Devant
un public qui était venu nombreux, M. Rucagu Boniface a d'abord
mentionné que le but de sa venue dans son district natal est de
prendre le devant en dévoilant la vérité de tout ce qu'il a vu et
vécu pendant la douloureuse période qu'a traversée notre pays et
surtout d'aider la population à dire toute la vérité sans peur.
Il a
révélé que pendant la période de guerre, il avait été élu député à
l'Assemblée Nationale pour le compte du MRND après avoir exercé
les fonctions de sous-préfet à Ruhengeri. Pendant cette période,
il vivait à Nyamugali, mais travaillait à Kigali. Il a quitté
Nyamugali en février 1993 lors de l'attaque du FPR-Inkotanyi du 08
Février 1993.
A
Nyamugali, M. Rucagu Boniface a déclaré qu'il vivait avec un
certain Kajuga Robert qui était Président des Interahamwe. En tant
qu'une autorité au rang de Député, Rucagu révèle qu'il ne manquait
pas souvent de s'entretenir avec Kajuga, le Président des
Interahamwe, et qu'il ne cessait pas de lui montrer les méfaits de
leurs actions.
En
1993, M. Rucagu affirme qu'il a écrit aux associations des droits
de l'homme pour dénoncer les méfaits du pouvoir dit d' "
Akazu ". Il souligne qu'il n'y voyait même aucun intérêt
surtout qu'après il a été écarté définitivement.
Pendant qu'il était au CND (Conseil National de Développement) ,
Rucagu affirme avoir dit à Nzirorera, alors Secrétaire Exécutif du
MRND, que la Communauté Internationale ne cesse de dénoncer les
massacres de la population tutsi au Rwanda, mais comme réponse
Nzirorera dira que " La Communauté Internationale arrivera à
comprendre qu'elle s'est trompée " déclare Rucagu.
Selon
lui, après l'installation du Gouvernement dit d' " Abatabazi
" il a écrit au Président Sindikubwabo Théodore en dénonçant le
mal, malheureusement, il n'a pas été entendu. Pendant que les
combats s'intensifiaient, Rucagu a pris la décision de se réfugier
en passant par Gitarama, Ngororero, Nyundo, Kibuye jusqu'à
Cyangugu.
Environ 60 Tutsi, sauvés par Rucagu
Rucagu
affirme en outre que pendant la période des atrocités, il a pu
sauver beaucoup de tutsis qu'il estime à environ 60 personnes. Il
cite par exemple ; la famille de Léonard Kabasha avec 11 enfants,
qui est en vie, la famille du Père de Patrick Mazimpaka (ancien
Ministre et actuel Vice Président de la Commission de l'Union
Africaine) et bien d'autres. Il affirme avoir même payé de sa
poche une somme d'argent pour essayer de calmer les Interahamwe
qui voulaient exterminer les tutsis à tout prix.
Rucagu six fois emprisonné après le génocide
Après
la prise du pouvoir par le FPR Inkotanyi M. Rucagu a écrit une
lettre au nouveau gouvernement de l'union nationale pour le
remercier et surtout lui témoigner sa disponibilité de répondre de
ses actes au cas où il serait mis en cause. C'est ainsi qu'il a
été emprisonné du 15 septembre 1994 au 16 février 1995. Après
diverses enquêtes, il a été reconnu non coupable, précise-il.
Toutefois, poursuit Rucagu, il a été encore emprisonné cinq (5)
fois, à cause de certaines personnes mal intentionnées et jalouses
de sa popularité. Elles avançaient, selon lui, des colonnes à son
égard mais toutes les enquêtes ont révélé son innocence,
insiste-t-il. Parlant des conséquences du génocide, le préfet
Rucagu précise qu'il a perdu sa fille aînée, étudiante au Campus
de Nyakinama (à Ruhengeri) en deuxième licence. Celle-ci a été
tuée en 1994 à Butare, alors qu'elle voulait fréquenter la
bibliothèque de l'UNR.
