Les opposants à Kagame sacrifiés sur l’autel de la realpolitik
Peu après la prise du pouvoir par les armes au Rwanda en juillet 1994 par le Front Patriotique Rwandais (FPR), l’ONU a mis sur pied un Tribunal Pénal pour le Rwanda (TPIR). Il fut installé à Arusha en Tanzanie.
Censé juger les auteurs des crimes commis au Rwanda, celui-ci se révélera plus tard plutôt chargé de juger ceux qui avaient résisté au FPR dans sa guerre de conquête. De ce fait, la contribution de l’ONU dans la légitimation et la consolidation d’un régime issu des armes fut capitale.
Parallèlement, certains Etats s’adonnent isolément au même exercice sans que leurs motivations n’apparaissent clairement. Ainsi, ces Etats pourchassent et arrêtent certains ressortissants rwandais qui ne sont même pas recherchés par le TPIR. Certains sont jugés sur place, d’autres sont extradés vers le Rwanda. Nous avons relevé un certain nombre de ces cas et nous avons constaté que pour la plupart, c’est sur intervention de Kigali que ses opposants sont arrêtés. Pour d’autres leurs arrestations répondent à des calculs dans le cadre des intérêts économiques ou stratégiques. Quelques cas particuliers s’inscrivent dans la logique de soutien inconditionnel au régime du FPR de la part de ceux-là même qui l’ont installé au pouvoir. Par contre, dans aucun cas, les arrestations ne répondent – à notre avis – au souci de rendre justice. Ces opposants sont tout simplement sacrifiés sur l’autel de la realpolitik et des intérêts économiques et / ou géostratégiques de certains Etats.
L’inde et l’Ethiopie
Ces deux pays ont ouvert le banc en 1996. Après avoir arrêté et enfermé pendant quelques jours Frodouald Karamira, ancien Vice-Président du parti MDR (Mouvement Démocratique Républicain) ces deux pays se sont relayés pour l’extrader en catimini au Rwanda au mois de juin de la même année. Il fut exécuté par balles le 24 avril 1998 après un simulacre de procès.
L’Inde a reçu en échange de gros contrats d’achats de ses véhicules de marque Tata au Rwanda. Ce pays a aussi acheté au rabais certaines usines et plantations de thé.
Quant à l’Ethiopie, qui venait de participer ouvertement à la conquête du Rwanda, il était logique qu’il contribue à la légitimation et à la consolidation du régime qu’il venait de contribuer à installer à Kigali.
La Belgique
Ce pays bat le record en excès de zèle pour conforter le régime dictatorial du FPR. Il a déjà jugé cinq ressortissants rwandais et un certain nombre d’autres sont en attente de procès. Il est de notoriété publique que les lobbies pro-FPR dans certains milieux belges (médiatiques, politiques, …) ont été et restent très forts. Mais nous ne pensons pas que la complaisance des gouvernements successifs belges envers le régime du FPR soit dictée par ces seuls lobbies. Il nous semble plutôt que l’alignement de la politique étrangère belge à celle des Etats-Unis d’Amérique spécialement dans la région des Grands Lacs africains soit à la base des contradictions de la politique étrangère belge.
La Belgique se mobilise pour dénoncer la moindre violation des droits de l’homme dans des contrées reculées comme le Tibet ou le Darfour mais ferment les yeux sur les crimes d’un des régimes les plus répressifs au monde, celui de Paul Kagame, allant même à se soumettre à ses injonctions pour museler l’opposition.
Le Danemark
On savait les liens tissés par Yoweri Museveni au Danemark du temps où il dirigeait la rébellion en Ouganda avec entre autres comme compagnon un certain Paul Kagame. Ce dernier, après son hold up sur le Rwanda va se souvenir de ce fait et s’y appuiera pour traquer ses opposants dans ce pays. On en aura la preuve au début de septembre 2006 lorsque M. Ahorugeze Sylvère, ancien Directeur général de l’Aéronautique, fut arrêté au Danemark. Il n’était recherché par le TPIR et c’est seulement sur demande de Kigali qu’il fut privé de sa liberté. Aux dernières nouvelles, la justice danoise aurait découvert la machination et s’apprêterait à indemniser la victime incarcéré injustement pendant près de six ans.
