Que cherche le général? Roméo Dallaire veut-il élucider
la tragédie rwandaise ou brouiller les pistes?
La Presse Forum, samedi 3 janvier 2004, p. A23
Participant au Point de Radio-Canada, le 14 septembre 1994, soit une semaine après son retour du Rwanda, Roméo Dallaire a répondu à la question suivante posée par un Rwandais: "Est-ce que selon vous, il y a eu un génocide au Rwanda, c'est-à-dire l'exécution d'un plan pour éliminer l'ethnie tutsi du Rwanda?
" La réponse du général était on ne peut plus claire: "Moi je dirais qu'il y a eu génocide national, mais un génocide de philosophie politique, non pas purement ethnique. Beaucoup de Hutus comme beaucoup de Tutsis ont été tués... Je pense que le débordement qu'on a vu a été au-delà de pouvoir être conçu. Mais jamais, je pense, personne n'aurait pu planifier l'ampleur du débordement."
De même, le 28 mars 1994, une semaine avant l'attentat du 6 avril contre les présidents Habyarimana et Ntaryamira, du Rwanda et du Burundi, qui a déclenché les massacres, le général Dallaire a exprimé exactement les mêmes doutes quant à l'existence d'un "master plan qui viserait une confrontation" lorsqu'il a briefé des ambassadeurs de pays concernés aux bureaux de l'ONU, à New York. (Note de l'ambassadeur belge P. Noterdaeme au ministère des Affaires étrangères).
Le contraire
Aujourd'hui, près de dix ans plus tard, le même général signe un livre
dans lequel il tente par tous les moyens de dire le contraire. Il le dit en
conclusion: "La responsabilité du génocide rwandais incombe exclusivement
aux Rwandais qui l'ont planifié, commandé, supervisé et finalement dirigé."
Et il le répète sur presque toutes les 700 pages de son livre, soit par
insinuations et allusions soit par accusation directe.
Or il n'y rien dans son livre qui permet de conclure qu'il y a eu planification de génocide, comme il n'y a rien dans la preuve présentée depuis huit ans de procès au Tribunal pénal international sur le Rwanda à Arusha. Qui croire: le Dallaire qui répond spontanément au lendemain de son retour du Rwanda ou le Dallaire de l'histoire officielle écrite présentée dans un livre écrit par une équipe, d'abord en anglais avant d'être traduite en catastrophe vers le français?
En fait, le long récit signé par Roméo Dallaire ne fait malheureusement que reprendre les très nombreuses idées reçues au sujet de la tragédie rwandaise, tout en épaississant le brouillard. Lorsque le général témoignera devant le Tribunal, le 19 janvier prochain, il serait intéressant de voir comment lui et son récit résisteront au contre-interrogatoire serré des avocats de la défense. Mais, malheureusement, les médias ne s'intéressent qu'aux décisions, jamais aux procès.
Ce sera, en effet, la première fois qu'on l'interroge vraiment et à la lumière de ce qu'il a signé dans un livre. Alors qu'on aurait espéré qu'au moins un journaliste du Québec, ou du Canada, lui pose quelques questions difficiles sur son rôle au Rwanda, tous ont manifesté une complaisance étonnante, lui permettant de s'épancher librement sans jamais le contredire.
Des questions
Une tragédie d'une telle ampleur exige autre chose que la complaisance. Voici
donc quelques questions soulevées par M. Dallaire auxquelles il se doit de répondre.
Au Rwanda, contrairement à ce que l'on dit erronément, Roméo Dallaire n'était pas le chef de la mission de l'ONU, mais seulement le commandant de la composante militaire. Jacques-Roger Booh-Booh, représentant spécial du secrétaire général de l'ONU, était le chef de la mission. Alors que Roméo Dallaire, de son propre aveu, ne savait pas où se trouvait le Rwanda avant d'y aller en 1993 et ne connaissait rien en politique, M. Booh-Booh était un diplomate camerounais chevronné ayant été ambassadeur de son pays notamment en URSS (15 ans) et en France (4 ans) et ministre des Affaires étrangères.
Pourquoi Dallaire s'est-il permis d'enfreindre les règlements les plus élémentaires d'une mission de maintien de la paix- et de s'en vanter (p. 272)- en communiquant directement, par-dessus la tête de son chef, avec son ami le général Maurice Baril, à l'ONU, ainsi qu'avec le chef des missions de maintien de la paix, Kofi Annan?
