AFP | 26.08.10 | 13h48
Un rapport du Haut commissariat de l'ONU aux droits de l'Homme, révélé jeudi par le journal français Le Monde, estime que des faits de "génocide" ont pu être commis en République démocratique du Congo (RDC) en 1996-98 par des militaires rwandais ou soutenus par le Rwanda.
Dans ce document dont le quotidien dit s'être procuré une version quasi-définitive, les enquêteurs des nations unies estiment que "les attaques systématiques et généralisées -- contre des Hutu réfugiés en RDC après le génocide de 1994 contre les Tutsi -- révèlent plusieurs éléments accablants qui, s'ils sont prouvés devant un tribunal compétent, pourraient être qualifiés de crimes de génocide".
Interrogé par l'AFP à Genève, le porte-parole du Haut commissariat de l'ONU Rupert Colville a affirmé que Le Monde avait "une mauvaise version du rapport", tout en refusant de se prononcer sur le fond de l'article. "Il s'agit d'un projet datant de deux mois et la version définitive sera prête très prochainement", a-t-il dit.
Ce rapport de 600 pages, qui présente une radiographie des crimes commis durant la décennie 1993-2003, se réfère en l'espèce aux faits imputés à l'Armée patriotique rwandaise (APR) durant la première guerre dans l'ex-Zaïre (1996-98) et à son alliée l'Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo (AFDL), coalition soutenue par Kigali et menée par Laurent-Désiré Kabila (père de l'actuel président congolais) qui a pris le pouvoir à Kinshasa en mai 1997.
Le rapport décrit "la nature systématique, méthodologique et préméditée des attaques contre les Hutu (qui) se sont déroulées dans chaque localité où des réfugiés ont été dépistés par l'AFDL/APR sur une très vaste étendue du territoire".
"L'ampleur des crimes et le nombre important de victimes, probablement plusieurs dizaines de milliers, sont démontrés par les nombreux incidents répertoriés dans le rapport. L'usage extensif d'armes blanches (principalement des marteaux) et les massacres systématiques de survivants après la prise des camps démontrent que les nombreux décès ne sont pas imputables aux aléas de la guerre", est-il aussi écrit, selon Le Monde.
Plus d'un million de Hutu du Rwanda s'étaient réfugiés dans l'ex-Zaïre (devenu RD Congo), craignant des représailles du Front patriotique rwandais (FPR, dominé par les Tutsi) arrivé au pouvoir à Kigali à l'été 1994, après le génocide qui avait visé la minorité tutsi et certains Hutu.
L'objectif de l'APR, outre son soutien à l'AFDL qui devait libérer Kinshasa de 32 ans de règne de Mobutu, était de démanteler les camps de réfugiés hutu rwandais où se cachaient, parmi les civils, d'ex-militaires et miliciens ayant activement participé au génocide.
Le Monde affirme que le président rwandais Paul Kagame a tenté d'empêcher la publication de ce rapport et menacé de retirer les troupes rwandaises des opérations de l'ONU.
Dans une lettre au secrétaire général Ban ki-Moon citée par le quotidien, la ministre rwandaise des Affaires étrangères Louise Mushikiwabo reprend cette menace "de revenir sur ses divers engagements auprès des Nations unies" dans le cas où le rapport "serait publié ou ferait l'objet de fuites dans la presse".
Les massacres commis par l'APR et l'AFDL contre des civils Hutu rwandais mais aussi congolais avaient fait l'objet en 1997 d'une mission d'enquête de l'ONU dont l'AFP avait obtenu copie en 2005.
Jamais achevée et constamment entravée par Kinshasa -- où Laurent-Désiré Kabila régnait alors -- cette enquête avait conclu à l'hypothèse d'une "intention génocidaire", lors de massacres systématiques commis dans des camps mais aussi à travers le pays, les civils hutu qui fuyaient étant "pourchassés et exécutés".
Le Monde précise par ailleurs que le rapport n'incrimine pas que le Rwanda. Entre 1998 et 2003, au moins 8 armées nationales et 21 groupes armés irréguliers ont pris part à "la deuxième guerre" de RDC.