Le Canada
Le Canada est peut-être le pays dans lequel les activistes du FPR sont les plus actifs et le plus écouté. Dès 1991, on avait mesuré la capacité de nuisance des ces activistes quand après avoir agressé M. Protais Zigiranyirazo, celui-ci fut accusé injustement par ses agresseurs de les avoir menacés verbalement. Un peu plus tard en 1993, le Professeur Léon Mugesera est pointé du doigt par ces mêmes activistes et aussitôt arrêté. Il sera traîné devant les tribunaux pendant plusieurs années et son extradition vers le Rwanda reste pendante.
Sur injonction des mêmes activistes, Désiré Munyaneza fut arrêté le en octobre 2005. Son procès est actuellement en cours devant un tribunal de Montréal.
Comme pour le Belgique, le Canada n’a pas de politique étrangère « propre à lui ». Il doit scruter les pendants du puissant voisin du Sud et agir en conséquence. Le régime du FPR étant une création des USA, il est de bon ton que le Canada s’incline face à ses desiderata.
La Grande Bretagne
Parrain des régimes de Museveni en Ouganda et de Kagame au Rwanda, ce pays semble être très fier d’avoir damé le pion aux francophones dans la région des Grands Lacs africains comme du temps de la conquête coloniale au 19è siècle. De ce fait, il retient beaucoup à leur jeune rejeton ‘‘Paul Kagame’’ qui doit être soutenu et défendu mordicus. Tous les moyens sont bons. Les anciens premiers ministres de sa Gracieuse Majesté peuvent être détachés à Kigali pour ‘‘encadrer’’ le dictateur. Dans ces conditions, on ne s’étonnera pas qu’en Décembre 2006, quatre rwandais non recherchés par le TPIR, dont le Dr Vincent Bajinya, aient été arrêtés sur demande de Kagame et traînés devant les tribunaux britanniques.
La France
L’aversion de Paul Kagame contre la France est proverbiale. La rupture des relations diplomatiques entre les deux pays depuis 2006 pourrait faire croire que les ressortissants rwandais vivant en France resteraient hors d’atteinte des griffes du dictateur Paul Kagame. Ce serait d’une naïveté enfantine. D’abord la France compte une nébuleuse d’associations pro-FPR très puissantes et bien organisées. Animées le plus souvent par des ‘‘français de souche’’, elles relaient efficacement les actions du FPR en France mieux que ne pourraient le faire des activistes d’origine rwandaise. Cette nébuleuse peut à certains moments se hisser jusqu’au sommet de l’Etat.
Après avoir rempli ses engagements internationaux envers le TPIR en arrêtant et en transférant à Arusha toutes les personnes inculpées par ce Tribunal et résidant sur son territoire, la France a depuis peu commencé la chasse aux personnes recherchées par Paul Kagame. C’est ainsi qu’en moins d’un an, deux personnes jamais recherchés par le TPIR furent arrêtés en France et proposées d’être extradées au Rwanda. M. Claver Kamana et d’ores et déjà en attente d’être livré à Kagame, la Cour d’Appel ayant validé l’arrêt d’extradition. Le Lt Colonel Marcel Bivugabagabo arrêté en 2007 attend encore son sort.
Les événements se sont précipités avec la nomination de Bernard Kouchner au poste de ministre des Affaires étrangères. On se souviendra de son voyage à Kigali où il a évoqué « une faute politique » que la France aurait commise au Rwanda avant la prise du pouvoir par le FPR. Il semble que les têtes de Claver Kamana et de Marcel Bivugabagabo sont à offrir sur le plateau à Kagame pour qu’il daigne reprendre langue avec Paris. Du moins Kouchner le croit-il. Le prix sera-t-il suffisant aux yeux de Kagame ou bien d’autres têtes vont lui être offertes ? L’avenir proche nous le dira.
