RAPPORT SYNTHETIQUE SUR LES ASPECTS SOCIAUX ,
POLITIQUES, ECONOMIQUES ET MILITAIRES DE LA
SITUATION DU RWANDA DURANT LES ANNEES 1990 –1994
établi par
Helmut STRIZEK
Berlin
INTRODUCTION
Le présent rapport ne prétend en aucun cas présenter
tous les aspects qui ont contribué au
déclenchement du génocide contre la population tutsi
et les autres massacres massifs ayant eu
lieu au Rwanda en 1994. Il se limite à l’évocation
de quelques éléments importants qui n’ont
pas toujours été suffisamment pris en considération
dans l’évaluation des faits.
Au cours de cette étude, l’expert a eu la
possibilité de consulter le rapport d’expert soumis
au Tribunal pénal international pour le Rwanda par le
Docteur Alison Des Forges dans le
cadre des procédures diligentées contre Monsieur
Ferdinand Nahimana ainsi que sa déposition
devant ce même Tribunal. Certaines des conclusions ou
affirmations défendues par le Docteur
Des Forges font l’objet de réserves de la part de l’expert
et seront discutées dans le présent
rapport.
Dans un souci de clarté et de présentation, il est
proposé d’aborder l’étude des différents
aspects sociaux, politiques , économiques et militaires
qui forment le soubassement de la crise
qui a emporté le Rwanda en 1994 de manière
chronologique. Dans un premier temps, on
abordera brièvement la situation qui prévalait au
Rwanda avant l’offensive déclenchée par le
FPR le 1er octobre
1990 (I). Puis, on s’attachera au déroulement de la guerre, à ses
acteurs tant
Rwandais qu’étrangers ainsi qu’à l’impact du
conflit sur le Rwanda et sa population (II) avant
d’étudier le processus politique qui a conduit à la
signature des accords de paix d’Arusha (III).
La dernière partie concernera la reprise des
hostilités et le chaos politique et social qui suivit
l’assassinat du chef de l’Etat (IV).
I.) L’ETAT RWANDAIS AVANT L’ATTAQUE DU 1er
OCTOBRE 1990
1. DESCRIPTION SUCCINCTE DU REGIME HABYARIMANA
a) La prise du pouvoir par le Général Juvénal
Habyarimana
Le chef des Forces armées rwandaises, le Général
Juvénal Habyarimana, est arrivé au
pouvoir avec le soutien occidental en 1973 pour couper
court aux massacres alors en cours
contre les tutsi au Rwanda suite au génocide1 contre l ‘élite hutu du Burundi
perpétré en 1972
par le régime militaire burundais dirigé par Michel
Micombero. Evénements ressentis
durement au Rwanda qui a dû, par ailleurs, accueillir
aux alentours de 200 000 réfugiés.
1 Sur ces
événements voir notamment Lemarchand 1996.Ce putsch est qualifié en règle générale de non
sanglant, ce qui n’a toutefois pas empêché
Habyarimana de faire disparaître par la suite, à l’aide
de son chef de la sûreté le Major
Théoneste Lizinde, les principaux dignitaires de la
Première République2.
b) Un régime autoritaire
Après une période de pouvoir militaire direct
Habyarimana a transformé son régime en une
sorte de pouvoir mixte entre un parti-Etat et l’armée
qui est toujours restée la base principale
de son régime.
Il a, par la suite, ajouté quelques éléments
démocratiques à son système que l’auteur du
rapport a qualifié de « démocratie militaire ».3
Ainsi, selon les observations faites au Rwanda par l’expert
à l’époque des faits, l’image
d’Habyarimana a été terni légèrement par « l’affaire
Donat Murego ». Habyarimana a lié le
procès tenu contre Lizinde à celui de Murego. Les
observateurs étaient convaincus que
Murego n’était pas du tout impliqué dans le coup d’état
raté de 1980. Il s’agissait d’une
question de concurrence politique. Murego était censé
défier un jour Habyarimana et son
entourage. (Agathe Habyarimana était à l’époque
bien connue mais dans le souvenir de
l’expert elle n’était pas encore appelée «
Kanjogera 4».)
Murego a été condamné à dix ans de
prison et il a dû purger cette peine complètement.
Cela explique bien l’animosité de Murego
comme membre dirigeant du parti MDR après sa
libération. (Ce fait portera préjudice au
processus de démocratisation à partir de 1991.)
Malgré une certaine agitation politique en 1980
(tentative de putsch par les militaires
Alexis Kanyarengwe et Théoneste Lizinde) le régime
Habyarimana était considéré comme
l’un des plus stables en Afrique principalement car il
reposait sur l’assentiment de la grande
majorité de la population, hutu comme tutsi. Les
coopérations internationales faisaient l’éloge
de ce « Président du développement ».
c) L’absence de tension ethnique
Jusqu’au jour de l’invasion des soldats du FPR le 1er octobre 1990, aucune exaction contre
la population tutsi n’a eu lieu au Rwanda sous la
présidence d’Habyarimana. Il a combattu ses
adversaires politiques hutu d’une façon parfois
critiquable mais son régime ne peut en aucun
cas être blâmé d’ethnisme. La politique des quotas
en faveur des tutsi a été applaudie
presque partout comme adéquate à la situation.
Tout le monde savait et acceptait que seule l’armée
était plus ou moins réservée aux hutu.
Cela s’expliquait entre autres par le fait que l’armée
était réservée sous la présidence de
Kayibanda aux hutu suite aux attaques militaires de l’UNAR,
l’ancien parti de la monarchie
tutsi. Quand les militaires ont pris le pouvoir en 1973,
ils étaient par la force des choses
presque tous hutu. Ces faits ont
été décrits notamment par Jean Barahinyura dans son livre Le
Général-Major
Habyarimana 1973-1988, Frankfurt/Main,
IZUBA, 1988.
Voir p.ex. Strizek
1998, chapitre 7.2
4 Une des veuves du
Roi Kigeri IV et l’auteur du coup d’état de Rucunshu" en 1897
"Deux éléments viennent confirmer l’absence de tout
caractère ethniste du régime
Habyarimana.
En premier lieu, Habyarimana et le comité militaire qui
ont renversé le Président
Kayibanda le 5 juillet 1973 ont réussi d’une part à
supprimer toutes les exactions commises
contre la population tutsi au Rwanda et, d’autre part,
à établir d’abord une « coexistence
pacifique » avec le régime burundais de Micombero
dominée par une armée quasi
exclusivement composée de tutsi, puis des relations
normales avec son successeur Jean-Baptiste Bagaza.
En second lieu, comme son prédécesseur Kayibanda,
Habyarimana était un catholique
fervent mais d’une tendance plus conservatrice que
celui-ci. Or, il jouissait du soutien de
l’église catholique belge et du Vatican. Compte tenu
de l’influence certaine du clergé tutsi à
Rome, ce soutien montre bien que Habyarimana n’a
jamais été soupçonné d’une politique
anti-tutsi5.
2. LA DEGRADATION DU REGIME HABYARIMANA APRES 1985
Beaucoup de facteurs ont contribué à la crise du
régime après 1985. On insistera ici d’une
part sur la détérioration de la situation économique
et d’autre part, sur la dégradation de
l’environnement politico-social rwandais caractérisé
par une corruption grandissante et
l’aggravation du régionalisme.
a) Les facteurs économiques
i. La chute des prix du café
Le Rwanda, l’un des pays les plus pauvres au monde
dépendait quasi exclusivement de ses
exportations de café pour obtenir les « devises fortes
» vitales à son économie. Au milieu des
années 80, une brusque détérioration du marché
international entraîna une chute drastique des prix aux conséquences dramatiques pour l’économie
rwandaise et une paupérisation rapide de
population déjà grandement affectée.
ii. La pression démographique et la raréfaction des
sols
Ce phénomène rendait visible un autre problème
structurel de la société rwandaise à savoir
la pression démographique accrue. Celle-ci se
répercutait sur la rareté de sols cultivables. Le
système de l’héritage foncier produisait une
pauvreté rurale inconnue auparavant . Les projets
de développement ne pouvait pas changer cette
situation.
5 Le fait que son
ami dès sa jeunesse Vincent Nsengiyumva, l’archevêque (hutu) de
Kigali
siégeait avant 1985 pendant quelques années au Comité
Central du parti unique MRND ne
peut en aucun cas être interprété comme expression d’une
politique ethnisante de l’église
catholique comme cela a été suggéré par certains
milieux après 1994. L’expert est plutôt de
l’avis que Rome n’avait pas d’objections contre ce
lien de l’église avec l’état parce que cela permettait d’empêcher une politique de planning
familial rigoureuse de l’Etat.
Un rapport de l’USAID constatait que entre 1984 et
1989, la taille moyenne des
exploitations s’était réduite de 12% et qu’en 1984
57% des paysans exploitaient moins d’unectare et 25% moins d’un demi hectare. Facteur
aggravé par le fait qu’en moyenne une
famille était composée d’au moins 5 membres. Le
système patrimonial qui prévoyait le
partage des terres entre les frères accentuait le
phénomène de fragmentation des terres6.
iii. Les risques de famine
En 1989, une famine qui touche particulièrement les
régions sud et ouest du Rwanda,
ancien bastion du régime Kayibanda, fait des centaines
de mort.
b) Les facteurs politiques
i. Une corruption grandissante
Les bénéfices dérivant des aides de la coopération
internationale revenaient bien souvent
plutôt aux agents de l’Etat qu’aux paysans. James
Gasana, ancien ministre de la défense du
premier véritable gouvernement pluripartite mis en
place en 1992, a dévoilé ce fait sans
équivoque : «
La pauvreté des masses rurales devient une ressource naturelle pour les
élites.
