômes ! L’élément racial compliquerait tout et il n’aura plus besoin de se poser le problème : conflit racial ou conflit social.
Nous croyons que ce monopole total est à la base des abus de tous genres dont les populations se plaignent.
Quelques faits et courants actuels peuvent faire entrevoir l’état réel d’aujourd’hui :
1) La jeunesse muhutu (quelques éléments batutsi complètement déchus ont aussi le même sort) qui a pour devise « In itineribus semper » à l’intérieur du pays ou à l’extérieur, fuyant le travail-corvée, non plus adapté à l’état et à la psychologie d’aujourd’hui, n’accepte plus ou à peine la discipline de la contrainte qui donne d’ailleurs occasion aux abus que les autorités semblent ignorer.
2) Des pères de familles qui nourrissent leurs familles à peine ; en politique une sorte de propagande, peut-être inconsciente, les pousse à l’antipathie à l’égard de l’Européen ;bon nombre ne sont pas sas penser que le Gouvernement Belge est lié à la noblesse pour leur complète exploitation.
3) D’autre part cependant, la réflexion comme celle-ci est encore courante : « Sans l’Européen nous serions voués à une exploitation plus inhumaine qu’autrefois, à la destruction totale. C’est même malheureux que ce ne soit pas l’Européen qui devienne chef, sous-chef ou juge. « Non pas qu’ils croient l’Européen parfait, mais parce que des deux maux il faut choisir le moindre. La résistance passive à plusieurs des ordres des sous-chefs n’est que la conséquence de ce déséquilibre et de ce malaise.
4) Le regret des Bahutu de voir comment les leurs sont refoulés quasi systématiquement à des places subalternes. Toute politique employée à ce refoulement n’échappe plus qu’à quelques-uns. De tout cela, à la guerre civile « froide » et à la xénophobie il n’y a qu’un pas. De là à la popularité des idées communisantes, il n’y a qu’un pas.
III. Proposition de solutions immédiates
Quelques solutions peuvent être présentées et dont l’efficacité n’est possible que si le système politique et social du pays change profondément et assez rapidement.
1) La première solution est u « esprit ». Qu’on abandonne la pensée que les élites rwandaises ne se trouvent que dans les rangs hamites (méthode chérie en fait par l’Administration dans nos pays et qu’on appelle par abus de terme « Umuco w’Igihugu », le respect de la culture et de la coutume du pays »).
2) Aux points de vue économique et social. Nous voulons que des institutions soient créées pour aider les efforts de la population muhutu handicapés par, une administration indigène, qui semble vouloir voir le Muhutu rester dans l'indigence et donc dans l'impossibilité de réclamer l’exercice effectif de ses droits dans son pays. Nous proposons :
1° La suppression des corvées. – Les forçats seraient remplacés par un service de Travaux publics (public ou parastatal) engageant les ouvriers vraiment volontaires, qui seraient défendus par la législation sociale, dont le progrès actuel est considérable. Ce service pourrait se concevoir et se concrétiser comme la Regideso, pour autant que nous la connaissions. La suppression des corvées donnerait aux populations un minimum de liberté pour entreprendre des initiatives utiles. Des paresseux – il en est même dans les castes d’élites – seraient surveillés par un système plus humain.
2° La reconnaissance légale de la propriété foncière individuelle dans le sens occidental du mot, chacun ayant une superficie suffisante pour culture et élevage, et les bikingi (pâturages) de la bourgeoisie seraient supprimés du moins dans le sens ou la coutume les entend et les protège. Pour cette législation il faudrait qu’un service compétent détermine quelle superficie peut suffire à une famille de 6 à 8 enfants étant données les possibilités productives du sol du Rwanda-Urundi. Tous ceux qui disposeraient effectivement de cette superficie à l’heure actuelle seraient enregistrés par la sous-chefferie comme vrais propriétaires dans le sens occidental ; et le reste se fera peu à peu, aidé par le mouvement de déplacement qui s’amorce dans certaines régions du pays.
Au sujet de la propriété foncière, il ne faudra pas que les mesures soient prises trop rapidement, même sur proposition du Conseil du Pays, dont bon nombre des membres seraient tentés de voir le problème d’une façon unilatérale ou sans tenir compte des difficultés ou des aspirations concrètes des roturiers de métier.
3° Un Fonds de crédit rural. Il aurait pour but de promouvoir les initiatives rurales: agriculture rationnelle et métiers divers. Ce fonds prêterait au manant qui veut s'établir comme agriculteur ou comme artisan. Les conditions d'accession à ce fonds devraient cependant être telles qu'il soit abordable au Muhutu ordinaire.
4° L’union économique de l’Afrique belge et de la métropole. – cette union devrait se faire selon des normes à préciser et à proposer d’abord au public et aux responsables avant qu’elle ne soit sanctionnée.
5° La liberté d’expression. – L’on a parlé des effets dissolvants d’une certaine Presse locale, indigène ou européenne ou même métropolitaine, tendant à diviser les races. Nous pensons quant à nous que certaines exagérations ont pu avoir lieu comme dans tout journalisme, surtout à l’âge où en sont les pays considérés. Nous croyons aussi que certaines expressions ont pu blesser certains gens non habitués à être contrariés pour faire à l’ombre tout ce qu’il leur plaît avec les petits et les faibles. Cela a pu heurter un système à peine sortant de la féodalité. Nous croyons également que devant la liberté d’expression en Afrique belge et sur les problèmes concrets concernant les populations, ne datant pas sérieusement de plus de trois ans, certaines autorités non habituées à la démocratie et qui, peut-être, ne la souhaitaient guère, se soient émotionnées. Mais nous pensons aussi qu’il ne faut pas, sous prétexte de ne pas « diviser », taire les situations qui existent ou qui tendent à exister au préjudice d’un grand nombre et pour le monopole abusif en fait d’une minorité. Nous sommes convaincus que ce n’est pas la justice belge ni le Gouvernement belge qui accepteraient une union réalisée sur des cadavres d’une population qui veut disposer de l’atmosphère et des conditions nécessaires pour mieux travailler et se développer. Avant de demander la perfection à la presse, ne faudrait-il pas l’exiger des tribunaux indigènes, de l’administration qui sont de loin plus importants et qui ne donnent que trop d’occasions aux critiques de la presse ? La liberté bien entendue d’expression n’est-elle pas l’une des bases d’une vraie démocratisation ?
3) Au point de vue politique. Si nous sommes d’accord que l’administration mututsi actuelle participe de plus en plus au gouvernement du pays, nous pensons pourtant mettre en garde contre une méthode qui tout en tendant à la suppression du colonialisme blanc-noir, laisserait un colonialisme pire du hamite sur le Muhutu. Il faut à la base aplanir les difficultés qui pourraient provenir du monopole hamite sur les autres races habitant, plus nombreuses et plus anciennement, dans le pays. Nous désirons à cet effet :
1° Que lois et coutumes soient codifiées. Il est certain qu’il y a certaines coutumes qu’on ne peut pas supprimer d’un trait de plume, mais nous croyons qu’un respect presque superstitieux du fétiche « coutume » handicape le progrès intégral et solide des populations. Aussi, pour plus de clarté, d’égalité devant la loi, pour moins de confusion et d’abus, nous demandons que les lois portées par l’Autorité belge et les coutumes ayant encore vigueur utile, raisonnables et non imperméables à la démocratisation du pays soient recensées en un Code qui pourrait être régulièrement révisé et modifié suivant le degré d’évolution. Les travaux déjà réalisés par les savants et les législateurs dans l’une ou l’autre matière, facilitent la rapidité d’un travail si urgent. Les tribunaux et l’administration indigènes et européens, l’essor de l’initiative privée en tout domaine ont besoin d’un tel guide. Le brandissement du glaive de la coutume du pays (umuco w’igihugu) par les intérêts monopolistes, n’est pas de nature à favoriser la confiance nécessaire, ni établir la justice et la paix en face des aspirations actuelles de la population. Il faut recenser et codifier pour se rendre compte des déficiences réelles et les corriger pour favoriser d’avantage l’initiative privée qui se bute souvent aux absolutismes et aux interprétations locales dépourvues du sens social.