En
clôturant son témoignage, le préfet Rucagu Boniface a demandé à
tout le monde de dire toute la vérité sur ce qu'ils ont vu, vécu
et fait pendant le génocide de 1994. Il a invité les Interahamwe
et ex-militants du MRND de témoigner sur tout ce qu'ils ont fait
et vu et de révéler l'origine des instructions. Enfin, il a appelé
tous les Hutus à demander pardon aux tutsis, puisque ceux-là qui
ont commis des crimes l'ont fait en leur nom.
Rucagu accusé d'implication au génocide
Après
ces témoignages de Monsieur le Préfet Rucagu Boniface, le public a
suivi encore des témoignages venant des diverses personnes. La
première à prendre le micro était Madame Mukankwaya Julienne.
Celle-ci dira qu'elle y a été réfugiée avec d'autres, lors de
l'attaque du FPR à Ruhengeri en 1991. Selon elle, dans l'ancienne
commune de Nyamugali,, secteur Nemba (village natal du préfet
Rucagu) ils ont été accueillis par l'ancien député Rucagu qui a
même amené du lait pour leurs enfants. C'est après qu'ils ont
commencé à inventorier parmi eux des gens dit " Ibyitso " (traîres)
à cette époque. Madame Julienne précise que le premier à être
victime fut Monsieur Kabasha Sostène, suivi par Kabirigi Emmanuel
qui était agronome, Ruzabu Ammini, Nizeyimana et d'autres. Les
gens étaient sérieusement tabassés et Nizeyimana en est mort.
Ces
déplacés étaient maltraités par le Bourgmestre de Nyamugali qui
était en concertation souvent avec le député Rucagu Boniface.
En
effet, au cours de cette période, les paysans n'étaient pas
autorisés de venir visiter ces déplacés, affirme Julienne.
Un temps après, Sostène et sa famille ont été tués et deux
semaines après, Kabirigi et sa famille ont été emmenés à une
destination inconnue " seuls ceux-là qui les ont emmenés pourront
apporter des éclaircissements sur leur sort ", conclut Madame
Mukankwaya Julienne.
Pour
Madame Vuganeza Rehema, lors de leur fuite en 1991, ils voulaient
aller à Kigali mais les autorités les ont obligés de se réfugier à
Nyamugali. Après ils ont été accueillis par le Bourgmestre et le
député Rucagu. Ces derniers ont organisé une réunion dans le
bureau du Bourgmestre, aussitôt, ils ont commencé à chercher "
ibyitso " traîtres parmi les hommes et ils les ont
violemment traités jusqu'à ce que Nizeyimana (Oncle maternel de
Rehema) soit mort, les autres furent jetés en prison pour être
tués après.
Selon
cette dernière, ils étaient sérieusement maltraités quand ils
exprimaient le souhait de visiter ces détenus.
" J'affirme que tout cela était le résultat de cette réunion
entre le député Rucagu et le Bourgmestre de Nyamugali "
précise Rehema en concluant.
Quant
à Ntirugirimbabazi Pacifique, habitant de Nyamugali, à partir de
1992, son oncle paternel, M.Kabeza, a été accusé de sorcellerie
qu' il aurait tué quatre personnes parmi lesquelles figurait un
petit frère du Préfet Rucagu.
Il a
été fortement tabassé et emprisonné à Kirambo. Lors du procès, il
a été acquitté. En 1993 Kabeza et sa famille ont échappé à la mort
alors que des Interahamwe en provenance de chez l'ancien député
Rucagu voulaient les tuer après avoir massacré la famille de
Rugerinyange.
La famille Kabeza s'est enfuie à Gitarama, mais de son retour à
Nyarutovu, elle a été massacrée.
"
Après avoir tué, tous les Interahamwe de Nyamugali se
rassemblaient chez le Préfet Rucagu pour prendre un verre, chanter
et danser " précise Ntirugirimbabazi avec une grande
colère.
Enfin,
faut-il souligner que les juges de Gacaca prononceront le jugement
après avoir analysé les témoignages de part et d'autre.
Namukunzi Chantal