NEUF MOIS DE TRAGEDIE A L’EST DU ZAIRE

MON JOURNAL (par l’Abbé NTIHABOSE Jean Berchmans)

 

 

Introduction

 

Qu’est ce que l’opinion internationale ?

Avant, quand j’étais encore petit, je croyais que l’Opinion Internationale était un ensemble d’opinions et des idées constructives qui défendent le droit de l’homme et qui luttent pour la paix entre les habitants du monde. Je me disais que l’Opinion Internationale était la voix des sans voix qui permettait aux grandes puissances d’intervenir militairement et humanitairement pour trancher les conflits ou pour sauver les faibles dont les droits étaient piétinés par les forces du mal. Ceci faisait l’ombre dans plusieurs têtes, croyant qu’elles sont protégées par cette opinion Internationale.

 

Au fur et à mesure que je grandissais, je me suis rendu compte que cette "Opinion Internationale" n'existait pas. Si elle existait, elle aurait sauvé beaucoup de Rwandais Tutsi qui ont été massacrés en 1994, ou les HUTU exterminés par l'Armée Patriotique Rwandaise dans les camps de KIBEHO (RWANDA en 1995, ou encore les HUTU massacrés par l'Armée Patriotique Rwandaise dans les camps des réfugiés à l'Est du Zaïre et en les poursuivant jusque dans la Forêt Equatoriale, à KISANGANI, en TANZANIE, au KENYA et ailleurs.

 

Cette pseudo-Opinion Internationale, qu'on ne me le chante plus! Elle n'a jamais existé et n'existera pas. Seuls existent et vivent les Américains qui ont le droit de tuer de protéger qui ils veulent, heureusement Dieu seul garde le pouvoir de sauver de ressusciter les morts. Il est étonnant de voir comment, depuis que la guerre a fait rage à l'Est du Zaïre, tant de malheurs ont frappé et continuent de frapper les réfugiés qui vivent dans ce pays, à l'ombre des caméras et des micros des journalistes de cette pseudo-opinion Internationale.

 

Les camps des réfugiés rwandais et burundais sont installés au Zaïre depuis 1994. Plusieurs signes précurseurs avaient montré que ces camps pouvaient faire l'objet d'attaque en provenance du Rwanda et du Burundi. Dans les camps de réfugiés du Nord et du Sud Kivu, de telles attaques s'étaient d'ailleurs concrétisées tout au long des années 1995 et 1996. Qu'a-t-elle fait cette Opinion pour interdire et condamner toutes ces provocations???

 

L'objectif notre écrit est d'attirer l'attention des hommes de bonne volonté sur les atrocités dont les réfugiés rwandais et burundais ont été et continuent à être victimes à l'Est de la République Démocratique du Congo.

 

Je suis prêtre rwandais, rescapé des exactions orchestrées par les militaires tutsi venus du Rwanda et du Burundi. (Ici, je ne suis pas autorisé d'utiliser le terme génocide, il est uniquement utilisé par les Américains et leurs alliés, les Tutsi du Rwanda, pas aux hutu qui subissent ce sort et en sont victimes. Je me contenterai du horrible terme "massacre". J'ai fait l'expérience de neuf mois dans la forêt contrôlée par les Tutsi, donc rien à cacher sur des choses que j'ai vues et vécues pendant ces mois de calvaire.

 

ATTAQUE AU CAMP INERA

C'était le 2 novembre 1996 à 5h00 du matin, quand les militaires qui étaient chargés de la sécurité au camp sont venus me réveiller m'apprenant que l'ennemi (i.e. les militaires TUTSI en provenance du RWANDA) progressait vers le camp. J'avais passé la nuit avec mon confrère l'abbé MATEGEKO Aimé qui vivait au camp de Nyakavogo (Bukavu-ville). Quand noua eûmes appris la nouvelle, nous avons donné la communion aux chrétiens qui étaient venus dans la messe. Nous les exhortions d'aller à la maison pour faire ce que les autres faisaient. Vers 9h00, nous apprenions que l'ennemi était maîtrisé à Miti à 5 km du camp. Les chrétiens qui étaient venus en retard nous demandèrent alors de leur dire la messe. Nous avions annoncé qu'elle soit dédiée au feu Mgr MUNZIHIRWA Christophe.

 

Juste nous commençâmes la messe et pendant la consécration, le bruit des coups de bombes et fusils individuels retentissent dans tous les coins du camp. La population commença à courir. Quand nous allions stopper la messe, un des fidèles, Paul ULIMUBENSHI, nous déclara: "Mes fils n'ayez pas peur, finissons la messe, Jésus est le grand combattant, il va nous protéger". A ces conseils, nous acceptâmes et accélérâmes la messe. Au moment de la communion, toute personne qui venait de communier sortait en toute hâte. Mon confrère et moi, nous restâmes seuls en train de finir la messe sous la détonation de l'arme automatique.

 

De plus en plus, les coups de tirs devenaient plus nourris. C'est ainsi que je pris la moto en direction de KAVUMU vers l'aéroport. Arrivé entre le camp KASHUSHA et le camp INERA, une bombe tomba devant moi dans la foule. J'ai trouvé beaucoup de personnes déchiquetées et j'ai vu une femme qui avait les jambes coupées, son mari lui ravit un enfant dans son dos. Quand je suis arrivé au centre de KAVUMU, je me suis arrêté pour attendre les autres, il n'était pas prudent de marcher seul. Quelques minutes plus tard, la grande foule arriva. Il y avait parmi eux des blessés innombrables poussant des crise désespoir. Je suis arrivé au camp de KALEHE sans problème. Le soir, une grande foule de piétons arriva fatiguée, épuisée et vaincue par le désespoir total.

 

Le jour suivant, le dimanche du 3 novembre 1996, nous trouvâmes d'autres personnes qui avaient pris la direction du Nord au Parc National de KAHUZI-BIEGA. Dans cette forêt, ils avaient rencontré des militaires tutsi et les jeunes Bashi qui les ont accueilli avec les balles et les coups de machettes. Le mouvement des fuyards qui prenaient toutes les directions nous inquiétaient et nous plongeaient dans la confusion totale. On ne savait ni où aller, ni où rester. Parmi tous ces gens, il y avait beaucoup de blessés sans soins. Quand la foule de gens des camps de KASHUSHA, INERA, ADI-KIVU et MUDAKA s'est déversée sur le camp de KALEHE et KABILA, ceux-ci ont été effrayé et obligé de fuir aussi plus loin, certains vers le centre de NYABIBWE et d'autres vers les hautes montagnes des environs.

 

Le grand camp de NYABIBWE, catastrophe humanitaire

NYABIBWE est un grand centre commercial qui est situé à 100km de Bukavu. C'est une ville mal placée dans les coins des versants des collines. Tous les réfugiés des camps de Nord Bukavu et de l'Ile Idjwi Nord et Sud s'étaient accumulés dans l'exiguïté de ce petit coin de Nyabibwe. Il n'y avait pas d'eau ni de toilette. Pour trouver un peu d'eau, il fallait faire deux kilomètres pour aller puiser le lac Kivu. D'autres, comme c'était un temps pluvieux, récupéraient l'eau des tuiles ou puisaient l'eau sale des sources intermittentes de la saison.

 

 Ce manque d'hygiène fut à la base de nombreuses maladies, de façon que plus de cinquante personnes rendaient leur âme chaque jour. Les prêtres étaient sollicités pour bénir et diriger les cérémonies d'enterrement de leurs fidèles. A cela, il fallait ajouter les victimes des accidents de roulage, des noyades de bateaux surchargés qui venaient de l'Ile Idjwi, des blessés non soignés, etc. le refrain du chant des journalistes: "catastrophe humanitaire" avait beaucoup de couples!

 

Après une semaine de bousculade et de promiscuité dans ce petit coin de Nyabibwe, on nous a obligés de monter vers SHANJI, une région habitée par les Rwandophones. C'est une région située au Nord-Ouest de Nyabibwe, à deux jours de marche à pied. Les gens obéirent désespérés et montèrent en se faufilant dans le forêt des bambous. La seconde étape du chemin de la croix commença. Des montées escarpées, la boue et les glissades ont éprouvé les gens, de façon qu'ils regrettaient d'être nés. En haut comme en bas du chemin, c'étaient des abris de fortune construites à la hâte pour loger les fatigués et les malades.

