Conseil de
sécurité
Distr.
GENERALE
S/1998/581
29 juin 1998
FRANCAIS
Original: ANGLAIS
LETTRE DATÉE DU 29 JUIN 1998, ADRESSÉE AU PRÉSIDENT DU CONSEIL
DE SÉCURITÉ PAR LE SECRÉTAIRE GÉNÉRAL
J'ai l'honneur de vous faire parvenir ci-joint le rapport de mon Équipe
d'enquête en République démocratique du Congo. Des avant-tirages en ont été
remis aux Représentants permanents de la République démocratique du Congo et
du Rwanda le 15 juin 1998 pour qu'ils les transmettent à leur gouvernement,
dont les commentaires seront publiés comme document du Conseil de sécurité.
Vous vous souviendrez que j'ai constitué l'Équipe en juillet 1997 pour aider
le Gouvernement de la République démocratique du Congo et la Mission commune
d'enquête - mandatée par la Commission des droits de l'homme pour enquêter
sur les allégations de massacres et autres violations des droits de l'homme découlant
de la situation qui prévalait dans l'est du Zaïre depuis septembre 1996 - à
sortir de l'impasse.
Le Gouvernement s'est opposé, notamment, à la participation à la Mission du
Rapporteur spécial sur la situation des droits de l'homme au Zaïre et a
contesté la période couverte par le mandat de la Mission. Il a demandé que
cette période commence plus tôt, soit le 1er mars 1993, afin que l'enquête
porte aussi sur les violences ethniques qui, à partir de ce moment-là, ont
opposé des Zaïrois soi-disant "autochtones", initialement appuyés
par les Forces armées zaïroises (FAZ), à des Zaïrois d'origine tant hutue
que tutsie, ainsi que sur les événements qui ont suivi, comme l'arrivée de réfugiés
hutus du Rwanda en juillet 1994, à la suite du génocide qui s'était produit
dans ce pays, l'insécurité créée tant au Zaïre qu'au Rwanda par des membres
armés des ex-Forces armées rwandaises (ex-FAR) et les milices interahamwe qui
exerçaient un contrôle strict sur les réfugiés et lançaient des attaques en
territoire rwandais, et la violence croissante dont étaient victimes les Zaïrois
tutsis jusqu'au soulèvement d'octobre 1996. Un compte rendu détaillé de ces
événements, dont l'Équipe recommande qu'ils fassent l'objet d'une enquête
plus poussée, figure à l'appendice du rapport ci-joint.
En réponse au Gouvernement, j'ai repoussé le début de la période sur
laquelle devait porter l'enquête jusqu'au 1er mars 1993. J'ai nommé M.
Atsu-Koffi Amega (Togo), ancien Président de la Cour suprême du Togo, chef de
mon Équipe d'enquête chargée d'enquêter sur les violations graves des droits
de l'homme et du droit international humanitaire qui auraient été commises en
République démocratique du Congo jusqu'au 31 décembre 1997. Ma décision de
créer l'Équipe n'a pas suspendu les activités de la Mission commune d'enquête
initiale, et l'Équipe n'a pas remplacé la Mission, dont le mandat est depuis
venu à expiration et n'a pas été renouvelé.
Les événements décrits dans le rapport de l'Équipe ne se sont pas produits dans un vide. Ils ont pour contexte le terrible génocide qui s'est produit au Rwanda en 1994 et qui a projeté une ombre énorme, qui n'a pas encore disparu, sur l'ensemble de la région africaine des Grands Lacs. Ce génocide a directement provoqué les violences qui ont eu lieu en 1994-1996 à l'est du Zaïre et ont été publiquement dénoncées par le Gouvernement rwandais comme une reprise dans un pays voisin des pratiques de génocide de 1994. Ces mêmes violences ont abouti à la création, en septembre 1996, de l'Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo-Zaïre (AFDL), et culminé dans la campagne militaire couronnée de succès que l'Alliance a menée contre le régime du Président Mobutu Sese Seko, et qui s'est terminée à Kinshasa le 17 mai 1997.
Il est profondément regrettable qu'entre la date où elle a été déployée
pour la première fois en août 1997 et son retrait en 1998, l'Équipe n'ait pas
été autorisée à accomplir sa mission pleinement et sans entrave. Néanmoins,
en dépit des difficultés décrites dans le rapport, l'Équipe a pu parvenir à
un certain nombre de conclusions qui sont étayées par de solides preuves. Deux
de ces conclusions retiennent l'attention.
La première est que toutes les parties aux violences qui ont déchiré le Zaïre,
en particulier ses provinces orientales, durant la période à l'examen, ont
commis de graves violations des droits de l'homme ou du droit international
humanitaire.
La seconde est que les tueries auxquelles se sont livrés l'AFDL et ses alliés,
y compris des éléments de l'Armée patriotique rwandaise, constituent des
crimes contre l'humanité, tout comme le déni d'une assistance humanitaire aux
réfugiés rwandais hutus. Les membres de l'Équipe pensent que certains des
meurtres peuvent constituer des actes de génocide, selon l'intention qui les
motivait, et ils demandent que ces crimes et leurs motifs fassent l'objet d'une
enquête plus poussée.
