Quels
acquis réels pour la troisième république rwandaise ?
Hier c’était la date du onzième anniversaire du gouvernement FPR. C’est dire combien le temps passe impitoyablement, sans se soucier des tergiversations de notre cheminement vers la conquête d’une vraie paix sociale. Ainsi, l’année prochaine, le régime issu de « la libération » de 1994 aura le même âge que celui qui fit suite à « la révolution » de 1959.
Mais, l’objet de mon propos ne sera pas d’établir un parallélisme entre ces deux régimes qui, quoiqu’ ayant des visées radicalement opposées, partagent fondamentalement la nature des revendications de légitimité : le premier disait avoir « libéré les Hutu du joug féodal tutsi », l’autre clame avoir « libéré le Rwanda et les Tutsi en particulier de l’emprise du régime raciste hutu ». Selon cette vision binaire ethnique des choses, le régime de Habyarimana n’aura été qu’une continuité et un héritier naturel de son frère jumeau de la première république.
Hier c’était la date du onzième anniversaire du gouvernement FPR. C’est dire combien le temps passe impitoyablement, sans se soucier des tergiversations de notre cheminement vers la conquête d’une vraie paix sociale. Ainsi, l’année prochaine, le régime issu de « la libération » de 1994 aura le même âge que celui qui fit suite à « la révolution » de 1959.
Mais, l’objet de mon propos ne sera pas d’établir un parallélisme entre ces deux régimes qui, quoiqu’ ayant des visées radicalement opposées, partagent fondamentalement la nature des revendications de légitimité : le premier disait avoir « libéré les Hutu du joug féodal tutsi », l’autre clame avoir « libéré le Rwanda et les Tutsi en particulier de l’emprise du régime raciste hutu ». Selon cette vision binaire ethnique des choses, le régime de Habyarimana n’aura été qu’une continuité et un héritier naturel de son frère jumeau de la première république.
Le
devoir d’une évaluation objective
Si aujourd’hui je suis de ceux qui souhaitent l’ouverture d’un débat franc sur les principaux sujets qui constituent les tabous de l’histoire politique rwandaise, c’est que je crois fermement qu’il est diabolique d’entretenir un silence forcé sur ces sujets. Mais, je ne suis pas sans savoir qu’au stade actuel, le débat sur les choix stratégiques et les réalisations socio- politiques du régime en place ressemble souvent à une sorte de pugilat où les uns affirment que tout va absolument bien dans « le nouveau Rwanda » et les autres rétorquent que rien ne peut aller dans un pays où règnent la terreur et l’exclusion.
La confrontation entre les deux principaux protagonistes de la dispute revêt même les caractères d’une croisade; à tel point que les fervents du nouvel ordre politique rwandais affirment être persuadés que ceux qui critiquent l’action du régime sont uniquement animés par une haine ethnique. Ils affirment ainsi que certains Hutu, qualifiés d’extrémistes ou même de génocidaires, sont allergiques à l’idée d’être dirigés par un président tutsi.
Mon point de vue est qu’effectivement la société rwandaise comporte en son sein quelques « fous de dieu », opposés radicalement au projet de la cohabitation pacifique entre toutes les composantes de la société. Mais, à force de vouloir mettre tout le monde dans le même sac, on gonfle artificiellement le poids de ces marginaux qui se retrouvent tant parmi les Hutu que parmi les Tutsi. L’autorité qui se laisse aller à ces états d’âme, au lieu de prouver son mérite par l’attitude et l’action, manque cruellement à son devoir de servir objectivement la nation. Une telle autorité ne reconnaît pas la nécessité de la légitimation de son pouvoir par le peuple. Elle se comporte elle-même comme une victime ou un miraculé du génocide et à ce titre, elle s’impose en dictateur éclairé.
Les
acquis souvent évoqués.