N'est-il pas venu à l'esprit du général canadien que M. Booh-Booh, même en étant africain, pouvait comprendre mieux que lui les complexités de la politique rwandaise et des relations internationales en Afrique? Ne sait-il pas que la meilleure façon de miner une mission est de contourner le chef et surtout de le faire savoir à l'une des parties à la guerre? N'est-ce pas non plus la meilleure façon de se faire manipuler, en l'occurrence par le l'armée du Front patriotique rwandais (FPR)? À voir ce comportement, il n'est pas surprenant que la France a demandé officiellement au Canada de le destituer du poste de commandant militaire et ce, même avant le début des massacres.
Pourquoi le général Dallaire a-t-il manifesté un parti pris flagrant en faveur de l'armée du FPR? Si des doutes persistaient à ce sujet, le livre de Dallaire les fait disparaître. Dallaire a accepté de coucher au quartier général du FPR à plusieurs reprises. Sa sympathie à l'égard des dirigeants de cette armée ressort clairement. En racontant son départ du Rwanda, Dallaire rappelle tendrement sa soirée pendant la catastrophe avec Pasteur Bizimungu, dirigeant du FPR et futur président: "Après avoir évoqué nos discussions à Mulindi (quartier général du FPR), où nous causions entre amis, tard dans la nuit, nous avons terminé la rencontre de manière officielle, du personnel circulant un partout autour de nous." Une mission de l'ONU a l'obligation suprême de rester neutre. De toute évidence, Dallaire n'était pas neutre.
De plus, il nous informe sans broncher qu'il fournissait de l'intelligence militaire sur l'armée rwandaise au chef militaire du FPR, Paul Kagame. Le texte qui suit, tiré de la version originale anglaise, est curieusement absent de la traduction française. "I also ensured that the existence of these officers was passed on to Kagame so that RPF would realize there were moderates they could potentially work with inside the present security forces." (p. 121, Shake hands with the devil)
Élucider les causes?
La façon dont Roméo Dallaire traite deux événements parmi les plus
importants de la tragédie rwandaise laisse croire que son but est de brouiller
les pistes, en non pas d'élucider les causes. Ce sont soit l'invasion du
Rwanda, en octobre 1990, et l'assassinat du président du Rwanda, Juvénal
Habyarimana, le 6 avril 1994. Sans invasion, sans attentat, il n'y aurait pas eu
de massacres en 1994.
La guerre au Rwanda a commencé par l'invasion du pays, le 1er octobre 1990, par des régiments entiers de l'armée ougandaise: 4000 troupes, des officiers supérieurs, un ancien ministre de la Défense, un chef des renseignements militaires de l'Ouganda, tous aguerris par des années de guerre en Ouganda. Au moment de l'invasion, le futur chef Paul Kagame, que Dallaire qualifie d'"homme extraordinaire", était en formation militaire à Fort Leavenworth, dans le Kansas, aux États-Unis.
Pourquoi le général Dallaire, militaire jusqu'aux bouts des ongles, occulte-t-il cette invasion ainsi que l'origine des envahisseurs. Voilà comment il les décrit: "Alors que nous cheminions dans ce paysage bleu-vert (vers Mulindi), mes pensées allèrent vers Paul Kagame, le chef militaire du FPR. J'étais curieux de rencontrer l'homme qui avait réussi à transformer une horde de guerilleros loqueteux en une force capable de donner à deux reprises du fil à retordre aux soldats français sur le terrain." (p. 100)
Pire encore est son traitement de l'attentat du 6 avril.
Comment peut-il, comme militaire, continuer à qualifier
d'"accident" ou d'"écrasement" l'attentat au missile
sol-air contre l'avion qui transportait les présidents du Rwanda et du Burundi,
attentat qui a déclenché le cataclysme? Surtout que le missile a été tiré
d'un endroit dont Roméo Dallaire avait la responsabilité, la KWSA (Kigali
Weapon Secure Area).
Pourquoi, dans un livre de 700 pages, cet attentat ne mérite-t-il pas plus que quelques paragraphes? Pourquoi ne donne-t-il pas sa version de cet attentat qui n'a toujours pas fait l'objet d'une enquête internationale? Pourquoi ne pèse-t-il pas les diverses hypothèses à ce sujet? Notons que l'enquête française menée par le juge Bruguières, qui devrait incriminer le FPR pour cet attentat, sera déposée en janvier 2004.