 

LE CAMP DE SHANJI

Après une semaine dans la région de Shanji, un grand nombre de réfugiés venait de s'installer et les activités quotidiennes commencèrent. L'espoir de la vie était favorable. L'accueil de la population locale, les nouvelles des radios qui parlaient de l'arrivée des forces ONUSIENNES pour protéger les réfugiés donnaient l'espoir d'un lendemain meilleur.

 

Shanji avait deux entrées: une des piétons qui piquait directement de Nyabibwe, une autre qui se greffait entre Nyabibwe et la paroisse de BOBANDANA et aboutissant dans un petit centre de Numbi à deux kilomètres de Shanji. Cette deuxième entrée est une route très peu fréquentée. Il a fallu l'intervention des caterpillars pour la réaménager, afin que les véhicules puissent passer. Le même jour qu'on l'avait inauguré, c'est alors que le camp a été sauvagement attaqué.

 

L'attaque du camp de Shanji

Les gens devenaient de plus en plus paisibles et attendaient avec impatience les sauveurs qui viendraient d'Europe et d'Amérique. Le proverbe rwandais dit bien: "Uwarose nabi burinda bucya" (Une fois qu'on a des cauchemars, ils durent toute la nuit).

 

Brusquement, le 21 novembre 1996 à 9h00 du matin, les coups de tir et de bombes commencèrent à se faire entendre, dans tous les coins, surtout dans les deux entrées. Ce fut là que beaucoup de gens se concentraient. La panique répandit de nouveau sur la foule totalement désespérée. Dans tous les chemins de sortie, il y avait des embuscades des militaires tutsi qui tirèrent quand la foule s'approchait. Ils n'avaient pas peur de tirer dans la foule. Cette fois-ci, chacun pour soi, Dieu pour les autres: chacun sauvait sa peau! Toutes les personnes qui ont suivi les chemins préexistants de sortie ont été, soit attaquées et sauvagement dépecées, soit forcées de retourner en arrière. La foule qui a forcé un chemin dans la forêt a pu passer sans peine.

 

Le groupe dont je faisais part a été barricadé par des militaires tutsi. La foule a foncé malgré les tirs automatiques, les bruits des jerricans et des casseroles et le jet des pierres effrayèrent les militaires qui fuirent. Les jeunes qui étaient dans le groupe ne les ont pas laissé partir, ils les ont suivi et les ont capturés vifs. Vous imaginez leur sort. Désespérément, après un jour de marche, éparpillés, nous nous retrouvâmes sur un même chemin vers KISANGANI.

 

La marche proprement dite

Shanji, comme les régions environnantes est un endroit qui n'est pas trop habité. Cette région a commencé à être peuplée à partir de l'an 1970. Les villages sont espacés et séparés par des champs arables et des forêts. Il n'y a pas de routes. Ces villages sont reliés par des sentiers.

 

Pendant la fuite, ces sentiers étaient agrandis et d'autres créés par la foule. Le drame devenait accablant quand nous arrivions sur un pont ou dans un mauvais endroit, pente laide et glissante et forêt dense. Dans ces endroits, nous étions obligés d'attendre plusieurs heures debout, fardeau sur la tête pour pouvoir passer. Quand quelqu'un était déjà engagé dans la chaîne, il était impossible d'y sortir. Devant, derrière et à côté, c'était bloqué, on se croirait dans une boîte de conserves. Chacun voulait partir ou franchir plus vite, mais les circonstances ne le permettaient pas. Je me souviens quand nous étions sur le fleuve NYABARONGO, le troisième jour après l'attaque de Shanji, j'ai passé la nuit debout sur le pont. Le quatrième jour, je me suis reposé toute une journée, car mes jambes étaient gonflées. Ce fut le jour où je me suis retrouvé avec Monseigneur Jean, car on s'était séparés lors de l'attaque du 21 novembre 1996 en haut de Shanji.

 

Cette torture de marche fatiguait les gens, de façon que beaucoup se décourageaient et construisaient des huttes en haut et en bas du chemin. L'étroitesse du chemin et la surpopulation dans ces chemins ne permettaient pas aux gens de marcher plus rapidement, on faisait moins d'un kilomètre par jour.

 

 

 

LA MANNA AU DESERT

D'aucuns se demanderont sans doute ce que mangeaient cette foule, ces pauvres réfugiés abandonnés à eux-mêmes depuis le mois d'octobre 1996. Ils avaient laissés même le peu qu'ils avaient dans las tentes à KASHUSHA et INERA lors de l'attaque du 2 novembre 1996 et à Shanji le 21 novembre 1996. Les plus jeunes allaient dans les environs acheter des vivres et les revendre, les autres ne craignaient pas de s'emparer des récoltes dans les champs des paysans et même dans les forêts. Heureusement que nous avions traversé une région fertile. Pour planter, il suffit de faire le défrichement, de brûler et de faire le bouturage de manioc ou de colocases. Après la récolte, le cycle continue de lui-même. Les tiges de manioc ou de colocase poussent très bien dans la forêt où les réfugiés font aussi la chasse au gibier.

 

Moi, j'avais honte d'aller piller les vivres avec les autres. Cependant, je n'avais pas la capacité de m'en procurer, étant donné que sans de nouveaux-zaïres, on n'acceptait pas les dollars. L'échange en nouveaux-zaïres était tellement difficile que pour échanger un billet de cent dollars américains, il fallait accepter de laisser 20 dollars à l'échangeur de commission. Je me contentais de quémander à tout le monde. Mes choralistes se portaient volontaires et par surprises m'apportaient des maniocs, bananes et colocases. Personne n'est mort de faim pendant la marche, mais on enregistrait des victimes de la malnutrition, car la variation de menu était impossible.

 

Le 1er décembre 1996, mon voyage s'est passé normalement jusqu'à BILIKO. Là mon vieux, Mgr Jean commençait à s'affaiblir. Il nous a obligés à prendre le repos de deux jours, pour qu'il puisse récupérer un peu d'énergie. pendant ce repos, j'ai aidé un ami du camp ADI-KIVU qui venait de perdre trois enfants à cause des maniocs qu'ils avaient mangés crus.

 

Le 4 décembre 1996, nous avons continué la marche. Le chemin était devenu plus impraticable qu'avant. Il pleuvait abondamment. C'était des montées et des descentes. Les plateformes n'existent pas. Dans cette région, il y a beaucoup de fleuves, les stationnements à la chaîne étaient revenus et mon fardeau pesait beaucoup plus lourd sur ma tête.

 

Le 7 décembre 1996, Monseigneur Jean ne pouvait pas marcher. Jean Baptiste et moi, avons fabriqué une civière en liane sur laquelle nous l'avons transporté, avec l'aide des chrétiens. Nous ne faisions pas beaucoup de kilomètres par jour.

 

Le 9 décembre 1996, nous sommes arrivés sur un grand centre du nom de MUSENGE, surnommé "JERUSALEM". C'est un centre développé, il y a des maisons en briques cuites et beaucoup d'usines d'extraction d'huile de palme. Nous avions pris un jour de repos, car Monseigneur Jean avait des jambes gonflées et souffrait aussi de la malaria.

 

Le 11 décembre 1996, Nous avons continué notre voyage avec notre malade. Nous sommes arrivés sur un petit centre à 8 heures de marche depuis Musenge, c'était à peu près 17h00. Beaucoup de gens revenaient en arrière traumatisés, disant que le pont de LOWA était occupé par des militaires tutsi. Ceux qui avaient essayé de traverser ce jour étaient tous tués par les balles, les couteaux ou noyés.

 

Le 12 décembre 1996, très tôt le matin, nous avons décidé de retourner en arrière sur le grand centre de J2RUSALEM. Le soir, les militaires venus de Bukavu et de Mugunga se sont concertés pour voir ensemble comment libérer le pont et protéger la population jusqu'à la zone de WALIKALE. Le soir même, ils sont partis.

 

Le 13 décembre 1996, toute la journée, nous restâmes à l'écoute de la nouvelle qui nous dirait que le pont était libéré. Le soir, les bruits circulaient comme quoi le pont était libéré que nos militaires n'avaient rencontré aucune résistance au pont et qu'ils avaient continué leur voyage. Sans hésitation, ce soir même, les fuyards se mirent en route.