1. Le rapatriement des réfugiés d’avant 1990. L’épineux problème des réfugiés tutsi qui datait de 1959 a été l’une des manifestations majeures de l’échec de la révolution de 1959. Ce fut aussi un bel argument pour dénoncer l’exclusion qui a frappé cette catégorie de Rwandais pendant des décennies, et un prétexte solide pour justifier la guerre de 1990. Les arguments de la défense qui tentent de faire valoir des hypothétiques efforts qui auraient été déployés par le régime de Habyarimana pour régler ce contentieux avant le déclenchement de la guerre de 1990 ne résistent pas aux preuves de la mauvaise foi qui a caractérisé la méconnaissance active de ce problème, jusqu’au bout.
2. L’unité nationale. Même s’il faut reconnaître que le programme de l’unité d’un peuple est un processus qui ne peut se réaliser du jour au lendemain, au Rwanda on explique les réalisations actuelles en la matière par l’existence d’un gouvernement bi-ethnique, la suppression de la mention ethnique dans les documents d’identité, l’accès équitable à l’enseignement, l’ouverture formelle de l’accès de chaque Rwandais à son pays sans condition, l’absence apparente d’une propagande ethnique, etc.
3. La sécurité. L’absence de guerre constitue l’argument du régime en faveur de la paix et la sécurité sur tout le territoire national.
4. Le développement. D’aucuns reconnaissent que la ville de Kigali est splendide, comparée à ce qu’elle était avant le génocide et aux autres capitales d’Afrique.
5. Les relations internationales. Après le génocide de 1994, le Rwanda et le gouvernement rwandais en particulier ont pu compter sur la compassion et la solidarité internationale, en vue de la reconstruction du tissu social et économique. Notre pays est ainsi devenu célèbre et ses officiels ont bénéficié d’une écoute attentive à travers des forums internationaux ou dans les démarches de relations bilatérales. Le bénéfice du doute et un état de grâce sans limites ont été les attitudes générales du monde entier à l’égard du Rwanda. A cela s’ajoutent les effets d’un sentiment de culpabilité largement répandu au sein de la communauté internationale, pour sa passivité devant l’accomplissement du génocide. Mais, par-dessus tout, le régime de Kigali est assuré des soutiens tous azimuts émanant de lobbies américains et britanniques, dans le cadre d’une convergence structurelle d’intérêts et du parrainage dont le FPR a bénéficié de la part de ces lobbies, déjà à son stade de rébellion.
6. La réconciliation nationale. Comme l’unité nationale, le projet de réconciliation est considéré comme accompli et les symboles en sont notamment « l’intégration » dans l’armée d’éléments de l’ancienne armée déchue, le rapatriement de réfugiés hutu, et les tribunaux gacaca, présentés surtout à la communauté internationale comme une sorte de magie judiciaire, essentiellement réparatrice.
En décidant de livrer mon point de vue sur la fragilité des acquis du processus de reconstruction piloté d’une main de fer par le régime du FPR, je ne m’attends absolument pas à influencer par les belles paroles les choix vitaux des maîtres de Kigali. C’est que tout simplement il serait infernal et contradictoire de ma part de ne pas mentionner ne fut-ce que le caractère virtuel et pour le moins superficiel des acquis en question. Bien sûr, je n’ai pas non plus de temps ni d’énergie à perdre dans des combats inutiles visant à convaincre coûte que coûte des fanatiques de quelque bord que ce soit. J’aimerais simplement solliciter des réactions en mesure de contredire mon assertion par l’apport d’éléments tangibles qui prouvent la solidité du processus en question. Tout comme je suppose que des faits et des analyses plus pertinentes pourraient être apportés par d’autres pour étayer les miens.
En définitive, je réitère ma conviction que seul un débat franc sur les problèmes fondamentaux de notre société et les remèdes à y apporter est à même de pouvoir éviter le pire à notre peuple et à chacun de nous le risque de devoir un jour supporter à lui seul les conséquences inévitables de l’étouffement de la liberté de pensée des Rwandais, au nom d’une bizarre volonté d’unité nationale. Ce n’est pas en imposant la chanson des faux acquis d’une libération conditionnelle que nous parviendrons à réaliser l’objectif, pourtant noble et même incontournable, de l’unité entre les Rwandais.
Joseph Ndahimana