Celles-ci ‘s’approprient’ la pauvreté des
pauvres, non pour améliorer leur sort, mais pour
jouir de la rente des aides internationales. »7
ii. Le régionalisme
La lutte pour la distribution du « gâteau national »
est devenu plus cruelle que jamais et la
famille du président y jouait un rôle grandissant. La
corruption est devenue une gangrène. Les
conflits d’intérêts entre les groupes venant de la
même région que le Président et son épouse
en liaison avec un groupe de commerçants tutsi et les
élites du sud ayant été mises au
deuxième plan avec le renversement du Président
Kayibanda ont perturbé le système politique
et social du Rwanda.
L’expert souscrit pleinement à l’analyse que James
Gasana fait de la situation politicosocial
du Rwanda de la fin des années 80 lorsqu’il affirme
que : « A la fin des années
1980, le
mal principal de la société rwandaise n’était donc
pas l’ethnisme. Rien n’est aussi faux que
d’affirmer que le régime de Habyarimana a été
anti-tutsi. Alors que le principal problème
social du Rwanda était la pauvreté rurale, le
problème politique le plus aigu était
certainement le régionalisme »8.
L’assassinat du Colonel S. Mayuya le 18 avril 1988 fut
le début d’une certaine instabilité
politique. Cet homme de confiance de Habyarimana a été
assassiné par le Major Biroli (un
tutsi rare dans les rangs de l’armée), qui a été
arrêté tout de suite après mais a été assassiné de
son côté peu après son transfert à Kigali.Le chef de
l’entreprise paraétatique ELECTROGAZ,
Pasteur Bizimungu, lié en parenté à Mayuya commencé
à craindre pour sa vie. Il a quitté le
pays et a plus tard adhéré au FPR. (Jusqu’à sa
rupture et son emprisonnement par le Général
Kagamé en 2002 il était Président de la République
de l’Etat FPR.)
6 Rapport de l’USAID,
"More people, more trouble", cité par Mahmood Mamdani 2001,
p.
197.
7 Gasana 2002, p. 50
8 Gasana 2002, p.
54.
3. 1990 : LA FIN DE LA GUERRE FROIDE ET SES CONSEQUENCES
AU RWANDA
Au tournant des années 90, le contexte international
change radicalement ce qui ne va pas
sans conséquences sur la situation politico-économique
rwandaise.
a) L’évolution du contexte international et l’exigence
d’une « démocratisation douce »
Ce changement radical dans l’approche adoptée par les
grandes puissances dans leurs
relations avec leurs partenaires africains peut s’illustrer
par deux événements majeurs dont les
répercussions sur le Rwanda sont directes.
i. La nouvelle politique américaine
L’année 1990 n’est pas seulement une année
charnière pour le conflit est-ouest. La chute
du mur de Berlin a eu des conséquences directes pour l’Afrique
dont le symbole reste
l’abolition de l’ apartheid en Afrique du Sud.
Le Ministre américain des Affaires étrangères James
Baker9 a
profité d’un voyage en
Afrique du Sud pour faire escale à Kinshasa afin d’informer
personnellement le Président
Mobutu de l’impact des changements du contexte
international. Le message était clair :
Mobutu ne pouvait plus compter sur le soutien américain
et on lui suggérait de « jouer le
jeu » démocratique désormais à l’ordre du jour
mondial.
Le lendemain Mobutu libérait Etienne Tshisekedi, le
chef du parti d’opposition le plus
important. Puis il a renoncé à la présidence du parti
unique et a laissé se dérouler le processus
du dialogue national. Cette politique de réforme peut
être appelée « la démocratisation
douce ». Son but était en effet d’éviter tout coup
d’état militaire.
ii. Le sommet de La Baule
Cette politique était en conformité avec la politique
conçue par la France pour sa politique
africaine au sud du Sahara après la guerre froide. Lors
du sommet franco-africain qui s’est
tenu à La Baule en juin 1990 le Président Mitterrand a
expliqué cette nouvelle approche à ses
collègues africains. Le message central pourrait se
résumer ainsi : si les régimes en place sont
prêts à entamer un processus démocratique la France
les aidera – y compris militairement - à
surmonter les problèmes pouvant résulter de cette
transition démocratique.
b) Les conséquences sur le Rwanda
9Cette visite a
été confirmée le 16 octobre 2002 par Herman Cohen qui a accompagné
Baker
dans une interview avec « www.congopolis.com
».
Le Président Habyarimana a clairement exprimé ses
réticences vis-à-vis de cette nouvelle
politique mais s’est résigné et a promis de suivre
la nouvelle ligne de conduite définie par ses
principaux soutiens et bailleurs de fonds.
Cette nouvelle approche politique de ses principaux
alliés vis-à-vis des problèmes du
Rwanda s’est doublé de nouvelles exigences imposées
par la communauté internationale au
niveau économique. Sous l’égide du Fond monétaire
international, une politique d’
« ajustement
structurel » sévère devait
réformer les structures économiques rwandaises.
L’impact social, déstabilisateur pour un pays peu
développé, de ce type de politique a été
lourd dans le cas du Rwanda. Ainsi l’inflation fait un
bond spectaculaire pour passer de 1% à
20% entre 1990 et 1993.
Toutefois, le régime Habyarimana s’est fermement
engagé dans l’application de ces
nouvelles réformes qui ont accompagné et parfois
gêné l’ouverture démocratique du régime et
les tentatives de règlement de la question des
réfugiés.
i. L’ouverture démocratique
Il a tenu parole et les premier pas – parallèlement
aux efforts de négocier une solution des
exilés rwandais en Ouganda – ont été faits. Le 5
juillet 1990 – 17 ans après sa prise du
pouvoir – Habyarimana a annoncé des réformes
structurelles profondes du système étatique
au Rwanda.
Le 1er septembre
1990, une lettre de 33 intellectuels hutu réclamant la démocratie et
le
multipartisme est publiée. Le même mois, une
Commission nationale de synthèse chargée
d’élaborer un projet de Charte politique est mise en
place.
Parallèlement, une presse libre et indépendante
commence à paraître.
Ces évolutions ont été applaudies partout. La visite
du Pape Jean-Paul II pouvait se dérouler
au mois de septembre 1990. Habyarimana lui a promis de
faire de plus grands efforts pour
régler le problème de l’exil tutsi.
ii. Le règlement de la question des réfugiés
Il faut souligner que la « question tutsi » ne jouait
pas un rôle primordial au Rwanda
malgré l’afflux des réfugiés hutu venus du Burundi
après les exactions de l’armée burundaise
dans les communes Ntega et Marangara en août 1988.
Malgré cet élément déstabilisateur
Habyarimana était prêt à trouver une solution pour
les exilés tutsi en conformité avec les
réalités rwandaises.
Dès 1988, le Président Habyarimana avait reconnu l’importance
de ce problème lors d’un
discours prononcé en février à Semuto en Ouganda et
avait mis en place avec son homologue
ougandais un comité interministériel devant se pencher
sur cette question.
En mai 1990, le rapport de la Commission spéciale sur
les problèmes des émigrés rwandais
établie en février 1989 est publié.
En juillet, la même Commission met au point
conjointement avec des participants du HCR
et de l’OUA un « Plan d’opération en vue du
règlement définitif de la question des réfugiés
rwandais ».
A l’automne 1990, le Rwanda et la région des Grands
Lacs en général – le Zaïre et le
Burundi s’étant rendus aussi sur le chemin de la
démocratisation douce - semblait promis à
un avenir positif.
Mais ce processus fut perturbé par l’invasion de
soldats à partir de l’Ouganda qui
prétendaient de « libérer » le Rwanda de son «
dictateur » au nom d’un Front Patriotique
Rwandais.
II.) LA GUERRE
Le 1er octobre
1990, des forces armées se réclamant du Front Patriotique Rwandais
(FPR)
attaquent le Rwanda sans coup férir à partir de leurs
bases ougandaises et menacent
rapidement le régime qui doit appeler à son secours
ses principaux alliés pour faire face à
cette agression. La France a respecté ses engagements
pris à La Baule. Elle voulait empêcher
des prises de pouvoir militaires interrompant des
processus de transition démocratique. Elle
a volé au secours du Président Habyarimana - à cette
époque toujours avec le soutien du
gouvernement américain10
- et la première invasion a été
repoussée fin octobre 1990 après
des succès spectaculaires des soldats FPR qui ont pu
avancer 60 kilomètres vers Gabiro. Par
après les assaillants ont été repoussés au-delà de
la frontière ougandaise et vers la fin de
l’année 1990 on croyait terminé ce mauvais épisode.
Aidé par l’armée française et les forces
zaïroises, Kigali renverse la situation militaire et
inflige de lourdes pertes à un envahisseur
obligé de se replier précipitamment et de revoir en
urgence sa stratégie.
A) LE FPR
a) Les origines du FPR
i. La création
Les monarchistes qui ont quitté le Rwanda entre 1960 et
1964 ont emmené avec eux leur
parti l’UNAR (Union Nationale Rwandaise). Le roi
Kigeri V en est resté le chef spirituel.