Par ailleurs, Roméo Dallaire décrit ses pensées, pour le moins surprenantes, le 6 avril lorsqu'il participe à la réunion du Comité de crise établi à la suite de l'attentat: "La présence de Bagosora ébranlait le maigre espoir que j'entretenais: celui que ce coup d'État- si coup d'État il y avait- ait été planifié par des éléments modérés de l'armée et par la Gendarmerie."
Ce surprenant "espoir d'un coup d'État" par les éléments que Dallaire qualifie de "modérés" l'a-t-il aussi poussé à refuser les consignes du Comité de crise et à faire amener, par les troupes de l'ONU, la première ministre Madame Agathe Uwilingiiyimana à la radio rwandaise pour s'adresser à la nation? Pensons-y! Le président du pays et le chef de l'État major de l'armée sont tués. Roméo Dallaire, qui ne connaît rien en politique, passe outre au Comité de crise, décide qui devait prendre le pouvoir et parler à la nation, même si, selon un récent témoignage d'un témoin à charge, Madame Agathe Uwilingiiyimana ne voulait pas aller à la radio elle non plus
Cette question en amène une autre plus grave. Est-ce que Roméo Dallaire agissait seul ou recevait-il des ordres de quelqu'un d'autre?
Au nom de l'histoire et de la vérité, le général Dallaire doit répondre à cette question et à plusieurs autres.
Envoyé par Robin Philpot M. Philpot : l'auteur du livre "Ça ne s'est pas passé comme ça à Kigali" (Les Intouchables 2003).
Il
serait d’une hypocrisie excessive de nier que le fameux fax du Général Roméo
Dallaire du 11 janvier 1994, fax câblé au Quartier Général des Nations Unies
à New York, ne fut pas la pièce maîtresse à la base de laquelle la Communauté
internationale a conclu que les événements tragiques d’avril-juillet 1994 au
Rwanda devaient être qualifiés de “génocide des Tutsi, planifié et exécuté
par les Hutu”.
Dès
lors que dans ledit fax, l’organisation “Interahamwe za MRND” est
particulièrement mise en cause, il était nécessaire qu’en ma qualité de 2ième
Vice-président des Interahamwe za MRND durant la période visée, j’y accorde
toute l’attention voulue.
L’Humanité
a le droit d’être éclairée sur les circonstances dans lesquelles ce fax a
été élaboré et publié, d’en savoir un peu plus sur le pourquoi de la
disparition des archives de l’ONU et de la MINUAR de l’original du fax envoyé
par le Général Roméo Dallaire au Général Maurice Baril et sur le mobile de
la fabrication d’un nouveau fax manipulé dont des copies non conformes audit
fax original ont été mises en circulation. Il est particulièrement important
de mener les enquêtes jusqu’au bout pour identifier les responsables de cette
incroyable manipulation qui a conduit à la diabolisation de tout un peuple,
accusé avec légèreté de génocide sur base d’éléments non vérifiés.
A
ce sujet, de laborieuses investigations ont été conduites par la Défense
depuis la production par le Procureur Richard Prosper d’une copie caviardée
de ce fax du 11 janvier 1994 dans le procès de Jean Paul Akayesu.[1]
Ces
enquêtes ont été confortées récemment par les pièces produites par le Général
Roméo Dallaire lors de sa déposition dans l’Affaire Bagosora et alii.
A cette occasion, les avocats de la Défense ont méthodiquement démonté les
mensonges minutieusement arrangés par le Général Roméo Dallaire, avec le
concours intéressé du Premier Ministre Désigné, Faustin Twagiramungu.
Le
fameux formateur top niveau des “Interahamwe
za MRND”, Jean Pierre Turatsinze, alias Abubakar, alias Kassim, était
un civil sans aucune connaissance militaire. Il avait été renvoyé du MRND
depuis novembre 1993 et, partant, il n’avait pas d’accès aux informations
sensibles ou confidentielles qui se trouveraient au niveau du Secrétariat
National du MRND en janvier 1994.
Du
reste, c’est une sérieuse indication de constater que le Procureur n’a rien
fait pour le protéger contrairement aux autres transfuges, entourés de toutes
les garanties de sécurité et bénéficiant d’importants et réguliers
versements de fonds pour leur entretien. Malgré le poids de son témoignage
devant le TPIR, eu égard aux informations lui attribuées qui auraient permis
au Général Roméo Dallaire de rédiger son fameux fax du 11 janvier 1994, Jean
Pierre Turatsinze aurait été éliminé par le FPR, faute de protection par le
TPIR qui, pourtant, depuis 1996, le présente comme un important témoin de
l’Accusation. On a donc préféré garder la légende et faire disparaître la
source qui risquait de changer de version ou d’être contredite.