 

Le 14 décembre 1996, le matin de bonne heure, quand j'allais aussi me mettre en route, l'Abbé Jean baptiste me suggéra une idée. En effet, la veille, nous avions attendu en vain un messager des militaires pour confirmer la libération du pont. Alors, il serait possible que, comme ils le disaient le pont serait libéré. Par contre, les militaires tutsi auraient vu un grand effectif de nos militaires et se seraient cachés. Après la colonne de nos militaires, ils seraient revenus attendre les réfugiés plus loin du pont que si je partais, je risquais d'être encerclé par les ennemis.

 

La meilleure stratégie était de manger d'abord et de partir vers 11h00 pour faire l'observation et revenir prendre les autres Je consentis et me suis mis en route vers 11h00, accompagné de mes deux sœurs. Le soir quand nous étions sur le point d'arriver sur le pont, nous croisâmes beaucoup de blessés. Une femme qui avait reçu une cartouche dans le ventre mourut la même nuit et un homme qui avait une main amputée criait toute la nuit. Nous passâmes la nuit en nous demandant ce que nous allions faire.

 

Le 15 décembre 1966 matin, j'ai rencontré un ami, nommé Ananie, l'ancien journaliste de la Radio-Rwanda. Nous avons échangé des idées et finalement avons opté pour retourner au grand centre de Jérusalem. Au moment même où nous pliions bagages, je vus des personnes en train de tomber, d'autres saigner et le bruit des armes automatiques me fit perdre la tête de façon que je n'ai pas su où est passé Ananie et André (l'ancien magasinier du camp INERA). J'ai pensé qu'ils ont pris la direction opposée de celle que moi et mes deux sœurs, ainsi que Bernard et ses trois fils avons prise. Arrivé au sommet de la deuxième montagne à partir du chemin, j’avais toujours envie d'aller voir Mgr Jean et l'Abbé Jean Baptiste. J'empruntai le chemin vers la troisième montagne, là on voyait bien le fameux centre. Quel catastrophe! On voyait s'échapper les fumées noires, les tirs aux rafales et aux bombes se faisaient entendre. Cette fois-ci c'était sérieux.

 

Nous nous enfonçâmes dans la forêt. L’idée qui nous venait en tête était de retourner en arrière. Nous pensions à venir vers SHANJI, milieu habité par nos congénères Hutu. Ils allaient nous cacher ou peut-être nous montrer un chemin des forêts nous menant à Bukavu. Une fois arrivé, la Croix-Rouge ou le HCR allait nous conduire au Rwanda.

 

C’était impossible de continuer vers WALIKALE. Il n’y avait aucun pont qu’on pouvait traverser ou même avec autres moyens si on parvenait à franchir le fleuve, la région était sous le contrôle des militaires tutsi, on risquait de tomber dans leur embuscade, ne sachant pas comment les déborder.

 

Aussitôt dit aussitôt fait, nous primes l’orientation vers SHANJI. La similitude des collines et la forêt dense nous désorientant énormément. Je me souviens qu’une fois on s’est retrouvé sur un même point de départ après deux jours de marche. Malgré cela, on était loin de se décourager car on était entre la vie et la mort. Pour lever ce défi, on devait prendre l’azimut (5H00 du matin on examinait par où levait le soleil). Quand nous étions au camp, le soleil venait de Cyangugu (Rwanda). Donc, si nous prenions la direction du soleil, il y avait moins de risques de se perdre. Encore, il ne fallait pas suivre les senties des chasseurs ; il fallait suivre le chemin droit, c’est à dire monter et descendre la montagne, prendre une autre et ainsi de suite. Beaucoup de gens m’avaient suivi, et respectaient mes consignes. Celui qui faisait la tête dure était chassé du groupe.

 

Le 19 décembre 1996, nous avions rencontré un groupe qui avait capturé un militaire blanc, lui aussi s’était égaré dans la forêt. Il parlait mal le français avec l’accent anglais. En répondant à l’interrogatoire disait qu’il est français qu’il est venu sauver les réfugiés et que par erreur il s’est séparé des autres. Mais malgré ses explications, son langage le trahissait. On le jugea comme un américain qui s’était séparé des militaires tutsi lors de l’attaque du 15 décembre 1996 à Musenge. La colère des traumatisés se déversa sur lui et il disparut.

 

Le 25 décembre 1996, nous somme tombés sur un autre groupe qui s’était découragé, qui avait préféré habiter la forêt et qui s’était confié à la providence. Parmi eux faisait parti Gikongoro, un grand commerçant du camp Kashusha avec toute sa famille que je connaissais. Nous avons échangé quelques nouvelles et nous nous sommes installé un peu plus loin d’eux. Ce soir, nous avons fêté la Noël par célébration de la parole, après, nous avons mangé les colocases grillés.

 

Le 26 décembre 1996, trois femmes enceintes de notre groupe mirent au monde deux garçons et une fille. Deux d’entre elles n’avaient pas de maris. Sur place on ne pouvait pas les laisser seules, le groupe décida d’attendre qu’elles se remettent pour deux jours.

Le 28 décembre 1996, le jour qu’on devrait prendre le voyage, à 5H50 derrière ma tente, j’entendis un coup de fusil suivi d’un cri : Mayi-Mayi. Brusquement, je n’eus pas le temps de prendre quelque chose que ce soit, j’ai pris la fuite. Une sœur qui me suivait, Sœur Madeleine de la Congrégation Deus-Caritas, reçut une balle dans le dos qui déchira toute sa poitrine. Elle m’appela une fois. Au moment où je la regardais, le sang coulait et j’eus peur. Je l’ai bénie et continuai ma course. Derrière, c’était des cris et des pleurs des personnes qu’on égorgeait à l’arme blanche et des tirs de rafale. Arrivé un peu loin, j’aperçus Sœur Basillusa BAMPIRE qui détachait son pagne pris dans les ronces, elle me suivit sans mot dire. Au fur et à mesure que nous avancions, nous rencontrions d’autres personnes terrorisées qui couraient sans savoir où aller. Depuis longtemps, j’avais été guide, même à ce moment, ils m’ont suivi.

 

Vers 15H00, on était devenu un grand groupe. Lorsque nous nous sommes assurés que nous étions très loin de l’ennemi, nous nous sommes reposés pour évaluer ceux qui étaient morts parmi nous : nous avons remarqué que les trois femmes et leurs bébés étaient morts, une des trois sœurs et beaucoup d’autres dont on n’a pas pu dénombrer.

 

Le matin, je ne pouvais pas marcher, j’avais une foulure du côté du pied gauche et la jambe était gonflée. Sœur Virginie MUKANTWALI, avait aussi une entorse au dos. Au moment de l’attaque, elle était tombée dans un trou et s’était fait mal au dos. Avec quelques amis, nous nous sommes reposés toute la journée. Pour calmer les douleurs, on s’est massé avec des herbes médicinales.

 

Le lendemain, l’aventure continua. Tous les chemins étaient barricadés par des émeutiers. Quand nous écoutions un coup de tir devant nous, nous devions dévier le chemin à 5 kilomètres. C’est pourquoi, il a fallu plusieurs jours pour sortir de la forêt.

 

Après l’attaque du 28 décembre 1996, nous n’avions plus rien, mon poste radio pour les informations, mes habits, casseroles, sheeting, … tout était perdu. On dormait à la belle étoile, quand on tombait sur les colocases et les bananes, nous les mangions grillés.

 

Dans toutes les circonstances, il faut garder le moral haut.

En chemin, la prudence était de rigueur, si bien qu’à moindre tir devant nous, nous devions changer de direction pour une distance de 5 kilomètres toujours. Vers le Nord, ceci nous a beaucoup égarés de façon que nous sommes tombés dans une forêt vierge, jamais fréquentée par ni chasseur ou ni cultivateur. A ce moment, la provision que nous avions s’épuisa. Il faut dire que nous n’en transportions pas beaucoup. Nous n’avions ni sacs, ni pagnes pour faire le fardeau si bien même que nous commencions à faiblir davantage. La faim s’empara de nous sérieusement. J’exhortais les autres en leur faisant espérer d’avoir de quoi manger le lendemain ! Du courage, leur disais-je ! Et comme c’était la parole de l’homme de Dieu, rien à craindre, se disaient-ils.

 

Je leur apprenais à manger la sève du phloeme et xylème du bois, les bourgeons de fougère et les feuilles non-amères. Je leur apprenais cela avec une dose d’humour et leur donnais une bibliographie inventée. Ils me croyaient, car j’étais le plus instruit du groupe, en plus de cela, j’étais considéré comme l’homme de Dieu.

