Génocide
rwandais : de la prison centrale de Bamako Jean Kambanda
fait des révélations au Républicain
Le
rapport du juge anti-terroriste français Jean-Louis Bruguière
a relancé la question sur le fait déclencheur du génocide
de 1994 au Rwanda, à savoir l'attentat perpétré le 6
avril sur l'avion du Président Juvénal Habyarimana. Ce
rapport dont le quotidien français "le Monde" a
fait l'écho la semaine dernière accuse l'ONU d'avoir fait
obstruction à l'enquête et empêché la manifestation de
la vérité en recelant "la boite noire" de
l'appareil pendant dix ans. Du fond de sa cellule à la
Maison Centrale d'Arrêt (MCA) de Bamako, Jean Kambanda,
premier ministre du gouvernement intérimaire rwandais au
moment du génocide, que nous avons rencontré, s'insurge
contre le mensonge des Nations-Unies par rapport au crash de
l'avion présidentiel et accuse l'organisation mondiale de
non assistance à populations en danger.
"Les Nations-Unies disent n'avoir pas eu accès au site
du crash, c'est faux", rétorque Jean Kambanda. Selon
l'ex-premier ministre, lorsque l'avion du Président
Habyarimana a été abattu le 6 avril 1994, les forces
gouvernementales se sont déployées pour sécuriser les
lieux. Une première tentative de la MINUAR (Mission des
Nations-Unies au Rwanda) pour accéder au site a échoué.
C'est après moults tentatives que le commandant des casques
bleus à Kigali, le général Romeo Dallaire lui a adressé
une lettre le 2 mai 1994 pour accéder à l'épave de
l'avion et ouvrir une enquête sur les causes du crash. Il
lui aurait aussi demandé de faire des propositions quant
aux membres de la Commission d'enquête.
La
MINUAR en accusation
Jean Kambanda affirme avoir écrit le 7 mai 1994, une lettre
de deux pages, au général Romeo Dallaire pour lui donner
les éléments de réponses. Il soutient avoir indiqué que
la France, le pays du constructeur de l'avion et qui avait
également des victimes, notamment l'équipage, devait
assurer la présidence de cette Commission. Le Burundi dont
le président avait également péri dans le crash et la
Tanzanie, pays de la provenance de l'avion devaient également
faire partie tout comme l'Organisation de l'Aviation Civile
Internationale (OACI) en vertu de la convention de Chicago.
Jean Kambanda explique avoir écrit dans la deuxième page
de la lettre qu'il est heureux que Romeo Dallaire ait eu accès
à l'épave de l'avion. Et cela sur la foi des déclarations
des ministres des transports et de la défense qu'il a
consultés entre-temps. Cependant M. Dallaire a nié plus
tard avoir reçu la deuxième page de la lettre de Kambanda.
Ce dernier est pourtant formel : "La MINUAR avait accédé
à l'épave de l'avion entre le 2 et le 7 mai".
L'ex-premier ministre affirme avoir eu par la suite
plusieurs entretiens avec M. Dallaire qui n'a plus posé le
problème d'accès à l'épave de l'avion, ce qui prouve
qu'il y avait déjà accédé.
Mais comment "la boite noire" de l'avion s'est
retrouvée à l'ONU qui l'a conservée dans un placard
pendant dix ans ? M. Kambanda affirme ne rien savoir :
"personne ne m'a jamais dit ou se trouvait la boite
noire". Mais ce qui choque M. Kambanda, c'est que malgré
plusieurs demandes réitérées, les Nations-Unies n'ont
jamais ouvert une enquête sur l'attentat de l'avion présidentiel,
le fait déclencheur du génocide rwandais qui a fait près
d'un million de morts. Pis, les enquêtes diligentée par Me
Michael Hourigan, enquêteur australien du Tribunal Pénal
International pour le Rwanda (TPIR) ont été toutes étouffées.
Louise Arbour, alors procureure générale du TPIR lui
aurait signifié que le tribunal n'a aucun mandat d'enquêter
sur l'événement déclencheur du génocide. Pourtant le
TPIR a été créé pour juger les personnes présumées
responsables d'actes de génocide et d'autres violations
graves du droit international humanitaire commis au Rwanda
ou sur le territoire d'Etats voisins entre le 1er janvier et
le 31 décembre 1994.
Jean
Kambanda admet qu'il y a eu au Rwanda en 1994, une attaque généralisée
et systématique dirigée contre la population civile tutsi,
dans le dessein d'en exterminer les membres. Mais il
s'insurge contre l'accusation qui soutient que ce génocide
a été planifié par les responsables du pays à l'époque.