En
effet, il est franchement inconcevable que l’Accusation n’ait pas jugé
opportun d’appeler Jean Pierre Turatsinze comme témoin à charge dans le procès
mettant en cause le 2ème Vice-Président des “Interahamwe za MRND”,
alors qu’il était encore en vie. Lors des plaidoiries finales en première
instance, Me Tiphaine Dickson est allée jusqu’à interpeller la
Cour à ce sujet en stigmatisant l’absence d’éléments justifiant la
diabolisation excessive des “Interahamwe za MRND” en ces termes : “Où
sont d’ailleurs les Interahamwe à la barre ? Où sont les entraîneurs
d’Interahamwe ? Où sont les entraînés ? On n’en a pas vu un seul !
Où est Jean Pierre Turatsinze, l’informateur du Général Dallaire,
celui qui se prépare à tuer tous ces mille Tutsi en 20 minutes ? Nous
avons l’impression de confronter des fantômes.”[2]
[notre
soulignement]
L’original
du fameux télégramme du 11 janvier 1994 s’est avéré introuvable dans les
archives des Nations Unies. En
effet, M. Ralph Zacklin, Assistant du Secrétaire Général des Nations Unies
aux Affaires Juridiques l’a reconnu, en répondant aux Conseils de Joseph
Nzirorera et d’Aloys Ntabakuze en ces termes: “We have conducted an
extensive research of the organization’s
archives, both for the original of the document that was signed by
Brigadier-General Dallaire and transmitted from Kigali and for the original of
the transmission that was received in New York. We regret to inform you that we
have not been able to locate either of those original documents.”[3]
L’examen
physique de chacun des documents produits par Roméo Dallaire lors de sa déposition
dans le procès Bagosora et alii et leur comparaison ont permis à
la Défense d’amener le Général Roméo Dallaire et son assistant, le Major
Brent Beardsley, à abandonner leurs certitudes de départ, créant ainsi un sérieux
doute sur l’authenticité des copies qu’ils ont mises en circulation. Les
versions contradictoires soutenues par Roméo Dallaire, Brent Beardsley et Frank
Claes constituent un argument de
plus pour douter de la conformité à l’original des copies de ce fax du 11
janvier 1994 que l’Accusation présentait jusqu’ici comme une des preuves
irréfutables de la planification du “génocide
des Tutsi” de 1994. L’analyse ci-après le confirme.
Les
documents[4]
divulgués par Roméo Dallaire à l’occasion de sa déposition dans le procès
Bagosora et alii, ajoutés à ceux qui étaient déjà connus du public[5]
ainsi qu’à la connaissance que nous avons des événements marquants qui ont
précédé l’initiative de Roméo Dallaire[6],
ne laissent plus aucun doute sur les objectifs visés quand il a rédigé son
Fax du 11 janvier 1994, dont l’original n’est ni trouvable dans les archives
de l’ONU et ni dans celles de la MINUAR, comme déjà précisé ci-avant.
Avec
le fax du 11 janvier 1994, le Général Roméo Dallaire s’est engagé dans une
véritable conspiration contre le Président Habyarimana et son parti, le MRND.
Pour mener cette opération criminelle, il a compté sur le concours intéressé
du Premier ministre désigné, M. Faustin Twagiramungu. Le FPR était
parfaitement au courant du complot et, après son échec suite à la méfiance
de Kofi Annan et du général Baril, il a pris ses propres dispositions pour exécuter
son projet d’assassiner le Président Habyarimana[7].
L’examen physique des documents ci-avant mentionnés et leur confrontation ne
débouche que sur cette seule conclusion : le
complot ourdi par Roméo Dallaire et Faustin Twagiramungu a échoué parce que
le général Maurice Baril et M. Kofi Annan se sont montrés très sceptiques
face aux informations transmises par Roméo Dallaire dans ce fax
du 11 janvier 1994 qui sollicitait leur couverture pour saccager le siège
du parti MRND et renverser le Président Habyarimana par la force ; le tout
au profit du FPR et des “Modérés”.
Dès
le départ, le Général Roméo Dallaire suggérait une attaque de grande
envergure:
“It
is our intention to take action within the next 36 hours with a possible H HR [H
hours] of
Wednesday at dawn (local)” (pt 9).