L’Allemagne
L’Allemagne est le dernier venu dans le club des Etats qui ont cédé aux chantages du régime du FPR. Pendant sa visite officielle dans ce pays effectué du 22 au 24 avril 2008, Paul Kagame demanda et obtint que fut arrêté Onesphore Rwabukombe. Il reçut des promesses que le cas du Dr Ignace Murwanashyaka serait tranché dans les meilleurs délais. Pourtant, ces deux hommes n’étaient pas recherchés par le TPIR. Le premier, Onesphore Rwabukombe, a été Bourgmestre de la commune Muvumba, frontalière avec l’Ouganda. Sa commune fut parmi les premières à être entièrement conquise par le FPR lors offensive finale d’avril 1994. Auparavant toute sa population avait fui les combats et était entassé dans des camps des déplacés à l’intérieur du pays depuis déjà 1992. Depuis cette époque, Rwabukombe n’a plus jamais mis les pieds dans sa commune.
Le second, Ignace Murwanashyaka, n’a plus jamais mis le pied au Rwanda depuis plus de 15 ans. Il était en effet venu poursuivre ses études Allemagne au milieu des années 80. Depuis lors il réside dans ce pays. C’est pour avoir pris la tête d’un mouvement politico-militaire, les Forces de Libération du Rwanda (FDRL), qui défend les droits des réfugiés rwandais en République Démocratique du Congo que sa tête fut mise à prix par le régime du FPR.
Il est vrai que l’Allemagne prête le flanc aux chantages de Paul Kagame. Ce dernier brandit la menace de fermer la station-relais de la « Deutsche Welle » située à Kinyinya dans les faubourgs de Kigali et diffusant sur toute l’Afrique.
Les Etats-Unis en rajoutent en faisant comprendre qu’il pourrait transférer au Rwanda le siège du commandement des forces destinées aux opérations en Afrique (AFRICOM) récemment créées et ayant son siège en Allemagne. En face de tels arguments massues, Onesphore Rwabukombe et Ignace Murwanashyaka ne font pas le poids.
Les pays africains
Dans le cas des pays africains, on ne peut même pas parler d’intérêts économiques ou stratégiques. C’est de la corruption la plus caricaturale. Il suffit qu’un sbire de Kagame se rende dans une capitale d’un pays ‘‘frère’’ muni d’une valise bourrée de billet de dollars pour qu’aussitôt des opposants à Kagame lui soient livrés sans délais.
Les cas de la Zambie et du Gabon sont les plus illustratifs. L’ancienne ministre de la justice, Agnès Ntamabyariro s’est retrouvée à Kigali, alors qu’elle avait trouvé asile en Lusaka en Zambie. Elle fut enlevée par les services secrets de ce pays qui l’ont remise à leurs collègues rwandais. Pour quel prix ?
L’on se souviendra qu’en juillet 1997, une centaine de réfugiés rwandais qui avaient réussi à rejoindre le Gabon furent livrés à Kagame après les avoir embarqués dans une avion en leur faisant croire qu’ils allaient en Afrique du Sud où ils recevraient l’asile politique.
En fin de compte, en considérant les opérations qui s’opèrent dans des pays occidentaux, nous nous apercevons que la volonté de rendre justice n’est pas du tout la base de cet acharnement contre les opposants au régime installé à Kigali en 1994.
C’est donc sous couvert de rendre justice que ce qu’une certaine ‘‘Communauté internationale’’ s’évertue à conforter et à pérenniser un régime du FPR pourtant honni par le peuple rwandais.
Emmanuel Neretse
Bruxelles, le 28 avril 2008