2° Que soit réalisé effectivement la promotion des Bahutu aux fonctions publiques (chefferies, sous-chefferies, juges). Et concrètement nous pensons qu’il est temps que les conseils respectifs ou les contribuables élisent désormais leurs sous-chefs, leurs chefs, leurs juges. Dans certaines localités jugées encore trop arriérées, le pouvoir pourrait proposer aux électeurs deux ou trois candidats parmi lesquels ils choisiraient leur guide.
3° Que les fonctions publiques indigènes puissent avoir une période, passée laquelle, les gens pourraient élire un autre ou réélire le sortant s’il a donné satisfaction. Un tel système, sans être raciste, donnerait plus de chances au Muhutu et ferait leçon aux abus d’un monopole à vie.
4° Le retrait des chefs de province des conseils de chefferie.
5° La composition du Conseil du pays par les députations de chefferie : chaque chefferie déléguant un nombre proportionnel à celui de ses contribuables, sans exclure les Européens qui auraient fixé définitivement leur demeure dans la chefferie. Nous ne croyons pas simpliste d’accepter les Européens, fixés définitivement dans la circonscription ; c’est, qu’établis de cette manière, ils ont des intérêts définitifs à défendre ; c’est que la législation doit devenir de plus en plus élargie et moins discriminatoire, et que les Européens sont tout au moins aussi utiles qu’un Mututsi établi dans la région.
Des mesures comme celles que nous proposons nous semblent essentielles si le Gouvernement veut baser une œuvre à venir et sans favoritisme. Nous pouvons comprendre que l’on parle de prudence mais nous croyons que l’expérience des fameux neuf cent ans de la domination tutsi et 56 années de tutelle européenne suffit largement et qu’attendre risque de compromettre ce que l’on édifie sans ces bases.
4)Au point de vue instruction. – Demain on réclamera les diplômes et ce sera de juste. Or jusqu’ici la sélection de fait au stade secondaire et supérieur crève les yeux. Les prétextes ne manquent pas bien entendu, et certains ne sont pas dépourvus de tout fondement: ils profitent d'un système favorisant systématiquement l’avancement politique et économique du hamite.
1°Nous voulons que l’enseignement soit particulièrement surveillé. Que l’on soit plus réaliste et plus moderne en abandonnant la sélection dont on peut constater les résultats dans le secondaire. Que ce souci soit dès les premières années, de façon que l’on ait pas à choisir parmi presque les seuls Batutsi en cinquième année. Il n’y a peut-être pas de volonté positive de sélection, mais le fait est plus important et souvent il est provoqué par l’ensemble de ce système de remorquage dont nous parlions plus haut. Il faudra que pour éviter la sélection de fait, caeteris aequalibus, s’il n’y a pas de places suffisantes, l’on se rapporte aux mentions de livrets d’identité pour respecter les proportions. Non pas qu’il faille tomber dans le défaut contraire en bantouisant là où l’on a hamitisé. Que les positions sociales actuelles n’influencent en rien l’admission aux écoles.
2° Que l’octroi des bourses d’études (dont une bonne partie est de provenance des impôts de la population en grande partie muhutu) soit surveillé par le Gouvernement tutélaire, de façon que là non plus les Bahutu ne soient pas le tremplin d’un monopole qui les tienne éternellement dans une infériorité sociale et politique insupportable.
3° Quant à l’enseignement supérieur, nous pensons que les Etablissements se trouvant dans l’Afrique belge suffisent, mais qu’il faut y faire admettre le plus grand nombre possible, sans s’opposer toutefois à ce qu’il y ait des éléments – très capables qui suivent des spécialités – dans les universités métropolitaines.
Quant à l’université au Rwanda, il faudrait ne pas dilapider un budget que l’on dit déficitaire et monter d’abord l’enseignement professionnel et technique dont le Pays n’a pratiquement rien, alors que cet enseignement est à la base de l’émancipation économique. Il ne faut pas seulement obstruer systématiquement l'entrée dans les universités d'Europe à des candidats triés sur le volet et envisageant des spécialités immédiatement utiles au pays.
4° Que l’enseignement artisanal, professionnel et technique sur place soit, pour la période qui s’annonce, le premier souci du budget. Que cet enseignement soit le plus vite possible généralisé. Cet enseignement doit cependant être autant que possible à peu de frais pour permettre aux fils du peuple d’y accéder. Nous remarquons en effet que les quelques essais d’installations artisanales semblent destinés à recevoir le trop-plein de la jeunesse mututsi qui n'a pas de places ou capacités pour entrer dans le secondaire.
Nous souhaitons qu’incessamment et tant qu’on se prépare à la mise en marche de l’appareil professionnel et technique, chaque chefferie soit munie d’un centre élémentaire de formation rurale d’au moins deux ans où l’on prolonge l’enseignement primaire (appliqué à la vie) et surtout où l’on exerce à un métier manuel les enfants n’accédant pas au stade secondaire. C’est pour nous, au point de vue enseignement, l’objectif principal que nous assignerions aux C.A.C. qui sont, somme toute, alimentées par les impôts en grande provenance muhutu. Les crédits aux Biru (tambourineurs des Cours) et aux danses qui recruteront normalement parmi la Noblesse, n’ont pas l’air de prouver que « c’est l’argent qui manque ».
5° Que les foyers sociaux populaires soient instaurés et multipliés à l’adresse des jeunes femmes et jeunes filles du milieu rural qui, vu les finances réduites, ne peuvent accéder aux aristocratiques écoles ménagères ou de monitrices. L’équilibre de l’évolution familiale du pays exige la généralisation de cette éducation de base.
En résumé, nous voulons la promotion intégrale et collective du Muhutu ; les intéressés y travaillent déjà, dans les délais qui peuvent leur laisser les corvées diverses. Mais nous réclamons aussi une action d’en haut positive et plus décidée. La Belgique a fait beaucoup plus dans ce sens, il faut le reconnaître, mais il ne faut pas que son humanité s’arrête sur la route. Ce n’est pas que nous veuillions un piétinement sur place : nous sommes d’accord que le Conseil Supérieur Tutsi puisse participer progressivement et plus effectivement aux affaires du pays ; mais plus fortement encore, nous réclamons du Gouvernement tutélaire et de l’Administration tutsi qu’une action plus positive et sans tergiversations soit menée pour l’émancipation économique et politique du Muhutu de la remorque hamite traditionnelle.
Dans l’ensemble, nous demandons à la Belgique de renoncer à obliger en fait le Muhutu à devoir se mettre toujours à la remorque du Mututsi. Que par exemple dans les relations sociales, on abandonne d’exiger (tacitement : bien entendu) du Muhutu pour être « acceptable »de se régler sur le comportent mututsi. Puisqu’on dit respecter les cultures, il faudrait tenir compte aussi des différenciations de la culture rwandaise. Le hamite peut en avoir une pratique qui plaise bien à l’un ou à l’autre égard, mais nous n’avons pas encore entendu que tous les autres noirs doivent d’abord passer par une hamitisation pour pouvoir tirer de l’occidental de quoi accéder à la civilisation. Il est difficile de démontrer la nécessité de remorquer perpétuellement le muhutu au hamite, la nécessité de la médiation perpétuelle de cette remorque politique, sociale, économique, culturelle.
Les gens ne sont d’ailleurs pas sans s’être rendu compte de l’appui de l’administration indirecte au monopole tutsi. Aussi pour mieux surveiller ce monopole de race, nous nous opposons énergiquement, du moins pour le moment, à la suppression dans les pièces d’identité officielles ou privées des mentions « muhutu », « mututsi ». Leur suppression risque encore davantage la sélection en le voilant et en empêchant la loi statistique de pouvoir établir la vérité des faits. Personne n’a dit d’ailleurs que c’est le nom qui ennuie le Muhutu : ce sont les privilèges d’un monopole favorisé, lequel risque de réduire la majorité de la population dans une infériorité systématique et une sous-existence immédiate.