[notre
explication]
Il
recommandait: “It is recommended the informant be granted protection and
evacuated out of
Il
avouait avoir pris le risque de doubler Roger Booh Booh, son patron, et
promettait de l’informer le lendemain:
“Force
Commander to inform SRSG first thing in morning to ensure his support” (pt
11).[8]
Plus
tard, Roméo Dallaire avouera à ce sujet:
“Une
fois Luc parti, j’ai décidé de mettre au courant Booh Booh, le RSSG, dès le
lendemain, et d’envoyer au Général Baril un câble soigneusement codé le
plus tôt possible. En agissant ainsi, je
rompais totalement avec le protocole.
La
procédure standard voulait que toutes les communications importantes entre un
commandant en poste et le DOMP passe obligatoirement par l’hiérarchie civile
et politique dans le cas présent, par Booh Booh et son bureau…
Le 11 janvier, ma décision d’envoyer ce câble avec ma signature à un
conseiller militaire-Maurice Baril en l’occurrence -était
absolument sans précédent.
J’ouvrais
une ligne de communication dans un domaine où je n’avais aucune autorité
pour le faire.”[9]
[notre
soulignement]
Le
général Maurice Baril accusa réception du câble de Roméo Dallaire mais se
montra plutôt sceptique:
“Acknowledge
receipt of your cable dated
Le
chef des opérations de maintien de la paix, à l’époque, M. Kofi Annan, dans
son câble Mir 74, s’adressa, non au Général Roméo Dallaire mais, au Représentant
spécial du Secrétaire général au Rwanda, M. Roger Booh Booh, en date du 11
janvier 1994. Il faisait référence au câble CNR 12 envoyé le 11 janvier 1994
à New York par le Général Roméo Dallaire et se montrait à son tour très
prudent:
“Information
is cause for concern but there are certain inconsistencies. We must handle this
information with caution.”[11]
Le
même jour, i-e le 11 janvier 1994, le Représentant spécial du Secrétaire général
des Nations Unies au Rwanda, M. Roger Booh Booh, a réagi à cette
correspondance qui lui arrivait de New York.
Dans
son câble MIR 79 du 11 janvier 1994, répondant au câble N° 74 de M. Kofi
Annan, M. Roger Booh Booh révèle l’implication de Faustin Twagiramungu dans
le complot monté minutieusement par le Général Roméo Dallaire contre le MRND:
“4.
The person who asked PM (D) [Premier
Minister Désigné]
to approach FC in order to establish the contact is a Councillor in Foreign
Ministry with whom the PM (D) has had a very privileged, professional
relationship within the party MDR. The informant is the brother-in-law of the
Councillor. 5. The PM (D) expressed total confidence in the veracity and true
ambitions of the informant. He is a 100% that the individual wants out of all
this killings and disruption. Such an endorsement can not be ignored nor taken
lightly”[12]
(§ 4 et 5). [notre
explication]
Les
personnes dont il est question dans ce câble sont : M. Faustin
Twagiramungu, PMD-Premier Ministre désigné, Roméo Dallaire, FC-Force
Commander, M. Jean Pierre Turatsinze, l’informateur et M. Charles Ntazinda[13],
un membre agitateur du MDR, voisin de Jean Pierre Turatsinze et fraîchement
promu Conseiller au Ministère des Affaires Etrangères, par le Ministre
Anastase Gasana.
Toujours
dans son câble No 79, M. Roger Booh Booh a repris l’idée avancée par le
Force Commander (FC), le Général Roméo Dallaire, d’utiliser la force:
“FC
is prepared to pursue this operation with military doctrine with reconnaissance,
rehearsal and implementation using concentrated overwhelming force.