Le FPR est le résultat d’une « révolution interne
» de la deuxième génération des exilés.
Les « jeunes turcs » avec leur expérience militaire
acquise lors de leur collaboration avec
Yoweri Museveni sont devenus – ce qui pourrait
paraître contradictoire – des « féodauxantiroyalistes
». Fred Rwigyema et Paul Kagamé, leurs principaux
chefs militaires, voulaient
arriver aux objectifs de l’armée royale sans le roi.
Pierre Erny a pu même parler – à juste titre
– d’un élément maoïste dans l’approche de la
génération FPR. La génération des fils a
10 Herman Cohen, à
ce moment Undersecretary of State for African Affairs, a confirmé ce
fait
lors d’une audition de la Commission parlementaire
française pour le Rwanda. Ils ont
maintenu l’objectif de leurs pères de reprendre le
pouvoir au Rwanda sans pour autant avoir
l’intention de rétablir la monarchie. Ils se sont
transformés en « monarchistes sans roi ».
Après l’apprentissage du métier militaire dans les
rangs du mouvement rebelle ougandais
de Yoweri Museveni et leur victoire en1986 sur Milton
Obote, Fred Rwigyema, Paul Kagamé
et d’autres ont eu assez de confiance en leurs
capacités pour préparer une rentrée militaire.
A l’époque, le régime ougandais est soucieux de se
séparer d’alliés dont le poids et
l’influence en Ouganda sont devenus beaucoup trop
importants pour certains.Mahmood
Mamdani, lui-même ougandais, note que Fred Rwigyema,
qui dirigera la première attaque du
FPR, occupait le poste d’Adjoint au chef de l’armée
et d’Adjoint au ministre de la défense et
que la seule personne qui lui était supérieur en grade
ou fonction était le Président
Museveni11.
Ce dernier voyait d’un bon oeil le départ du FPR pour le Rwanda et
soutenait
leurs efforts. Mahmood Mamdani constate ainsi que l’attaque
du FPR est bien plus la
conséquence des développements politiques récents qui
ont eu lieu dans la région et en
particulier en Ouganda qu’une réponse aux problèmes
liés aux événements de 1959 au
Rwanda12.
ii. Les soutiens du FPR
Le FPR pouvait bénéficier du soutien de l’Ouganda.
Ce fait peut se vérifier par l’étonnant
refus de l’Organisation de Unité africaine de
condamner l’agression évidente d’un pays à
partir du territoire d’un Etat voisin. Pour quelle
raison ? La réponse est simple. Le chef de cet
Etat voisin était le président en exercice de l’OUA.
L’explication contenue dans le « Rapport
Masire » de cette organisation indique le malaise que l’Afrique
éprouve du comportement
étrange de l’OUA en 1990. On y lit :
"The situation, however, was immediately
complicated by two facts. First, despite clear
guidelines set down in the 1969 OAU Convention Governing
the Specific Aspects of Refugee
Problems in Africa, the OAU had done nothing in the
years prior to the invasion to help
resolve the festering problem of Rwanda’s refugees; it
had been of marginal concern until it
assumed civil war proportions. As a result, the OAU felt
it lacked the moral authority to
condemn the RPF invasion, although at the same time it
quite appreciated the outrage that
the invasion caused the Habyarimana government." (Masire-Report
11.16)
.
Le FPR bénéficiait aussi de soutiens puissants en
dehors d’Afrique. Roger Winter, le chef
du US Committee for Refugees, était depuis de longues
années en contact avec ce groupe le
plus ancien d’exilés africains et s’est lié en
amitié avec une partie d’eux. Leur cause était
devenue la sienne. Il a joué depuis le rôle de «
conseiller particulier » de Paul Kagamé. Il les a
aidés de créer un « network » international. La
conférence de Washington en 1988 en est le
résultat le plus spectaculaire. La possibilité d’un
stage de perfectionnement pour Paul Kagamé
en 1990 à Fort Leavenworth aux Etats Unis peut être le
résultat le plus important.
b) Les objectifs
La démocratisation au Rwanda a dérouté les conjurés.
Leur tactique de se présenter comme
libérateur du Rwanda risquait de s’écrouler si
jamais Habyarimana était prêt à jouer le jeu
démocratique et à se retirer éventuellement.
11 Mamdani 2001,
p.170.
12 Mamdani 2001,
p.157.
L’attaque mal préparée du 1er
octobre 1990 ne peut s’expliquer
que par ce fait. Le FPR est
et a toujours été une organisation dont l’objectif
est de reconquérir le pouvoir au Rwanda.
N’étant plus royaliste la deuxième génération des
exilés rwandais a pris une tournure maoïste.
La noblesse nyiginya et béga n’aspirait plus à la
direction de l’Etat comme rois, ils se sont
attribué le droit de diriger se considérant « la
classe dirigeante née ». Ils ne se leurraient pas ête de
l’Etat par le biais d’élections démocratiques.
Leur seul outil était la « kalashnikov ».13
Au coeur de la politique du FPR
résidait la volonté
acharnée de conquérir le pouvoir.
Le désarroi des dirigeants du FPR face aux initiatives
du régime Habyarimana et leur volonté d’agir sans retenue sont abondamment
illustrés notamment par les déclarations de
différents membres ou dissidents du FPR telles celles
de Christophe Hakizabera14Jean-Pierre
Mugabe15 et
Deus Kagiraneza16 qui
ont dénoncé ou reconnu les objectifs poursuivis par cette
organisation et la stratégie mise en place pour y
parvenir
c) La stratégie du FPR
i. Le choix de la guerre
Dès l’origine, le FPR a opté dans sa stratégie de
conquête du pouvoir pour l’option armée.
C’est lui qui débute l’offensive en octobre 90,
alors même que l’Etat rwandais s’est engagé
sur la voie de la démocratisation et qu’il s’est
attelé au règlement du problème des réfugiés.
Le FPR ne renoncera jamais à recourir à la guerre.
Cela se vérifie notamment par le fait que
chaque fois qu’un pas décisif vers la démocratie
était franchi, le FPR est intervenu
militairement.
Pourtant en observateur vigilant on pouvait constater
que toutes les attaques militaires du
FPR étaient une réaction à des succès de la
démocratisation et des forces dites modérées,
c’est-à-dire celles qui étaient prêtes à un
compromis avec le FPR. C’était le cas en octobre
1990, en mai/juin 1992 (réaction aux pourparler de
Paris) et notamment en février 1993 quand
on a pu avoir l’impression que le gouvernement de
coalition dirigé par Dismas
Nsengiyaremye pourrait maîtriser la situation politique
et sociale difficile. Pour l’expert, le
rapport de la Commission internationale d’enquête
publié en mars 1993 (mais dont les
résultats étaient connus en janvier 1993) a été
influencé par le network FPR et a servi de
prétexte à son attaque du 8 février 1993.
13 Reférence à
Paul Kagamé à qui on attribue la phrase: Mon Kamarampaka (Réferendum)
c’est la kalashnikov. Communication reçue par Gratien
Rudakubana dans le cadre du « cercle solidaire » diffusée par yahoo.fr
14 Christophe
Hakizabera, ancien membre du FPR, a adréssé le 10 août 1999 à partir
de son
exil au Benin une lettre au Secrétaire Général de l’UNO
dans laquelle il explique la stratégie
du FPR pour discréditer le régime Habyarimana
15 Jean-Pierre
Mugabe, ancien rédacteur en chef du Tribun du people, et membre du FPR
a
témoigné aux Etats Unis sa connaissance de la
stratégie du FPR auprès du International
Strategic Studies Association , Virginia, April 24, 2000
16 Deus Kagiraneza,
ancien membre de comité directeur du FPR a témogné devant le Sénat
belge le 1er
mars 2002 que les tutsi de l’intérieur
ont été « sacrifiés » pour des raisons politiques.
ii. La division de l’opposition
L’objectif final du FPR n’a jamais été le partage
du pouvoir au Rwanda. Dans cette
optique, l’existence de partis d’opposition trop
puissants pouvaient à terme contrarier la
réalisation de ses propres objectifs..
iii. L’alibi démocratique
La tactique de se faire passer pour un mouvement
démocratique pour « tout le peuple » et
d’attirer des adversaires hutu de Habyarimana s’est
avérée être un grand succès. On peut
affirmer aujourd’hui que tous ces hutu n’ont
finalement joué que le rôle des « hutu de
service ». Le vrai pouvoir s’est toujours trouvé
entre les mains de l’aile militaire APR (Armée
Patriotique Rwandaise) tandis que la structure civile
avec le Président Kanyarengwe restait au
second plan. (Ceci sera également valable par la suite
en ce qui concerne le Président de la
République Pasteur Bizimungu).
iv. La propagande et le choix de l’ethnisme
Parallèlement à sa volonté de se faire passer pour un
mouvement dont l’objectif premier
était le rétablissement de la démocratie au Rwanda,
le FPR a progressivement réussi à
« diaboliser » ses adversaires politiques.
L’un des moyens les plus efficaces pour ce faire a
consisté à soutenir que toute référence
aux différentes ethnies composant la population
rwandaise - c’est-à-dire les hutu, les tutsi et
les twa – revenait à une vision raciste de la
société. Faire référence à l’existence même de ces
ethnies ou groupes pouvait attirer sur l’auteur de ces
propos les pires accusations d’ethnisme
ou de racisme caractérisée. Au final, après 1994 on
connaissait une situation où toute
personne qui utilisait le mot tutsi était dénoncée
comme raciste.