C’est une volonté constructive et un sain désir de collaboration qui nous a poussés à projeter une lumière de plus sur un problème si grave devant les yeux de qui aime authentiquement ce pays ; problème dans lequel les responsabilités de la tutrice Belgique ne sont que trop engagées. Ce n’est pas du tout en révolutionnaires (dans le mauvais sens du mot) mais en collaborateurs conscients de notre devoir social que nous avons tenu à mettre en garde les autorités contre les dangers que présentera sûrement tôt ou tard le maintien en fait – même simplement d’une façon négative – d’un monopole raciste sur le Rwanda. Quelques voix du peuple ont déjà signalé cette anomalie ; la résistance passive, encore dans l’attente de l’intervention du Blanc tuteur, risque de s’approfondir devant les abus d’un monopole qui n’est plus accepté ; qu’elle serve d’ores et déjà d’un signe.
Les autorités voudront donc voir dans cette brève note, en quelques sortes systématisés, les contrats d’idées et les désirs concrets d’un peuple auquel nous appartenons, avec lequel nous partageons la vie et les refoulements opérés par une atmosphère rendant à obstruer la voie à une véritable démocratisation du pays ; celle-ci, envisagée par la généreuse Belgique est vivement souhaitée par la population avide d’une atmosphère politico-sociale viable et favorable à l’initiative et au travail pour un mieux-être et pour la promotion intégrale et collective du peuple.
Maximilien NIYONZIMA Godefroid SENTAMA
Grégoire KAYIBANDA Silvestre
MUNYAMBONERA
Claver
NDAHAYO Joseph
SIBOMANA
Isidore
NZEYIMANA Joseph
HABYARIMANA
Calliopé MULINDAHABI
…..
Tiré de :
Assemblée
Nationale Française, Enquête sur la tragédie rwandaise (1990-1994), T. 2
(les mots qui manquent dans le paragraphe 2 de ce document n’étaient pas lisibles dans le document de l’enquête Þ source : OVERDULVE C. M., RWANDA, Un peuple avec une histoire, Paris, L’Harmattan, 1997))
* Voir annexe 1 : Neuf mois de tragédie à l’Est du Zaïre : Journal de l’Abbé NTIHABOSE Jean Berchmans, Naïrobi, 14 octobre 1997
** Les données publiées dans le Rapport sur Le Développement Humain 1997 (PNUD) montrent que l'espérance de vie des rwandais est passée d'une cinquantaine en 1990 à 23,1 ans en 1994.
* FPR: Organisation des réfugiés qui ont attaqué le Rwanda en octobre 1990. Cette organisation était presque exclusivement constituée par des éléments d'une seule ethnie (tutsi). On les appelle aussi FPR-Inkotanyi ou Inkotanyi ou Inyenzi-Inkotanyi ou encore Inyenzi tout court.
[1] Stephen Smith: Rwanda: enquête sur la terreur tutsi in Libération du 27 février 1996 (voir annexe 2)
** Toutes les plus hautes autorités issues de la diaspora tutsi se sont récompensées en occupant les infrastructures économiques ainsi que les logements trouvés sur place.
[2] Baudouin Paternoste de la Mairieu, Le Rwanda son effort de développement, Editions de Boeck, Bruxelles,1972
[3] Pendant
le 19ème siècle, les rois tutsis ont renforcé leur domination. Au moment où le
clan royal des Nyiginya dominait tout le pays, les tutsis, éparpillés entre les
hutus, furent incorporés aux unités militaires du pouvoir central du clan
royal, même s'ils ne faisaient pas partie de l'aristocratie. Ainsi, il s'est
créé une sorte de caste militaire hiérarchisée qui comprenait tous les
tutsis et excluait les hutus. Il se dessinait une
cassure qui se développerait au siècle suivant. La structure socio-économique
qui s'était créée au 19ème siècle était totalement hiérarchisée. Les meilleures
positions étaient occupées par les tutsis, avec seulement quelques exceptions
pour les hutus, mais dans des positions inférieures. Tout au bas de la
pyramide, il y avait les hutus, les twas et quelques tutsis restants. Vers la
fin du 19ème s., une profonde scission séparait les riches et puissants des
pauvres et des faibles. La dépendance des pauvres par rapport aux riches prenait
diverses formes; deux structures de pouvoir se détachaient surtout: l'ubuhake
et l'uburetwa. L'ubuhake, originairement des alliances avec des droits et des
devoirs entre familles de la noblesse tutsi pour protéger leurs intérêts, avait
converti cette aristocratie militaire en aristocratie terrienne d'éleveurs. En
vertu de l'ubuhake, les paysans hutus devaient payer la moitié de leur récolte
à l'umwami (le roi). Ceci contribua à l'appauvrissement de la population et
accentua la scission entre le peuple hutu et la noblesse tutsi bénéficiaire de
ce nouveau système économique.
Sur l'uburetwa, C.M. Overdulve dit littéralement:
«L'immense majorité du peuple hutu était soumis à l'uburetwa, qui consistait en
l'obligation pour chaque homme de travailler deux jours par semaine (et la
semaine traditionnelle était seulement de cinq jours) au service du chef tutsi
et ceci sans être rémunéré. C'est l'umwami tutsi
Kigeri IV Rwabugiri (1865-1895) qui l'aurait instauré et imposé aux
cultivateurs hutus. En général, les tutsis étaient exempts de l'uburetwa, même
s'ils n'appartenaient pas à la noblesse. Ainsi, ils ont acquis un statut de
privilégiés par rapport à la grande majorité hutu. L'uburetwa était la
manifestation la plus humiliante et la plus étendue de la soumission du peuple.
Le poids de cette charge a été un obstacle énorme pour les hommes, interdits de
travailler régulièrement et suffisamment leurs propres champs. Ce travail,
donc, retombait en grande partie sur les femmes qui avaient déjà la lourde
charge de la maison et des enfants. En outre, elles pouvaient également être
appelées pour certains travaux à la maison du chef tutsi. Tout cela provoquait
une situation de misère sans précédent ; ils avaient beaucoup de difficultés
pour nourrir la famille et ils vivaient sous la menace constante de la faim.»
Mais dans les familles et les ménages hutu, le soir autour du feu de bois,
pendant le repas de haricots, le grand-père ou le père racontait une autre
histoire, la chronique familiale, qui remontait à plusieurs générations,
transmise de père en fils. C'est l'histoire qui dit comment, peu à peu, le
lignage perdait son autonomie et sa dignité, une histoire d'humiliation et
d'oppression croissantes de la part des seigneurs et maîtres, les Tutsi de
toutes les couches, de haut en bas. Cette tradition orale explique les
sentiments profondément enracinés de frustration et d'humiliation des Hutu
envers les Tutsi. Ces sentiments se sont accumulés au cours des siècles,
bouillon de culture d'une haine inconsciente mais toujours en veilleuse, qui
fait partie de l'inconscient collectif du Hutu, transmise, chaque fois
renforcée, de génération en génération. Les Tutsi, eux, ne connaissent bien sûr
pas ces sentiments de frustration et d'humiliation. Ils ont un inconscient
collectif formé par des siècles de pouvoir et de supériorité. lls n'ont aucune
idée de ce qui vit dans l'âme des Hutu. On peut d'ailleurs se demander si
l'Européen ne s'est pas reconnu dans une certaine mesure dans cet état d'esprit
des Tutsi, ce qui expliquerait que l'Européen moyen éprouve un sentiment
spontané de sympathie pour eux. Il est pour le moins
frappant que presque tous les mariages mixtes soient
des mariages entre Européens et Tutsi et très rarement entre Européens et
Hutu.» " Texte tiré de l'article sur Internet"L'Afrique des
Grands Lacs: Dix ans de souffrance, de déstruction et de mort" par Joan
Casoliva, Joan Manresi, Majorque, Janvier 2000
[4] Erny P., Le Rwanda 1994, clés pour comprendre le calvaire d’un peuple, L’Harmattan, 1994
* Les premières années de la première République se sont caractérisées par des attaques meurtrières des tutsi-inyenzi. La région de Ruhengeri et Gisenyi (NORD) étant naturellement habitée par des hutu seulement, le président Kayibanda avait jugé bon de recruter la majorité des militaires dans cette région des bahutu. Le reste du pays était habité par des couples avec une identité ethnique plus ou moins mixte. Ce recrutement massif d'une armée nationale dans une seule région habitée par des hutu se faisait dans l'idée de renforcer la sécurité nationale menacée par des inyenzi. En créant une armée formée majoritairement par des hutu, il avait ainsi l'espoir de bien mâter ces tutsi-inyenzi. Après quelques années, la garde nationale était presque formée par les officiers du NORD seulement. C'est ainsi qu'a commencé la menace d'un coup d'Etat. Ces officiers voulaient aussi s'approprier le pouvoir politique. Ayant remarqué ce danger, le pouvoir essaya de fondre la Police Nationale dans la Garde Nationale. La police nationale était formée par des éléments de tout le pays, ce qui permit d'équilibrer les effectifs du point de vue régionale. Mais c'était trop tard. Les officiers du NORD étaient décidé à faire ce coup d'Etat. Kayibanda essaya même de disperser ces officiers à la campagne en les nommant aux postes de directeur des usines à thé, ou directeur des établissements d'enseignement secondaires, mais ce fut en vain. Ils étaient fort tellement que la menace était plus que réelle. C'est pourquoi, les occidentaux qui accusent le Président Kayibanda de n'avoir rien fait lors des massacres des étudiants par exemple à Kabgayi en 1973 alors qu'il était chez lui, ou encore que ce putsch a été bien accueilli par la population, n'ont rien compris ou ne veulent rien comprendre. En cautionnant une "Garde Nationale hutu" plutôt régionaliste, Kayibanda avait créé un danger insurmontable qui allait coûte que coûte se retourner contre lui. Il est à noter que c'est son chef des renseignements (Kanyarengwe A.) qui fut le cerveau de ce coup d'Etat. Par ailleurs, certains accusent le président Kayibanda d'avoir mis dans son dernier gouvernement six ministres de sa préfecture Gitarama. Cela constituait évidemment un acte politique de frustration des autres régions du pays, mais ce n'était pas suffisant pour déclencher un coup d'Etat aussi sanglant que les rwandais l'ont connu. D'ailleurs, sous le régime qui a suivi, la répartition des postes politiques et administratives selon les préfectures s'est empirée. A un certain moment du régime Habyarimana, la préfecture de Ruhengeri avait 7 ministres. Cette raison n'était donc pas valable pour arriver à un putsch.
