MATATA
Joseph
Défenseur
des droits humains
Gembloux, le 20 juin 2005
Tél/Fax :
32.81/60.11.13
GSM :
32/476.70.15.69
Lettre
ouverte à Madame Karine GERARD, Présidente de la Cour d’Assises de
Bruxelles dans l’affaire Nzabonimana et Ndashyikirwa
Avec
copie pour information aux :
-
Magistrats
de la Cour d’Assises ;
-
Mesdames
et Messieurs les Jurés ;
-
Avocats
des parties civiles ;
-
Avocats
de la défense ;
Madame
la Présidente,
J’ai
l’honneur de vous adresser cette lettre ouverte pour achever mon audition
que j’ai estimée insuffisante. Cette lettre n’est pas un moyen de
pression sur la Cour mais un droit à témoigner jusqu’au bout ; ce que
vous ne m’avez pas permis de faire lors de mon audition du 15 juin 2005.
Pour éviter un incident, je n’ai pas trop insisté.
Pour
illustrer le fonctionnement des juridictions rwandaises, je ne peux m’empêcher
de commencer ma lettre ouverte par cette citation extraite du livre « L’archipel
du goulag » de l’écrivain russe et ancien prisonnier du Goulag soviétique,
Monsieur Alexandre Soljénitsyne à la page 216 :
« Un
tribunal injuste est pire qu’un voleur,
Là
où dorment les lois, ennemis sont les juges.
Les
simples citoyens ont perdu tout refuge,
les
voici sans recours devant l’exécuteur ».
Lors
de mon audition, j’avais prévu de démontrer le constat suivant :
Madame
la Présidente,
J’ai été cité comme témoin pro justitia par le Procureur fédéral
de Belgique pour être entendu en ma déposition sur les faits mentionnés en
l’acte d’accusation dressé à charge de Messieurs NZABONIMANA Etienne et
NDASHYIKIRWA Samuel alias Manzi Samuel. N’étant pas un témoin à charge ou
à décharge, je me considérais comme un témoin de CONTEXTE. Je devais
comparaître le 11 mai 2005 à 15h30. Mon audition fut reportée la première
fois au 20 mai 2005 à 10h45 du matin. Pour la deuxième fois elle fut reportée
au 26 mai à 10h45 du matin. Pour la troisième fois mon audition fut reportée
à une date inconnue. Le 25 mai, la greffe m’annonça que, avec l’accord
de la Cour et des avocats des parties civiles, j’avais même
l’autorisation d’assister aux autres audiences avant mon audition.
Finalement je fus invité de passer devant la Cour le mercredi 15 juin 2005 à
11h00 du matin. Du moins, je croyais être auditionné comme un témoin de
contexte et de pouvoir disposer d’un droit de parole pour aider la Cour à
voir plus clair dans la tragédie rwandaise. Mais vu le caractère expéditif
de l’interrogatoire que vous avez mené autour des vieux rapports de mon
ancienne association, l’ARDHO (Association pour la défense des Droits de
l’Homme), je n’ai pas eu l’occasion de resituer dans leur contexte
comment ces rapports avaient été élaborés dans le climat qui prévalait de
1992 à 1993.
Madame
la Présidente,
Permettez
moi d’exprimer ma frustration suite au sentiment de musellement qui m’a
envahi lorsque vous m’avez fait comprendre gentiment ne pas avoir le temps
matériel de m’écouter exposer mon témoignage de contexte que
j’avais prévu d’exposer devant la Cour d’Assises de Bruxelles. J’ai
constaté la même frustration chez les Jurés et les avocats de la Défense
qui attendaient de moi d’autres éclaircissements pour éviter une
condamnation arbitraire des accusés. Seuls les avocats des parties
civiles semblaient satisfaits. C’est pour cette raison que je vous saurais
gré de bien vouloir communiquer à la Cour mon présent témoignage que je
n’ai pas pu donné le 15 juin. Voici, par écrit, les éléments les plus
importants de ce témoignage que je voulais exposé à la Cour :
1)
Les Brigades clandestines du FPR, les syndicats de délateurs et la délation
institutionnalisée au Rwanda :
Puisque
vous n’aviez pas le temps d’écouter mon exposé, je n’ai pas eu
l’occasion de prouver l’existence des Brigades clandestines du FPR, le
fonctionnement et la nocivité des milliers de « Syndicats
de délateurs » encouragés, entretenus et protégés par le pouvoir
rwandais.