En lisant le rapport de mon Équipe d'enquête, les membres du Conseil verront
l'une des causes profondes des conflits qui ont eu lieu récemment en Afrique
dans la région des Grands Lacs : un cercle vicieux de violations des droits de
l'homme et de vengeances, alimenté par l'impunité. Il faut mettre fin à ce
cycle pour rétablir la paix et la stabilité dans la région. Les coupables de
violations doivent rendre des comptes; les droits de l'homme doivent faire
l'objet d'une surveillance étroite partout où ils sont menacés; les efforts déployés
par les gouvernements pour doter leur pays des capacités voulues et promouvoir
le respect des droits de l'homme doivent être appuyés; et il faut aider les
membres de la société civile qui oeuvrent à l'avènement d'une culture de la
tolérance. La communauté internationale, et en particulier les pays donateurs,
ont un rôle de premier plan à jouer dans tous ces domaines.
Lorsqu'ils examineront le rapport ci-joint, les membres du Conseil voudront, à
n'en pas douter, y donner une suite qui reflète leur responsabilité en matière
de maintien de la paix et de la sécurité internationales. Des violations des
droits de l'homme assez massives pour constituer des crimes contre l'humanité
doivent être considérées comme une menace contre la paix et la sécurité
internationales. Dans le même temps, il faut tenir pleinement compte de la nécessité
de consolider la fragile stabilité de la région, ce qui nécessite à l'évidence
une assistance internationale de grande ampleur. Si elle tournait le dos aux
pays concernés, la communauté internationale commettrait, selon moi, une grave
erreur. Une politique cohérente d'engagement critique est nécessaire.
En dernière analyse, néanmoins, c'est aux gouvernements de la région
qu'incombe d'y maintenir la stabilité. Ils ont, par-dessus tout, l'obligation
de respecter les droits de l'homme et d'assurer la sécurité de leurs propres
nationaux. Ils peuvent être assurés de la bonne volonté de la communauté
internationale, mais ils doivent aussi montrer qu'ils comprennent ses préoccupations
et ont à l'esprit leurs obligations juridiques internationales. Ils doivent à
ce titre prendre acte des très graves conclusions de l'Équipe et les examiner,
et prendre les mesures voulues si des membres de leurs forces ont pris part à
l'une quelconque des violations alléguées.
J'adresse un exemplaire du rapport de mon Équipe d'enquête au Président en
exercice et au Secrétaire général de l'Organisation de l'unité africaine, en
demandant qu'il soit transmis, pour information, aux membres du Groupe
international de personnalités éminentes chargé d'enquêter sur le génocide
de 1994 et les événements qui se sont produits depuis la signature de l'Accord
de paix d'Arusha le 4 août 1993 jusqu'à la chute de Kinshasa le 17 mai 1997.
En conclusion, je tiens à rendre hommage une nouvelle fois aux membres de mon
Équipe d'enquête, qui ont fait preuve d'une intégrité, d'un
professionnalisme et d'un courage insignes tout au long de leur difficile
mission.
Je vous serais obligé de faire distribuer la présente lettre et son annexe
comme document du Conseil.
INTRODUCTION | ||
CONTEXTE DE LA FORMATION DE L'ÉQUIPE D'ENQUÊTE | ||
Nomination d'un rapporteur spécial par la Commission des droits de l'homme | ||
Création de la Mission commune d'enquête | ||
Rencontre entre le Secrétaire général et le Président Kabila | ||
Nomination et composition de l'Équipe d'enquête | ||
Mandat de l'Équipe d'enquête | ||
Obligations juridiques de la République démocratique du Congo | ||
Conditions régissant l'enquête énumérées dans la lettre du Secrétaire général datée du 15 juillet 1997 | ||
OBSTACLES RENCONTRÉS PAR L'ÉQUIPE D'ENQUÊTE | ||
Août-octobre 1997 | ||
Novembre-décembre 1997 : Retour et déploiement à Mbandaka | ||
Motifs du déploiement | ||
Obstacles ayant amené à retirer l'Équipe de Mbandaka | ||
Janvier-mars 1998 : Retour à Mbandaka | ||
Difficultés rencontrées pour recueillir des témoignages | ||
Difficultés rencontrées en ce qui concerne les expertises scientifiques | ||
Mars-avril 1998 : Déploiement à Goma | ||
Motifs du déploiement, commencement des travaux et difficultés initiales | ||
Expulsion et détention d'un enquêteuret saisie de documents | ||
RÉSULTATS | ||
Résultats de l'enquête en République démocratique du Congo | ||
Témoignages recueillis par des missions dans des pays voisins | ||
Renseignements reçus d'autres sources | ||
CONCLUSIONS ET RECOMMANDATIONS | ||
Conclusions | ||
Le Gouvernement de la République démocratique du Congo n'a pas assuré | ||
les conditions nécessaires au bon déroulement de l'enquête | ||
Événements survenus entre mars 1993 et octobre 1994 | ||
Événements survenus en octobre et novembre 1996 | ||
Événements survenus de décembre 1996 à mai 1997 | ||
Destruction de preuves | ||
Conclusions sur la violation des droits de l'homme et du droit international humanitaire | ||
Violations des droits de l'homme commises par l'armée zaïroise | ||
Massacres commis durant les violences interethniques | ||
Assassinats de civils lors des attaques de l'AFDL contre les camps | ||
Autres violations graves du droit humanitaire commises par l'AFDL | ||
Assassinats par les milices durant le conflit armé de 1996 | ||
La commission de crimes contre l'humanité | ||
La nature des massacres | ||
Le devoir d'enquêter et de poursuivre | ||
Le devoir de réparer | ||
Recommandations | ||
Appendice - Résumé des allégations et informations recueillies [suite] |
Obstacles rencontrés par l'Équipe d'enquête
Considérant les tracasseries que les membres de l'Équipe ont subies et les obstacles qui ont été délibérément créés pour les empêcher de s'acquitter convenablement de leur mandat, on peut dire que le Gouvernement de la République démocratique du Congo n'a jamais eu l'intention d'accepter la mission de l'Équipe d'enquête du Secrétaire général et qu'il a simplement fait semblant de coopérer avec elle.