 

Après sept jours de boulimie, nous sommes tombés dans une bananeraie. Nous avons été dirigés dans cet endroit par un jeune homme du nom de SAKINDI Célestin. Il avait découvert du haut d’un grand arbre quand il inspectait les lieux en bon éclaireur. Quelle fête. Sans attendre, nous nous sommes mis à récolter … un jeune homme est alors tombé sur un régime de bananes mûres, même si tout le monde n’a pas été servi, quand même ça a sauvé beaucoup de gens au bout de souffle. Chaque fois, nous prenions des précautions d’aller faire la cuisine loin du lieu d’approvisionnement pour éviter l’accrochage avec les propriétaires.

 

Il y avait longtemps que nous avions cessé d’employer l’allumette, la boite d’allumettes que nous avions était complètement mouillée. Par chance, nous aperçûmes une fumée un peu loin dans la forêt. Le groupe décida d’envoyer quatre hommes chercher du feu. J’étais du nombre. Nous pensions qu’il s’agissait d’autres fuyards, mais au contraire , c’était un chasseur qui préparait son repas. Quelle scène : lorsqu’il nous aperçut, il s’est sauvé en toute hâte. Nous avions l’apparence des sauvages. Quant à nous, au lieu de chercher le feu, nous nous sommes précipités sur la pâte de manioc qui était dans sa casserole et la mangions gloutonnement. Pourtant, nous avons eu peur de prendre sur la viande qui était dans sa soupière. Par après, nous avons pris du feu et la casserole. Nous avions tellement besoin de cette dernière pour chauffer l’eau avec laquelle désinfecter les blessures et masser les enflures. Dans notre groupe, il y avait une fille dont la main gauche était blessée par balle. Les larves sortaient de sa blessure infectée. Puisque nos souliers étaient tellement usés et jetés dans la forêt, ceux qui n’étaient pas habitués à marcher pieds nus avaient les pieds et d’autres parties du corps écorchés par les épines. Alors, pour les soigner et prévenir les infections éventuelles, le seul remède qui nous restait était d’utiliser l’eau chaude. Imaginez-vous que dans un groupe de cent personnes, nous n’avions aucune casserole ! A vous de juger si l’histoire de la casserole volée est un péché. Dieu seul sait !

 

Même la mort nous a refusé ses faveurs, alors que nous la courtisions.

Quand nous venions d’être sauvé de la faim de sept jours et après un repos raisonnable d’une journée, nous avons repris le voyage. Deux jours après, nous sommes arrivés sur un grand fleuve. C’était celui que lors du départ nous avions traversé après BILIKO. Ce fleuve avait un débit terrible et était profond. C’était impossible de le traverser à pied. Nous l’avions longé vers le Nord en cherchant un endroit passable.

 

Brusquement, nous sommes arrivés sur un pont d’un seul arbre. Au moment où nous nous apprêtions pour franchir, un groupe de Mayi-Mayi nous encercla. La seule issue pour fuir menait dans le fleuve. Aussi était-il inutile, car un autre groupe nous attendait de l’autre rive. J’étais au devant de la colonne. Tous chantaient en swahili en nous intimidant : « Mushimame (arrêtez-vous) munafuka (vous mourrez), Banyarwanda ba genosidere (Rwandais génocidaires).

 

L’idée de me jeter dans le fleuve m’est venu en tête, mais j’eus peur. Surtout, je craignais les tortures de ces rebelles sauvages. Après leurs chants de moquerie, ils nous obligèrent à enlever tous les habits. Pantalons, chemises, pagnes, blouses, etc. et de nous éloigner de dix mètres. Quand ils terminèrent la fouille des habits, ils nous appelèrent pour les reprendre. Imaginez-vous la honte et la peur nous regardant nus les uns des autres ! Quand mon tour arriva, ils m’appelèrent. Si contents qu’ils étaient, me demandèrent ce que pouvaient acheter 1.800 USD qu’ils avaient découverts dans la ceinture de mon pantalon. Voici la conversation :

- Cet argent peut acheter deux camionnettes, leur dis-je.

- Quelle fonction faisais-tu au Rwanda ?

- J’étais commerçant.

- N’as-tu pas exercé une fonction militaire ?

- Non.

- Y’a-t-il des INTERAHAMWE ou ex-FAR dans votre groupe ?

- Non.

Après toute cette torture morale et questions saugrenues, le grand chef nous obligea à nous agenouiller mains en l’air et à prier pour la dernière fois. Ses sujets se mirent sur leurs gardes pour empêcher toute fuite possible. Les femmes et les enfants commencèrent à pleurer. Je ne sais pas d’où m’est venu la force de supplier ce grand chef en ces termes : « Excellence, vous voyez vous-même que nous sommes des malheureux du monde. Vous nous avez fouillé partout, vous n’avez trouvé aucune arme et nous n’avons montré aucune insoumission. Pourquoi voulez-vous nous tuer ? Je vous vois âgé, vous pourriez avoir des enfants comme ceux-là qui pleurent, pourquoi voulez-vous vous salir par le sang de ces innocents ? » L’homme me regarda et hocha la tête, après un petit moment me répondit : « Heureusement que vous aviez l’argent et que vous nous avez obéi, sinon nous allions vous tuer. Maintenant, voilà ce que vous allez faire : ne continuez pas à errer dans la forêt, partout nous y avons des positions des militaires. Dans quelques mètres, vous pouvez tomber sur un autre groupe qui ne vous laisserait pas la vie sauve. Donc je vous donne deux militaires qui vont vous accompagner jusqu’au chemin qui conduit à l’endroit d’où vous êtes venus, comme ça, il y aura moins de risques de vous tromper. Quand vous serez dans ce chemin, n’allez ni à gauche ni à droite, sinon vous risquez votre vie. »

 

Un militaire se mit devant nous et un autre derrière. Nous marchions au rythme de ces militaires, les plaies que nous avions aux pieds, la fatigue et la faiblesse que nous avions à ce moment-là, nous ne les sentions pas. Arrivés tout près de ce fameux chemin, ces militaires nous dirent au revoir et nous souhaitèrent bonne chance.

 

LE CHEMIN DE LA MORT

Quand nous arrivâmes sur le grand chemin, celui que nous avions suivi en allant vers KISANGANI, nous fûmes empris par le chagrin. Tout au long du chemin, à gauche et à droite, c’étaient jonchés de cadavres nus, qui commençaient à se décomposer. Sur le chemin coulait le lymphe produit par les cadavres pourris. Parmi les morts, on trouvait ceux qui avaient les jambes ou les bras amputés , d’autres qui avaient reçu les coups de machettes dans la tête et ceux qui avaient encore des bâtons pointus plantés dans leurs corps. Nous avons fait trois jours et trois nuits dans ce chemin horrible entrain de marcher sur les cadavres. La piste était devenu un véritable chemin de mort. Personne n’y passait, on voyait les chiens  les chacals et les vautours qui venaient dévorer les morts.

Durant ces trois jours, nous mangions les provisions qu’avaient laissées ces morts. A quelques mètres de là, nous avions trouvé des sacs roulés où il y avait des maniocs et des colocases qui commençaient à germer. Rien n’était tabou à ce moment : on mangeait sans penser à quoi que ce soit. Vers 15H00, nous nous retirions de la forêt pour faire la cuisine et prendre un petit repos et vers 18H00, c’était encore le départ. La nuit pour nous était plus paisible que le jour. Dans la forêt, les nuits sont très calmes. On ne rencontre personne. Une fois pendant la journée, nous avons vu deux BATEMBO qui déshabillaient les cadavres et prenaient leurs habits.

 

Ce sentier de Maccabées se terminait à un petit centre de MIHANDA. Tous les gens tués avaient été objet des attaques perpétrées des colonnes sur l’itinéraire partant de SHANJI. C’était surtout les fatigués, les malades et leurs gardes, les vieux, les vieilles et les enfants qui ont été la première cible quand les militaires tutsi avaient pris la décision de poursuivre les réfugiés vers KISANGANI.

