Il est 6 h du matin. Sur la route qui mène à la frontière rwando-congolaise,
des hommes, des femmes, des jeunes garçons et filles marchent houe sur
l'épaule. Ils font la queue devant la douane de la Ruzizi II, à l’ouest du
Rwanda, qui mène à Kamanyola au sud Kivu pour avoir le jeton qui leur permet
de traverser légalement. Une heure durant, leur ligne ne diminue pas,
tellement ils sont nombreux. « Quand ils sont du secteur Bugarama, frontalier
avec la RDC, ils montrent leur carte d’identité(CI). Ceux des autres secteurs
doivent avoir un laissez-passer », explique un agent de l’immigration sur
place.
Difficile d'estimer leur nombre. De 1 000 à 3 000 personnes, selon les
sources, passeraient chaque jour. De l’autre côté de la frontière, en RDC, les
Congolais sont nombreux à les attendre pour les embaucher dans leurs champs: «
Hier celui qui nous a engagé a pris 40 personnes », témoigne Théogène Nahimana.
Ceux qui ne sont pas recrutés sur place cherchent plus loin, le long de la
route. « Ici, aucun Rwandais ne peut manquer d’emploi, surtout en cette
période de pluie où nous sommes en train de cultiver et de semer », raconte
Donatien Kizungu, un Congolais de Kamanyola qui affirme que leurs terres sont
tellement grandes qu’ils ne peuvent pas les cultiver seuls.
La région de Bugarama, elle, est très peuplée. Les gens manquent de terres et
n'ont plus le droit de cultiver ce qu'ils veulent mais seulement la culture
choisie par le gouvernement pour leur région. Ils ont du mal à nourrir leurs
nombreux enfants et cherchent à travailler là où le besoin s'en fait sentir.
Main-d'œuvre recherchée
La main d’œuvre rwandaise est recherchée par les Congolais, les prix varient.
« Après 6 heures de travail, nous les payons 1 000 ou 1 200 Frw (2 $). Mais
tout dépend des périodes. Pendant les semis, ils sont chers », fait remarquer
Donatien. Selon leurs besoins et pour stimuler les rendements, certains
Congolais augmentent les tarifs. « Hier, j’ai été d’abord engagée pour 1 200
Frw. Soudain, j’ai vu un autre recruteur qui proposait 1700 Frw (3 $). J'’ai
abandonné le premier au profit du second », raconte une dame.
Dans les familles nombreuses, c’est le couple qui part à la recherche de
travail en RDC. Samuel Sinamenye de Gishoma, à l’ouest, a huit enfants. Pour
les nourrir, lui et sa femme vont en RDC où chacun se débrouille. « Moi, j’ai
trouvé un travail ici, à 2 km de la frontière. Elle, peut le trouver à 4, 5,
10 ou 15 km », confie-t-il. Ils espèrent ainsi rentrer avec plus de 4 $ par
jour, ce qui leur permet de payer la nourriture et la scolarité de leurs
enfants.
Seuls ceux qui ne sont pas originaires de la région et ont besoin d'un
laissez-passer pour aller en RDC restent travailler à Bugarama. . Ils touchent
la moitié de la rémunération congolaise : 600 Frw par jour (1 $).
Échanges transfrontaliers
Les Rwandais qui ont un peu d'argent ne se contentent pas de travailler pour
les Congolais, ils louent annuellement des terres à Kamanyola pour 20 à 40 $
et plus, en fonction de la surface. Fitina Nyiranizeyimana, une jeune femme, a
un champ juste à la frontière. Pendant que les autres cherchent une embauche,
elle travaille sur sa parcelle : « Je vais semer les haricots », dit-elle,
expliquant que toutes les personnes qu'on voit avec de petits sacs pleins de
grains de maïs ou de haricots sur la tête, vont les semer dans leur champ loué
au Congo.
Les Congolais traversent aussi la frontière. « Ils vont au Rwanda moudre les
grains de maïs puisque ils y trouvent des moulins électriques tandis qu’au
Congo, faute de courant, on utilise des moulins mécaniques qui donnent une
farine de mauvaise qualité. Les Congolais achètent aussi du ciment au Rwanda
», témoignent Nyongoli Imani et Excellent Pacifique, journalistes de la Radio
Communautaire Kamanyola (RCKA).
Les commerçants de Kamanyola, de Luvungi et d'ailleurs en RDC sont aussi
obligés de passer par le Rwanda pour aller à Bukavu, capitale du Sud Kivul les
routes du Congo étant en mauvais état. En effet, « par la route réhabilitée du
Rwanda, une heure suffit pour arriver à Bukavu, alors qu’en passant par la
route de Ngomo, en mauvais état et non macadamisée, il faut plus de 3 heures »
constate Ishanja Jacob, un Congolais. (Fin)