07/07/2006 ( Rwanda )
par Albert- Baudouin Twizeyimana
(Syfia Rwanda) Être propre, porter des chaussures,
utiliser des moustiquaires : telles sont quelques-unes des nombreuses
obligations récemment entrées en vigueur au Rwanda. Les élus locaux, qui
ont signé des contrats de performance avec le gouvernement, font pression sur
les populations souvent démunies pour les faire respecter.
Gare au parent qui envoie son enfant à l’école pieds nus ! Gare à
l’enseignant qui accueille des élèves sans uniforme ! Gare au paysan qui
vient auprès des services publics avec des habits sales ! Depuis début
avril, les Rwandais, en ville comme à la campagne, doivent se soumettre à
une série de nouvelles obligations. Les maires de tous les districts et les
responsables des secteurs, récemment élus, se sont en effet engagés devant
le président de la République à améliorer la situation socio-économique
de leurs populations. C’est l’objet d’un "contrat de
performance" qui précise les objectifs à atteindre et le délai
imparti.
Les dirigeants des secteurs du district de Nyarugenge de Kigali ont par
exemple fait le pari que, d’ici un an, 70 % de la population aura adhéré
à la mutuelle de santé, que 90 % des femmes enceintes accoucheront à l’hôpital
et que tous les bureaux des secteurs reculés seront éclairés à l’énergie
solaire…
Mais pour la population, les engagements des leaders sont devenus des
contraintes. Ainsi, dans la province de l’Est, aucun enfant n’est admis à
l’école s’il ne porte pas de souliers ou d’uniforme. Bon nombre ont été
chassés et risquent d’abandonner l’école pour de bon. "Cette mesure
porte atteinte au noble objectif d’éducation pour tous", avertit un
enseignant de Rwamagana, qui, depuis deux mois, enregistre une dizaine
d’absences dans sa classe chaque jour. "Ma fille faisait sa 4e année
primaire ; aujourd’hui elle ne peut plus y retourner. Comment voulez-vous
que les parents qui ne parviennent pas à nourrir leurs enfants leur
fournissent d’abord les souliers et les uniformes d’école ? Les autorités
doivent différencier le luxe du nécessaire", s’exclame, très en colère,
un parent de Ruhinga, district de Ngoma.
Obligations coûteuses, lourdes amendes
La liste des obligations est longue : outre le port des
chaussures pour tous, les Rwandais doivent aussi construire des toilettes,
faire des fosses à compost, sécher la vaisselle sur des tables et non plus
sur l’herbe, dormir sous des moustiquaires imprégnées, utiliser les foyers
améliorés, porter des vêtements propres sitôt rentrés des champs, adhérer
à une mutuelle de santé… Pour une famille de 7 personnes, le coût annuel
des principales mesures prises s’élève à plus de 150 €, bien plus que
le revenu annuel d’un Rwandais moyen.
Pour ceux qui ne se soumettent pas à ces exigences, les sanctions pleuvent.
Dans l’Est, un foyer sans toilette ou fosse à compost se voit infliger une
amende de 5 000 Frw, soit 7 € environ. Une famille qui ne dort pas sous une
moustiquaire est taxée de la même somme. Pour échapper aux sanctions, les
hommes de certains secteurs du district de Bugesera fuient en brousse lorsque
les responsables font des tournées dans les maisons.
Les villageois se plaignent de la rigide et brutale application des mesures
auxquelles ils ne sont pas préparés et qui ont été prises sans les
consulter. Dans la plupart des cas, les explications sur les objectifs
poursuivis par les élus ne leur ont pas été données ou le temps leur a
manqué pour les assimiler. Mal comprises, elles passent mal. "La
contradiction consiste en ce que les villageois payent les amendes qui leur
sont infligées, alors qu’ils refusent de faire le nécessaire dans l’hygiène,
se disant incapables", s’étonne un chargé des Affaires sociales qui
préfère taire son nom.
Changer les mentalités
Cependant, là où ces nouvelles réglementations sont appliquées
avec rigueur ces derniers mois, on constate un réel changement dans l’hygiène
des gens qui, peu à peu, s’en trouvent satisfaits, voire fiers. "Les
ordures ne sont pas éparpillées dans tous les endroits, car chacun est suivi
de près et sanctionné quand il n’utilise pas ses fosses à compost",
se réjouit un habitant de Karenge, district de Ngoma.
Certains élus veulent aller plus vite que d'autres. Les autorités de la
province de l’Est envisagent ainsi de démolir les paillotes qui dominent la
région. D’après elles, l’objectif est non seulement d’avoir un habitat
décent, mais aussi de changer les mentalités. "Il est inconcevable de
voir un paysan agri- éleveur qui a une dizaine de vaches et vit dans une
paillote comme un misérable", explique le maire d’un district. Pour
certains éleveurs, la maison au toit en tôles porte malheur au bétail. Mais
le nouveau gouverneur, Théoneste Mutsindashyaka, ancien maire de la ville de
Kigali, n'en a cure et exhorte chacun à "suivre la vitesse du train de développement
moderne".
Les villageois qui en ont les moyens devront construire des maisons en matériaux
durables. Les nécessiteux qui sont actuellement répertoriés recevront des tôles
à crédit. Pourront-ils les rembourser ?