Lors
de mon audition du 15 juin, il ne m’a pas été donné l’occasion
d’exposer brièvement l’organisation de la machine de manipulation et de délation
du régime du Front Patriotique Rwandais (FPR). Avant de vous renvoyer le
dossier complet sur les « Syndicats
de délateurs », voici comment a été confirmé l’existence des
premiers noyaux du FPR avant le déclenchement de la guerre le 1er
octobre 1990. Ces premiers noyaux portaient le nom de « Brigades
clandestines du FPR ». Je pourrais les qualifier « d’ancêtres »
de ces syndicats de délateurs qui font fureur aujourd’hui devant les
juridictions ordinaires et les tribunaux GACACA. On ne connaîtra jamais leur
nombre exact, mais ils ont joué un rôle très important dans la guerre et le
génocide rwandais.
a)
Les Brigades clandestines du FPR ont été estimées à plus de 3.500 avant
le génocide rwandais d’avril 1994.
:
Le chiffre de plus de 3.500
brigades clandestines du Front Patriotique Rwandais (FPR), dispersées sur
tout le territoire rwandais, a été cité le 2 mai 1997 par un membre très
important du FPR, Monsieur Tite RUTAREMARA. Ce député tutsi du FPR, qui
venait de reconnaître publiquement l’existence de ces brigades lors d’une
conférence-débat organisée par le Parti du Travail Belge (PTB) à
Bruxelles, est connu pour son arrogance et son mépris pour ses compatriotes
Hutu. La création de cette sorte « d’armée
secrète tutsi » constitue l’un des éléments importants qui ont
rendu possible le génocide rwandais et qui ont exposé les tutsi à la
vindicte des extrémistes hutu et à une mort certaine.
Depuis 1990 jusqu’en mars 1992, les premières informations avaient
commencé à filtrer sur les noyaux des brigades clandestines du FPR. Mais
à cette époque, aucun document écrit ne pouvait prouver leur existence.
Ce qui était certain et avait été vérifié c’est que le FPR recrutait
des jeunes tutsi à l’intérieur du Rwanda pour aller les former en Uganda
et les intégrer dans son armée. Lorsqu’il contrôla quelques communes
frontalières avec l’Uganda au Nord-est et au Nord-ouest du Rwanda, la
formation militaire et politique de ces jeunes recrues se déroula à MULINDI
au quartier général du FPR dans la préfecture de Byumba.
En
1992, les enquêteurs de l’Association Rwandaise pour la Défense des droits
de l’Homme (ARDHO) avaient déjà découvert que plusieurs de ces jeunes
formés par le FPR rentraient souvent sur leurs collines et constituaient des
noyaux du FPR dans la zone contrôlée par le gouvernement rwandais. Leurs
activités et leurs opérations se faisaient secrètement bien que les
services de renseignements gouvernementaux avaient pu identifier certains
coordinateurs de ces activités dont une bonne partie a été massacrée par
les extrémistes hutu en avril 1994.
Le premier incident concernant
ces brigades et reconnu publiquement par le FPR fut l’arrestation, en
octobre 1993, d’un contingent de jeunes hutu originaires des communes
Gatonde et Ndusu (préfecture Ruhengeri) alors qu’ils se rendaient au
quartier général du FPR à Mulindi (préfecture Byumba) pour y recevoir une
formation militaire et politique. Pour ne pas nuire aux négociations des
Accords de paix qui se tenaient dans la ville d’Arusha en Tanzanie, ces
jeunes furent relâchés sur pression du FPR qui menaçait de suspendre les négociations.
La formation des milices du FPR était donc connue par les services
gouvernementaux et par un certain nombre d’observateurs. Il n’y avait
aucun problème à ce que le FPR dispose de sa propre jeunesse du parti à
l’instar des milliers de jeunes qui avaient adhéré aux autres partis
politiques MRND (Mouvement Révolutionnaire National pour le Développement),
MDR (Mouvement Démocratique Républicain), PSD (Parti Social Démocrate) et
PL (Parti Libéral).