Dans les pays occidentaux cette attitude était très
répandue grâce aux actions de « l’école
historique franco-burundaise » dirigée par Jean-Pierre
Chrétien et Emile Mworoha. Même
Alison Des Forges accepte aujourd’hui que l’affirmation
que les tutsi et les hutu comme
groupes sociaux concurrents soient une invention du
colonialisme n’est pas justifiée. Richard
Kandt, le premier à étudier la situation prévalant à
la fin du 19ième siècle,
nous apprend
clairement que le conflit hutu-tutsi était présent
dès cette époque.Personne ne peut nier que la
féodalité nyiginya/béga était dominée par les
tutsi. Après la redistribution du pouvoir à la fin
de l’ère coloniale, cette féodalité a quitté le
pays après avoir échoué à maintes reprises dans la
reconquête du pouvoir par la force.
Comme déjà souligné plus haut il n’y a pas de
doutes que le noyau dur du FPR était
constitué dès le début de tutsi et l’expert insiste
qu’on a le droit de le dire sans être taxé de
racisme. Sous l’influence de conseillers comme Roger
Winter du « US Committee for
Refugees » le noyau dur savait qu’il serait contre-productif de présenter leurs objectifs
clairement. C’est pour cette raison qu’ils ont
créé cette structure « neutre ». Les succès du
FPR étaient limités tant que les gouvernements
anglophones n’avaient pas d’intérêt de
partager la sympathie de Roger Winter et des autres
membres occidentaux du network FPR
pour une victoire de ces tutsi.
Les Rwandais savaient très bien de quoi il s’agissait
et ils avaient une notion claire des
objectifs de ces « jeunes loups ». Dire que son ennemi
est tutsi, lors d’une guerre de cette
nature est justifié et n’incite pas directement à l’extermination
« des tutsi » en général.
Désigner le FPR comme une organisation tutsi ne
constitue pas en soi un acte criminel.
Le 1er octobre
1990, le FPR déclenche son offensive et manque de l’emporté face à
l’impréparation des FAR. Finalement repoussé avec
pertes et fracas grâce à l’aide militaire
fournie à l’armée rwandaise par la France et le
Zaïre, le FPR se voit contraint de faire évoluer
sa stratégie.
Les déboires du FPR ne concernent pas simplement leurs
affaires militaires. L’accueil qui
leur est réservé par les populations rwandaises n’est
pas celle espérée par des « libérateurs ». Gérard Prunier note ainsi que : «
contrary
to expectations of RPF, local hutu peasants showed
no enthusiasm to be liberated »17.
Loin d’arrêter la guerre et les combats, il se replie
soit sur ses bases ougandaises soit dans
le parc de l’Akagera. De là, il se lance dans des
combats de guérilla souvent violents et
meurtrier. L’un des objectifs à atteindre pour le FPR
consiste à déstabiliser le régime en place.
Cette nouvelle tactique est mise en oeuvre dès janvier
1991. Le 23 janvier exactement,
Paul Kagamé, le nouveau chef militaire du FPR, faisait
preuve de l’efficacité de sa nouvelle
formule de guérilla, en occupant brièvement Ruhengeri
pendant une journée et en libérant
une série de prisonniers – au nombre desquels
Théoneste Lizinde. La guerre n’était donc pas
terminée.
Le FPR a lancé à intervalles réguliers une série d’offensives
visant à occuper souvent
temporairement certaines parties du pays. Ces
différentes attaques étaient immanquablement
accompagnées de leurs lots de personnes déplacées et
de destructions. Mahmood Mamdani
signale qu’en 1992, le Rwanda comptait 350 000
personnes déplacées, chiffre qui se monte à
950 000 en 1993 selon le même auteur18.
De même, au lieu d’administrer les zones tombées
sous son contrôle, le FPR préférait les
laisser en quasi jachère. Des zones économiques
hautement profitables ont ainsi été
soustraites à l’économie rwandaise. Leurs
populations devant souvent être prises en charge
par le gouvernement rwandais.
2. LES REACTIONS FACE A L’ATTAQUE
a) Les réactions du régime face à l’attaque
Pris au dépourvu par l’attaque du FPR, alors que le
Président Habyarimana est en voyage
aux USA pour une conférence à laquelle assiste son
homologue ougandais Yoweri Museveni,
le régime réagit durement. L’internement de milliers
de tutsi après l’attaque du 1er
octobre
1990 était une réaction excessive de la part du
régime et Habyarimana a compris seulement
plus tard le dégât que cela lui a infligé. Pendant
une situation de guerre les Etats ont tendance
à réagir de la sorte. Le Rwanda ne fait pas exception.
Cette réaction regrettable ne constitue
pas pour autant une preuve du caractère raciste du
Président Habyarimana. Cette réaction
était d’autant plus regrettable que dans sa grande
majorité et toutes origines régionales ou
ethniques confondues, la population rwandaise est
choquée par cette attaque interprétée
comme venant de l’étranger et se soude derrière son président.
Les Rwandais continuaient de s’intéresser beaucoup à
la poursuite du processus de
démocratisation. Le Président Habyarimana se
déclarait prêt à instaurer le multipartisme au
Rwanda. En juin 1991, la nouvelle constitution est
adoptée.
Le 18 juin 1991, la loi régissant les partis politiques
était promulguée. Dans la foulée on
assiste à la création des principaux partis d’opposition,
MDR, PL, PSD, qui sont agrées
courant juillet.
Parallèlement, la presse indépendante comptait un
grand nombre de publications et une loi
régissant la presse était enfin adoptée en décembre
1991.
17 Gérard Prunier
cité dans Mahmood Mamdani 2001, p.186.
18 Mahmood Mamdani,
2001 p. 187.
b) Les réactions de l’opposition
L’opposition se structure et s’institutionnalise
progressivement au cours de l’année 1991.
Les partis sont créés et commencent à recruter.
Ces nouveaux partis et leurs dirigeants, dont certains,
tel Murego, sont de vieux adversaires
d’Habyarimana, obtiennent rapidement suffisamment de
poids politique pour réclamer et
obtenir leur entrée au gouvernement. Le premier
véritable gouvernement pluripartite est mis
en place le 16 avril 1992. Le MRND, parti du Président
Habyarimana, n’occupe plus que 9
postes sur 19 et a perdu des portefeuilles clefs comme
le poste de Premier ministre ou le
ministère de l’information.
Ces partis considèrent bien souvent Habyarimana comme
leur principal adversaire et leur
objectif devient son départ. Cet agenda politique
particulier pousse l’opposition, alors même
qu’elle est au gouvernement, à une alliance objective
avec le FPR, mouvement qui est en
guerre avec le Rwanda et qui est toujours considéré
par une grande part de la population
comme d’origine étrangère.
Sous l’égide de l’Eglise, une série de contacts
ont lieu dès février 1992 entre les
représentants de ces partis et le FPR. Ils se
confirmeront après l’entrée de ces partis au
gouvernement, notamment le 5 juin 92 à Bruxelles
malgré l’opposition de leur partenaire au
sein du gouvernement : le MRND.
c) L’impact de la guerre
Le Rwanda s’engage dans une course à l’armement mal
contrôlée. L’armée passe
rapidement de l’ordre de 5000 hommes en 1993 à plus
de 40.000 en 199419 avec
des
conséquences fâcheuses tant économique qu’au point
de vue de la discipline
En sus d’un effort hors de proportion pour agrandir
son armée le gouvernement rwandais a
mis sur pied un programme officiel d’autodéfense
civile principalement dans les préfectures
de Byumba et de Ruhengeri les plus menacées par les
attaques du FPR.
Une confusion est souvent entretenue entre ce programme
officiel encadré par des autorités
administratives et militaires et les « jeunesses »
créées par les différents partis politiques que
certains qualifient parfois de milice.
L’équation faite par Alison Des Forges entre les
appels à l’autodéfense, la création de
milices des partis politiques et la préparation d’un
génocide ne se justifie pas. Les milices
résultent de la complexité de l’introduction du
multipartisme sous les conditions d’une guerre
de guérilla appliquée par le FPR après la défaite de
la fin de l’année 1990. Cette forme de
guerre provoque une réaction de la part de l’agressé.
L’armée régulière n’est pas la cible
habituelle de l’agresseur. Il a l’intention de
blesser justement là où les unités régulières ne se
trouvent pas. Il contourne les endroits de supériorité
de l’agressé. Les milices sont la
conséquence de la guerre et avaient en même temps un
rôle à jouer dans un processus de
rédistribution du pouvoir au Rwanda. Tant que la guerre
semblait sous contrôle les milices se
battaient entre eux. Mais quand le FPR a lancé son
attaque du 8 février 1993 la situation a
dégénéré suite à la faiblesse évidente de l’armée
régulière qui n’a pu éviter la victoire du FPR
que grâce à une aide militaire extérieure. La haine
ethnique maîtrisé jusqu’à ce moment par
l’Etat s’est accrue. L’autodéfense est devenue
dangereuse seulement sous ces conditions
provoquées par le FPR. Gasana souligne ce fait : «
La pluralité des forces politiques du début
des années 90 était telle qu’aucune d’entre elles
ne pouvait gérer dans un secret total un
dispositif étatique d’extermination ethnique. On a vu
que l’effort mené par divers
protagonistes pour créer le chaos et provoquer des
affrontements ethniques généralisé n’a
pas réussi. A Kibilira en 1990 par exemple, on a
assisté à une réaction rapide de
Habyarimana qui a ordonné au ministre de l’Intérieur,
J.M.V. Mugemana, et au préfet de la
préfecture de Gisenyi, F. Nshunguyinka, de faire
ramener le calme. Au Bugesera en mars
1992, on avait à faire à une situation qui pouvait
mener aux affrontements ethniques
généralisés dans le pays. Mais le Premier ministre d’alors,
S. Nsanzimana, n’a épargné
aucun effort pour faire ramener le calme. »20
L’appel à la « levée en masse » à l’instar de
la révolution française n’est pas en soi une
incitation à l’extermination de « l’ennemi »,
mais dans une situation de guerre les deux parties
sont responsables de leurs actes.