* Kanyarengwe A., il est sorti
dernier de la première promotion de l'école des officiers rwandais (EO) dont le
major était Habyarimana. Il fut ensuite parachuté au grade de colonel des FAR
(forces armées rwandaises) et donc dignitaire du régime Habyarimana. Il a
combattu des inyenzi (FPR des années 60) et c'est pourquoi les rwandais le
reconnaissait comme quelqu'un qui avait participé à sauver plusieurs vies de
ses semblables hutu. Etant devenu prématurémént chauve, il se vantait que c'est
à cause des tirs des inyenzi que ses cheveux étaient disparus et que de son
vivant, il ne composera jamais avec les tutsi. Pourtant, lors d'une réunion
avec les dignitaires du régime tutsi dans le village URUGWIRO, sous pretexte
qu'il serait UMUNYIGINYA, il nia formellement son identité hutu. Originaire de
la préfecture de Ruhengeri, il est considéré comme le principal auteur du putch
qui a porté Habyarimana au pouvoir. Accusé de conspiration par ce régime, il
fuit le Rwanda en 1981. Récupéré soudainement par le FPR dans les années 90, il
sera malicieusement utilisé comme le chairman (figurant) de ce parti, mais le
vrai chef était KAGAME. Malgré son âge avancé et en récompense de ses actes de
confession, les tutsi lui donnèrent en
second mariage leur fille (tutsi) qu'il épousa en 1996. Après ce mariage, il
fut vite écarté de la sphère d'influence du FPR.
[5] Voir texte intégral, annexe 4
[6] Chrétien J. P., Le défi de l’intégrisme ethnique dans l’historiographie africaine, Le cas du Rwanda et du Burundi, in Politique Africaine, 1992
[7] Lugan B., Afrique Bilan de la décolonisation, Collection Variétés et Légendes, Perrin , 1996
[8] Peemans J. P., Notes du cours SPED 3220: Méthodologie intégrée et comparative des processus et problèmes de développement en rapport avec la population et l'environnement, Université Catholique de Louvain, Louvain La Neuve, 1995
[9] Higiro J.M.V., Distorsions et omissions dans l'ouvrage "Rwanda. Les médias du génocide" in Dialogue n° 190, Avril-Mai, 1996
* SINDIBONA fut l'un de ces victimes hutu dont les organes génitaux servirent à orner ce tambour (Kalinga). Quelle horreur!
* Ce sont ses semblables hutu qui, voyant ses
conditions économiques s'améliorer comme celles des dirigeants tutsi,
considéraient qu'un hutu était arrivé à un autre stade de vie: celui des tutsi.
Dans la sphère des tutsi, malgré qu'il était devenu riche comme eux, il restait
foncièrement hutu.
* * Le 17 mai
1958, en réponse au Manifeste des
BAHUTU, les dignitaires TUTSI de la cour rédigèrent un écrit dont les extraits
sont ci-après:
«L'ancêtre
des BANYIGINYA est KIGWA arrivée à RWANDA (rwa GASABO) avec son frère nommé
MUTUTSI et leur sœur NYAMPUNDU....»
«Le
pays était occupé par les BAZIGABA qui avaient pour roi le nommé KABEJA...»
«Les
relations entre les sujets de KABEJA et la famille KIGWA furent tellement
fortes que ces derniers abandonnèrent leur premier maître et se firent
serviteurs de KIGWA.»
«L'affaire
en étant ainsi jusqu'alors, l'on peut se demander comment les Bahutu réclament
maintenant leurs droits au partage du patrimoine commun. Ceux qui réclament le
partage du patrimoine commun sont ceux qui ont entre eux des liens de
fraternité. Or les relations entre nous (Batutsi et eux (Bahutu) ont été de
tous temps jusqu'à présent basées sur le servage; il n'y a donc entre eux et
nous aucun fondement de fraternité. En effet, quelles relations existent entre
Batutsi, Bahutu et Batwa?»
«Les
Bahutu prétendent que Batutsi, Bahutu et Batwa sont fils de KANYARWANDA, leur
père commun. Peuvent-ils dire avec qui Kanyarwanda les a engendrés; quel est le
nom de leur mère et de quelle famille elle est?»
«Les
Bahutu ont prétendu que Kanyarwanda est notre père commun, le «Ralliant» de
toutes les familles, Batutsi, Bahutu et Batwa: or Kanyarwanda est fils de
Gihanga, de Kazi, de Merano, de Randa, de Kobo, de Gisa, de Kijuru, de
Kimanuka, de Kigwa. Ce Kigwa a trouvé les Bahutu dans le Rwanda. Constatez
donc, s'il vous plaît, de quelle façon nous, Batutsi, pouvons être frères des
Bahutu au sein de Kanyarwanda, notre grand-père.»
«L'histoire
dit que RUGANZU a tué beaucoup de «Bahinza» (roitelets). Lui et les autres de
nos rois ont tué des Bahinza et ont ainsi conquis les pays des Bahutu dont ces
Bahinza étaient rois. On en trouve le détail dans «l'Inganji Kalinga». Puisque
donc nos rois ont conquis les pays des Bahutu en tuant leurs roitelets et ont
ainsi asservi les Bahutu, comment maintenant ceux-ci peuvent-ils prétendre être
nos frères?»
Signé :
KAYIJUKA
SERUKAMBA
RUKEMAMPUNZI
MAZINA
RWESA
SEBAGANJI
RUZAGIRIZA
NDAMAGE
SEZIBERA
SEKABWA
NKERAMIHETO
SHAMUKIGA
[10] Erny P., Le Rwanda 1994, clés pour comprendre le calvaire d’un peuple, L’Harmattan, 1994
[11] Vidal C, La désinformation en histoire: Données historiques sur les relations entre hutu, tutsi et twa durant la période précoloniale, in DIALOGUE, n° 200, Imprimerie Litt, Bruxelles, Septembre-Octobre 1997
[12] Vidal C, La désinformation en histoire: Données historiques sur les relations entre hutu, tutsi et twa durant la période précoloniale, in DIALOGUE, n° 200, Imprimerie Litt, Bruxelles, Septembre-Octobre 1997
[13] Ibidem
[14] Higiro J. M. V., Génocide au Rwanda: Responsabilité individuelle ou collective? In Dialogue n° 200, sept.- oct. 1997
* Chiffre publié par le quotidien flamand
"De standard" du 8/11/1995 selon l'interview de l'ex-premier ministre
Faustin Twagiramungu sur la tragédie rwandaise
**
PHILLIPOT J. , Les irrégularités du tribunal pénal international pour le
Rwanda in La Tribune du réfugié rwandais, n° 04/5 novembre-décembre 1995
*** Akazu: petit cercle formé par des (ir)responsables politiques et militaires issus essentiellement de la famille présidentielle de Habyarimana et de son proche entourage
* Un groupe d'officiers qui a signé le coup d'état militaire du 5 Juillet 1973 se nomma dans la suite: "camarades du 5 juillet". Ils étaient dix.