 

Au moment où nous sommes arrivés à MIHANDA, nous avons commencé à respirer l’air normal. Là au moins, la population avait enterré les dépouilles. Beaucoup de personnes venaient nous voir et s’étonnaient de notre état, puisque nous ressemblions à des sauvages. D’un coup un autre groupe de Mayi-Mayi mêlés de quelques tutsi nous tomba dessus et commença à nous terroriser. Ils commençaient à choisir les femmes dont ils allaient s’approprier. c’est alors qu’un Pasteur protestant (pentecôtiste) du nom d’Ezechias MUSAMBI intervint et les traita de voyous. Le roi CHABANGO des Batembo, venait de faire un circulaire interdisant aux Mayi-Mayi de tuer encore les réfugiés. Il leur ordonnait plutôt de guider ces réfugiés vers les chemins qui conduisent chez eux. Ezechias MUSAMBI nous amena chez-lui. C'est là que nous avons passé la nuit. Durant cette nuit, il nous raconta des histoires des réfugiés mais aussi des autochtones massacrés. Ces derniers étaient assassinés, car ils avaient été jugé coupables de cacher les réfugiés.

 

Il nous disait :  nous « mes chers amis, la vie actuelle n’a plus en, ni de valeur, il faut la prendre seulement comme un combat. Au cours de ces événements, j’étais comme TOBIE qui, au moment où il enterrait les morts fut éprouvé par l’Ange Raphaël (Tob. 2). Avec mes chrétiens, nous avons enterré tous les morts qui étaient jonchés sur le terrain. Il faut voir mes chers amis, avec quels risques encourrions-nous quand faisions cette bonne action ».

 

Le lendemain matin, il nous accompagna et nous montra le chemin. Au loin, à une distance de deux jours de marche, il nous signala qu’il y avait une région habitée par les Hutu. Là aussi, il fallait être prudent, on ne sait pas si les tutsi ne leur ont pas interdit de loger les réfugiés. Après ces conseils, nous lui temoignâmes notre reconnaissance et il prit congé de nous. La soi-disant distance de deux jours, nous l’avions parcourue en quatre jours. On s’étonnait de voir que toutes les maisons étaient désertes. Avant que nous n’arrivions dans la région des Hutu, nous sommes allés loger dans un village et nous nous sommes partagés les maisons. C’est un bon souvenir (…)

 

L’arrivée sur la terre des vivants

Depuis le 28 décembre1996, nous avions perdu la notion du temps. Mon petit peste récepteur et ma montre étaient perdus. Les jours se ressemblaient alors qu’ils se suivaient, ils étaient tous caractérisés par la pluie. Le lundi, le dimanche, …, n’existaient pas chez nous. A notre grand étonnement, nous étions arrivés dans la région hutu sans le savoir. Tous ces derniers jours, nous avions l’habitude de voyager la nuit. Cette fois-ci, il avait plu à mi-nuit et le voyage s’interrompit. c’était une pluie torrentielle. Nous suivions le chemin alors boueux et glissant. Ces obstacles nous empêchèrent de continuer et nous nous camouflions dans une brousse qui était à côté d’une maison habitée.

 

C’était très tôt le matin que nous avons écouté une voix féminine en train de parler le kinyarwanda. Lorsque nous nous demandions encore comment nous allons nous présenter, un enfant qui allait puiser de l’eau nous surprit-il retourna à la maison en criant au secours en ces termes : « j’ai vu des hommes et des femmes couchés là tout près de la maison ». jean Baptiste HABINEZA et Célestin SAKINDI se levèrent et se dirigèrent vers la maison. Le propriétaire de la maison s’appelait GATABAZI SEKARAGWENYEZA. Aux cris de son enfant, il se leva. En apercevant ces hommes, la peur le saisit. Il hésita à leur donner la main. Ils étaient comme de véritables animaux sauvages. Ils le supplièrent et finalement, il acquiesça à parler avec eux. Après un certain temps, ils nous appelèrent. Il fut pris de pitié en voyant les mamans en guenilles et les enfants tremblotant, les hommes en haillons, leurs barbes et leurs cheveux pleins de poux.

 

GATABAZI était Mushamuka (Chef coutumier) du village. Nous lui racontâmes notre aventure. Après, il nous persuada que nous ne pouvions pas aller plus loin que de là. Les Tutsi avaient envahi cette région. Après avoir chassé les réfugiés qui étaient à Shanji, ils étaient maintenant occupés à tuer les grandes personnalités de Shanji. Là-bas les gens ne se déplacent plus vers l’Est. il nous disait qu’avant de rentrer chez nous, il fallait attendre que la situation se normalise un peu. Tous ceux qui avaient tenté de rentrer ont été tués avant qu’ils n’aient pu atteindre les bureaux du HCR ou de l Croix-Rouge. Il nous informa que nous étions encerclés par les positions des militaires tutsi : Shanji, Numbi, Ngungu, Nyabibwe, Bunyakili,et Karehe. Et malheureusement, les bureaux de rapatriement se trouvaient aussi dans ces centres. Il témoignait que les réfugiés qui s’aventurent vers ces centres sont exécutés avant d’y accéder. Il nous raconta ce qui suit :

Au moment où vous étiez encore sur le chemin de Kisangani, il y avait une famille avec trois enfants qui, à cause de la maladie ne pouvaient pas suivre les autres. Ils avaient dressé leur sheeting en bas du chemin. Un jour, quand j’y suis passé, j’ai eu pitié de ces enfants qui tremblotaient et je leur ai proposé de venir s’abriter chez moi. Ils ont accepté et sont venus. Après un certain temps, la femme s’est remise et l’homme a souhaité de rentrer avec sa famille. Je les ai accompagné jusqu’à Nyabibwe. Au moment où nous descendions la colline de Nyabibwe pour entrer dans le centre, deux militaires sont sortis brusquement de la brousse. Ils commencèrent à nous interroger. Je fus prudent et fis semblant de ne pas comprendre ce qu’ils disaient. Je leur parlai en swahili. Ils demandèrent à l’homme d’où ils venaient et où ils allaient. Après s’être expliqué, ils commencèrent à les torturer avec une baïonnette qu’ils lui piquaient partout sur le corps. C’était la première fois que je voyais un militaire tutsi. Quand l’homme et le femme commencèrent à crier, je me sauvais en courant.

 

Après cette histoire horrible, l’homme nous conseilla de ne pas oser nous aventurer, mais plutôt d’attendre la normalisation de la situation. Mieux valait d’être tué par les maladies ou la faim de ce milieu que d’être tué par les couteaux qu’il avait vus à Nyabibwe. Il n’y avait pas de sécurité là aussi, car les Tutsi venaient piller les vaches, tuaient les bergers et toutes les personnes qu’ils rencontraient. Jusqu’à ce moment-là, la forêt était notre meilleur refuge. Quand ils arrivaient, nous nous cachions dedans et sortions après le passage de ces sanguinaires. Considérant tous ces conseils du sage témoin oculaire, ceux qui avaient l’intention d’aller au Rwanda commencèrent à changer d’avis. Les voisins de GATABAZI qui nous avaient vu fourmiller chez lui, étaient venu se rendre compte eux-mêmes de ce qui s’était passé. Chacun à son tour donnait le témoignage de ce qu’il avait vu ou entendu des exactions Tutsi. Finalement, ils prirent soin de nous et nous logèrent. Quant à mes deux sœurs et moi, nous fûmes amenés par une femme adventiste. Son mari était guérisseur traditionnel.  Ils nous ont nourris et soignés pendant un mois. Dans la suite, nous avons commencé à nous prendre en charge nous-mêmes.

 

La vie à la campagne

Le 19 janvier 1997 à 6H00 du matin, nous étions satisfaits de cette région favorable et compréhensible à nos problèmes. Il fallait changer la vision de la vie et accepter la souffrance. Trois mois d’errance, de fatigue morale et de faim nous avaient marqués. J’avais perdu plus de 15 kg. Pour retrouver la vie normale, le guérisseur nous a obligé de prendre les médicaments, afin de vomir et dégager les saletés qui étaient dans nos ventres. Ce fut après qu’il commença les soins des plaies couvrant tout le corps. Mon pied droit avait une grande et profonde plaie. Il y versa une sève des feuilles pétries, ceci me fit sentir une grande douleur. Sœur Virginie souffrait de l’enflure au dos et elle bénéficiait d’un traitement différent du mien. Ces traitements étaient tellement efficaces qu’un mois plus tard, nous avons commencé à travailler les champs et aussitôt j’ai eu la force de me construire une hutte à trois chambres. La vie a repris petit à petit, dans la peur et l’incertitude. Chaque fois, nous entendions les nouvelles des assassinats, des disparitions et des attaques à mains armées. Quand les militaires tutsi venaient dans notre région, nous nous retirions dans la forêt.