Comme nous l’avons vu précédemment, la guerre a eu
des conséquences terribles pour la
population rwandaise. Le nombre de personnes déplacées
à l’intérieur de ce petit pays n’a
cessé d’augmenter pour culminer à plus de 950 000.
Chiffre auquel il faudra ajouter près de
200 000 réfugiés burundais après l’assassinat du
Président Ndadaye.
L’insécurité est grandissante sans que l’on sache
toujours qui est responsable des différents
attentats ou massacres. La vie politique se radicalise.
La guerre a de profondes répercussions économiques
encore aggravées par des risques de
famine notamment dans le sud du pays.
Surtout, la guerre a pour conséquence de réintroduire
la question ethnique au coeur de la
politique rwandaise. Comme il a été dit auparavant, le
régime Habyarimana n’a pas connu de
problème ethnique de 1973 à 1990. Dans ce phénomène,
le FPR porte une large part de
responsabilité souvent sous-estimée. L’auteur
souscrit à l’analyse très poussée faite par James
Gasana dans laquelle il décrit la montée de l’ethnisme
au Rwanda après le déclenchement de
20 Gasana 2002, pp.
279-280.
la guerre d’octobre. Le fait que le FPR se soit livré
lors de ses attaques à des massacres visant
de manière discriminée les paysans hutu a grandement
favorisé la propagation de l’ethnisme.
Gasana conclue ainsi que :« Cette
guerre rend complexe le paysage des alliances politiques.
D’une situation bipolaire d’antagonisme Nord-Sud, on
passe à une plus grande pluralité
résultant d’un nouvel espace politique à trois axes
: régional, ethnique et politique.
Cependant, la stratégie de lutte du FPR, ciblant à
dessein les paysans hutu dans les
préfectures de Byumba et de Ruhengeri, consolide
rapidement l’axe ethnique »21.
Il semble qu’une bonne partie du monde n’a pas pris
au sérieux l’aspiration profonde des
dirigeants du FPR, surtout de ce nouveau chef militaire
Paul Kagamé. C’est pour cette raison
que le cercle des amis du FPR a réussi à accuser d’ethnisme
tous ceux qui ont exprimé la
crainte par le biais du FPR que l’ancienne féodalité
essaye de reprendre le pouvoir au
Rwanda.
A l’intérieur et à l’extérieur une grande partie
des démocrates a accepté la version selon
laquelle le FPR se contenterait d’une participation
minoritaire à la gestion de l’Etat.
Le mouvement du Prayer
Breakfast des Etats Unis
représenté par David Rawson (le futur
ambassadeur) et sa branche allemande (représentée par
Rudolf Decker) ont réussi a présenter
en collaboration avec le US Committee for Refugees le
FPR dans ce sens. Le spiritus
rector
fut le protestant Yoweri Museveni qui entretenait dès
son arrivée au pouvoir de liens étroits
avec les milieux protestants aux Etats-Unis et en Grande
Bretagne.22 Le
network a toujours
pu défendre le FPR quand il est apparu que son objectif
n’était pas son insertion dans un
mouvement démocratique mais bien au contraire son
affaiblissement.
L’attaque du 8 février 1993 était le point culminant
dans ce processus. La vague de réfugiés interne qu’elle a causé a rendu le Rwanda
presque ingouvernable. Le FPR a réussi
par cette attaque - contraire aux accords d’armistice
conclu - de diviser l’opposition
démocratique. A partir de ce moment tous les partis
démocratiques se sont scindés en une
partie en faveur de la continuation de la coopération
avec le FPR (ailes dites modérées) et une
partie critique à cette coopération (dite power23).
Est-ce que le FPR voulait déjà à ce moment
saboter un traité de paix ?
Le régime est confronté à une rébellion armée dont
il ne peut venir à bout et qui trouve de
puissants soutiens dans les partis politiques d’opposition
qui participent désormais au
gouvernement ; pressé par la communauté
internationale, le Rwanda se voit contraint
d’engager des négociations avec le FPR qui aboutiront
au bout d’un an à la signature des
Accords de paix d’Arusha.
21 James Gasana
2002, p. 10.
22 L’expert tire
la plus grande partie de ses informations d’un livre publié par
Rudolf Decker
en allemand. (voir Decker 1998).
23 Il est peu connu
d’où vient cette expression: Les hutu ont repris le cri de guerre des
soldats
FPR « Power »qui dévoilait bien l’objectif de fond
du FPR. Et en réponse à ce cri de guerre
des tutsi, les hutu ont adopté le même cri de guerre
et en ont été fortement critiqué. (Un des
exemples comment les hutu ont atteint des résultats contreproductif en reprenant des slogans
tutsi. Inyenzi en est un autre exemple.)
III.) LES
ACCORDS DE PAIX D’ARUSHA
Vu d’aujourd’hui il est étonnant que les Accords d’Arusha
du 4 août 1993 aient été
conclu. Nous avons pu établir que le FPR ne voulait pas
un partage du pouvoir. Il aspirait au
pouvoir complet. Mais du point de vue stratégique l’accord
s’est avéré avantageux étant
donné que la France s’est désengagée militairement
de Rwanda suite aux accords. L’obstacle
le plus important pour une victoire militaire du FPR a
disparu.
Le livre déjà mentionné de Rudolf Decker (Decker
1993) met une lumière d’une façon
inattendue l’implication de Prayer
Breakfast dans le déroulement
des négociations des
Accords. Les contacts personnels de Rudolf Decker avec
la famille Habyarimana expliquent
en partie pourquoi le président rwandais a finalement
accepté de les signer ensemble avec
Alexis Kanyanrengwe qu’il devait détester depuis le
putsch manqué de 1980.
1. LE CARACTERE
DESEQUILIBRE DES ACCORDS
Pour nombre de Rwandais, les accords d’Arusha étaient
considérés comme profondément
déséquilibrés. L’armée notamment ressentait très
mal, alors qu’elle n’était pas battue, la place
faite aux soldats du FPR dans la nouvelle armée par les
accords.
Le poids politique accordé au FPR dépassait très
largement son soutien réel au sein du
pays.
2. L’IMPOSSIBLE MISE EN OEUVRE DES ACCORDS
L’évolution et la radicalisation de la vie politique
rwandaise va, dès avant la signature des
accords en sceller le sort et les rendre caduques. Deux
éléments majeurs sont ici à retenir:
d’une part l’éclatement des partis d’opposition
et la bipolarisation de la scène politique
rwandaise et, d’autre part, l’évolution du contexte
régional marqué par l’assassinat du premier
Président hutu démocratiquement élu au Burundi.
a) La bipolarisation politique du Rwanda et l’éclatement
des partis d’opposition
Engagés dans une lutte pour le contrôle de l’Etat
avec les partisans du Président
Habyarimana, les partis d’opposition qui ont accédé
aux responsabilités gouvernementales
dès avril 1992, ont entrepris une collaboration d’abord
officieuse puis ouverte avec la
rébellion armée. Cette position est devenue de plus en
plus difficile à tenir au fur et à
mesure du déroulement de la guerre et des ruptures
successives par le FPR des différents
cessez-le-feu en violation même de ses engagements.
Ces diverses violations ont fait douter une part de plus
en plus importante des dirigeants
des partis d’opposition de la bonne foi du FPR et de
son engagement en faveur de la
démocratie.
L’attaque majeure lancée par le FPR le 8 février
1993 qui a failli aboutir à la prise de
Kigali est pour beaucoup une étape décisive. Les
tensions au sein des partis d’opposition
entre les partisans de la poursuite de la collaboration
avec le FPR et ceux qui s’inquiètent
de son comportement et de ses ambitions s’exacerbent.
Tensions qui seront aggravées par les luttes internes
en vue d’obtenir un poste au sein
des institutions prévues par les accords de paix.
Dès le 23 juillet 1993 lors du congrès de Kabusunzu,
Faustin Twagiramungu, le
Président du principal parti d’opposition, le MDR, en
est exclu en compagnie du Premier
ministre en exercice Agathe Uwilingiyimana.
Ces tensions vont devenir intenables après l’assassinat
du Président burundais en
octobre 1993.
b) L’assassinat de Melchior Ndadaye
L’étape finale dans la bipolarisation et l’éclatement
des partis d’opposition remonte à
l’assassinat par l’armée burundaise principalement
composée de tutsi et qui tente de
récupérer le pouvoir qui vient partiellement de lui
échapper, du Président burundais
Ndadaye d’origine hutu démocratiquement élu en juin
1993. Pour beaucoup de Rwandais
qui doivent en plus accueillir près de 200 000
réfugiés fuyant les massacres interethniques
qui ravageaient le Burundi, la crainte de voir les
mêmes phénomènes se produire au
Rwanda l’emporte.
