«La vérité n'a pas été dévoilée sur le Rwanda» New York de notre correspondant Par
Fabrice ROUSSELOT Un ex-enquêteur international accuse l'ONU d'avoir bloqué l'enquête sur le crash de l'avion d'Habyarimana. |
«Je maintiens ce que j'ai dit au juge Bruguière. On m'a toujours assuré que l'enquête sur l'attentat contre l'avion du président Habyarimana, qui a déclenché le génocide, faisait partie de mon travail. Et puis, quand j'ai trouvé une piste sérieuse, la procureure générale du Tribunal international sur le Rwanda (TPIR), Louise Arbour, m'a demandé de tout arrêter en février 1997. J'étais sous le choc et j'ai démissionné peu de temps après.» Près de dix ans après les faits, Michael Hourigan affirme «que la vérité n'a pas été dévoilée sur le Rwanda». Depuis une semaine, cet ancien enquêteur australien du TPIR est au coeur de la tempête provoquée par le rapport du juge Bruguière sur le Rwanda, révélé par la Liberté de Fribourg et le Monde. Son témoignage est cité longuement par le magistrat français, pour étayer ses accusations selon lesquelles les Nations unies ont fait obstruction au travail de la justice.
Interrogations. Dans un entretien accordé à Libération depuis Adélaïde, Australie, Michael Hourigan, aujourd'hui avocat, a accepté de revenir sur son année passée à Kigali, pour livrer un récit qui soulève de nombreuses interrogations sur le rôle des Nations unies dans le cadre de l'enquête sur le génocide rwandais. Et notamment sur la réticence de l'Organisation à tenter de savoir qui était derrière l'attentat contre l'avion d'Habyarimana, dont la responsabilité a été attribuée , par le juge Bruguière à l'actuel président rwandais, Paul Kagame.
Quand il est arrivé à Kigali, le 6 avril 1996, Hourigan affirme que le directeur des enquêtes de l'ONU, le Canadien Alphonse Breau, lui a spécifiquement demandé d'essayer d'établir qui était responsable du tir de missiles qui avait détruit l'appareil. Lors d'une visite, quelques semaines plus tard, de Louise Arbour à Kigali, Hourigan lui aurait fait part des progrès de son travail, et celle-ci se serait «félicitée», l'encourageant à «persévérer».
Tout change en février 1997, quand l'enquêteur australien entre en contact avec trois membres du FPR, le Front patriotique rwandais au pouvoir, qui assurent qu'ils ont fait partie d'une cellule qui a préparé l'attentat contre Habyarimana, sous la direction de Paul Kagame. Hourigan prévient Louise Arbour lors d'un coup de téléphone de l'ambassade américaine, en présence de Michael Hall, chef adjoint des opérations de sécurité de l'ONU, dépêché par Kofi Annan. Elle demande à l'enquêteur de venir à La Haye. C'est là qu'il se voit demander d'arrêter son enquête. «Arbour m'a simplement dit que l'accident d'avion ne faisait pas partie du mandat du TPIR. Et, quand j'ai fait mine de protester, elle m'a demandé si j'avais l'intention de lui désobéir», poursuit-il. Contacté par Libération, le bureau de l'ancienne procureure, qui siège aujourd'hui à la Cour suprême du Canada, a fait savoir qu'elle «préférait ne pas faire de commentaires sur cette affaire».
Aujourd'hui, Hourigan maintient que le crash de l'avion faisait bien partie du mandat du TPIR, citant notamment l'article 4 des statuts du tribunal, qui étend sa juridiction aux «actes de terrorisme international». Sa version, d'autre part, est corroborée par un ancien agent du FBI, James Lyons, à qui l'ONU avait demandé, dès février 1996, de coordonner toutes les enquêtes au Rwanda. Lors d'une déposition faite en 2001 devant le Congrès, celui-ci a confirmé que «faire la vérité sur l'attentat» faisait bien partie des «objectifs» fixés à l'équipe supervisée par Hourigan.
«Confidentiel». L'enquêteur révèle d'autres éléments troublants. Comment, par exemple, un mémorandum qu'il a rédigé en août 1997 sur sa mission rwandaise, avant de l'envoyer au bureau des services internes de l'ONU, n'a jamais été rendu public ni jamais utilisé par l'Organisation. Dans le document de quatre pages, marqué «Confidentiel», et que Libération a pu se procurer, Hourigan évoque l'affaire de l'avion. Il parle aussi des avertissements que le général Roméo Dallaire, le chef des Casques bleus à Kigali, avait envoyés à Kofi Annan, alors en charge des forces de maintien de la paix, concernant la préparation d'un génocide par les extrémistes hutus.
Si cette histoire est connue, deux autres le sont moins. Selon Hourigan, dès février 1994, Dallaire a reçu des renseignements précis d'un informateur hutu selon lequel des membres de la garde présidentielle d'Habyarimana avaient l'intention d'assassiner le chef de la cour d'appel de Kigali. Malgré cela, la Minuar, la mission de l'ONU au Rwanda, a choisi de ne pas bouger. Au matin du 7 avril, au lendemain du crash de l'avion, le magistrat a été tué.
Blâme. Hourigan évoque enfin la demande faite en 1996 par la justice belge au général Dallaire, afin qu'il témoigne sur le meurtre de dix soldats belges en avril 1994. A l'époque, Dallaire aurait fait comprendre qu'il était prêt à blâmer l'ONU et l'immobilité de ses chefs. Prévenu par son expert en affaires légales Ralph Zackrin, le secrétaire général Boutros Boutros-Ghali, aurait alors spécifié à Dallaire qu'il ne lui serait accordé aucune immunité devant les tribunaux belges s'il témoignait, et qu'il risquait lui-même d'être inculpé. Finalement, assure Hourigan, un texte fut préparé par l'ONU pour la justice belge et signé par Dallaire, qui ne s'est jamais rendu en Belgique. Nulle part, il n'y était fait allusion aux avertissements sur le génocide à venir.
«Le plus frustrant, dit Hourigan, c'est qu'après tant de temps on ne sait toujours pas ce qui s'est vraiment passé.» «A ce jour, aucune assistance officielle n'a été fournie au TPIR de la part des services de renseignement des pays étrangers, ou même de l'ONU, concernant le planning et la préparation du génocide de 1994», regrettait-il dans son mémorandum de 1997.