 

Le 28 février 1997, les militaires tutsi ont attaqué à RUMBISHI chez un pasteur protestant, ils le tuèrent avec sa femme et ses quatre enfants par balles, ainsi que deux femmes réfugiées et leurs enfants par baïonnettes. Les autochtones avaient le privilège d’être tués par balles, tandis que les réfugiés étaient tués par baïonnettes et souvent restaient à moitié morts.

 

Le 31 avril 1997, ils ont attaqué au marché de CYAMBOMBO, trente personnes furent tuées et beaucoup d’autres blessées.

 

Le 15 mai 1997, ils ont attaqué le centre de DUSUNGUTI, ils brûlèrent  un village de Batembo. Il y eut beaucoup de morts et de blessés. C’était les camps militaires de NGUNGU, NUMBI, SHANJE et BUNYAKILI qui s’étaient déversés sur la région. Ils cherchaient les Mayi-Mayi et les réfugiés, mais ils n’ont tué que les autochtones.

Après la prise du pouvoir par KABILA, les tutsi se sont éparpillés dans la population pour y chercher les rebelles. Mais au juste, ils cherchaient les réfugiés. Ils savaient bien où étaient les positions des rebelles Mayi-Mayi et n’y allaient pas.

 

Le 24 mai 1997, il y eut l’assassinat de HAKIZIMANA Justin et son fils muet surpris dans la cachette. Ils habitaient Mpanama-Ziralo.

 

Le 25 mai 1997, un groupe de 15 réfugiés fut massacrés par les Tutsi à BIRUMBI, alors qu’ils se dirigeaient vers le Rwanda . nous entendions des cas d’assassinat souvent ici et là, ceci pour dire que le règne des Tutsi dans la région qui m’hébergeait a été marqué par le sang. « TUER » était leur devise.

 

Donne-nous aujourd’hui notre pain de ce jour

Il faut dire qu’à part l’insécurité qui est devenu monnaie courante, nous étions bien intégrés dans la population locale. Pour manger, il fallait suer. La nourriture qu’on trouvait sur place consistait en colocases, maniocs et bananes. Notre pain, mes deux sœurs et moi, nous le gagnions en terme de 30 kg de manioc qu’on obtenait après trois jours de travail de champ. Ce panier nous aidait pendant quatre jours. Quant aux bananes, nous les quémandions. Les habitants de Ziralo ne savaient pas manger les bananes dont on tire la bière. Quand nous allions les demander, ils nous les donnaient avec un bon cœur. Ils s’étonnaient d’ailleurs de comment nous allions manger ces bananes amères. Mais, plus on a faim, moins on distingue les goûts (Haryoha inzara », dit-on en kinyarwanda).

 

Au début le travail des champs m’a un peu gêné, mais par après, j’ai acquis l’expérience. Les gens avec qui nous vivions ensemble nous exhortaient aussi à cultiver pour nous-mêmes. Notre patron nous avait alloué une parcelle où nous avions planté les pommes de terre et les patates douces, je suis parti après avoir récolté seulement les pommes de terre.

 

Pour varier la nourriture, j’allais à RUMBISHI travailler aux champs des paysans, afin de recevoir en retour sept kilo de sorgho après deux jours de travail, un kilo et demi de haricot après une journée. Les gens de RUMBISHI sont forts et robustes. Ils commencent le travail à 8H00 pour rentrer à 17H00. il faut être bien entraîné pour pouvoir suivre ce rythme. Je consacrais trois jours par mois de travail pour les haricots et le sorgho, mes sœurs avaient renoncé à ce genre de boulot ! Je me suis rendu à RUMBISHI pour la première fois le 25 mars 1997. Pour égayer mon patron, je devais lui montrer que je maîtrisais ce métier. Après trois jours, je suis rentré fatigué et malade. J’ai chauffé de l’eau pour me masser tout le corps. Cependant, le mois suivant, je ne me suis pas découragé, j’ai persisté.

 

L’argent

ZIRALO est une région non développée. Sa population pratique encore le troc. Les marchés n’existent pas. Les écoles non plus, sauf quelques sectes qui essaient de faire le culte samedi et dimanche. Il n’y a pas de projets de développement, car évidemment, cette région est nouvellement habitée. La première maison a été construite en 1980. Dans ce coin, on ne peut pas trouver de l’argent à moins d’aller vendre des colocases ou du manioc au marché de GATSIRO, RUMBISHI  et CYAMBOMBO. Je n’y allais pas, étant donné la distance et le temps qu'il fallait attendre avant l'écoulement difficile de telles marchandises.

 

J’avais plutôt découvert un moyen de gagner un peu d’argent, afin d’acheter du savon et du sel. Un voisin m’avait avancé 100.000 Nouveaux Zaïres (NZ). J’ai acheté un jerrican et j’allais vendre le vin de banane dans le marché le plus proche de RUMBISHI, qui était à trois heures de marche à pied. Je pouvais gagner entre 40.000 et 50.000 NZ par jerrican, nécessaire pour n’acheter que du sel et du savon. Je n’ai jamais vu un travail aussi fatiguant que celui de porter un fardeau sur la tête ! Pour la première fois, j’avais pensé que c’était facile. C’est ainsi que je mis un jerrican de 32 kg et suivis les autres, mais après 45 minutes, la tête se chauffa, le coup commença à me faire remarquer la surcharge que j’endurais. La sueur mêlée aux larmes survinrent. C’est à ce moment que je me suis demandé pourquoi Dieu ne m’avait pas épargné de cette peine en me laissant mourir comme les autres. De toutes les façons, j’ai repris courage et je continuais.

 

A mes côtés, il y avait un jeune du mouvement charismatique du camp INERA. Il se nommait NSENGIMANA Innocent. Il m’assistait. L’argent que nous gagnions était soigneusement gardé et ne devait pas être dépensé n’importe comment. Malgré les haillons que nous portions, on ne devait pas dépenser ou prendre de cet argent pour acheter de nouveaux habits et personne n’en était complexé.

 

LA PASTORALE

Au début de mon installation à ZIRALO, j’avais interdit à ceux qui me connaissaient de dire à quiconque que j’étais prêtre. Le prêtre dans cette région contrôlée par les rebelles était une personne recherchée et indésirable, parce qu’il était leader de l’opinion du peuple, il osait dire la vérité et jouait un rôle prépondérant de guide du peuple de Dieu. Mais cette interdiction n’a pas tenu longtemps. Au troisième jour, les gens curieux étaient venus voir un prêtre qui avait fait le tour de la forêt pieds-nus !

 

J’étais devenu un objet de curiosité. Beaucoup n’avaient jamais vu un prêtre, puisqu’avant moi, aucun autre n’avait été là. Eux qui avaient voyagé jusqu’à Goma ou Bukavu savaient qu’ils n’existaient que des Pères Blancs ! ils s’étonnaient d’entendre parler d’un prêtre noir, de ma taille encore. C’étaient des réfugiés que nous rencontrions qui répandaient la nouvelle. Ils avaient retrouvé le Padri (Père) qui était aussi malheureux qu’eux. Tout le monde voulait me voir !

 

Les samedis, je recevais beaucoup de visites, car c’était le jour chômé pour tout le monde. Ceux qui voulaient les conseils, ceux qui cherchaient des leurs, … en quelques mois je continuais à les aider spirituellement. Les dimanches, nous nous réunissions avec les réfugiés qui restaient tout près pour faire la célébration de la parole et citer le rosaire. Un groupe de légionnaires de Mpanama m’invitait souvent pour la confession… Nous faisions tout ça clandestinement pour ne pas nous causer des ennuis des sectes qui sont très jaloux de l’église catholique. Sans aucune protection, nous avions peur aussi d’être détectés par les Tutsi qui étaient aux environs.

 

PRETRE PARTOUT ET POUR TOUJOURS

C’est vrai qu’un prêtre ne passe pas inaperçu, le fait d’avoir été devant beaucoup de fidèles pendant la messe, le rend toujours et partout identifiable. Et, surtout dans la société africaine, c’est une personnalité très considérée. Dans ce petit coin où je me cachais, la nouvelle d’un prêtre qui vit avec deux sœurs s’est répandue progressivement dans toute la région, même jusqu’à Shanje, le grand camp militaire tutsi. Ils croyaient peut-être que c’était un grand politicien qui organisait je ne sais quelles révoltes.

