Mandats d'arrêt internationaux contre neuf proches du président rwandais.
Par Christophe AYAD, Thomas HOFNUNG
QUOTIDIEN : mardi 21 novembre 2006
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Paul Kagame dans tous ses états !
Depuis le temps que diverses sources plus ou moins informées annonçaient la sortie imminente de «l'enquête Bruguière» sur l'attentat du 6 avril 1994, qui a joué le rôle de «déclencheur» du génocide au Rwanda, l'instruction confiée au célèbre juge français était devenue une Arlésienne. Ouverte en 1998 sur plainte des familles de l'équipage français de l'avion, mort dans l'attentat qui a coûté la vie à l'ancien président rwandais Juvénal Habyarimana, l'enquête de Jean-Louis Bruguière touche à sa fin. Selon nos informations, le juge antiterroriste a transmis une ordonnance de soit-communiqué vendredi soir au parquet. Le document de 64 pages est assorti de neuf demandes de mandats d'arrêt internationaux visant autant de personnalités, toutes plus ou moins proches de l'actuel chef de l'Etat rwandais, Paul Kagame, ancien chef du Front patriotique rwandais (FPR), un groupe rebelle d'obédience tutsi en lutte de 1990 à 1994 contre le régime hutu extrémiste du président Habyarimana.
Témoin clé. Les mandats d'arrêt, qui ont valeur de mise en examen, visent principalement des responsables rwandais, une personnalité ougandaise et une autre de nationalité inconnue. James Kabarebe, le chef d'état-major de l'armée rwandaise et proche collaborateur de Kagame, en ferait partie. Chose curieuse, Abdul Ruzibiza ne serait pas visé par les mandats d'arrêt : cet ancien infirmier et soldat, en rupture de ban du FPR, est l'un des témoins clés du juge Bruguière. Lors de ses auditions, puis dans un livre paru il y a un an (1), Ruzibiza a fait le récit circonstancié de l'attentat relaté aussi par Pierre Péan (2) et auquel il dit avoir participé. Ruzibiza, exfiltré par les services français via l'Ouganda, vit désormais en Norvège, où il a obtenu l'asile politique.
Bien que visé au premier chef par l'enquête de Bruguière, Paul Kagame ne fait, en revanche, pas l'objet d'un mandat d'arrêt, en vertu de la jurisprudence française qui accorde l'immunité judiciaire aux chefs d'Etat en exercice. Mais le juge Bruguière aurait rédigé une lettre à l'attention du secrétaire général des Nations unies, Kofi Annan, demandant l'inculpation de Kagame devant le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), basé à Arusha (Tanzanie). Ce tribunal, fondé à la suite d'une résolution du Conseil de sécurité sur le modèle de celui visant les crimes commis pendant les guerres en ex-Yougoslavie, est chargé de juger les crimes commis au Rwanda du 1er janvier au 31 décembre 1994. Il lui a été reproché, notamment par l'ex-procureure Carla Del Ponte, d'avoir ignoré jusqu'à présent les crimes commis par le FPR pendant cette période et de s'être «dessaisi» de l'attentat du 6 avril 1994.
Finalement, l'affaire a rebondi en 1998, en France, lorsque les familles des membres de l'équipage français du Falcon 50 présidentiel ont porté plainte en se constituant parties civiles. Deux ans plus tard, Agathe Habyarimana, la veuve du président assassiné, réfugiée en France depuis 1994, s'est constituée partie civile.
Crise. Dans les relations très tendues entre Paris et Kigali, ces mandats d'arrêt ne vont pas manquer de provoquer une crise sans précédent aux répercussions internationales difficiles à mesurer. L'émission, par un juge français, de mandats d'arrêt interdit de fait à toutes les personnes visées l'entrée sur le territoire de l'Union européenne, au risque de se faire arrêter. Les conclusions du juge Bruguière vont aussi relancer le débat sur les responsabilité s du génocide de 1994, qui a provoqué la mort de quelque 800 000 Tutsis et opposants hutus. Selon certaines analyses, le génocide n'aurait jamais eu lieu sans l'attentat, qui aurait provoqué la colère des Hutus contre les Tutsis. D'autres historiens estiment que la logique génocidaire était déjà à l'oeuvre.
Une source judiciaire a confirmé, hier soir à Libération, que, après examen de l'ordonnance du juge, le parquet «a décidé de requérir des mandats d'arrêt internationaux contre les neuf personnes visées». Le dossier va être renvoyé chez le juge Bruguière, qui devrait rapidement émettre les mandats d'arrêt, peut-être dès aujourd'hui.