Should at any time during reconnaissance, planning or preparation, any sign of a
possible contravening or possibility of an undue risky scenario present itself,
the operation will be called off.”(§7)
[notre
soulignement]
Dans
sa réponse au câble MIR 79 contenue dans le câble UNAMIR 100 relatif aux
“Contacts with the Informant”, Jean-Pierre Turatsinze, M. Kofi Annan est allé
au-delà de la simple interdiction faite au Général Roméo Dallaire de lancer
des opérations militaires contre le Président Habyarimana et le MRND. Il a
instruit M. Roger Booh Booh et le Général Roméo Dallaire de se conformer aux
limites du mandat de la Mission en ces termes :
“We
have carefully reviewed the situation in the light of your Mir 79, we cannot
agree to operation contemplated in paragraph 7 of your cable as it clearly goes
beyond the mandate entrusted to UNAMIR under Resolution 872 (1993)”
(§1)
En
même temps, M. Kofi Annan leur a instruit d’effectuer les contacts suivants :
-
Rencontrer
le Président Habyarimana et le mettre en garde contre les activités illégales
imputées aux “milices Interahamwe”, susceptibles de compromettre le
processus de paix ;
-
Rencontrer
préalablement les Ambassadeurs de Belgique, de France et des Etats-Unis à
Kigali pour leur informer de leur démarche et leur suggérer d’en faire de même
auprès du Président Habyarimana ;
-
Juger
de l’opportunité de rencontrer le Premier Ministre désigné avant ou après
les entretiens avec le Président, pour lui expliquer les limites du mandat de
la MINUAR et lui assurer que, même si le mandat de la MINUAR ne leur permettait
pas d’accorder la protection à l’informateur, son identité et leurs
contacts ne seront pas révélés.
Devant
cette ferme position de New York, M. Roger Booh Booh amena le Général Roméo
Dallaire à se conformer aux instructions leurs données dans le câble UNAMIR
100. Dans son câble MIR 95 du 13 janvier 1994, Roger Booh Booh présenta à
Kofi Annan le rapport sur les initiatives prises en rapport avec la situation sécuritaire
et conclut en ces termes:
“We
have taken the following initiatives pursuant to the guidance provided to us in
your Fax UNAMIR 100 of
“My
assessment of the situation is that the initiative to confront the accused
parties with information was a good one and may force them to decide on
alternative ways of jeopardizing the peace process, especially in the
Outre
le Rapport fait par Roger Booh Booh dans son fax MIR 95, Roméo Dallaire lui-même
a été obligé de s’expliquer dans un fax qui serait apparemment resté sous
forme de draft[16].
Il
avoue: “In accordance with direction
received, no offensive military action has been taken. Discussion with President
(Head of State) and at his request, the President and National Secretary-general
of MRND party were held. The VVIP was not met due to conflicting schedules. A
meeting is set up for today”[17](§1).
Frustré
par la position de ses supérieurs, M. Kofi Annan et le général Baril, le général
Roméo Dallaire va répéter inconsidérément qu’on l’a empêché d’agir
pour stopper les préparatifs du génocide, alors qu’il n’en est rien. Pour
crédibiliser la thèse du génocide planifié, cette version des faits inventée
par le Général Roméo Dallaire semble avoir été récupérée et renforcée
dans un autre fax fabriqué sur commande, longtemps après la création du TPIR,
pour remplacer le fax initial envoyé le 11 janvier 1994 par Roméo Dallaire à
Maurice Baril qui ne parlait ni de l’extermination des Tutsi (§7), ni de la
provocation des soldats belges (§2).
Cette
hypothèse est loin d’être une simple spéculation comme pourrait le penser
un lecteur pressé. Pour se convaincre de sa vraisemblance, il suffirait de
comparer les développements consacrés par Alison Des Forges au fax du 11
janvier 1994 dans son livre, “Aucun témoin ne doit survivre”[18]
et ceux consacrés au même fax par Roméo Dallaire dans son livre, “J’ai
serré la main du diable”[19]
ou ceux faits par Luc Marchal dans son livre, “La descente aux enfers”[20].
La seule conclusion possible est que Alison Des Forges et Roméo Dallaire ont eu
accès aux mêmes informations et se sont concertés avant de les traiter. Bien
plus, il est très probable que les deux aient largement contribué à la
fabrication du fax de substitution dont les copies ont été mises en
circulation[21].