Ce
qui était préoccupant et qui s’est révélé dangereux plus tard, c’est
que ces jeunes tutsi étaient formés politiquement et militairement et
dispersées dans toutes les communes du pays.
Ces « brigades clandestines du
FPR » ont participé aux massacres généralisés pendant le génocide.
Ces brigades étaient chargées aussi de l’intoxication et de la
manipulation de l’opinion publique.
Puisque
vous n’aviez pas le temps d’écouter mon exposé, je n’ai pas pu
expliquer comment notre association l’ARDHO (Association Rwandaise pour la défense
des Droits de l’Homme) a été aussi victime de cette manipulation des
structures du FPR. C’est peut-être ce qui est arrivé pour le cas du commerçant
Nzabonimana Etienne.
b)
Au sujet des rapports de l’ARDHO évoqués dans l’acte d’accusation
de Nzabonimana Etienne, il faut rester très prudent :
J’aimerais expliquer le contexte qui entourait l’élaboration de
ces rapports à l’époque. Généralement, le Secrétaire Permanent de
l’ARDHO que j’étais, faisait une descente pour aller enquêter sur les
faits, constater les faits et/ou vérifier les informations sur les violations
des droits humains recueillies par l’ARDHO. C’est pour cette raison
qu’habitant moi-même en commune Muhazi, préfecture Kibungo, j’ai tenté
de surveiller cette préfecture en y effectuant des descentes plus souvent.
Lorsque j’étais obligé de passer la nuit à Kibungo, je dormais chez notre
Chef d’Antenne, Monsieur Mathieu UWIZEYE (qui était président du Tribunal
de Première Instance de Kibungo). Il me répétait souvent qu’il n’avait
pas le temps matériel de vérifier lui-même les informations qui lui
parvenaient sauf les événements dont il fut témoin lors d’une attaque au
Parquet de Kibungo par les
miliciens du MRND qui venaient réclamer la libération des leurs. Pour les
autres informations, il dépendait
complètement de son propre réseau d’informateurs éparpillés dans la
ville de Kibungo et ses environs. Je n’ai pas pu non plus recouper cette
information sur l’utilisation des véhicules de Nzabonimana dans le
transport des interahamwe du MRND en 1993. Comme je l’ai souligné brièvement
dans mon audition du 15 juin, j’ignore non plus si les membres du réseau
d’informateurs de Mathieu Uwizeye étaient fiables et non adhérents du FPR.
J’ignore aussi si le FPR n’avait pas infiltré les interahamwe de Kibungo
comme l’a reconnu le Lieutenant Abdul RUZIBIZA (militaire du FPR exilé en
Norvège) dans son interview du 2 mai 2004 à la Radio Vox of America (VOA).
En effet, cet ancien officier du FPR, infiltré lui-même dans la zone
gouvernementale dans le groupe FPR appelé « NETWORK », affirme
que des militaires du FPR avaient été infiltrés dans les interahamwe avec
objectif de massacrer les tutsi dans les grandes villes et sur des barrières
et sur les collines. Plusieurs témoignages, provenant de tout le pays, ont
confirmé la présence des individus tutsi qui se sont illustrés dans les
massacres de Tutsi et qui prétendaient venir de Kigali pour accomplir des
missions sur les barrières et les collines. Le Lt Abdul RUZIBIZA cite des
noms de ses collègues militaires FPR qui ont massacré des tutsi au sein des
interahamwe (Voir son interview du 2 mai 2004 à la VOA). Après avoir constaté
cette capacité d’infiltration, de manipulation et d’intoxication du Front
Patriotique Rwandais qui disposait de plusieurs infiltrés partout dans le
pays, il se peut que certaines
informations, entre autres sur le cas du commerçant Etienne NZABONIMANA ou
sur d’autres personnalités de Kibungo soient basées sur l’intoxication
et la volonté de nuire à tout Hutu propriétaire des biens convoités.
