Résolution du Parlement européen sur le Rwanda: l'affaire Victoire Ingabire (2013/2641(RSP)) | |||||
Le Parlement européen,
– vu le pacte international relatif aux droits civils et politiques,
qui a été ratifié par le Rwanda en 1975,
– vu la charte africaine des droits de l'homme et des peuples,
– vu la charte africaine de la démocratie, des élections et de la
gouvernance.
– vu les instruments des Nations unies et de la Commission africaine
des droits de l'homme et des peuples, en particulier les directives et
principes sur le droit a un procès équitable et à l'assistance
judiciaire en Afrique,
– vu la réponse de la VP/HR Catherine Ashton du 4 février 2013 à la
question écrite E-010366-12 au sujet de Victoire Ingabire,
– vu l'accord de partenariat signé à Cotonou le 23 juin 2000 (l'accord
de Cotonou) entre les membres du groupe des États d'Afrique, des
Caraïbes et du Pacifique (ACP), d'une part, et la Communauté européenne
et ses États membres, d'autre part, et en particulier son annexe VII,
qui appelle à la promotion des droits de l'homme, de la démocratie
fondée sur l'état de droit ainsi que sur une gouvernance transparente et
responsable,
– vu la convention des Nations unies contre la torture et autres
peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,
– vu le rapport d'Amnesty International intitulé "La Justice mise à
mal: Le procès en première instance de Victoire Ingabire" de 2013,
– vu l'article 122, paragraphe 5, et l'article 110, paragraphe 4, de
son règlement,
A. considérant qu'en 2010, après 16 ans d'exil aux Pays-Bas, Victoire
Ingabire, présidente des Forces démocratiques unifiées (FDU(1)),
une coalition de partis d'opposition rwandais, est rentrée au Rwanda
pour participer aux élections présidentielles;
B. considérant que Victoire Ingabire, dont la participation aux
élections a finalement été empêchée, a été arrêtée le 14 octobre 2010;
considérant que les élections ont été remportées, avec 93 % des
suffrages, par le président sortant, Paul Kagame, chef du Front
patriotique rwandais (FPR); considérant que les FDU n'ont pas pu
s'enregistrer comme parti politique avant les élections de 2010;
considérant que d'autres partis d'opposition ont fait l'objet de
traitements similaires;
C. considérant que les activités politiques de Mme
Ingabire se sont axées, entre autres, sur l'état de droit, la liberté
d'association politique et l'autonomisation des femmes au Rwanda;
D. considérant que le FPR demeure le parti politique dominant au Rwanda
sous le président Kagame, et contrôle la vie publique dans le contexte
d'un système de parti unique où les personnes formulant des critiques à
l'encontre des autorités rwandaises font l'objet de harcèlements,
d'intimidations et sont mises en prison;
E. considérant que, le 30 octobre 2012, Victoire Ingabire a été
condamnée à huit ans de prison; considérant que deux de ses chefs
d'accusation étaient déjà prescrits, et qu'elle a été acquittée des
quatre autres; considérant qu'elle a été jugée coupable de conspiration
visant à nuire aux autorités en ayant recours au terrorisme, et coupable
de minimiser le génocide de 1994, sur la base de ses relations présumées
avec les Forces démocratiques pour la libération du Rwanda (FDLR), un
groupe rebelle hutu; considérant que le ministère public a requis une
peine d'emprisonnement à perpétuité;
F. considérant que, le 25 mars 2013, Victoire Ingabire a pris la parole
lors de son procès en appel et a demandé un réexamen des preuves;
G. considérant que l'accusation d'"idéologie du génocide" et de
"divisionnisme" portée à l'encontre de Victoire Ingabire illustre
l'intolérance du gouvernement rwandais à l'égard du pluralisme
politique;
H. considérant qu'en avril 2013, lors de son procès en appel devant la
Cour suprême, alors qu'elle avait été déclarée non coupable des six
chefs d'accusation portées contre elle par le ministère public, elle a
été condamnée sur de nouveaux chefs d'accusation qui ne s'appuyaient pas
sur des documents juridiques et qui, d'après son avocat, n'ont pas été
présentés durant le procès; considérant que les deux nouveaux chefs
d'accusation incluaient le négationnisme/révisionnisme et la haute
trahison;
I. considérant qu'en mai 2013, après avoir témoigné contre Victoire
Ingabire devant la Haute Cour rwandaise en 2012, quatre témoins de
l'accusation et un co-accusé ont révélé à la Cour suprême que leurs
témoignages avaient été falsifiés; considérant qu'une organisation de