Dans
cette opération de fabrication d’un fax de substitution à celui du 11
janvier 1994 et de diffusion de copies manipulées, le Général Roméo Dallaire
a bénéficié d’importantes complicités, tant au niveau du Secrétariat général
des Nations Unies pour retirer des archives et de la circulation le fax du 11
janvier 1994 et, auprès de ses anciens collaborateurs au sein de la MINUAR pour
fabriquer et procéder à sa diffusion à Londres[22],
à Bruxelles, à New York et, un peu plus tard au TPIR. C’est
le Procureur américain, Pierre
Richard Prosper
qui a le premier déposé la copie manipulée du fameux fax controversé, lors
de l’audience du 13 février 1997 dans le procès Akayesu. A l’époque, le
Procureur avait refusé de déposer le document original et la Cour se serait
contentée de la copie qui, elle-même, a été caviardée avant d'être servie
à la Défense.[23]
Le
dernier document qui conforte la conclusion suggérée dans cette analyse est la
lettre que l’Assistant du Secrétaire général pour les affaires juridiques,
M. Ralph Zacklin, a adressée aux avocats de J. Nzirorera et A. Ntabakuze en
reconnaissant que l’original du fameux câble adressé le 11 janvier 1994 au général
Maurice Baril par le Brigadier général Dallaire était introuvable dans les
archives de l’ONU et celles de la MINUAR. Nous en avons discuté plus haut,
cf. footnote # 15.
Pour
être tout à fait complet, il faut citer la lettre du 19 janvier 1994 adressée
par le Comité National Provisoire des “Interahamwe za MRND” au Dr Jacques
Roger Booh Booh, Représentant spécial du Secrétaire général des Nations
Unies au Rwanda, ainsi que le Communiqué du
Comité national provisoire des "Interahamwe za MRND"
concernant les problèmes cruciaux auxquels notre pays fait face, du 1er
février 1994[24].
Ces deux derniers documents font l’objet d’un commentaire ad hoc au point
2.7 et sont intégralement repris en annexe IV, V et VI du présent témoignage.
En
réalité, pas plus que Roméo Dallaire et Faustin Twagiramungu qui n’ont
jamais accordé une quelconque crédibilité à leur témoin alibi Jean Pierre
Turatsinze[25]
à l’origine du fax original envoyé le 11 janvier 1994 au Général Maurice
Baril mais retiré du dossier et remplacé par une copie d’un nouveau fax
fabriqué postérieurement à la mise en place du TPIR pour servir comme élément
de preuve de la thèse du génocide planifié, le Procureur n’a jamais considéré
Jean Pierre Turatsinze comme un témoin à faire comparaître devant les
Chambres. C’est la raison pour laquelle aucune mesure de protection le
concernant n’a jamais été prise.
[1]
Affaire le Procureur C/Jean Paul Akayesu, Audience du 13 février 1997. A
l’époque déjà le Procureur Pierre Richard Prosper avait déposé une
copie caviardée et refusé d’en montrer l’original ou la copie non
caviardée à la Défense.
[2] Voir transcrits d’audience du 17 juin 1999 dans le procès Rutaganda, p. 119.
[3]
Lettres réponses de Monsieur Ralph Zacklin, Assistant du Secrétaire Général
des Nations Unies aux Affaires Juridiques, en date du 27 janvier 2003 et du
6 juin 2003, aux Conseils de Joseph Nzirorera et d’Aloys Ntabakuze.
[4]
Il s’agit des pièces à conviction de la Défense: DNT 21 ; DNT
23 ; DNT 24 ; DNT 26 et DNT 27.
[5]
Communiqué N° 6/94 du 9/01/1994 émanant du Bureau d’information, d’Education
et de presse (BIEP) de la MINUAR ; communiqué du FPR du 8/01/1994 ;
Lettre du 19/01/1994 adressé par le Comité National Provisoire des
“INTERAHAMWE ZA MRND” à M. Roger Booh Booh, Représentant spécial du
Secrétaire général des Nations Unies à la MINUAR, notamment.
[6]
Le 05 janvier 1994, lors des cérémonies de la mise en place des
Institutions du GTBE, les Représentants du FPR ont boycotté la cérémonie
de prestation de serment du Président de la République qui a eu lieu dans
la matinée. Ils se sont absentés à celle des députés qui était prévue
le même jour à 15 heures. Le Président de la Cour Constitutionnelle,
Joseph Kavaruganda, le Premier Ministre, Agathe Uwilingiyimana et le Premier
Ministre désigné, Faustin Twagiramungu, les Représentants des factions
pro-FPR au sein des partis MDR et PL, ainsi que les Représentants du PSD
dans les Institutions de Transition à base élargie ont, tous, boycotté
les cérémonies de prestation de serment reportées à 15 heures, le 5
janvier 1994. Depuis, ils vont tenter sans succès d’organiser les cérémonies
de mise en place de ces Institutions à l’insu du Président comme ce fut
le cas le 08 janvier.
[7] André GUICHAOUA, témoin-expert du Procureur l’a récemment confirmé lors d’une interview dans le Quotidien Le Monde du 6 mai 2004 en ces termes : “Le scénario de l’assassinat du président Habyarimana a été programmé dès la fin de l’année 1993 comme préambule à la reprise de la guerre”.