Rappelons qu’avant le génocide rwandais, le FPR avait établi ses propres
listes des personnalités hutu à éliminer pour s’emparer du pouvoir
politique, économique et militaire. Onze après sa prise de pouvoir, la
majorité des personnalités Hutu ciblées par le FPR a été assassinée au
Rwanda, en République Démocratique du Congo, au Kenya, en Tanzanie et au
Cameroun.
Le
fait que certains immeubles appartenant à Nzabonimana Etienne ont été
dynamités dès le 2 mai 1994 par les soldats du FPR en dehors de tous
combats, démontre que l’intéressé avait été déjà ciblé par le FPR.
Ce qui pourrait peut-être expliqué l’acharnement des partisans du FPR dans
son procès où des témoignages très contradictoires se sont succédés
devant la Cour.
c)
Les syndicats de délateurs :
Les
premiers noyaux des syndicats de délateurs
sont apparus pendant le génocide et les massacres dans les camps de “rassemblement
de la population rescapée”. Ces camps créés par le Front Patriotique
Rwandais (FPR) étaient destinés à vider les collines de leurs habitants
pour mieux les contrôler et, disait-on, les “protéger”.
La plupart des paysans qui n’ont pas pu être avertis à temps ou rejoindre
ces “camps” ont été traqués et tués comme du gibier dans les
bananeraies et les marais, car ils étaient considérés comme des interahamwe
qui n’avaient pas confiance dans le FPR. Pourtant dans la zone conquise par
le FPR, depuis avril 1994, les Hutu et les Tutsi rescapés vivaient ensemble
dans des camps de fortune.
Petit à petit, des noyaux de
veufs et d’orphelins se sont constitués pour répondre au désir de se
venger sur les rescapés hutu avec l’aide de l’Armée Patriotique
Rwandaise (APR). Pour renforcer les dénonciations individuelles, solitaires
et sans preuves, ces rescapés ont été invités et encouragés à se mettre
ensemble pour témoigner collectivement contre leurs voisins hutu soupçonnés,
à tort ou à raison, d’avoir participé au génocide. Les personnes dénoncées
étaient amenées vers des destinations inconnues et sont introuvables
aujourd’hui dans les prisons rwandaises. Certains d’entre eux ont disparu,
ainsi que leurs femmes et leurs enfants.
Galvanisés par cette terrible possibilité de décider du sort de
leurs voisins, certains rescapés ont
gardé et souvent exploité cette habitude de jouer au “justicier”.
C’est ainsi que des milliers de Hutu, dénoncés et livrés aux soldats du
FPR, sont portés disparus aujourd’hui. D’autres ont été exécutés
purement et simplement dans des endroits discrets, non loin des camps de
rassemblement. Quelques fosses communes et des tombes de fortune témoignent
de cette intense activité des délateurs entre avril et juillet 1994.
Au mois d’août 1994, ces camps de rassemblement furent démantelés
et la population rescapée rentra dans ce qui restait de ses biens. De retour
sur la colline, les délateurs s’organisèrent et continuèrent leur macabre
besogne d’après nos enquêtes, avec la complicité des “encadreurs
politiques” du FPR.
En principe, chaque secteur peut compter un ou deux groupes de délateurs.
Ainsi on peut enregistrer plusieurs “syndicats” par commune. Dans
certaines régions du pays, ces syndicats portent divers noms.
Ces
"Syndicats de délateurs"
sont couramment utilisés
dans la constitution de faux témoignages et de faux dossiers pour:
-
permettre à l'Armée Patriotique Rwandaise
(APR) et sa branche de renseignements militaires "Department of Military
Intelligence (DMI) à sévir contre tous les hutus en général (considérés
comme des ennemis du nouveau régime) et plus particulièrement contre des
"anciens opposants hutus" rescapés
du génocide, des massacres, de la guerre et de la répression aveugle
de l'Armée Patriotique Rwandaise APR.
-
faciliter et favoriser les arrestations et détentions arbitraires
(±90% des prisonniers rwandais n'ont pas fait l'objet d'une enquête préliminaire).
Chaque militaire ou milicien tutsi (puisque le Front Patriotique Rwandais
(FPR) en a créé aussi) est autorisé à arrêter et faire incarcérer des
gens sans même les interroger ou les informer des motifs de leur arrestation.