 

Vers fin mai 1997, le 23 mai 1997, un jeune Tutsi habillé en civile est venu espionner ce fameux prêtre. Il arriva chez moi à 9H00 du matin et me posa ces questions auxquelles je répondis :

             - Toi, où est le prêtre qui vit ici ?

             - Il y a une semaine qu’il est parti

             - Où ?

             - Au Rwanda.

- Ses deux sœurs aussi sont partis avec lui ?

             - Bien sûr ! comment pouvait-il les laisser ici ?

- Toi aussi tu es réfugié ?

             - Non. Je suis ici seulement depuis deux ans, mais je ne suis pas réfugié.

A mon tour maintenant de lui poser ces questions.

             - Ce prêtre dont tu parles, où est-ce que tu le connais ?

             - Il est de chez nous, moi aussi je suis réfugié

             - Vous êtes de quelle commune au Rwanda ?

- Commune de Kivumu.

C’était l’heure du petit déjeuner, nous partageâmes avec lui un repas composé de colocases, après quoi i s’en alla. Après son départ, les voisins sont venus me confirmer qu’il était Tutsi. Ils m’ont conseillé de quitter  les lieux pour leur épargner des ennuis. Je refusai. Durant toute la semaine, je ne sentais pas trop de peur en moi-même.

 

Un autre Tutsi est venu du Rwanda. Il s’appelait RUTEKELI. Avant la guerre, il habitait RUMBISHI et s’était réfugié au Rwanda pendant la guerre de Laurent Kabila. Un jour, quand il partageait un verre avec las Hutu de RUMBISHI, il leur annonça qu’il y avait un prêtre avec deux religieuses dans la région, que les militaires allaient arrêter. Heureusement, j’étais bien connu à Rumbishi, car j’y allais souvent pour vendre la bière de banane et chercher du travail.

 

Le 30 mai 1997, j’ai trouvé un messager m’avertissant que ma vie était en danger et que je devais quitter les lieux le plus vite possible. Le soir même, nous avons plié bagages et nous nous dirigeâmes vers Bukavu. Mon intention était d’aller au Rwanda, au lieu d’être tué dans la forêt. Mieux valait être tué au Rwanda, là au moins je pouvais être enterré par quelques rescapés de ma famille.

 

De Ziralo à Goma, il y avait un trajet de deux à trois jours de marche à pied. De Ziralo à Bukavu, il faut faire cinq jours à pied. J’ai préféré emprunter la voie de Bukavu, car les nouvelles disaient que les militaires orchestraient beaucoup d’atrocités en jetant les hommes au Lac Vert. Ce n’était que les femmes seulement qui pouvaient arriver au Rwanda. En plus de la sécurité qui était à Bukavu, j’y avais aussi beaucoup d’amis. Avant de traverser la frontière, je pensais pouvoir recueillir des informations sur la stratégie à adopter de l’autre côté de la Rusizi. D’autre part, les gens pouvaient me déconseiller de rentrer au Rwanda et allaient me cacher ou m’aider à sortir de la République Démocratique du Congo (ex-Zaïre) et aller ailleurs.

 

Aussitôt dit aussitôt fait ! Nous escaladâmes les montagnes jusqu’à CYAMBOMBO où nous sommes allés loger chez un catéchiste catholique. Il nous forma que dans la forêt de KABUNGA, il y avait des militaires tutsi qui faisaient la chasse aux vaches. Etant donné que quelques éleveurs avaient caché leur bovin dans la forêt. C’était pour cela que le pillage s’était déplacé de ce côté là. Il nous proposa d’attendre une semaine chez lui. Après, il n’y avait pas beaucoup d’insécurité, nous avons décidé de sortir de cette forêt qu’il fallait traverser pendant deux jours. Notre hôte nous donna un guide pour nous accompagner jusqu’à KABAMBA (le grand marché qui est sur la route Bukavu-Goma). L’itinéraire que nous devions suivre était : Gitindiro, Mudugudu, Nyamugali, Mwami w’Idjwi, Nyabarongo, Kayitoreya, Bushaku, Remera et Kabamba.

 

Le 8 juin 1997, nous nous mîmes en route avec notre brave accompagnateur, Monsieur BIGENZI. Heureusement, nous n’avions rencontré aucun obstacle jusqu’à Bushaku. Ce dernier est une collectivité située dans les hauteurs de Kalehe. Il était dangereux de descendre jusqu’à la grande route. La semaine avant notre rivée, les militaires du centre de Bushaku avaient exécuté sommairement 18 réfugiés au centre de Nyabarongo et 28 dans la forêt de Kadasomwa. Ces premiers faisaient comme nous le trajet ZIRALO-RWANDA. Ces massacre avaient provoqué une grande panique dans la région de telle façon que personne ne pouvait quitter Bushaku vers Kabamba. Cette direction avait effrayé les gens, car elle était devenue pour eux un abattoir des réfugiés. Le bureau de rapatriement annoncé à la radio n’y avait jamais été, les réfugiés qui suivaient aveuglement ces nouvelles de la radio tombaient dans l’embuscade et étaient directement massacrés au grand jour. Un pasteur adventiste du nom de SAFARI, avait renoncé à accompagner les réfugiés, le dernier groupe qu’il avait guidé avait été tué devant ses propres yeux le 2 juin 1997 à Kabamba.

 

Considérant toutes ces informations, un chef coutumier nous montra une forêt dans laquelle nous devions construire une hutte, en attendant que la situation se normalisât. Il ne pouvait pas nous prêter une maison, parce qu’il fut un temps où les tutsi venaient fouiller les maisons à la recherche des réfugiés. Quand ils en attrapaient un, c’était la peine capitale pour toute la famille qui l’hébergeait. Il nous cita l’exemple de SEBANAGE de NYABIZIGURO qui fut victime avec sa femme, ses cinq enfants et deux jeunes réfugiés sous prétexte qu’il logeait les Interahamwe. Nous installâmes notre hutte et partageâmes la vie avec les singes de cette jungle jusqu’au 24 juillet 1997.

 

RUSHAKU est habité par les Zaïrois qui parlent Mashi et Kinyarwanda. On y trouve les mêmes activités qu’à Ziralo. Pendant le petit temps que j’y suis resté, le problème d’intégration ne s’est pas posé. J’étais habitué aux deux peuples. La présence des militaires ne me faisait pas peur. Nous avions l’habitude de passer la nuit dans la forêt lors de la tempête et nous restions vigilants quand la chasse à l’homme commençait. Pendant mon séjour, l’insécurité était caractérisée par le vol des vaches à mains armées.

 

Le 1er juillet 1997, un groupe de Mayi-Mayi a raflé 200 vaches de la population.

 

Le 7 juillet, un autre groupe de militaires tutsi de Kalehe escalada les collines qui surplombent Kalehe, pilla les 70 vaches de Bushaku et tua un berger.

 

Le 15 juillet 1997, les attaques des Mayi-Mayi et des tutsi continuèrent. Les mayi-Mayi à leur tour prirent 50 vaches à Bushaku, 70 à Nyabarongo et rentrèrent chez eux à Bunyakili.

 

Jusqu’au 24 juillet 1997, la situation ne s’améliorait pas. Les amis Bashi sont venus me prendre. Ils me conseillèrent de laisser mes sœurs avec un confrère qui m’avait rejoint là bas. Il ne fallait pas risquer quatre personnes à la fois, car le réfugié qui est attrapé est vite tué ! Après la réussite de la première opération ça sera leur tour… Je logeais dans leurs familles jusqu’à ce qu’ils aient pu m’aider à quitter le Zaïre. L’endroit où je passais la nuit était différent de là où je restais la journée. L’idée de rentrer au Rwanda s’était estompée. Aucune personne ne me conseillait d’y aller.

 

En vue de me préparer psychologiquement au voyage de départ de la République Démocratique du Congo, mes amis m’ont conseillé de me promener dans la ville pour me familiariser aux visages tutsi. Le passage qu’on devrait prendre pour sortir était plein de barrières. Un jour quand je me promenais dans la ville, j’ai croisé un militaire tutsi au feu rouge. Il avait un fusil sur l’épaule et dans la foule nous étions très serrée l’un de l’autre de façon que personne ne pouvait éviter l’autre.

 

-       Qui était-il au juste ?

