[DHR] Kanyabayonga décembre 2004 : le financement de l'invasion avortée de la RDC demeure un mystère!

Il est de notoriété publique que le régime FPR est militariste. Ce qui l’est moins, c’est la manière dont il s’y prend pour financer ses nombreuses guerres, couvertes ou ouvertes. Le rapport du panel des N-U sur le pillage des ressources de la RDC a donné quelques pistes sur le financement des opérations militaires que le régime FPR a menées dans ce pays entre 1998 et 2002, au moment du retrait officiel de ses corps expéditionnaires.

 

Depuis 2002, on peut donc se demander comment il finance ses opérations militaires couvertes en RDC ou ailleurs dans la région. On sait qu’en juin 2004, à travers les officiers Jules MUTEBUTSI et Laurent NKUNDABATWARE, le gouvernement FPR a tenté, sans succès, de relancer la guerre. L’objectif non avoué ou tout au moins la conséquence inévitable qu’aurait entraîné cette guerre aurait été l’arrêt ou le déraillement du processus de transition en cours en RDC depuis le 30 juin 2003.

 

En décembre 2004, il est revenu à la charge, en envoyant un corps expéditionnaire dans le Nord-Kivu, dans la région de Kanyabayonga. Le gouvernement de transition congolais a réagi à cette nouvelle agression en dépêchant 10.000 hommes en renfort dans cette partie de son territoire. Kagame a réagi de trois façons. Il a d’abord affirmé depuis le Sénégal où il était en visite officielle que ses troupes pourraient se trouver déjà en RDC. Ensuite, il s’est rétracté et a envoyé une lettre à l’Union Africaine, dans laquelle il demandait (sic) l'autorisation de mener en RDC des « opérations chirurgicales » en territoire congolais prétendument destinées à désarmer « les génocidaires ». Enfin, pour éviter que l’arrivée des renforts congolais ne détruise son corps expéditionnaire ou à défaut ne le force à envoyer lui-même des renforts et donc à se découvrir, il a maquillé son intervention  en utilisant la couverture d’une prétendue mutinerie de « Congolais rwandophones, membres des FARDC (prétendument) opposés » au déploiement des renforts envoyés par le gouvernement légal de RDC!

 

Personne ou presque personne ne s’est demandé comment Kagame avait prévu de financer ces opérations. Dans cette courte discussion, j’ai tenté de voir comment il a pu procéder. D’habitude, un gouvernement légal qui prévoit ou décide d’aller en guerre doit en évaluer le coût, présenter une requête à son parlement afin d’obtenir de ses législateurs le vote de fonds spéciaux nécessaires aux opérations envisagées. Kagame s’est rendu devant son parlement en décembre 2004. A ce moment-là, son parlement était précisément en train d’examiner la loi de finance 2005. On se souvient qu’il n’y est pas allé pour demander à ses députés des crédits pour faire la guerre. De toutes façons, il avait déjà déclaré la guerre contre la RDC avant de se rendre au parlement. De plus, il l’a fait depuis l’étranger. Ce faisant, il a violé la constitution, pourtant confectionnée sur mesure, qu’il a fait voter en mai 2003. Mais, on sait également qu’il a l’habitude de fouler aux pieds les lois que ses députés et sénateurs adoptent avant même que l’encre utilisé pour les écrire n’ait séché.

 

J’ai donc pris un peu de mon temps pour éplucher la « LOI  N° 41/2004 DU 30/12/2004 PORTANT FIXATION DES FINANCES DE L’ETAT POUR L’EXERCICE 2005 » et essayer de voir si j’allais enfin y découvrir les fonds nécessaires à la guerre annoncée, mais qui était déjà en cours au Nord-Kivu. Kagame a les mains libres pour dépenser les fonds publics puisque « le Président de la République est l’Ordonnateur Général du Budget de l’Etat » (art.5). Il a avait prévu de dépenser environ 368 milliards Frw pour 2005. Jetez un coup d’œil sur ce tableau.