Les magistrats des Parquets n'ont aucun pouvoir de s'opposer à ces pratiques
maffieux de l'APR, des encadreurs politiques et miliciens du FPR présents et
puissants dans les villes et les villages.
-
permettre et faciliter la confiscation ou l'occupation illégale des biens
appartenant aux personnes arrêtées injustement. Ce phénomène pousse
aujourd'hui une bonne partie de hutu innocents et impuissants à s'exiler du
pays et décourage la grande majorité de réfugiés hutus à retourner au
Rwanda.
-
intimider et éliminer des éventuels et
futurs opposants
au nouveau régime du FPR.
Les
institutions officielles de l’Etat rwandais participent à la délation :
Il
existe deux rapports parlementaires qui démontrent le degré d’utilisation
des institutions rwandaises dans la délation :
-
Un premier rapport parlementaire a été réalisé début 2003 par la
Commission « ABBAS » du nom de son président qui fut chargé
d’enquêter sur le divisionnisme et le sectarisme du parti MDR (Mouvement Démocratique
Républicain). Cette commission a recommandé la dissolution de ce parti.
Plusieurs des adhérents du MDR ont été emprisonnés arbitrairement et
certains se sont exilés.
-
Un second rapport parlementaire a été présenté au Parlement le 30 juin
2004 par la Commission parlementaire sur l’assassinat des rescapés tutsi et
l’idéologie génocidaire D’après
la dépêche de l’Agence de presse Hirondelle du 8 octobre 2004, « L'Union
européenne a condamné jeudi (7octobre 2004) la réponse du
gouvernement rwandais à un rapport parlementaire controversé, demandant
l'interdiction de certaines organisations de la société civile et réclamant
des poursuites à l'égard de plusieurs personnes sous prétexte qu’elles
entretiennent et répandent « l’idéologie génocidaire ».
"L'Union européenne regrette que le gouvernement rwandais n'ait pas
affirmé sans équivoque que ceux qui sont mentionnés dans le rapport
parlementaire sont présumés innocents jusqu'à la preuve du contraire. Des
individus ont été publiquement accusés sur la base d'information
insuffisamment étayées" affirme ce communiqué de la présidence de
l'UE.
La police
et la Directorate of Military Intelligence (DMI) sont chargés de
confectionner de faux dossiers contre des opposants réels ou supposés.
Aujourd’hui les tribunaux GACACA ont été détournés de leur mission par
les agents de la DMI (voir le communiqué du CLIIR n°80/2005 du 18 mars 2005
sur les Gacaca).
La
délation institutionnalisée au plus haut niveau du pays permet au régime
d’opérer de nouveaux emprisonnements arbitraires grâce à la confection de
faux témoignages et à la comparution de faux témoins. C’est grâce à la
délation que l’ancien président de la République, Monsieur Pasteur
BIZIMUNGU, a été condamné à 15 ans de prison pour toute une série de
fausses accusations de « divisionnisme ».
Il
faut rappeler que la
stratégie de délation institutionnalisée
au plus haut sommet de l’Etat et
de la machine de désinformation du FPR
(dont la DMI, la Police, les commissions parlementaires et les médias publics :
Radio Rwanda, Imvaho Nshya, La Nouvelle Relève, le journal de l’armée
« Ingabo »)
consiste
à fabriquer des fausses preuves en trois phases suivantes :
1) lancer des fausses accusations dans la rumeur publique et dans les médias
proches du pouvoir ; 2) initier de fausses enquêtes (par la DMI, la
police, le SRP (Service de Renseignements de la Primature), par certains
magistrats du Parquet et activistes d’IBUKA manipulés) au sujet de la prétendue
rumeur publique ; 3) instruire et produire de fausses preuves, de faux témoins
et de faux dossiers judiciaires qui sont directement suivis par des
emprisonnements et des condamnations arbitraires. Le
procès de l’ancien Président de la République, Monsieur Pasteur
Bizimungu, a été monté grâce à ce système de délation institutionnalisée
au plus haut niveau de l’Etat. Le 15 juin 2004, il a été condamné à 15
ans de prison avec son ancien ministre des travaux publics, M. Charles
Ntakirutinka, et leurs « présumés complices ».
d)
La culture du mensonge :
Pour
donner un bel exemple de la culture du mensonge chez les rwandais, je donne un
extrait de ce témoignage d’un prêtre tutsi, l’Abbé
Stanislas BUSHAYIJA, qui dénonçait ce phénomène dans un article intitulé
« Aux origines du problème Bahutu au Rwanda », publié
dans la Revue Nouvelle, Tome XXVIII, N° 12 de décembre 1958, pp. 594-597.