[8]
Extrait du Câble 126 du 11 janvier 1994 de Général Roméo Dallaire à
Baril reçu le 10 janvier 1994 à New York à 20h15, heure de New York :
Request for protection for informant.
[9]
Roméo Dallaire : “J’ai serré la main du diable”, pages 198-199.
[10]
Câble de Maurice Baril au nom de Kofi Annan pour le Général Roméo
Dallaire daté du 11 janvier 1994 : Contact with informant.
[11]
Câble de Kofi Annan à Roger Booh Booh daté du 11 janvier 1994 :
Contacts with informant.
[12]
Câble Mir 79 de Booh Booh à Kofi Annan : Contacts with informant.
[13]
M. Ntazinda Charles était le conseiller au MINAFFET, originaire de Nyanza (Butare),
voisin de Jean Pierre Turatsinze à Kanombe devant l’aéroport.
[14]
Câble Mir 95 de Roger Booh Booh à Kofi Annan daté du 13 janvier 1994 et
ayant pour objet : Initiatives undertaken relating to latest security
information (§1).
[15]
ibidem, §8.
[16]
Draft du Fax adressé le 12 janvier 1994 par Roméo Dallaire à Kofi Annan
avec copie au général Baril relatif aux renseignements obtenus de
l’informateur. Lors de sa déposition dans le procès Bagosora et alii,
Roméo Dallaire a reconnu ledit draft et confirmé son envoi à New York.
[17]
Ibidem, §1.
[18]
Alison Des Forges : “Aucun témoin ne doit survivre”, pages
176 à 209; spécialement les bas de pages car révélatrices
d’informations inédites.
[19]
Roméo Dallaire : “J’ai serré la main du diable”, pages
187 à 205.
[20]
Luc Marchal : “La descente aux enfers”, pages 165 à 176.
[21]
Aux pages 203 à 204 de son livre: “Aucun témoin ne doit survivre”,
Alison Des Forges donne une version étonnante sur le trajet du fax de Roméo
Dallaire et sa disparition des archives onusiennes.
[22]
Le nouveau fax fabriqué a été publié dans les journaux à Londres, par
le Journal “The London Observer, November 1995”; à Bruxelles,
par le Quotidien “La Dernière Heure, du 06 décembre 1995” et à
New York, dans “The New Yorker, May 1998”.
[23]
Les enquêtes menées par Me Peter Robinson dans les archives de l’ONU ont
permis de découvrir que l’original du fax de substitution fabriqué ne se
trouve non plus dans les archives et que la copie classée y a été déposée
le 28 novembre 1995, selon Lamin J. Sise. Le Procureur Pierre Richard
Prosper a pris soin de gommer l’entête qui indiquait la date de dépôt
de cette copie dans les archives de l’ONU.
[24]
Ce communiqué du 1er février 1994 a été déposé par la Défense
de Georges Rutaganda comme pièce à décharge N° GAR 00853-GAR 00854.
[25] Roméo Dallaire ne l’a jamais rencontré, tandis que Faustin Twagiramungu a dit de lui que c’était un escroc attiré par l’argent qu’il espérait toucher de la MINUAR. Dans la Revue Diplomatie Judicaire No83, mars 2002, page 16 : « Faustin Twagiramungu n’accorde donc aujourd’hui pas de crédibilité à Jean Pierre Turatsinze qu’il qualifie de ‘petit bandit’ ».
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Annexe 7.A : Copie de la copie manipulée du fameux fax du 11 janvier 1994[1].
Annexe
7. B : Copie manipulée du Fax du 11 janvier 1994, versée dans le dossier
onusien à New York, le 28 novembre 1995, mais dont l’original s’est avéré
introuvable.
La
documentation utilisée
[1] Cette copie versée dans le dossier onusien le 28 novembre 1995 a été déposée par le Procureur du TPIR, pour la première fois, dans l’affaire Akayesu le 13 février 1997, comme pièce à conviction après l’avoir amputée de certaines indications utiles pour la Défense, éléments repérables sur l’Annexe 7.B.
La
vérité sacrifiée à l’autel de la manipulation politico-judiciaire
Les
révélations de l’ancien 2è Vice Président des Interahamwe za
MRND
Georges
Nderubumwe Rutaganda
Arusha, Octobre 2005