[15] La mesquinerie qui a caractérisée cette guerre montre encore son caractère ethnique. En effet, au moment où des innocents tombaient sous les balles des deux antagonistes, plusieurs personnes, toutes ethnies confondues, avaient pu trouver refuge ou à l'Hôtel des Mille Collines ou au stade national AMAHORO à Remera. Malheureusement, les deux camps en ont profité pour montrer leur barbarie. C'est ainsi que les hutu qui s'étaient réfugié à Remera furent pris comme des otages du FPR. Les tutsi qui étaient à l'Hôtel des Mille Collines reçurent le même sort du côté des interahamwe. Ce n'est que vers la fin de la guerre, grâce à la médiation des Nations Unies, que les otages furent relâchés et reconduits successivement: les tutsi dans la zone alors occupée par le FPR (zone tutsi !) et les hutu dans la zone encore libre des combats (zone hutu !). Plusieurs disparitions furent déplorées des deux côtés.
[16] Libération du 28 février 1996
* Parmi les chefs de l'AKAZU (noyau dur du pouvoir) morts dans l'attentat contre l'avion présidentiel, on peut citer entre autre la major Bagaragaza: officier-gorille du président, le docteur Uwimana: médecin personnel du président; le colonel Sagatwa: beau-frère et secrétaire particulier du regretté président, etc.
[17] Lettre des détenus d’Arusha adressée aux hauts responsables de ce monde, Arusha, janvier 2000, annexe I, p. 15
* Mukagasana Interview télévisée par la RTBF
[18] République Rwandaise, Recensement Général de la Population et de l’Habitat, Kigali, 1978
[19] République Rwandaise, Recensement Général de la Population et de l’Habitat, Kigali, 1991
[20] Office National de la Population (ONAPO ), Le problème démographique au Rwanda et le cadre de sa solution, vol. 1, Kigali, 1990
[21] Mafikiri Tsongo, A, La problèmatique fonçière au Kivu montagneux (Zaïre), cahiers du CIDEP 21, Academia, l’Harmattan, septembre 1994.
[22] Mukamanzi M., Politique d’émigration et croissance démographique du Rwanda, UCL, Département de démographie, Louvan-la-Neuve, 1982, 164 p.
[23] Chiffres donnés par Guichaoua A. et repris par F. Reyjeints in l'Afrique des Grands Lacs en crise, Karthala, 1992
[24] République Rwandaise, Ministère de la Réhabilitation et de l’intégration Sociale, Problèmes du rapatriement et de la réinstallation des réfugiés rwandais- propositions de solutions, 1994
[25] Reyjeints F., L’Afrique des Grands Lacs en crise, Karthala, 1992
* Chiffres donnés par USAID et repris dans IJAMBO: L’Afrique des Grands Lacs en feu, n° spécial, mai 1995
[26] Jusqu’en 1990, seul le Rwanda avait ratifié cet accord. Lors de la réunion de cette ratification, les tutsi burundais s’étaient particulièrement montrés insolents à l’égard des Zaïrois, ce qui a empêché la ratification. Actuellement, on comprend mieux le pourquoi de cette insolence. Les tutsi burundais craignaient la libre circulation entre le Rwanda et le Zaïre (à majorité bantou). Maintenant que les tutsi du Rwanda, du Burundi et de l’Ouganda ont attaqué le Zaïre, ils vont probablement créer une nouvelle CEPGL et ratifier le traité entre eux (tutsi). A suivre.
[27] Gasana K.J., La guerre, la paix et la démocratie au Rwanda in Les crises politiques au Burundi et au Rwanda, sous la direction de Guichaoua A., Université de Lille I, 1995
* L'Ouganda n'est pas le premier pays en effectif qui hébergeait les réfugiés tutsi, mais par contre, c'est lui qui hébergeait la totalité des combattants au début de la guerre. C'est de là que les inyenzi-inkotanyi ont lancé la première attaque sur le poste de douane de GATUNA en octobre 1990.
[28] Nzisabira J.: Accumulation du peuplement rural et ajustements agro-pastoraux au Rwanda, cahiers du cidep, n° 1, Louvain-la-Neuve, juin 1989
* Actuellement, ces chiffres sont à prendre avec quelques réserves, étant donné que la guerre déclenchée en 1990 et qui a atteint son paroxysme de destruction du pays en 1994 a emporté plusieurs vies humaines. Sans aucun recensement préalable, ces chiffres ne seraient considérés qu’à titre indicatif. On estime à plus d’un million de personnes tuées par cette guerre.
[29] Une nouvelle sous-préfecture de NYAGATARE dont la quasi-totalité de la population est venue de l'Ouganda et donc formée par les tutsi ougandais, a été créée en 1976. La préfecture UMUTARA a été créée aussi dans le même cadre.
[30] République Rwandaise, Ministère du Plan, IIIe Plan de Développement Economique Social et Culturel, Kigali , 1991
[31] Ibidem
[32] The Futures Groups, Population et Environnement au Rwanda, Washington, Août 1991
[33] F. Clément, To Tjolker, Gestion stratégique des territoires, l’Harmattan, 1992
* Le président Kayibanda considérait la chose publique à sa juste valeur. Il lui arrivait de prendre une VW (la coccinelle) pour effectuer ses voyages à l'intérieur du pays.
[34] Rutumbu J., Le refus des différences et la christianisation au Rwanda in Dialogue n° 179, 1994
[35] République Rwandaise, Ministère du Plan, Bulletin statistique n° 19, sepembre 1991
* Le FDC (Forces Démocratiques de Changement): organisation qui regroupait les partis politiques MDR, PL et PSD
* En réalité, le terme hutu moderé utilisé par les occidentaux ne veut rien dire. En effet, derrière le terme hutu ne se cache aucune forme d'idéologie. Peut-être que les enfants nés des parents hutu et tutsi peuvent se réclamer de moderés à cause de leur croisement ethnico-parental (abahutsi), mais ici aussi, leur modération serait plutôt biologique qu'idéologique. Elle n'aurait pas de place dans le cas qui nous préoccupe. Les étrangers devraient donc comprendre qu'on est hutu, tutsi ou twa le plus souvent par parenté. Donc, on est hutu ou on ne l'est pas.
* La quasi totalité des officiers des forces armées rwandaises était formée exclusivement par les militaires issus des deux préfectures: Gisenyi et Ruhengeri. Interrogé à ce propos par les journalistes, le président Habyarimana avait d'ailleurs répondu que les militants des autres préfectures ne semblaient pas aptes à ce métier. Ainsi, selon les privilèges qu'on leur accordait, certains officiers et sous-officiers n'avaient jamais été sur le champ de bataille. Pourtant, la guerre faisait rage dans le Nord du pays depuis trois ans. Cette situation des privilégiés du régime se rencontrait aussi dans l'administration publique. Un cas parmi tant d'autres est celui de la diplomatie rwandaise, où la représentation de ces deux mêmes préfectures était assurée à presque 100 %, la préfecture de Ruhengeri se taillant la part du lion. Face à la guerre médiatique que les inyenzi avaient engagée en parallèle avec la guerre des canons, il a fallu que le peuple rwandais s'élève et dénonce fermement la médiocrité de la diplomatie rwandaise pour que le président Habyarimana reconnaisse cette situation.
* Cette planification s'explique d'ailleurs par des massacres des opposants politiques directement après l'assassinat du président Habyarimana. C'est justement après avoir massacré ces opposants politiques, dont la presque totalité était d'ailleurs des hutu, que le vent mortuaire s'est abattu sur la population tutsi.