 

TOTAL DES DEPENSES DE L'ETAT

368.283.894.924

 a. Dépenses courantes

236.505.353.055

         - Salaires

55.042.600.000

         - Autres biens et services

60.449.855.224

         - Versement d'intérêts

15.522.421.905

         - Remboursement du principal

28.786.568.149

         - Dotations aux collectivités publiques

3.584.000.000

         - Dotations aux entreprises publiques économiques

500.000.000

         - Dotations aux établissements publics

36.021.634.246

         - Subventions aux ménages

7.308.756.979

         - Transferts et appui sectoriel

821.685.000

         - Contributions aux organismes internationaux

1.388.935.886

         - Dépenses exceptionnelles

27.078.895.666

b. Dépenses en capital

105.820.541.869

c. Prêts nets

18.958.000.000

d. Paiement des arriérés

7.000.000.000

 

 

De façon simplifiée, ces dépenses sont ventilées comme suit :

 

  1. dépenses courantes      :           236 milliards Frw
  2. dépenses en capital      :           106 milliards Frw
  3. prêts nets                     :           19 milliards Frw
  4. paiement arriérés         :           7 milliards Frw

 

On peut supposer que les dépenses destinés ) faire la guerre annoncée étaient prévues soit comme dépenses exceptionnelles, soit comme dépenses courantes du ministère chargé de faire la guerre, à  savoir le ministère de la défense (MINADEF). On ne voit nulle trace de dépenses exceptionnelles dans la ventilation des dépenses de l’Etat présentée ci haut. Mais, puisque « les détails des dépenses de l’Etat sont présentés par Ministère, Province, Ville de Kigali, Service Public et par programme d’activités selon leur caractéristique économique » (art.2), j’ai épluché le budget du Minadef.

 

Pour 2005, les dépenses prévues par le Minadef s’élèvent 30 milliards environ (30.525.153.918 Frw exactement), soit environ 46 millions Euro (taux BNR du 14/10/2005 : 1€ = 665.9432 Frw). Les dépenses du Minadef font partie des dépenses courantes de l’Etat. Si les fonds qui étaient prévus pour faire la guerre sont publics, il faut supposer qu’ils sont compris dans le budget du Minadef. Un bref coup d’œil sur la ventilation de ses dépenses montre que le mystère reste entier. En effet, elles se décomposent comme suit (en milliards Frw) :

 

01 Rwandan army

6

 military operations

3

02 Air force

0.8

 military operations

0.66

03 Navy

0.13

 military operations

0.05

04 Mechanised

0.2

 military operations

0.08

05 Republican guard

0.03

 

 

06 Coordination of military service

20

 

 

07 Peace keeping force

3.4

 

 

 

30.56

 

3.79

 

 

Les fonds prévus pour les opérations militaires, tous services des RDF confondus, dépassent donc légèrement 4 milliards Frw, en prenant en compte celles des opérations de la force déployée au Darfour, soit environ 6 millions Euro, pour toute l’année s’il vous plaît! On croit rêver. Or, on sait que le panel des N-U a estimé que les coûts de la guerre pour les forces rwandaises d’occupation pouvaient être estimés à 1 million de USD par jour, soit environ 300 millions USD par an.

 

Il faut en déduire alors que, soit les déclarations de Kagame était des menaces en l’air, soit il prévoyait de financer ces fameuses "opérations chirurgicales" par des ressources extrabudgétaires (pillage du territoire occupé à cet effet), soit qu’il y a un poste budgétaire sous lequel il a dissimulé les fonds publics destinés à faire cette guerre. Il est rare qu’il bluffe en matière d’opérations militaires. Il est donc impossible pour lui d’avoir prévu des cacahuètes pour faire la guerre. C’est pourquoi, j’ai continué à chercher. Et finalement, j’ai trouvé une rubrique dans les dépenses courantes de l’Etat intitulée en français « dépenses exceptionnelles » et en anglais «Exceptional social expenditures » d’un montant de 27.078.895.666 Frw, soit environ 27 milliards Frw (40.6 millions Euro).  Kagame doit expliquer ce qu’il entend par dépenses sociales exceptionnelles.

 

Kagame devrait expliquer aux contribuables rwandais comment il entendait financer la guerre qu’il avait déclarée contre la RDC en décembre 2004. Les ressources du Rwanda appartiennent aux Rwandais. Nul n’a le droit de s’en servir à des fins que les Rwandais ignorent. Surtout lorsque ces fins n’ont aucun rapport avec leurs intérêts bien compris. Car enfin, lorsqu’une guerre est juste, les Rwandais sont les seuls à juger si elle l’est ou pas. Car en définitive, ce sont eux qui en payent doublement le prix : prix humain et prix tout court. Dans ce cas, on se demande si on n’est pas en présence d’une manipulation de la loi de finance pour dissimuler des fonds publics dont la destination finale est inavouable.