droits de l'homme de premier plan a fait part de préoccupations au sujet
de leur "mise au secret prolongée" et de "l'utilisation de la torture
pour extorquer des aveux";
J. considérant que le procès, qui a débuté en 2011, est considéré par
de nombreux observateurs comme fondé sur des motifs politiques;
considérant que le droit et le système judiciaire nationaux rwandais
enfreignent les conventions internationales auxquelles le Rwanda est
partie, en particulier le pacte international relatif aux droits civils
et politiques, que le gouvernement rwandais a signé le 16 juillet 1997,
et notamment ses dispositions sur la liberté d'expression et de pensée;
K. considérant que, depuis le 16 avril 2012, Mme
Ingabire boycotte son procès pour protester contre les intimidations et
les procédures illégales d'interrogation utilisées contre certains de
ses co-accusés, à savoir les anciens membres du FDLR suivants: le
Lieutenant-Colonel Tharcisse Nditurende, le Lieutenant-Colonel Noël
Habiyaremye, le Capitaine Jean Marie Vianney Karuta et le Major Vital
Uwumuremyi, ainsi que contre la décision de la Cour de raccourcir
l'audition d'un témoin de la défense, Mme
Kayitesi Claire, qui accuse les autorités rwandaises de fabrication de
preuves; considérant que ces affirmations n'ont pas été confirmées par
les autorités rwandaises;
L. considérant que Bernard Ntaganda, fondateur du parti PS-Imberakuri,
a été condamné à quatre ans d'emprisonnement au titre d'accusations de
mise en danger de la sécurité nationale, de "divisionnisme" et de
tentatives d'organiser des manifestations sans autorisation;
M. considérant que, le 13 septembre 2012, Victoire Ingabire – ainsi que
deux autres figures politiques du Rwanda, Bernard Ntaganda et Deogratias
Mushyayidi, tous emprisonnés actuellement à Kigali – a été nommée pour
le Prix Sakharov du Parlement européen pour la liberté de l'esprit;
N. considérant que le Rwandais est signataire de l'accord de Cotonou qui
dispose que le respect des droits de l'homme est une composante
essentielle de la coopération UE-ACP;
O. considérant que le respect des droits de l'homme fondamentaux, y
compris le pluralisme politique et la liberté d'expression et
d'association, sont gravement restreints au Rwanda, ce qui rend
difficile le fonctionnement des partis d'opposition et le travail des
journalistes qui voudraient exprimer des opinions critiques;
P. considérant que la consolidation de la démocratie – y compris la
garantie de l'indépendance du système judiciaire et de la participation
des partis d'opposition – est primordiale, en particulier à l'approche
des élections législatives de 2013 et des élections présidentielles qui
doivent avoir lieu en 2017;
Q. considérant que le génocide rwandais et la guerre civile de 1994
continuent d'avoir un impact négatif sur la stabilité de la région;
1. fait part de sa vive préoccupation au sujet du procès en première
instance de Victoire Ingabire, qui ne respectait pas les normes
internationales, en premier lieu en ce qui concerne son droit à la
présomption d'innocence, et était basé sur des preuves fabriquées et des
aveux de co-accusés qui ont été placés en détention militaire au Camp
Kami, où on aurait eu recours à la torture pour leur extorquer lesdits
aveux;
2. condamne fermement la nature politiquement motivée du procès, la
poursuite d'opposants politiques et l'issue décidée à l'avance du
procès; demande au système judiciaire rwandais de garantir un appel
rapide et équitable à Mme Victoire
Ingabire, dans le respect des normes fixées par le droit rwandais et le
droit international;
3. demande que le respect du principe d'égalité soit assuré à l'aide
mesures garantissant que chacune des parties – l'accusation et la
défense – dispose des mêmes moyens de procédure et des mêmes
possibilités pour découvrir des éléments preuves qui seront disponibles
pendant le procès, et dispose des mêmes opportunités pour faire valoir
ses arguments; encourage un meilleur contrôle des éléments de preuve, y
compris des moyens pour s'assurer qu'ils n'ont pas été obtenus par la
torture;
4. demande à l'Union européenne d'envoyer des observateurs pour le
procès en appel de Victoire Ingabire;
5. souligne son respect de l'indépendance du système judiciaire du
Rwanda, mais rappelle aux autorités rwandaises que l'Union européenne,
dans le contexte du dialogue politique officiel avec le Rwanda au titre