* Les massacres ont touché tout le monde comme une tempête dans un océan. A un certain stade des massacres, les interahamwe, qui étaient dans plusieurs quartiers, considéraient les gens qui fuyaient la ville comme des déserteurs. Ils se considéraient eux-mêmes comme des résistants.
* Après l'attentat contre l'avion de Habyarimana, la garde présidentielle ainsi que les inyenzi-inkotanyi ont commencé de massacrer les gens. Monsieur Kambanda, tout comme plusieurs autres hutu qui habitaient le quartier où était cantonné le contingent FPR et ses environs, avait trouvé refuge dans le camp de la gendarmerie de Kacyiru. Quand les militaires sont venus le chercher pour assumer la fonction de premier ministre, il semble qu'il a dit ses adieux à ses proches et depuis lors, tout le monde le croyait disparu pour de bon. Jusqu'à sa nomination officielle à ce poste, il suivait donc peureusement les massacres comme tous ses voisins. Sans toutefois vouloir être l'avocat du diable, cela diminue irrémissiblement la probabilité de sa participation dans la programmation du génocide.
* La commission d'enquête parlementaire belge sur le Rwanda a révélé que la Belgique était bien informée, heure par heure, sur tout ce qui se passait dans le pays. Presque tous les agents belges affectés à la coopération au Rwanda jouaient aussi le rôle d’informateurs officiels du gouvernement belge.
[36] Articulation de l'Impératif Urbain avec le Développement Régional, H. B. CHAABANE, CYIZA P. et al., Miniplan, Kigali, Novembre 1992
** On a difficilement compris et digéré, comment dans un délai de moins d'un mois après la reprise des combats d'avril 1994, toutes les casernes des FAR situées à GABIRO, RWAMAGANA, HUYE (Kibungo), GAKO, ..., avaient été occupées par le FPR et apparemment sans aucune moindre résistance.
*** L'embargo des armes contre le gouvernement Kambanda a été décrété unilatéralement par le Conseil de Sécurité de l'ONU dans la première moitié du mois de mai 1994. Le FPR occupait déjà une bonne partie du pays. Par ailleurs, il faut reconnaître que l'embargo des Nations-Unies n'a jamais inquiété aucun pays bien organisé. Même la Somalie qui, militairement avait directement à faire face aux américains a pu majestueusement se tirer d'affaire. Il y avait donc lieu de contourner cet embargo si les autorités militaires et civiles avaient été réellement responsables dans cette guerre.
[37] Bézy F., Rwanda, Bilan socio-économique d’un régime 1962-1989, Etudes et Documents, Louvain la Neuve, 1990
[38] Ibidem
[39] République Rwandaise, Ministère du Plan, Cahiers économiques du Rwanda n° 4, Evolution de la situation économique du Rwanda 1988-1991 et tendances 1992, Kigali, 1992
[40] Ibidem
* Plusieurs témoignages dont
ceux de l’ex-premier ministre Twagiramungu F. et de l’ordonateur-trésorier font
état de la situation de gaspillage et de détournement des fonds publiques et
cela tout juste après la prise du pouvoir par le FPR:
- réclamation par le Président d’un avion
privé tout juste après la guerre alors que les caisses étaient presque vides;
- portraits du président de la République
pour 160. 000 $ commandés en Ouganda sans passer par le marché public et cela
dans le but de satisfaire à leurs alliés de guerre;
- soins de son épouse en Belgique pour 100.
000 $ et en Angleterre pour se faire soigner le dos pour 50.000 $;
- embellissement et extension de l’ancien
résidence du président de la république pour 900.000.000 frw; achat de meubles
en Afrique du Sud pour 100.000 $ alors que les mêmes meubles pouvaient être
fabriqués localement;
- Prélèvements en devises effectués
régulièrement sur le trésor public sur ordre du Ministère de la Défense et sans
pièces justificatives (l'un d'eux en 1996 se chiffrait à 3.000.000 $ US dont le
Ministère des Finances ignorait la destination); ...
Par ailleurs, le journal "Le Tribun du
Peuple" n° 97 et 99 respectivement d'août et d'octobre 1997 accuse le
gouvernement FPR de tous les maux: la corruption, le vol, la concussion, le
népotisme, le favoritisme, l'appât du gain, l'esprit de cour, ...
* Plusieurs usines ont été démontées et transportées en Ouganda: usine à
thé de Mulindi, SORWACI, etc...
[41] Reyntjens, F., La crise dans le Région des Grands Lacs, l’Harmattan, 1994
[42] PNUD, Rapport Mondial sur le Développement Humain 1997
[43] Ntavyohanyuma P., Rapport sur la pauvreté au Rwanda, Centre IWACU, 1990
[44] République Rwandaise, Ministère de l’Agriculture, de l’Elevage et des Forêts, Service Enquêtes et Statistiques Agricoles, Kigali, 1984
[45] Lebrun O., Evaluation du projet PDAG-Gikongoro, 1990
[46] Ibidem
[47] République Rwandaise, Ministère du Plan, Ben Chaabane H., Cyiza P., Méthodologie d’élaboration de données sur le revenu rural des communes rwandaises, août 1992.
[48] Marysse S., Ndayambaje E. et alii., Revenus ruraux au Rwanda avant l’ajustement structurel, Cas de Kirarambogo. Cahiers du CIDEP n° 19, Louvain-La-Neuve, 1994.
[49] Mission de la Banque Mondiale sur la réintégration des réfugiés, avril 1994
[50] King
M., Elliot C.: Caïro: damp squib or roman candle? in The Lancet, vol. 344, 1994
* A titre d'exemple (tiré du cours SPED 3210 de
Tabutin D.: Environnement-Développement-Population: problématique générale et
perspectives d'intégration, UCL, LLN, 1995), les démographes nous apprennent que dans le passé lointain,
les hommes étaient relativement concentrés sur toute la planète avec des
spécificités régionales évidentes. En 1600, l'Afrique était presque aussi
peuplée que la Chine ou l'Inde (plus ou moins 100 millions d'habitants). Au fil
du temps, la population africaine va régresser. Elle représentait 20 % de la
population mondiale vers 1650, 12 % en 1750 et 6 % en 1900. Cette régression de
la population africaine est due aux effets de la traite (25 millions de
personnes) et de la colonisation (importation de maladies et d'épidémies,
travaux forcés, ...). Le 19e et le 20e siècle vont marquer les changements
majeurs dans l'histoire démographique de l'humanité. La situation en Afrique va
se renverser au 20e siècle. L'homme va consciemment intervenir sur sa
mortalité, sa fécondité et sur sa reproduction. C'est ce qu'on va appeler
"modèle général ou théorie de la transition démographique". Ce
concept de transition démographique désigne le passage d'un régime primitif
d'équilibre à fortes fécondités et mortalités à un autre régime d'équilibre
final, à faibles mortalités, fécondité et croissance. C'est le reflet des
transformations sociales, économiques et culturelles de la population d'un
pays, d'une région ou d'un continent dans le processus de la modernisation.
Selon ce modèle (théorie de la transition démographique), toute société passe
ou passera, par quelques 5 grandes étapes suivantes dans son histoire
démographique:
- phase 1: le régime ancien ou
pré-transitoire dans lequel la natalité et la fécondité sont élevées conduisant
à une lente croissance de la population;
- phase 2: le début de la période de
transition avec le déclin de la mortalité grâce à l'augmentation du niveau de
vie avec toutes ses conséquences;
- phase 3: période de ralentissement de la
croissance démographique suite au déclin de la natalité;
- phase 4: période post-transitoire où la
natalité et la mortalité sont basses et voisines. La croissance naturelle est
faible. C'est la situation actuelle de la grande partie des pays occidentaux;
- phase 5: phase finale où la natalité, qui
est basse, oscillerait autour de la mortalité, conduisant à des accroissements
tantôt légèrement positifs, tantôt négatifs.
La transition démographique paraît donc comme un processus universel, mais qui peut prendre bien des chemins selon les pays.