 

On sait que la facture énergétique est colossale en 2005, puisque le baril frôle les 60 Euro. On en connaît également les répercussions sur la vie des Rwandais. Puisque en 2004, l’inflation a atteint près de 15% et que la production du secteur agricole a baissé pour la deuxième année consécutive, de l’aveu même du gouvernement FPR (lire sur le site www.minecofin.co.rw le document « Rwanda Annual Economic Report 2005 »). 

 

Si les 27 milliards évoqués ci haut devaient servir à faire la guerre, on aurait là encore une confirmation, s’il en était encore besoin, que le gouvernement FPR se fiche des Rwandais, tous ensemble, y compris ceux qu’il prétend préserver de la menace d’un « nouveau génocide ». Enfin, qu’on imagine un peu quelles auraient été les bénéfices de l’affectation des 27 milliards en question, non pas à de prétendues dépenses (sociales, sic) exceptionnelles inavouées mais à la stabilisation des prix intérieurs des produits pétroliers. Il est intéressant de noter que Kagame ne prévoyait que 7 milliards pour le stock stratégique de pétrole! Eh oui! La guerre d'abord, le peuple, peut-être, ensuite!Un montant de toutes façons dérisoire, eu égard à la flambée des prix des produits pétroliers sur le marché rwandais et à la détresse qui en découle pour les 60% de ménages rwandais, urbains ou ruraux, qui vivent avec moins d’1 Euro/jour.

 

Il est intéressant de noter que le groupe d’experts du FMI qui vient de rendre un rapport sur l’état d’avancement du programme de réduction de la pauvreté n’a noté aucun problème à ce niveau. La collusion entre certains milieux internationaux et le régime de Kigali est à ce point aveuglante! Kigali n’a pas les moyens de faire la moindre guerre, sans l’aval de ses sponsors étrangers. Pour s’en convaincre, qu’on regarde comment il finance ses recettes.

 

Dépenses (en milliards Frw)

% par rapport aux recettes intérieures

Recettes (en milliards Frw)

%

dépenses courantes

236

149%

ressources intérieures

158

43%

dépenses en capital

106

67%

ressources extérieures

210

57%

prêts nets

19

12%

          dont dons

156

42%

paiement des arriérés

7

4%

          dont emprunts

54

15%

Dépenses totales

368

233%

recettes totales

368

100%

 

 

Les ressources du gouvernement FPR proviennent essentiellement de l’étranger  puisque les ressources extérieures représentent de 57% de ses recettes totales. S’il devait se passer des dons de ses protecteurs, il ne couvrirait que 67% de ses dépenses courantes, uniquement. L’essentiel de ses ressources extérieures, soit 74%, est constitué de dons. Des dons justement. Les dons sont les meilleurs instruments d’asservissement qui soient. Ils lient le « bénéficiaire » à son « bienfaiteur » à vie. N’étaient-ils pas le fondement de la féodalité, au Rwanda précolonial, dans lequel la vache servait de monnaie ? Les Rwandais connaissent bien cette dialectique puisqu’ils ont mis plusieurs siècles pour s’en défaire…pour tomber dans le colonialisme, il est vrai.

 

Les dons sont susceptibles d’être stoppés par les donateurs puisqu’ils les accordent à titre gracieux. Ce que les donateurs qui financent son budget attendent du gouvernement FPR, c’est non pas un remboursement en espèces, mais un remboursement sous forme de bénéfices politiques, diplomatiques ou militaires. L’un de ces bénéfices est de faire la guerre à leur place. C’est le cas du Darfour. Les soldats du petit Rwanda, livré au bon vouloir d’un dictateur aussi militariste que criminel, à la tête de l’un des 20 pays les plus pauvres et les plus endettés du monde, devant occuper une armée pléthorique, fractionnée, et désormais désoeuvrée depuis que les campagnes congolaises ont été stoppées, ne peuvent en effet que coûter moins cher que les GI’s ou les soldats de sa majesté la Reine Elisabeth. Voilà pour le Darfour et le battage médiatique que Kigali en fait depuis des mois.

 

Mais, pour l’aventure de décembre 2004, il semble que le vassal ait voulu utiliser l’argent de ses maîtres pour se livrer à sa petite guerre ! Affaire à suivre.