La cassure est définitive au sein des différents
partis d’opposition entre d’une part ceux
qui soutiennent ouvertement le FPR et d’autre part
ceux qui se regroupent derrière la
mouvance présidentielle et ce qui sera par la suite
appelé « hutu power ».
Comme il a été dit auparavant, le FPR ne voyait par
forcément sous un jour défavorable
l’éclatement des partis d’opposition et leur
affaiblissement consécutif.
C’est avec en toile de fond cette nouvelle donne
politique que les accords de paix signés
à Arusha le 4 août 1993 devaient être mis en oeuvre.
Plusieurs tentatives pour mettre en place les nouvelles
institutions ont été faites, mais
ont fait l’objet de blocages d’origines diverses.
Soumis à une grande pression le Président
Habyarimana, qui était par ailleurs soucieux de la
dégradation de la situation interne et
inquiet des menaces de départ du contingent des Nations
Unies venu superviser le bon
déroulement de cette période transitoire, venait à
Dar es-Salaam début avril 1994 pour un
sommet régional. A son retour, son avion était pris
pour cible et abattu. Les jours
suivants, on assistait à une reprise de la guerre et au
déclenchement de massacres d’une
ampleur inégalée dans l’histoire du Rwanda.
18
IV.) LE RWANDA APRES LE 6 AVRIL 1994
1. LE VIDE AU NIVEAU ETATIQUE
Tant que l’on ne connaît pas la vérité sur les
responsabilités de l’attentat du 6 avril 1994
l’analyse des événements qui suivent doit rester
préliminaire. Quelques constatations sont
cependant irréfutables. L’attentat a crée des vides
aux niveaux des structures étatiques au
Rwanda et au Burundi. Dans les deux pays personne n’était
en mesure de s’opposer
effectivement à la reprise délibérée de la guerre
par le FPR. Cette reprise et le refus total de
négocier un cessez-le-feu avec qui que ce soit de la
part du FPR a ouvert un champ d’action à
tous ceux qui exigeaient la revanche pour l’attentat.
Le gouvernement intérimaire établi le 9
avril et ayant été en fuite depuis le 11 avril 1994 n’a
jamais atteint la qualité d’une autorité
d’état. Un vide politique était créé par l’attentat.
2. LE RETRAIT DE LA MINUAR
Le départ des casques bleus belges le 12 avril en
sacrifiant les personnes qui ont cherché
refuge auprès d’eux et la réduction de la MINUAR à
un chiffre symbolique de 270 soldats par
le Conseil de Sécurité le 21 avril 1994 sous l’impulsion
des Etats Unis, de la Grand Bretagne
et de la Belgique24
ont eu un effet incitateur pour
cette no-future generation vivant
autour de
Kigali dans des camps de réfugiés dans des situations
abominables depuis plus d’un an. Les
assassinats politiques du début et les massacres
limités contre les tutsi se sont transformé par
après en un génocide.
3. LA REPRISE DE LA GUERRE PAR LE FPR
a) L’option militaire jamais abandonnée
Dès le 7 avril, les troupes de l’APR, branche armée
du FPR, reprennent l’offensive au
motif de sauver les populations tutsi menacées. Ils ne
déposeront les armes qu’en juillet, une
fois leur victoire définitivement acquise. D’après
certains, on a même pu observer des
concentrations ou des mouvements de troupes du FPR dès
le 5 ou le 6 avril.
De nombreux témoignages font état des multiples
préparatifs poursuivis par le FPR
longtemps après la signature des accords de paix. En
particulier, il est notoire que des groupes de partisans du FPR ont été infiltrés dans la zone
sous contrôle des Forces armées rwandaises
(FAR).
De même, le colonel Marchal, qui commandait à l’époque
la MINUAR dans le secteur de
Kigali, rapporte les difficultés de la mission
onusienne à contrôler les agissements des troupes
de l’APR cantonnées dans les bâtiments du CND et
leurs déplacements nocturnes ainsi que
ses soupçons quant à l’introduction, en contradiction flagrante avec les termes de l’accord de
paix, d’armes dans Kigali à partir de l’état-major
du FPR situé à Mulindi.
Il est clair que le FPR, ou pour le moins les partisans
d’une ligne dure, n’étaient pas tout à
fait satisfaits du résultat des Accords d’Arusha et
qu’ils n’entendaient pas se contenter de
jouer le rôle d’un junior
partner dans le nouvel
échiquier politique rwandais. La solution
armée restait plus que jamais à l’ordre du jour.
Malgré les dangers évidents que faisait courir la
reprise des hostilités à la population tutsi,
risque parfaitement identifié par les dirigeants du
FPR, il est patent comme le souligne A.
Kuperman que ceux-ci étaient prêts à ce sacrifice
afin d’obtenir le pouvoir.
Cette position extrême, voire extrémiste, a
certainement été renforcée par le soutien actif
ou passif des principaux soutiens extérieurs du FPR.
24 Après les
mémoirs de Boutros-Gahli et la publication des livres de Linda Melvern
(Melvern
2002), de Michael Barnett (Barnett 2002) et d’Alan
Kuperman (Kuperman 2002) il n’a plus
lieu de discuter les faits mais seulement les motifs qui
peuvent avoir guidé ces trois pays.
b) Les soutiens extérieurs
Les dramatiques événements qui se déchaînent au
Rwanda début avril 94 auraient pu être
stoppés par une action concertée de la communauté
internationale. Comme il a été
précédemment indiqué, le retrait précipité de l’essentiel
des forces de la MINUAR a eu un
effet décisif. Or, un constat s’impose : l’administration
américaine s’est opposée à toute
intervention.
Pour l’expert, elle avait opté en faveur de la
victoire militaire du FPR. Opinion qui est
renforcée par les multiples démarches entreprises à
tous les niveaux par l’administration
Clinton pour empêcher le gouvernement français de
contrecarrer cette décision, ce qui a été
facilité par la détermination du Premier ministre
français, Edouard Balladur, de ne plus
s’impliquer dans le « bourbier rwandais » après l’avoir
quitte pour de bon en décembre 1993.
La question de savoir à partir de quel moment la
politique des pays anglophones a opté
pour une victoire militaire du FPR au détriment d’un
partage du pouvoir est difficile à
déterminer. L’’auteur du rapport a tendance à
croire qu’une telle décision n’a pu être prise
qu’après la prise de fonction de l’administration
Clinton en janvier 1993. Herman Cohen qui a
quitté le State Department à ce moment n’a
probablement jamais abandonné sa politique de
concertation avec la France. En revanche, dès que
Madeleine Albright a pris – comme
ambassadrice à New York – le devant de la politique
africaine des USA on a pu constater un
refroidissement des liens avec le Quai d’Orsay et l’Elysée
où François Mitterrand n’a jamais
perdu un regard ferme sur les questions africaines.
Le résultat le plus important du changement de la
politique américaine est l’abandon peu
remarqué de la politique de la « démocratisation
douce. ». Sous l’influence de Yoweri
Museveni la démocratisation qui ne pouvait plaire à
son régime minoritaire perd de
l’importance dans le langage américain. Comme
observateur averti l’actuel Président du Mali
Amadou Toumani Touré constatait déjà en 1994 : «
A la Conférence de la Baule, en juin
1990, on nous a quasiment annoncé qu'on allait exiger
des Etats africains un certificat de
bonne conduite démocratique. En 1993, changement de
disque: 'La démocratie, c'est très
bien, mais ce qui importe, c'est l'efficacité'. »25
Madeleine Albright était déjà en 1993 en train d’inventer
cette « nouvelle génération de
leaders africains » qui étaient tous des militaires.
Et Paul Kagamé a fait partie de ce groupe.
Après l’assassinat de Melchior Ndadaye qui n‘a
suscité aucune réaction de la part de la
communauté internationale , il devenait apparent que
les Etats Unis n’étaient plus intéressés
par le processus de démocratisation. Même Mobutu
réapparaissait comme interlocuteur
apprécié. Le destin de Habyarimana fut scellé en ce
moment, soit parce que personne ne
voulait plus le protéger soit parce que ces adversaires
ont eu le feu vert pour son élimination
et le renversement de la politique de partage de pouvoir
des Accords d’Arusha.
Les motivations gouvernant ce revirement stratégique
concernant la politique américaine
relative à l’Afrique centrale ne sont apparues
clairement qu’à la lumière de la politique menée
par les USA lors de la prise du pouvoir au Zaïre par
Laurent Désiré Kabila, en 1994 on ne
peut la détecter que dans son état embryonnaire.
L’un des objectifs majeurs poursuivis par l’administration
Clinton devient la lutte contre le
régime islamiste de Khartoum et son isolement à l’aide
d’une ceinture de régimes militaires,
favorables aux Etats-Unis. Dans ce contexte, l’Ouganda
de Yoweri Museveni est devenu un
allié de prix qu’il fallait soutenir.
Comme indiqué précédemment, Museveni souhaitait
éloigner ses alliés d’origine rwandaise dont le poids à l’intérieur de son régime
et en particulier de l’armée était jugé trop
grand par nombre d’Ougandais. Il réussit de
convaincre une administration américaine
complaisante d’intégrer la prise du pouvoir par le
FPR à sa politique globale de
« containment » du régime soudanais.
