Le dossier d'extradition de Sosthène Munyemana est beaucoup trop vague
(Sud
Ouest 05/02/2010)
BORDEAUX. La chambre de l'instruction a ordonné hier un complément d'information
dans l'affaire du médecin rwandais de Villeneuve-sur-Lot, dont l'extradition est
demandée.
Le docteur Sosthène Munyemana, dont le Rwanda demande l'extradition, espérait
une décision favorable et rapide. Il va rester pendant plusieurs mois dans
l'expectative.
Hier, la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Bordeaux a ordonné un
complément d'information et renvoyé l'examen de l'affaire au 3 juin, le temps
pour le procureur général de Kigali de compléter le dossier transmis à l'appui
de sa requête. Les magistrats girondins ont estimé qu'il était par trop imprécis
pour qu'ils puissent statuer en connaissance de cause.
Témoin assisté
Âgé de 54 ans et domicilié dans l'agglomération bordelaise, Sosthène Munyemana,
d'origine hutue, exerce depuis huit ans à l'hôpital de Villeneuve-sur-Lot. Dès
son arrivée à Bordeaux, où il a rejoint son épouse après la victoire des Tutsis,
il a été soupçonné d'avoir participé au génocide. Il est visé depuis 1995 par
une information judiciaire ouverte après la plainte déposée par plusieurs de ses
compatriotes.
De nombreux témoignages à charge ont été recueillis dans le cadre de
l'instruction, toujours en cours à Paris. Mais, selon le médecin, les documents
qui l'accablent seraient des faux confectionnés par des proches de l'actuel
pouvoir rwandais.
Le praticien, qui clame avec véhémence son innocence, n'a d'ailleurs pas été mis
en examen. Il a seulement été entendu par le magistrat instructeur, sous le
statut de témoin assisté.
Accusations trop vagues
Le gouvernement français entretient depuis le génocide des relations
conflictuelles avec son homologue rwandais. Il n'a, pour l'instant, jamais
extradé les Hutus réfugiés sur son sol et accusés d'avoir pris part aux tueries.
En 2007, c'est par l'entremise de l'ambassade de Belgique à Kigali que le Rwanda
a demandé à la France la remise de Sosthène Munyemana, sur le fonde- ment d'un
mandat d'arrêt international.
Le médecin est poursuivi pour avoir, entre avril et juillet 1994, donné la mort
à trois personnes sur le campus de l'université de Butare et prêté la main à
plusieurs assassinats. La justice rwandaise lui reproche aussi d'avoir participé
à l'élaboration d'un plan d'extermination. Ce que le praticien conteste
formellement.
Le juge de l'extradition n'a pas en droit la possibilité d'apprécier les charges
retenues contre un suspect. Il doit simplement vérifier si la requête du pays
demandeur respecte les conditions imposées par la législation française et les
normes internationales en la matière.
Tel n'est manifestement pas le cas du dossier soumis à la chambre de
l'instruction de Bordeaux. Les crimes imputés à Sosthène Munyemana ne sont pas
décrits avec suffisamment de précision. À leur lecture, il est impossible de
savoir de quels actes il doit exactement répondre, les accusations de génocide,
de crime contre l'humanité étant rédigées en termes trop généraux.
« Mort sur la conscience »
Le gouvernement rwandais dispose de quelques semaines pour reprendre son dossier
et produire, entre autres, les textes de loi applicables aux faits incriminés. «
Si je suis extradé, Bernard Kouchner aura ma mort sur la conscience », a lancé
Sosthène Munyema lorsqu'il s'est expliqué, le 21 janvier, devant la chambre de
l'instruction.
Auteur : DOMINIQUE RICHARD
d.richard@sudouest.com
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