[51] République Rwandaise, Office Nationale de la Population (ONAPO), Le problème démographique au Rwanda et le cadre de sa solution, vol. 1, Kigali, 1990
[52] Ibidem
* L'ex-ministre de Habyarimana, NZIRORERA Joseph ainsi que l'ancien colonel des FAR, NSEKALIJE Aloys tous deux reconnus pour leur mauvaise gestion de la chose publique, ont organisé des fêtes pour commémorer le milliardième franc de leur patrimoine.
[53] Willame J. C., Aux sources de l’hécatombe rwandaise, cahiers africains n° 14, L’harmattan, 1995
[54] Chrétien J-P., La crise politique rwandaise, in Génève-Afrique, vol. XXX, n° 2, 1992
[55] République Rwandaise, Ministère du Plan, Evolution de la situation économique du Rwanda 1988-1991 et tendance 1992, Kigali, 1992
[56] Bézy F., Rwanda. Bilan socio-économique d’un régime 1962- 1985, Etudes et Documents, Louvain-La-neuve, 1990
[57] République Rwandaise, Programme d’ajustement structurel, Document cadre de politique «économique et finançière à moyen terme (1990 - 1993), septembre 1990.
[58] Castro F., La crise mondiale, Nouvelle société des éditions Encre, 1983
* Effectif calculé selon la formule Pt=Po*(1+r)^t. Cet effectif ne tient pas compte des massacres à grande échelle de la population civile hutu, perpétrés par le FPR après sa victoire.
[59] République Rwandaise, Office National de la Population, Le problème démographique au Rwanda et le cadre de sa solution, vol. 1, Kigali, 1990
[60] République Rwandaise, Office National de la Population (ONAPO), Le problème démographique au Rwanda et le cadre de sa solution, Kigali, Mai 1991
* Banque Populaire: sorte de coopérative bancaire implantée dans tout le pays et fort soutenue par la Suisse avant la guerre. Au niveau administratif le plus haut, les banques populaires étaient gérées par un Conseil d’Administration. Chaque succursale avait son siège, ses agents et une liberté relative dans l’octroi du crédit à ses membres. Les banques populaires étaient solidaires entre elles et suivaient les règlements de la Banque Nationale du Rwanda (BNR).
[61] République Rwandaise, Ministère du Plan, Banques de données communales et régionales
[62] UNICEF, La situation des femmes et des enfants au Rwanda, Kigali, 1990
[63] Mouchel J. C. , Suret-Canale J. , La faim dans le monde, Editions sociales, Paris, 1975
[64] Uwizeyimana L., Les difficultés d’intégrer population et développement à partir de l’exemple du Rwanda in : Intégrer Population et Développement sous la direction de H. Gérard, Chaire Quetelet, L’Harmattan 1990
[65] République Rwandaise: Programme d’ajustement structurel, Document cadre de politique économique et finançière à moyen terme, septembre 1990.
[66] République Rwandaise, Ministère du Plan, L’impératif urbain, Kigali, Novembre 1992
[67] Uwizeyimana L., Les difficultés d’intégrer population et développement à partir de l’exemple du Rwanda in: Intégrer Population et Développement sous la direction de H. Gérard, Chaire Quetelet, L’Harmattan 1990
* L'indicateur de la pauvreté
humaine (IPH) est un indicateur
composite de la pauvreté qui tente d'appréhender la dégradation de la qualité
de la vie sous ses différents aspects, afin de fournir un instrument homogène
d'évaluation de la pauvreté dans une communauté donnée. Tout comme l'indicateur
de développement humain (IDH) s'occupe du manque observé dans les trois
domaines essentiels de l'existence humaine (Espérance de vie,
alphabétisation, PNB), l'IPH s'attache aux déficits rencontrés dans trois
domaines, eux-mêmes pris en compte par l'IDH:
1°
la durée de vie, caractérisée par les déficits en termes de longévité est
représentée par le pourcentage d'individus
risquant de mourir avant l'âge de quarante ans.
2°
l'instruction est mesurée à travers le pourcentage d'adultes analphabètes et
3° les conditions de vie. Il s'agit d'un sous-indicateur composite lui-même et comprend: l'accès aux services de santé, l'accès à l'eau potable et le pourcentage d'enfants de moins de quatre ans victimes de la malnutrition.
* Les privatisations hâtives entreprises par les nouvelles autorités du FPR après la prise du pouvoir à Kigali semblent aller à l'encontre des intérêts de la grande masse paysanne rwandaise. En effet, il semble que les fonds recueillis, s'ils ne servent pas à remplir les poches de quelques individus, vont seulement dans le secteur de l'armement. Malgré l'insistance des institutions de Breton Wood d'accélérer les réformes, les dossiers des entreprises à privatiser devraient d'abord être mûris. Il reste que normalement, vous ne pouvez privatiser que ce qui vous appartient, ce qui n'est absolument pas le cas pour le FPR-inkotanyi.
[68] République Rwandaise, Ministère du Plan, Articulation de l’Impératif Urbain avec le Développement Régional, B. H. Chaabane, Cyiza P. et alii, Kigali, 1992.
[69] Ibidem
* Un exemple éloquent est celui d'un officier
soi-disant supérieur du FPR qui a donné l'exemple en s'appropriant une
imprimerie (PRINTER SET) ainsi qu'un très grand immeuble de rapport appartenant
à un membre du MDR emprisonné et puis tué.
* La rentrée obligée des réfugiés hutu en 1996 a fait disparaître un bon nombre d'entre eux au Rwanda justement à cause de leurs biens et non pas à cause des massacres des tutsi qu'ils étaient présumé avoir commis. Cela a fait qu'un grand nombre des hutu qui avaient des biens à Kigali ont préféré rester à la campagne au lieu d'aller s'attirer des ennuies dans leurs biens de la Capitale.
* Déjà en 1995,, on avait procédé au recensement des occupants des biens de la Capitale, sans toutefois prendre d’autres mesures susceptibles de permettre aux anciens propriétaires de venir récupérer leurs biens.
* La zone turquoise s'étendait sur une partie (quelques communes) des préfectures de Kibuye, Gikongoro et Cyangugu. Sous l'initiative de la France, cette zone avait été créée par les Nations Unies après un débat controversé entre la mouvance qui voulait absolument la victoire militaire du FPR et celle qui était préoccupée par le sort des populations civiles. Sans toutefois vouloir nier que cette opération pouvait être bénéfique pour les FAR, il faut reconnaître qu'elle a été très utile pour la population de cette zone et c'est ça qui était important. Ceux qui soutenaient le FPR voyaient dans cette zone une barrière pour l'avancé de leurs troupes. Pourtant, il n'en était rien puisque les FAR étaient tout à fait désorganisés. Ils auraient sinon profité de cette zone pour créer des poches de résistance dans les montagnes de l'Ouest. Malheureusement, même après la guerre, le FPR et ses sympathisants continuent de regretter la création de cette zone qui a temporairement épargné les massacres FPR dans cette région. Il faut seulement retenir que cette zone a sauvé plusieurs vies humaines, aussi bien des hutu que des tutsi. L'avancé du FPR ayant été stoppée, la population hutu qui était dans cette zone a freiné l'exode vers l'extérieur. Bien que le sort des hutu réfugiés dans la zone turquoise était difficile à envier, celui des hutu partis à l'extérieur était pire. Il n'a jamais été éclairci et ne le sera peut être jamais (génocide par la faim, les maladies et l'agafuni). La critique de la France d'avoir été l'initiateur de ce projet ou encore d'être intervenue tardivement montre encore une fois que les spécialistes du Rwanda ou bien sont mal intentionné ou ne sont pas nombreux. Même pour sauver une seule vie humaine, mieux vaut tard que jamais. Il faut savoir que bien avant le déclenchement des hostilités du 6 avril 1994, les miltaires français avaient quitté le Rwanda sur demande officielle des tutsi-FPR et de leurs sympathisants (des tutsi de l'intérieur du Rwanda ainsi que des hutu des différentes factions des partis politiques pro-FPR). La question est de savoir pourquoi les autres pays ne sont pas intervenu avant la France alors que la situation était d'urgence. Incriminer la France dans cette intervention revient à innocenter la communauté internationale dans le drame rwandais, ce qui ne peut être fait que par les faux spécialistes du Rwanda. Ayant été considérée comme indésirable par une partie des rwandais (les tutsi), ce qui a d'ailleurs poussé ses militaires à quitter le Rwanda en 1993, La France devait prendre un peu de recul avant d'intervenir.