« A
vrai dire, les principes d’équité que les Belges voulaient faire prévaloir
dans le domaine de la justice, de la propriété, de la liberté et des droits
de la personne humaine quelle qu’elle fût, déroutèrent le Mututsi et le
firent douter de la finesse de l’Européen. Celui-ci lui parut plus un
technicien, une sorte de magicien qu’un diplomate, comme le prouvent les
expressions kinyarwanda encore courantes :
Abazungu
ntibazi ubwenge (les Européens
ne sont pas malins), ubwenge
bw’abazungu (intelligence européenne).
Si le Mututsi reconnaît à l’Européen ses compétences dans le
domaine technique, - électricité, physique, mathématique, etc., - s’il
lui reconnaît l’intelligence du livre (ubwenge bwo mu gitabo), il déplore
son absence de finesse d’esprit. Savoir
travestir la vérité, donner le change sans éveiller le moindre soupçon est
une science qui fait défaut à l’Européen et que le Mututsi est fier de
posséder ; le génie de l’intrigue, l’art du mensonge sont à ses
yeux des arts dans lesquels il s’enorgueillit d’être fort habile :
c’est là le propre du Mututsi et, par contagion et par réflexe de défense,
de tout Munyarwanda ».
2)
Les magistrats belges sont dépendants des magistrats rwandais :
Je
n’ai pas eu l’occasion d’exposer devant la cour l’évidente
impossibilité pour la Cour d’Assises de rendre une justice équitable et
sereine dans ce procès en cours lorsqu’on connaît la paralysie et le contrôle
de la magistrature rwandaise par le noyau dur des chefs militaires politiques
du FPR qui jouissent d’un pouvoir occulte. C’est ce pouvoir occulte qui
contrôle et paralyse toutes les institutions de l’Etat rwandais. Or, le
juge d’instruction Damien Vandermersch et ses enquêteurs sont complètement
dépendants des magistrats rwandais. Ces magistrats rwandais ne doivent leur
survie qu’aux services rendus au régime FPR. Lequel régime refuse tout
dialogue sur l’organisation et la mise en place d’une justice équitable.
Inévitablement, les magistrats belges sont à leur tour manipulés, paralysés
ou neutralisés par toute la machine de manipulation, de séduction et
d’intimidation du FPR. Raison pour laquelle, la Cour d’Assise risque de
commettre la plus grave erreur judiciaire en condamnant, sur base de fausses
accusations, des anciens commerçants dont les biens ont été squattés par
les proches du FPR. Rappelons que la destruction volontaire des
infrastructures civiles est un crime contre l’humanité.
Je
n’ai pas eu l’occasion de prouver devant la Cour la diabolisation, la persécution
et l’élimination physique et/ou professionnelle qui frappe les commerçants
Hutu au Rwanda et à l’étranger.
3)
Epuration ethnique et politique de la magistrature :
Je n’ai
pas eu l’occasion de prouver à la Cour que la magistrature rwandaise est
victime d’une épuration perpétuelle depuis 1994.
Je
rappelle que toutes les institutions
officielles de l'Etat rwandais (Gouvernement, Parlement, Sénat et
Magistrature) sont toutes noyautées, contrôlées et paralysées par les
vrais détenteurs du "pouvoir occulte" que sont les chefs
militaires extrémistes tutsi, dominés eux-mêmes par le noyau dur de
la Junte militaire du président Paul Kagame. Ces chefs militaires, qui sont
eux-mêmes impliqués dans les crimes de génocide, crimes de guerre et crimes
contre l’humanité, s’assurent l’impunité totale en opérant une épuration
permanente de la magistrature rwandaise par l’assassinat de tous
les magistrats courageux et honnêtes qui ont tenté de dire le droit et de défendre
la loi. D’autres sont portés disparus, torturés, emprisonnés ou forcés
de s’exiler (voir dossier sur l’épuration de la
magistrature publié en avril 1997).