Kagamé a commandité l'attentat contre Habyarimana
"Ceux qui ont planifié l'assassinat du président
Habyarimana ont planifié le génocide des tutsi. Compte
tenu de la situation qui prévalait dans le pays tout le
monde savait qu'en tuant le président cela allait engendrer
des répressions sur les tutsi", explique Jean
Kambanda. Il cite un rapport fait en janvier 1994, au niveau
de l'Ambassade Américaine, qui parlait de 500.000 morts au
niveau des tutsi, si jamais quelque chose arrivait au président
hutu Habyarimana. Pour lui, les massacres de 1992 et 1993 étaient
des signes précurseurs.
"Les planificateurs du génocide, c'est Paul Kagamé et
son régime. Comment un homme a pu sacrifier l'ensemble des
tutsi vivant à l'intérieur du Rwanda, en perpétrant
l'attentat contre l'avion présidentiel, uniquement pour
prendre le pouvoir", déclare-t-il. Selon lui, Paul
Kagamé, actuel Président du Rwanda est celui qui a
commandité l'attentat contre le Falcon 50 du Président
Habyarimana. A l'époque, il était le chef militaire du
Front Patriotique Rwandais (FPR), mouvement
politico-militaire qui luttait contre le régime.
L'ex-premier
ministre Jean Kambanda accuse l'ONU d'avoir failli à son
devoir. Pour lui, la MINUAR devait assurer la protection de
l'aéroport de Kigali. Et c'est à partir de là que des éléments
du FPR ont été infiltrés pour commettre leur sale
besogne. La MINUAR devait protéger les populations, là
aussi ce fut un fiasco. Il affirme avoir eu un entretien
avec Romeo Dallaire le 11 avril 1994 et lui aurait demandé
à travers des notes verbales de l'aider à arrêter les
massacres. "Il n'a pas dit non mais il n'a rien
fait", soutient Jean Kambanda qui explique que les
Nations-Unies qui devaient augmenter leur effectif l'ont
plutôt réduit, passant de 2500 casques bleus à 270.
"Les éléments de la MINUAR participaient à la lutte
contre les forces gouvernementales", déclare Jean
Kambanda. Les personnalités du pays qualifiées de pro-FPR
qui étaient sous la protection des Nations-Unies ont été
lâchées à la dernière minute et ont été massacrées.
Il s'agit entre autres de l'ex-ministre des Affaires étrangères,
Boniface N'Gurinzira, négociateur des accords d'Arusha et
du président de l'Assemblée Nationale Félicien N'Gango.
La MINUAR s'est retirée de la protection de ces personnalités
qu'il escortait les livrant à la vindicte populaire. A
travers Romeo Dallaire, Jean Kambanda met en cause l'actuel
secrétaire général de l'ONU, Koffi Anan qui dirigeait à
l'époque le département des opérations de maintien de la
paix de l'organisation et était l'interlocuteur direct des
Casques bleus présents au Rwanda et qui ne sont pas
intervenu pendant les massacres.
Le
tribunal des vainqueurs
Les populations, elles aussi ont été abandonnées. Les éléments
du FPR ont retiré des individus au du grand stade de
Kigali, pourtant QG des Nations-Unies pour les abattre. Même
scénario au niveau de l'Ecole Technique Officiel (ETO) de
Kigali dont la MINUAR assurait la sécurité des personnes
qui s'y étaient réfugiées.
Jean Kambanda balaye du revers de la main les accusations
faites avant-hier sur les antennes de RFI (Radio France
Internationale) par Paul Kagamé sur l'implication des
forces françaises au côté du régime hutu, lors du génocide.
Aucun
lot d'armes et de munitions n'est venu de la France. Le
Rwanda était sous embargo et les armes venaient par trafic
d'Israël, d'Afrique du Sud et d'Albanie. Les intermédiaires
avaient leurs adresses en Grande Bretagne. La France tout
comme la Belgique a envoyé des contingents pour évacuer
ses compatriotes. Mais Jean Kambanda soutient qu'il y a eu
plus de victimes parmi les hutu que parmi les tutsi.
"Il y a eu plus de victimes hutu que tutsi dont
personne ne parle jamais", déclare-t-il.
Gersony, un américain consultant du Haut-commissariat des
Nations-Uines a fait une enquête dans 3 communes du Rwanda
sur 147. Il a dénombré 30.000 tués parmi les hutu entre
avril et octobre 1994. Ce rapport a été déposé à la
Haye, à la Cour internationale de justice. Il contient les
lieux, dates et noms des assassins et responsables des
massacres. "Mais personne n'en parle parce que consigne
a été donnée pour que les crimes imputables au FPR ne
soient pas dits". Pour l'ex-premier ministre, le TPIR a
failli à sa mission. "Nous pensons que c'est un
tribunal injuste, pendant dix ans ce tribunal ne poursuit
que d'un seul côté. Pas un seul tutsi n'a été inquiété",
fulmine-t-il. Selon lui, le TPIR est le tribunal des
vainqueurs. "Un tribunal qui est là juste pour régler
des comptes à la partie vaincue", conclut-il.
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Fousséni
Traoré