[70] Ntezimana Laurien, Appeler les rwandais à la des-inversion, in Dialogue, n° 182, Bruxelles,avril 1995
[71] Mission de la Banque Mondiale au Rwanda, Aide-mémoire, Avril 1994
* L'enquête internationale sur les massacres des réfugiés hutu aux Zaïre commandée par l'ONU après la victoire de la coalition internationale (armées monoethniques du FPR et du Burundi ainsi que l'Ouganda) de Kabila en 1997 a trop longtemps piétiné. Elle risque fort de rester lettre morte étant donné que les prétendus massacreurs (alliance de Kabila) étaient non seulement sous le commandement du FPR, mais aussi des américains. Ces derniers ont avoué qu'ils ont entraîné le FPR et les rebelles de Kabila dans cette sale aventure. Le rapport des enquêteurs onusiens sorti en juillet 1998 recommandait de traduire en justice les responsables de ces massacres devant un tribunal international. Comme on pouvait s'y attendre, le Conseil de sécurité, avec à la tête les USA, a directement recommandé que les responsables devront être jugés par les pays impliqués directement dans ces massacres c-à-d le Rwanda du FPR et le Congo de Kabila. Incroyable justice! Peut-on être présumé coupable d'un crime et être en même temps juge de ce crime? Quelle (ir)responsabilité des USA avec leur Conseil de Sécurité de l'ONU!
[72] Bourgui A., Une impuissance coupable, in Jeune Afrique n° 1870, 6 au 12 novembre 1996
* L'identité de réfugié rwandais en Ouganda sous le régime Museveni est devenue comme une question de volonté. Comme Museveni lui-même est d'origine rwandaise, il pouvait bien se réclamer de nationalité rwandaise. Seulement, les privilèges de la fonction présidentielle ont fait qu'il a du choisir la nationalité ougandaise.
[73] Nations Unies, Recueil des traités, vol. 189
[74] Ibidem
* Cinq ans après la victoire de l'Ouganda sur le Rwanda, MUSEVENI a révélé l'ampleur de son projet hégémonique en 1998. Il a émis le souhait de former un super-Etat dont certains départements ministériels comme celui de la défense seraient centralisés. Ce projet intégrerait l'Ouganda, le Rwanda, le Burundi, la Tanzanie et le Kenya. Le Congo de Kabila a été volontairement omis, vu ses relations conflictuelles qui existaient entre le Rwanda et l'Ouganda en ce moment.
[75] Buijtenhuips R., Guerre de guérilla et révolution en Afrique noire: les leçons du Tchad, suivi d’une réponse de G. Chaliand in: Politique Africane I (1), Janvier 1981.
* Plusieurs bailleurs de fonds ont financé le projet du FPR pour envahir le Rwanda. L’ex-premier ministre Faustin Twagiramungu dans le livre expliquant la fondation du parti « FRD », cite une institution finançière belge à qui le FPR a remboursé une bagatelle d’argent malgré le désaccord du Ministère Rwandais des Finances.
[76] Gasana K. J., La guerre, la paix et la démocratie au Rwanda, in les crises politiques au Burundi et au Rwanda sous la direction de Guichaoua A., Université de Lille I, 1995
* Le retrait de la communauté internationale a été accentué par le départ des soldats belges qui assuraient la logistique de tout le contingent de la MINUAR. Cela faisait suite au massacre des dix soldats belges tués à Kigali le 8 avril 1994 alors qu'ils escortaient le premier ministre Agathe Uwilingiyimana , elle aussi tuée. Cette situation de haine anti-belge datait du début de la guerre en 1990. En effet, dès l'attaque du Rwanda par les inyenzi en 1990, le roi Bauduin, qui connaissait bien le problème rwandais, et qui, s'il était encore vivant en avril 1994, aurait probablement pu empêcher le génocide rwandais, avait directement dépêché des soldats belges à Kigali. Suite au conflit interne entre les partis politiques et surtout à la méconnaissance des réalités rwandaises par la nouvelle génération des dirigeants belges, il fut ensuite décidé le retrait de ces troupes alors que le FPR progressait dans le nord du pays. Ce fut un mauvais antécédent dans les relations belgo-rwandaises, surtout au niveau des habitants de KIGALI qui ont jugé ce départ d'intelligence avec l'ennemi et donc comme une conspiration. Ce sentiment anti-belge va s'accroître quand le FPR va réclamer les belges pour faire partie des soldats de la MINUAR alors que pour signer les accords d'Arusha, il exigeait catégoriquement le départ du Rwanda des soldats français. L'attitude ambiguë de la Belgique dans le conflit rwandais s'explique ainsi par la non existence d'une politique belge en Afrique. Lors du débat du parlement sur l' intervention belge au Rwanda de 1994, l'ex-président du parti libéral J. Gol proposait trois options de politiques africaines à adopter: - être comme la France et développer la coopération tout en maintenant des soldats en permanence en Afrique, - abandonner la coopération en Afrique (ce qui est utopique) et enfin intervenir uniquement dans des actions de développement, laissant de côté tout ce qui pourrait s'immiscer dans la politique intérieure des pays africains. Jusqu'à la minute, aucune politique claire entre ces différentes options n'a été privilégiée.
* Le Major Kagame , lors de sa première prestation de serment comme premier Vice Président dans l'histoire de la république rwandaise, a parlé uniquement en anglais.
* Tout le personnel des missions diplomatiques et
consulaires accrédités à Kigali ainsi qu'une grande partie de la MINUAR
[mission militaire des Nations Unies pour le Rwanda], ont plié bagage au moment
des massacres de 1994. Puisqu'on savait qu'ils ne partaient pas définitivement,
voulaient-ils partir pour ne trouver qu'un pays vide au retour?
* Par Président de la République, je veux dire un président élu démocratiquement par la majorité de la population. Les différentes manoeuvres politiciennes destinées à mettre au trône tel ou tel autre personne sont à prohiber (suffrage indirect, consensus entre les diverses forces politiques ou militaires, etc.). Nous considérons que des présidents arrivés au pouvoir de cette façon ne représentent que des forces qui les ont mis au pouvoir et ne peuvent jamais représenter leurs peuples. De tels chefs ne devraient régner que dans des situations extraordinaires de transition et pour une durée assez limitée ne dépassant pas toutefois une année. D'ailleurs, même pour les présidents élus démocratiquement, leur mandat devrait se limiter à une période bien précis et directement non renouvelable. Tout ceci se ferait dans le souci de préserver les grands principes de la démocratie.
[77] Lettre des détenus d'Arusha adressée aux hauts responsables de ce monde, Arusha, janvier 2000
[78] Erny P., Rwanda 1994, Clés pour comprendre le calvaire d’un peuple, L’Harmattan, 1994
* Ce problème existait aussi entre les régions précisément entre le Nord qui a accaparé tout après le coup d'Etat de 1973 et le Sud du pays. Toutefois, il faut reconnaître que dans un régime démocratique qui est le régime idéal à atteindre, le pouvoir est donné par le peuple et ne se partage jamais.
* Le journal « Libération » du 27 février 1996 rapporte que lors d’une réunion des bailleurs de fonds du Rwanda, le PNUD (organisme de l’ONU chargé du développement) a proposé un « programme accéléré de construction de prisons » pour 30.000.000 $ US. Cette somme correspond à plus de 1/10 de tout le budget annuel national. Pour les autorités FPR , le développement serait-il synonyme de détention du nombre maximum de HUTU?
[79] République Rwandaise, Ministère de la Réhabilitation et de l’Intégration Sociale, Problème du rapatriement et de la réinstallation des réfugiés rwandais- Propositions de solutions
[80] Erny P., Rwanda 1994, Clés pour compredre le calvaire d’un peuple, l’Harmattan, 1994
* Tous les hutu qui sont rentrés (ou ceux qui ont eu la chance de survivre), chassés des camps par le FPR ou par les pays hôtes ont dû faire une formation relative à la nouvelle politique du FPR. Les hutu retournaient dans les camps spéciaux installés pour l'occasion et le lavage des cerveaux se faisaient pendant deux mois. San cette formation, on ne pouvait rien demander dans l'administration publique et même sur le marché du travail privé.