de l'article 8 de l'accord de Cotonou, a fait part de ses préoccupations
en ce qui concerne le respect des droits de l'homme et du droit à un
procès équitable;
6. rappelle que les libertés de réunion, d'association et d'expression
sont des composantes essentielles de toute démocratie, et estime que ces
principes font l'objet de graves restrictions au Rwanda;
7. condamne toute forme de répression, d'intimidation et de détention à
l'égard de militants politiques, de journalistes et de défenseurs des
droits de l'homme; demande instamment aux autorités rwandaises de
libérer immédiatement toutes les personnes et tous les militants
emprisonnés ou condamnés pour le seul exercice de leurs droits à la
liberté d'expression, d'association et de réunion pacifique; à cet
égard, invite instamment les autorités rwandaises à adapter le droit
national afin de garantir la liberté d'expression;
8. demande instamment au gouvernement rwandais de se conformer au droit
international et de respecter la déclaration universelle des droits de
l'homme, le pacte international relatif aux droits civils et politiques
de 1966 et la charte africaine des droits de l'homme et des peuples;
9. rappelle que les déclarations obtenues en employant la torture et
autres formes de mauvais traitements ne sont admissibles dans aucune
procédure;
10. demande aux autorités judiciaires du Rwanda d'enquêter efficacement
sur les allégations de torture et d'autres violations des droits de
l'homme et de traduire en justice les auteurs de tels crimes, car
l'impunité ne saurait être tolérée;
11. exprime sa préoccupation au vu du fait que 19 ans après que le FPR a
pris le pouvoir, et deux ans après la réélection du président Kagame, le
Rwanda ne dispose toujours pas de parti politique d'opposition en
exercice;
12. appelle les autorités rwandaises à garantir la séparation des
pouvoirs administratif, législatif et judiciaire, et en particulier
l'indépendance du système judiciaire, et à promouvoir la participation
de partis d'opposition, dans un contexte de respect mutuel et de
dialogue inclusif faisant partie d'un processus démocratique;
13. estime que la loi de 2008 sur l'idéologie du génocide utilisée pour
accuser Victoire Ingabire a servi d'instrument politique pour museler
les critiques du gouvernement;
14. demande au gouvernement du Rwanda de réviser la loi sur l'"idéologie
du génocide" afin de la mettre en conformité avec les obligations
incombant au Rwanda au titre du droit international, et de modifier la
loi instituant des sanctions pour délits de discrimination et de
sectarisme afin de la mettre en conformité avec les obligations
incombant au Rwanda au titre du droit international en matière de droits
de l'homme;
15. souligne que le procès pénal de Victoire Ingabire, l'un des plus
longs dans l'histoire du Rwanda, revêt une importance particulière, tant
politiquement que juridiquement, en tant que test de la capacité du
système judiciaire rwandais à traiter des affaires politiques à fort
retentissement de façon équitable et indépendante;
16. rappelle aux autorités rwandaises que la démocratie se fonde sur un
gouvernement pluraliste, une opposition effective, des médias et un
système judiciaire indépendants, le respect des droits de l'homme et des
droits d'expression et de réunion; à cet égard, demande au Rwanda de
répondre à ces normes et d'améliorer ses performances en matière de
droits de l'homme;
17. souligne que, dans le contexte des travaux internationaux en faveur
du développement au Rwanda, il convient d'accorder une priorité bien
plus importante aux droits de l'homme, à l'état de droit ainsi qu'à une
gouvernance transparente et responsable; demande à l'Union européenne,
en collaboration avec d'autres donateurs internationaux, d'exercer une
pression continue afin d'encourager la réforme en faveur des droits de
l'homme au Rwanda;
18. charge son Président de transmettre la présente résolution au
Conseil, à la Commission, à la vice-présidente / haute représentante de
l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, au
Conseil de sécurité des Nations unies, au secrétaire général des Nations
unies, aux institutions de l'Union africaine, à la Communauté de
l'Afrique de l'Est, à l'Assemblée parlementaire ACP-UE, aux
gouvernements et aux parlements des États membres ainsi qu'aux
défenseurs de Victoire Ingabire et au président du Rwanda.
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