Agence
Hirondelle d'information, de documentation et de formation, Arusha
(Tanzanie): News
11.11.05
RWANDA/GENOCIDE - «LA DERNIERE ETAPE A
FRANCHIR EST CELLE DE LA VERITE ET DE LA JUSTICE», ESTIME ANDRE GUICHAOUA
(INTERVIEW)
Arusha, 10 novembre 2005 (FH) - André Guichaoua,
professeur de sociologie à la Sorbonne et témoin- expert auprès du Tribunal pénal
international pour le Rwanda (TPIR) estime dans une interview accordée à
l’agence Hirondelle que cette juridiction doit assumer son mandat jusqu’au
bout en s’attaquant aux crimes de guerre du Front patriotique rwandais (FPR),
l’ancienne rébellion à dominante tutsie aujourd’hui au pouvoir à Kigali.
Hirondelle: Vous venez d’écrire la postface
d’un livre dans lequel un ancien officier de l’Armée patriotique rwandaise
(APR) raconte des crimes de guerre commis par son armée lors de la guerre de
1994. N’appartient-il pas au tribunal pénal international pour le Rwanda
(TPIR) de s’emparer de ces dossiers?
André Guichaoua: Effectivement, le TPIR est au cœur
de cette problématique et, depuis sa création, les autorités rwandaises ont déployé
une énergie considérable pour bloquer toute velléité de poursuites
concernant les crimes de guerre et contre l’humanité accomplis par l’armée
victorieuse. Pour diverses raisons d’opportunité ou de fond, tous les
procureurs ont renoncé. Il était évidemment légitime d’accorder une
priorité absolue aux crimes de génocide.
Hirondelle: Pensez vous que le TPIR limite de lui-même
son mandat?
André Guichaoua: En raison de la confiance de témoins
courageux, le TPIR dispose vraisemblablement de la plus importante base de données
pour documenter ces crimes mais l’institution s’est de facto transformée en
étouffoir.
Ainsi, il est étonnant de voir une juridiction française
enquêter sur un des faits majeurs et parmi les plus controversés de cette
guerre, l’attentat contre l’avion du président Habyarimana. Une juridiction
internationale aurait pu lever tous les soupçons de politisation du dossier par
un pays directement engagé auprès d’un des camps en conflit.
Mais rétrospectivement, quand on constate l’énergie
déployée par les plus hautes autorités des Nations unies pour effacer leurs
propres responsabilités sur le rôle de ses forces avant et au début du génocide,
dans la dissimulation des massacres comme celui de Kibeho [camp de déplacés où
près de 5000 Hutus ont été tués en 1995] ou la pseudo disparition de la boîte
noire du Falcon présidentiel - mieux vaut pouvoir débattre publiquement des «preuves»
du futur dossier Bruguière que d’accepter l’étouffement concerté de tels
crimes.
Hirondelle: Doutez-vous de la démarche du
procureur, Hassan Bubacar Jallow, qui nous a dit qu’il était en train
d’examiner les preuves de ces dossiers de crimes de guerre?
André Guichaoua: Je n’ai pas de raison de douter
de sa volonté, alors même qu’il dispose d’un faisceau de preuves et
d’une multitude de témoins potentiels qui désormais permettraient
d’avancer très vite. Mais les oppositions internes et externes pourraient
s’imposer à lui comme aux autres.
En interne, rares sont ceux qui veulent prendre le
risque d’une paralysie totale du tribunal en raison du chantage aux témoins
exercé par les autorités de Kigali (1). Et la solution préconisée par
certains de rétrocéder les dossiers [concernant les crimes présumés commis
par le FPR] aux autorités de Kigali reviendrait comme l’expérience le prouve
malheureusement, et je pèse mes mots, à leur donner les noms et adresses des témoins
à assassiner.
En externe, les chancelleries depuis plus de 10 ans
se sont toujours pliées aux exigences de Kigali. Mais ces soutiens sont désormais
incertains, leurs motivations sont plutôt liées à la «capacité» du Rwanda
de déstabiliser la région toute entière.
Maintenant que la transition burundaise s’est
achevée, que le processus congolais approche de son terme, que la compréhension
des enchaînements sanglants dans toute la région a progressé de manière décisive
et que la monstruosité des stratégies mortifères des divers belligérants
apparaît en pleine lumière, on peut penser que la dernière étape à franchir
est celle de la vérité et la justice.
C’est un ultime devoir à rendre à toutes les
victimes et un gage pour les populations et leurs élites chargées de
construire le futur.
Hirondelle: Le livre de Ruzibiza annonce-t-il
d’autres témoignages?
André Guichaoua: La concentration des pouvoirs et
l’isolement du président Kagame ont largement désenchanté les bases de la
propagande sur la libération du Rwanda, soigneusement entretenue depuis le génocide.
En se transformant en un banal système de terreur,
le régime a dissout les solidarités, chacun des complices de ses crimes
pouvant disparaître du jour au lendemain s’il est soupçonné de trahir les
secrets.
D’autre part, nombre d’entre eux doutent désormais
de la capacité du régime de Kigali à bloquer les multiples procédures
judiciaires en cours ou à l’échelon international et n’hésitent plus à
livrer sous le couvert des témoignages qui les dédouaneraient.
(1) Les procès du TPIR font très souvent comparaître
des témoins venant du Rwanda. Par le passé, certains de ces témoins ont
parfois été empêchés de se déplacer à Arusha, faisant prendre du retard
aux procès.