25 JEUNE AFRIQUE
(Supplément à N° 1753/54, Août 1994).
CONCLUSION
L’évolution socio-politique du Rwanda caractérisée
par un contexte économique fortement
dégradé et face à des acteurs dont les positions
apparentes avaient souvent peu à voir avec la
logique interne gouvernant leur action a débouché en
avril 1994 sur des massacres d’une
ampleur rarement égalée. Sans que l’on puisse
aucunement affirmer que ces tragiques
événements étaient inscrits de manière inexorable et
automatique dans le cours de l’histoire
politique du Rwanda, il est en revanche indéniable que
les facteurs politico-économicosociaux
qui président l’évolution du Rwanda dans les années
90 ont eu une influence évidente
dans la survenue du drame et en ont grandement facilité
le déclenchement.
La guerre déclenchée en 1990 par un FPR déçu et
inquiet de perdre sa double légitimité
face aux ouvertures démocratiques du régime
Habyarimana et au règlement en cours de la
question des réfugiés ; une ouverture démocratique
tardive et parfois conçue comme
contrainte et forcée par les tenants du régime ; le
comportement parfois ambigu de certains
partis d’opposition et de leurs dirigeants dont le
souci premier est souvent de combattre le
régime en place quitte à s’allier avec un mouvement
considéré par les Rwandais comme
étranger ; une situation économique désastreuse dont
la précarité est renforcée par la guerre et
son cortège de destructions et de personnes déplacées
; l’insécurité et la violence
grandissantes ; la radicalisation progressive de la vie
politique rwandaise ; un vide étatique et
un quasi abandon d’un pays traumatisé par la mort d’un
Président vu par beaucoup comme
l’ultime recours et, enfin, la stratégie guerrière
adoptée par le FPR dans sa conquête du
pouvoir, stratégie soutenue et encouragée par
certaines grandes puissances portent tous une
part importante quoique non quantifiable dans le drame
final. Si aucun de ces éléments ne
peut, seul, être considéré comme étant à l’origine
du génocide, leur conjonction en a
grandement permis la réalisation.
L’auteur partage complètement la conclusion du
rapport Masire : On aurait pu stopper ce
génocide. A l’avis de l’auteur du présent rapport
la thèse de la planification d’un génocide à
servi de prétexte pour dissimuler l’inaction
volontaire pour sauver les tutsi.Il refuse d’accepter
la version selon laquelle les capitales n’étaient pas
au courant de ce qui se passait au Rwanda.
Elles ont refusé de prendre connaissance des faits
parce que la convention contre les
génocides les auraient obligées d’agir. Linda
Melvern décrit précisément les efforts entrepris
par l’administration Clinton pour ne pas appeler des
massacres connus de génocide.
Génocide planifié ?
Etant donné le rôle important que jouent les thèses
toujours dominantes d’une préparation
longtemps à l’avance du génocide rwandais les
remarques suivantes s’imposent aux yeux de
l’expert. Selon lui toutes les informations
disponibles et tous les arguments avancés jusqu’ à
présent n’arrivent pas à prouver l’existence d’une
planification d’un génocide contre la
population tutsi au Rwanda en 1994 et l’anéantissement
de ce groupe.
La question est de savoir si ce génocide était
planifié à l’instar de ceux – liste
malheureusement non exhaustive - qui ont eu lieu contre
les Hereros en 1904, contres les
Arméniens par l’Empire ottoman en 1915, contre les
Juifs pendant le « Troisième Reich »
allemand, contre les hutu au Burundi en 1972 et contre
la population citadine au Cambodge
en 1975. Selon Samantha Power, Raphaël Lemkin , le «
père » de la Convention contre le
génocide, a noté que guerre et génocides sont presque
toujours liés.26 Cela
est également vrai
pour le génocide commis contre les tutsi au Rwanda.
(Pas dans le cas du Burundi en 1972)
Mais en dehors de ce parallélisme le cas du Rwanda est
spécifique, il s’agit d’un cas sui
generis. Et cela
pour des raisons suivantes :
· Le régime auquel
on veut attribuer la planification du génocide venait de
s’écrouler avant l’exécution du génocide.
· Le génocide a eu
lieu dans un vide des structures étatiques
· Les massacres ont
été exécutés par un mouvement non-étatique et non par les
vainqueurs comme p.ex. au Cambodge.
· Le génocide est
l’œuvre d’une population sans pouvoir et menacée par la
conquête des forces considérées comme cause
principale de leurs misères.
· Dans une
situation d’une autorité étatique quasi-inexistante la supposition
de
l’exécution de plans préétablis est peu logique.
Néanmoins l’existence d’une planification est
défendue par une partie importante de
l’opinion publique, par une série d’essayistes et
une partie de la communauté scientifique.
Nombre des arguments sur lesquels ils s’appuient ont
été abordés dans le cours de ce rapport,
sans qu’il soit besoin d’y revenir ici. Nous nous
bornerons à quelques remarques
complémentaires relatives à divers documents invoqués
au soutien de la thèse d’une
planification.
Le maintien de la supposition d’un génocide planifié
se base sur les arguments brièvement
résumés ainsi27
:
· La lettre anonyme
du groupe AMASUSU de janvier 1993 est une preuve pour
la planification du génocide.
· La lettre anonyme
d’un groupe de « hutu modéré » du trois décembre 1993
prouve l’existence de préparations pour un génocide.
· Le télégramme
du Général Dallaire du 11 janvier 1994 prouve que des
extrémistes du MRND avait établi un plan d’extermination
des tutsi.
· Les listes de
noms trouvées à différents endroits sont considérées comme des
« killing lists ».
Un regard sur le fondement de ces suppositions suscite
des doutes profonds. Ils se
résument ainsi :
La lettre anonyme du groupe AMASUSU (Janvier 1993)
La lettre ouverte adressée au Président Habyarimana
par un groupe anonyme AMASUSU
est attribuée sans preuves concluantes au Colonel
Bagosora par Alison Des Forges28
et
d’autres. L’anonymat de la lettre interdit une telle
attribution. Vu l’intérêt du FPR de
discréditer tous les opposants aux accords conclu avec
le FPR on pourrait logiquement le
soupçonner d’avoir produit une telle lettre pour
semer la confusion dans la camp opposé. Ce
qui ne peut pas plus être prouvé . Il est au moins
inapproprié de citer cette lettre comme
preuve d’une planification du génocide de la part du
« groupe Bagosora ».
26 Power 2002, p. 90
27 Voir notamment
les diverses publications de Alison Des Forges qui sont à la base de
ses
explications devant le TPIR.
28 Des Forges, Leave
None....., p. 103
La lettre anonyme adressée à la MINUAR le 3 décembre
1993
Par son caractère anonyme il faut arriver à la même
conclusion que concernant la lettre
AMASUSU.. Elle La lettre du 3 décembre 1993 ne sert pas
à prouver quoi que se soit.
Le télégramme du Général Dallaire du 11 janvier 1994
Ce télégramme du Général Dallaire envoyé joue à
juste titre un grand rôle dans la
discussion sur une éventuelle planification d’une
extermination physique des tutsi à l’intérieur
de pays. Si l’informateur Jean-Pierre Turatsinze
était effectivement une personne de confiance
on devait prendre au sérieux les informations qu’il a
passées à Luc Marchal le 10 janvier
1994. Le Général Dallaire a envoyé le lendemain un
télégramme à son supérieur à New York,
le Général canadien Maurice Baril tout en mettant
celui-ci en garde qu’il pouvait s’agir d’un
piège. Effectivement, tout ce qu’on a pu apprendre
plus tard sur Jean-Pierre – disparu après le
6 avril 1994 sans laisser de traces – indique qu’il
s’est attribué des fonctions qu’ils n’a jamais
occupées. A-t-il voulu profiter de sa visite pour
pouvoir quitter le pays avec sa famille ou
quelqu’un l’a-il incité à rendre visite à la
MINUAR ?
Tout indique qu’il a été envoyé pour produire des
traces. Il était prévisible que la Minuar
informerait le Quartier Général à New York et qu’on
pourrait plus tard se référer à ce
document. Il peut sembler logique que ceux qui étaient
en train de préparer l’assassinat du 6
avril 1994 étaient conscients des conséquences d’une
telle action. Dans cette optique, il était
prudent de produire de fausses traces. C’est une
hypothèse qui pour le moment ne peut pas
être confirmée mais qui a la même logique que celle d’
accorder confiance au témoignage de
« Jean-Pierre ». Faustin Twagiramungu qui a
recommandé à Jean-Pierre Turatsinze d’aller
voir la MINUAR après qu’il s’est présenté chez
lui avec ses informations a exprimé de forts
doutes en ce qui concerne sa crédibilité.
D’une même façon, il est intéressant de relever
comme le fait A. Kuperman que le Général
Dallaire lui-même exprimait ses propres doutes quant à
la véracité des informations fournies
par Jean-Pierre et en faisait part à ses supérieurs
dans le texte du télégramme29.
On peut au
moins conclure que ce document n’a pas la valeur que
le Rapport Carlsson lui attribue. Il ne
peut s’agir d’une preuve irréfutable au soutien de
la thèse de la planification.