Angelbert, mon ancien choraliste dans la paroisse de KIBI NGO, Diocèse de Nyundo. Il me salua avec enthousiasme et étonnement. Il ne pensait pas que j’étais encore vivant. Effrayé, moi aussi je fis le malin de le saluer avec émotions. Nous échangeâmes des nouvelles d’il y a longtemps. J’eus le courage de lui demander s’il n’allait pas me tuer. Très gentiment, il me rappela la fille d’un enseignant MUGEMANGANGO Justin de Kibingo que j’ai sauvé lors des massacres et que j’avais remis aux militaires français de l’Opération Turquoise en 1994. Il me rassura qu’il ne pouvait pas faire ce péché. Je lui ai proposé d’aller prendre un verre avec moi et il accepta.

 

Au cours de notre conversation, je lui ai exprimé mon désir de rentrer au Rwanda, il me conseilla d’attendre un peu. « Au Rwanda, il y a trop de violences », m’a-t-il dit. Si tu rentres, ajouta-t-il, saches que tu seras directement mis en prison. Malheureusement, nous n’avions pas beaucoup de temps pour discuter. Après cette rencontre, il m’a demandé l’endroit où je logeais, disant qu’il allait venir me rendre visite un jour. Je regrette de lui avoir menti, car on est jamais sûr avec les Tutsi d’aujourd’hui !

 

Même au moment où j’étais dans la ville de Bukavu, la chasse aux Hutu n’avait pas encore cessé. Après la destruction des camps de réfugiés de Bukavu, les réfugiés attrapés étaient triés, les plus forts étaient abattus et les autres renvoyés au Rwanda. Par après, ceux qu’on attrapaient étaient emprisonnés dans le camp militaire de SAYO et tués après beaucoup de tortures. Des fois, quand la Croix Rouge apprenait qu’il y avait un réfugié emprisonné, elle allait le faire libérer et l’extradait au Rwanda. Ce fut le cas de Monsieur TEMAHAGALI Justin, ancien ambassadeur rwandais à Kinshasa et de Monsieur KAYOGORA, ancien Directeur du Lycée de Kigali. Malheureusement, la Croix Rouge est intervenue quand l’œil de TEMAHAGALI avait été déjà arraché. Les militaires tutsi n’étaient pas contents de ce que faisait la Croix-Rouge, c’est pourquoi en ce moment là, celui qu’ils attrapaient était tué sur le champ. Et c’est ce qui se fait actuellement.

 

Les militaires tutsi utilisaient et utilisent les voyous de la ville dans la recherche des réfugiés cachés de part et d’autre de la ville. Ces voyous recevaient et reçoivent 60 USD par tête. A KADUTU et à ESSENCE, le 29 et le 30 juillet 1997, ils ont tué plus de cinq personnes livrés par ces bandits. Comme toujours, je dormais sans l’espoir de me réveiller le lendemain et quand je me réveillais, c’était sans espoir de voir le coucher du soleil. Heureusement, le 18 août 1997, mon Dieu d’amour infini m’enveloppa dans son manteau et me fit sortir de ce pays des sanguinaires.

 

Grandes grâces à Yahvé sur mes lèvres, louanges à lui parmi la multitude, car il se tient à la droite du pauvre pour sauver de ses juges son âme (Ps 109, 30-31).

 

Conclusion

Un massacre atomique de Hutu, nouvelle formule a eu lieu. L’Opinion Internationale, si l’opinion il y a, a péché par défaut et par omission et par complicité. Elle a montré ce dont elle est capable de faire : « rien ou accepter l’inacceptable ou cautionner le mal ».

 

Les hommes de bonne volonté ont submergé la surface des maux de l’humanité par leur vrai visage. Ceux qui se targuent de cette idéale incommensurable et qui ont complicité pour se détraumatiser en regardant les bouchers conduire à l’abattoir une population sans défense ont souillé, tué et sacrifié la philosophie humaniste.

 

Ceux qui se sont obstinés à refuser les démagogies politiciennes et se sont abîmés dans la recherche d’une trêve pour les réfugiés oubliés et laissés aux bêtes féroces dont les loups étaient plus exterminateurs pendant le calvaire forcé semé d’embûches et d’épines sordides, ceux-là, Dieu seul les remerciera, je pense spécialement à Madame Emma Bonino.

 

Le cauchemar d’une vie enviable vécue, la nausée nauséabonde d’une traversée jonchée de cadavres martyrisés par la pesée kagamienne, kabilienne, kagutienne et clintonienne, déchiquetés par les oiseaux voraces de cette forêt impénétrable équatoriale semée d’épines qui nous pénétraient dans les pieds jusqu’à l’os, le souvenir ineffaçable qui nous hante devant la présence de ceux qu’on appelait jadis les puissances du monde, est une maladie incurable épidémique, pour ceux-là qui nous ont précédés à gagner la tombe que nous regagnerons au bout de notre atteinte chronique que les médias ont marginalisé aux calendes grecques.

 

Ce dont nous sommes témoins vivants dépasse le cadre humain et l’humanitaire était seul capable de lui trouver une solution. Nous ne saurions le décrire par le langage humain. Les événements qui se sont suivis allaient le macabre, le dérisoire, le rare et le monstrueux.

 

Le macabre, parce que pendant la tragédie, comme si le monde était à l’envers, seules les condamnations d’un peuple sans défense ont été entendues et la boucherie ne s’est pas arrêtée.

LE dérisoire, parce que la mort dans l’âme au fur du voyage en enfer, certains acceptaient de mourir décapités que mourir de la faim.

Le rare, parce que dans ce désert de faim, de maladies, de massacres, d’abattue, des oasis, de pauvres zaïrois ont sauvé la vie de ceux pour lesquels ils ont eu un cœur attendri par leur souffrance. Qu’ils soient comblés de grâces, ceux-là qui ont au moins pensé à eux !

Le monstrueux, parce qu’au delà des discours, démagogies humanistes et politiques mensongères, un plan d’élimination systématique par balle, starvation, fatigue et suicide a été mis en détonation avec des moyens très sophistiqués. L’ambassadeur des Etats Unis d’Amérique à KIGALI en est témoin.

 

A dire vrai, c’est très amusant à l’instar des spectacles des gladiateurs romains où Néron incendiant Rome de voir ces caravanes HUTU au SAHARA AQUATORIAL sans pain ni vain de vie. C’est très amusant de voir ces traînées de gens, cet amas touffus fatigués, diminués petit à petit, bon parce qu’elles combattaient l’ennemi commun pour sa survie, mais parce qu’elles se laissaient faire à cause d’une condamnation universelle, mais que dis-je d’une bouc-émissarisation engagé à condition de ne pas faire partie de cette foule désespérée.

 

Au demeurant, l’aventure ambiguë, dilemnatique et dangereuse continue pour certains oubliés de la forêt de le république Démocratique du Congo, Dieu seul les protège, le monde entier s’en fout, malheureusement, l’Eglise aussi.

 

En mon humble qualité de prêtre et témoin oculaire incontesté, j’ose demander à bon entendeur ce qui suit :

 

1.     Les politiciens du monde entier sont malades de la peste, seuls les Hutu pauvres et les Tutsi pauvres doivent payer le forfait comme la gazelle de chez la Fontaine. Que tous les opiniâtres qui se sont abîmés dans les condamnations injustifiées contre les HUTU disent « mea culpa » et demandent pardon aux HUTU, à la communauté internationale pour enfin s’en remettre à Dieu.

2.     Une enquête internationale devrait s’ouvrir pour élucider et officialiser les auteurs et les complices de l’holocauste planifié et systématiquement accompli contre les réfugiés hutu jetés en pâturage aux aléas de la forêt Equatoriale de la République Démocratique du Congo d’un côté ou conduits à la mort dans l’âme vers leurs égorgeurs du Gouvernement de Kigali de l’autre.

A l’instar de la Révolution Française et l’Indépendance américaine, les africains doivent se lever comme un seul homme pour chasser au trône le démon qui saccage les africains et installe le règne de la terreur au profit de ses appétits insatiables. Le sang des martyrs doit générer la liberté et la paix.

 

                         SIGLES ET ABREVIATIONS UTILISEES

 

A.P.R. : Armée patriotique Rwandaise, branche armée du FPR devenue armée nationale depuis 1994

 

ECHO : Office humanitaire de la communauté européenne

 

F.P.R. : Front patriotique Rwandais

 

MINIREISO : Ministère de la réhabilitation et de l’intégration sociale

 

UNHCR :  Haut commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés

 

RGP 91 : recensement général de la population rwandaise au 15 août 1991

Cfr Livre: Rwanda : la désintégration d’un Etat ou d’un peuple