Parallèlement
à cette épuration de la magistrature, la junte militaire a orchestré des
attaques contre les cachots communaux au cours desquelles plusieurs détenus
ont été massacrés.
En
plus des mauvaises conditions de détention qui caractérisent les prisons
rwandaises, de nombreux détenus et des personnes arrêtées subissent la
torture et les traitements inhumains et dégradants. En plus du stockage
humain dans les prisons et les cachots communaux, les tribunaux GACACA ont été
détournés de leur mission par les agents de la DMI qui en profitent pour
aggraver le surpeuplement des prisons. (Voir notre Communiqué n°80/2005 du
18 mars 2005 intitulé : « Les
tribunaux GACACA sont détournés, contrôlés et paralysés par les chefs
militaires et politiques du FPR impliqués dans le génocide rwandais ».
En
juillet 2004, pour renforcer davantage le système de « tutsisation »
de la justice, le gouvernement rwandais a massivement renvoyé plusieurs
magistrats (environ 500), sous prétexte d’incompétence, mais le vrai motif
est que ces magistrats n’étaient plus voués à la cause du FPR à savoir
condamner tous les Hutu pour génocide. Ils ont été remplacés par
d’autres magistrats dont la majorité est soumis au FPR (Voir
le livre de SOS Rwanda-Burundi asbl intitulé « Le Rwanda 2004 face à
la déclaration universelle des droits de l’homme » page 57).
Madame
la Présidente,
Pour
illustrer par des faits ce que je viens de résumer dans mon présent témoignage,
je vous prie de trouver en annexe les documents du CLIIR * suivants :
-
Notre
dossier sur «L’épuration
ethnique de la magistrature rwandaise »
publié en avril 1997 ;
-
Notre
communiqué n°1/96 du 8 mai 1996 était une mise en garde contre les « syndicats
de délateurs »
-
Quelques
extraits de notre grand dossier sur « Les syndicats de délateurs »
publié en mai 1997.
-
Notre
communiqué n°80/2005 du 18 mars 2005 intitulé « Les
tribunaux GACACA sont détournés, contrôlés et paralysés par les chefs
militaires et politiques du FPR impliqués dans le génocide rwandais ».
-
Notre
mémorandum sur les réfugiés rwandais au Burundi et qui fuient les tribunaux
Gacaca. Dans ce mémo, il y a des témoignages des anciens collaborateurs du
FPR sur l’impossibilité de rendre une justice équitable au Rwanda.
Madame
la Présidente, je vous remercie de bien vouloir remettre une copie aux jurés
et aux avocats de la partie civile et ceux de la défense dont je ne connais
pas les numéros de fax.
Je vous prie de bien vouloir comprendre ma frustration qui m’a poussé
à vous adresser cette lettre ouverte et ses annexes. Je vous en souhaite une
bonne réception et vous prie d’agréer, Madame la Présidente,
l’assurance de ma haute considération.
MATATA
Joseph
(*)
Le Centre de Lutte contre l’Impunité et l’Injustice au Rwanda est une
association de défense des droits humains basée en Belgique, créée le 18
août 1995. Ses membres sont des militants des droits humains de longue date.
Certains ont été actifs au sein d’associations rwandaises de défense des
droits humains et ont participé à l’enquête CLADHO/Kanyarwanda sur le génocide
de 1994. Lorsqu’ils ont commencé à enquêter sur les crimes du régime
rwandais actuel, ils ont subi des menaces et ont été contraints de
s’exiler à l’étranger où ils poursuivent leur engagement en faveur des
droits humains.
Centre de Lutte contre l'Impunité
et l'Injustice au Rwanda (CLIIR)
BP. 141 Bruxelles 3
1030 BRUXELLES-Belgique
Tél/Fax: 32.81.60.11.13
GSM: 32.476.70.15.69