L’existence de listes
Le déroulement du génocide contre les tutsi démontre
qu’ils ne s’est pas produits sur base
des listes établies de longue date. Le génocide à
proprement parler commence après le retrait des casques bleus belges du site de l’Ecole Technique
Officielle le 12 avril 1994. A peu près
2000 personnes ont été sacrifiées comme groupe et non
pas comme individus. La face hideuse
des génocidaires s’est montrée à qui voulait la
voir et à partir du 15 avril il est apparu que le
Général Dallaire ne recevrait pas l’ordre de
combattre cette « bête humaine ». Elle était lâchée
et personne n’a pu la contenir – surtout après la
décision du 21 avril 1994 du Conseil de
Sécurité – dans une situation de désordre complet.
Les listes ont par contre joué un rôle dans les
assassinats politiques qui ont eu lieu après la
disparition de la structure étatique et militaire
après l’assassinat de Habyarimana et des
officiers se trouvant également à bord de l’avion
présidentiel. Les listes ont joué un rôle
pendant la « Saint Barthélemy » qui a eu lieu le 7
avril 1994. Elle s’est transformée d’une
façon non-contrôlée en génocide sous l’impulsion
de la reprise de la guerre par le FPR le 7
avril 1994 et le soutien apparent par la plus grande
partie de la communauté internationale
dont les rebelles ont joui au détriment des tutsi
menacés de mort.
Le Rapport Masire a démontré d’une façon
remarquable « qu’on aurait pu stopper » le
génocide et qu’aucune preuve « dure » pour sa
planification n’est disponible.30
(Rapport
Masire)
Il reste aux historiens à révéler quels mobiles ont
amené la communauté internationale
sous pression ouverte de l’administration Clinton31
à favoriser la victoire du FPR au
moment
même où il est devenu évident qu’on n’obtiendrait
cette victoire qu’au prix d’un génocide
contre les tutsi et des massacres de grande envergure
perpétrés dans le territoire sous contrôle
du FPR. Dans ce contexte les indications concernant un
calcul publié entre autre dans le
quotidien allemand « Frankfurter Allgemeine Zeitung »
au sujet des « missing hutu » que
l’expert a reçues par Seth Sendashonga à Bonn en
1996 sont fort importantes.
Seth Sendashonga a confirmé que la base du calcul
était correcte. Tout de suite après sa
prise de fonction comme Ministre de l’Intérieur il a
demandé aux bourgmestres de lui fournir
les chiffres de la population sur place en vue de la
livraison de vivres par les organismes
internationaux. Il a dit qu’il ne voyait aucune raison
pour les bourgmestres de « tricher » -
surtout pas pour donner des chiffres trop bas. En
faisant le recoupement avec les chiffres
connus des réfugiés à l’étranger et une estimation
des tutsi tués ceux qui ont fait le calcul sont
arrivés à environ un million de personnes « perdues
». Une partie de ces personnes doit avoir
vécu dans le territoire sous contrôle du FPR. Le
fameux rapport Gersony est une autre
illustration de cet autre versant des massacres.
Ces derniers éléments soulignent la complexité d’événements
qui ne peuvent se contenter
d’hypothèses abusivement simplificatrice telle que
celle de la « planification » par des
éléments de l’ancien régime rwandais.
30 "So far
as is known, there is no document, no minutes of a meeting, nor any
other evidence
that pinpoints a precise moment when certain individuals
decided on a master plan to wipe
out the tutsi. As we have already seen, both physical
and rhetorical violence against the tutsi
as a people indeed began immediately after October 1,
1990, and continued to escalate until
the genocide actually started in April 1994." Masire
Report, 7.2.
31 Voir notamment
les mémoires de Boutros Boutros-Ghali (Boutros-Ghali, Unvanquished,
1999).
29 Kuperman 2000, p.
88
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München/Köln/London: Weltforum-Verlag. ISBN
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STRIZEK, Helmut. 1998. Kongo/Zaire,
Ruanda, Burundi : Stabilität durch erneute
Militärherrschaft? : Studie zur "neuen
Ordnung" in Zentralafrika.
München/Köln/London: Weltforum-Verlag. ISBN
3-8039-0479-X; xiv, 245 p.
ANNEXE
Liste der Arbeiten
von
Helmut STRIZEK
zum Themenbereich Zentralafrika
Stand: 6.3.2003
Bücher /Broschüren
= Ruanda und Burundi. Von der Unabhängigkeit zum
Staatszerfall. München/Köln/London,
Weltforum-Verlag, 1996, (ifo-afrika-studien N° 124).
471 S. (ISBN 3-8039-0451-X)
= Kongo/Zaïre - Ruanda - Burundi. Stabilität durch
erneute Militärherrschaft?- Studie zur
"neuen Ordnung" in Zentralafrika (Vorwort:
Alois Graf von Waldburg-Zeil).
München/Köln/London, Weltforum-Verlag, 1998
(ifo-afrika-studien N° 125). 245 S. ( ISBN
3-8039-0479-X)
= Zur Lage der Menschenrechte in Ruanda. Leben nach dem
Völkermord. Aachen, MISSIO,
2003; 58 S. (ISSN 1618-6222) (Missio-Bestell-Nr. 600
248)
Aufsätze
= Frieden für Ruanda? Eine Denkschrift. Internationales
Afrikaforum, Weltforum-Verlag,
Köln, 3/1994; S. 255-260.
= Frieden für Ruanda und Burundi! Internationales
Afrikaforum, Weltforum-Verlag,
Köln,
1/1995, S. 63-68.
= Der internationale Kontext der Ruanda-Burundi-Krise. Internationales
Afrikaforum,
Weltforum-Verlag, Köln, 3/1995, S. 253-267.
= Le contexte international des crises en Afrique des
Grands Lacs. Dialogue,
N° 194,
Nov./Dec.1996, Bruxelles, S. 5-12.
= Politisierte Ethnizität contra Demokratie? In: DAS
PARLAMENT (Afrika-Schwerpunktheft),
Nr. 9/1997, 21.2.1997, S. 16.
= "Vietnam" in Afrika. Zwischenbilanz eines
ungelösten Konflikts. Internationales
Afrikaforum, Weltforum-Verlag,
Köln1/1997, S. 69-74.
= Die Lage im Gebiet der Großen Seen Afrikas fünf
Jahre nach Machtübernahme der Front
Patriotique Rwandais (FPR) in Ruanda, Internationales
Afrikaforum, Weltforum-Verlag,
Bonn, N°1/1999, S. 57-63.
= Le 6 avril 1994. Journée fatidique pour l’Afrique.
Bilan préliminaire après cinq ans.
DIALOGUE,
Bruxelles, N° 210; Mai-Juin 1999, S. 35 - 68.
(Gleicher Text auch als Document abgedruckt in:
AFRICA International, Paris, N°
Double
322/323, Mars-Avril 1999, S. 41- 53)
= Analyse succincte du Rapport Masire „Le Génocide qu’on
aurait pu stopper".
Veröffentlicht auf website des Burundi-Büro
(www.burundi.org) Ende Dezember 2000
= DER VÖLKERMORD, DEN MAN HÄTTE STOPPEN KÖNNEN.
Analyse des MASIREBerichts
über den Genozid in Ruanda. In: Internationales
Afrikaforum, ,Weltforum-Verlag,
Bonn, N°2/2001, S. 153-167.
= Eine neue amerikanische Afrikapolitik? In: AFRIKAPOST,
3/2001
= Externe Faktoren der zentralafrikanischen Staatskrise,
in: Internationales Afrikaforum,
Weltforum-Verlag, Bonn, N° 4/2001, S. 363-368
= Linda Melvern is right, but...
Short Analysis of: A people betrayed. The Role of the
West in Rwanda’s Genocide by Linda
Melvern (2000). In: Internationales
Afrikaforum,Weltforum-Verlag,
Bonn, N° 4/2002, S.
375-390
= Neue Akzente
der amerikanischen Afrikapolitik. NORD-SÜD aktuell (ISSN 0933-1743);
4/2002, S. 623-631.
Vorträge
= Le rôle des Organisations Non-Gouvernementales (ONG)
dans les conflits de la Region des
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Bonn, 31/10/1998.
= Geschichte der ethnischen Beziehungen in Ruanda: Die
Kolonialzeit. Universität
Bochum,
19.4.1999
= Konfliktprävention und Friedenspolitik. Erkenntnisse
aus den Kriegen in Zentralafrika.
Statement beim Workshop „Strukturen und Mechanismen
wirksamer Konfliktprävention und
Krisenintervention" beim 94. Deutschen
Katholikentag in Hamburg am 3.6.2000
= Krisenprävention und Friedenspolitik am Beispiel
Zentralafrika, Vortrag bei der
Katholischen Akademie Rabanus Maurus im
Wilhelm-Kempf-Haus in Wiesbaden-Naurod am
28.3.2001
= Demokratie als Basis für Frieden und Fortschritt in
Zentralafrika
Vortrag beim Ruandisch-deutschen Kulturverein „Akagera-Rhein
e.V." Berlin, 21.4. 2001
= Un « dialogue muet » et un « dialogue interrompu »
La France et l’Allemagne face à la
crise de la Région des Grands Lacs Africains;
Contribution au colloque « Les politiques
africaines de l’Allemagne et de la France », 10
octobre 2001, Institut d’Etudes Politiques, 56,
rue Jacob, 75007 Paris
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