CRITIQUES SUR LE FONCTIONNEMENT DES GACACAS LORS D'UN COLLOQUE A BRUXELLES
 

Bruxelles, 27 novembre 2007 (FH) – L’historienne Alison Des Forges, conseillère pour l’Afrique de Human Rights Watch, a mis en cause lundi lors d’un séminaire au Parlement européen la crédibilité des gacaca, ces juridictions semi-traditionnelle s chargées de juger la grande majorité des personnes accusées de participation au génocide rwandais.
 
« Il est difficile de dire que gacaca, en tant que mécanisme judiciaire, est aujourd’hui crédible et sera perçu comme tel », a déclaré Mme Des Forges dans un séminaire organisé par l’EurAc (Réseau européen pour l’Afrique centrale, un regroupement d’ONG).
 
Le processus est « difficile à évaluer compte tenu de sa vitesse », a-t-elle d’abord posé. Sorti de sa phase pilote en 2005 – le prononcé de jugements ne s’étant généralisé au niveau national qu’à partir de juillet 2006 – il  devait, officiellement, se terminer d’ici la fin de l’année mais pourrait être prolongé.
 
«On dirait un bar qui ferme à minuit, où on se presse pour le dernier verre : les accusations pleuvent, des personnes acquittées sont de nouveau accusées… C’est inquiétant. C’est un train qui dévale à toute allure la colline sans personne qui le dirige », a-t-elle dit pour décrire la dernière phase en cours de gacaca, avant de s’interroger sur sa nature « d'avantage politique que judiciaire ».
 
« Dernièrement, un responsable politique m’a dit qu’ils avaient fait preuve de beaucoup de souplesse avec la justice. Ainsi la politique peut s’immiscer dans la procédure et la porte est ouverte pour accuser ou ne pas accuser quelqu’un arbitrairement », a-t-elle jugé.
 
Refusant néanmoins (sans l’exclure « pour certains ») d’attribuer aux dirigeants l’intention de « faire du système judiciaire un système de répression politique », elle a rappelé qu’il ne fallait pas négliger « l’impact des initiatives de base : des conflits ordinaires – de femme, d’emploi, de terre, de véhicule… – peuvent interférer ; il n’y a pas besoin des gens d’en haut… Et ce système donne à ceux qui veulent en profiter aux détriment des autres une occasion extraordinaire. »
 
En exemple, elle a cité une réforme lourde de conséquences à ses yeux : celle qui a chargé les « nyumbacumi », les responsables administratifs locaux de dix maisons, de la collecte des informations en vue des procès. « Un changement radical, selon l’historienne, bien que cela soit passé par voie réglementaire et non législative. »
 
« A l’origine, la communauté devait participer à un échange public, sur les lieux, les actes, les personnes accusées, elles-mêmes présentes et pouvant contester les accusations. Ce processus était long et certaines personnes hésitaient à parler en public. Alors on a confié à ce représentant le soin d’aller de maison en maison ou dans de petites réunions collecter ces informations. Et le débat contradictoire et transparent n’existe plus », a-t-elle expliqué.
 
« Il n’est ainsi plus possible de contester avant le procès, publiquement, le fait que cet agent range les personnes accusées dans telle ou telle catégorie », a-t-elle ajouté – les prévenus étant « classés » en catégories (quatre, puis trois depuis 2004) selon la gravité de ce qui leur est reproché.
 
Selon elle, il en résulte un manque de confiance dans les gacaca, « tant du côté des victimes que de celui des bourreaux » : les deux pensent que le système est utilisé à des « fins politiques ».
 
« Le résultat final ne sera pas forcément que le hutu pauvre sera toujours accablé, et on ne peut pas dire par ailleurs que la pauvre victime tutsi sera forcément écoutée. Cela dépend de l’équilibre politique du coin », a-t-elle résumé.
 
Mme Des Forges a également pointé les « incohérences » de la politique gouvernementale quant à la « définition de la culpabilité », en référence aux changements successifs dans le contenu des catégories de prévenus.
 
« Puis il y a eu une forte pression sur les agents administratifs pour réduire le nombre de personnes susceptibles de relever de la première catégorie [les crimes les plus graves, jugés par les juridictions ordinaires, NDR], a-t-elle continué. Sur quelle base un groupe d’agents administratifs peut-il décider d’évaluer des éléments d’accusation ? Où est la transparence ? Et les garanties des droits de l’homme ? »
 
En réponse à une question, l’historienne américaine a par ailleurs estimé que « tant que les crimes de guerre du FPR – officiellement, pour Kigali, il n’y en a pas – n’auront pas été jugés, une partie restera toujours convaincue qu’il n’y a pas de justice et on sera loin de la réconciliation ».
 
 
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