S'il est vrai que le Président de la République, puis un certain nombre de ses ministres, ont déclaré que l'Équipe serait entièrement libre de mener sa tâche sans entrave aucune dans tout le pays, il s'agissait uniquement de déclarations orales. Les actions et les réactions sur le terrain ont été entièrement différentes. En bref, le Gouvernement de la République démocratique du Congo ne voulait pas de la mission d'enquête et, contrairement aux dispositions du mandat défini par le Secrétaire général dans sa lettre du 15 juillet 1997 et dans l'annexe à ladite lettre, ne lui a pas apporté son entière et pleine coopération.
Conclusion
Compte tenu de ces difficultés et obstacles, il est impossible de confirmer ou
de réfuter à ce stade la plupart des allégations qui ont été faites en ce
qui concerne des violations graves des droits de l'homme et du droit humanitaire
au cours de la période couverte par le mandat de l'Équipe d'enquête. Celle-ci
a cependant pu confirmer que certains types de violations se sont produits, et
qu'ils se sont produits dans certaines régions et durant certaines périodes.
Dans la plupart des cas, il est possible d'arriver à des conclusions générales
quant aux forces qui ont participé directement aux incidents en cause. Les
conclusions de l'Équipe d'enquête sont fondées principalement sur des témoignages
qui lui ont été fournis directement et sur des preuves matérielles. L'Équipe
a également tenu compte de témoignages recueillis par d'autres organisations,
lorsque des informations suffisantes lui ont été communiquées sur l'identité
du témoin et les circonstances dans lesquelles la déclaration a été faite,
et que ces informations étaient corroborées par au moins une autre source. L'Équipe
a notamment adopté les conclusions ci-après :
- De la mi-octobre à la mi-novembre 1996, l'Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo-Zaïre (AFDL) et des éléments de l'Armée patriotique rwandaise (APR) ont attaqué des camps dans le Nord-Kivu et le Sud-Kivu où se trouvaient des réfugiés et, dans la plupart des cas, sinon tous, des éléments militaires hostiles au Gouvernement rwandais. Ces attaques ont fait de nombreuses victimes parmi les civils, mais l'Équipe n'a pas pu obtenir suffisamment d'informations pour parvenir à des conclusions quant aux éventuelles violations du droit humanitaire découlant des attaques proprement dites contre les camps.
- Des centaines de personnes non armées ont été capturées et exécutées à la suite de l'attaque lancée contre le camp de Mugunga en novembre 1996, et de nombreux civils non armés qui s'étaient enfuis de ce camp et d'autres, notamment de camps dans le Sud-Kivu, et des camps de Tingi-Tingi, Kasese et Obiro, ont été pourchassés et exécutés. Ces massacres ont été commis par l'AFDL, dans certains cas avec la participation de milices Mai-Mai; il est impossible de savoir exactement dans quelle mesure l'armée rwandaise (APR) y a participé. Ces massacres constituent une violation du droit international humanitaire et, en raison de leur caractère systématique, risquent fort de constituer des crimes contre l'humanité.
- L'AFDL a également commis un certain nombre de massacres de civils dans
des villages zaïrois hutus dans le Nord-Kivu à cette époque, apparemment
parce qu'elle les soupçonnait d'aider les Hutus rwandais qui cherchaient à
s'enfuir. Ces massacres constituent eux aussi de graves violations du droit
international humanitaire.
- Des soldats zaïrois (FAZ), des soldats des ex-Forces armées rwandaises
(ex-FAR) et des milices interahamwe fuyant l'offensive de l'AFDL ont commis des
actes de pillage et ont tué des civils non armés, en violation du droit
international humanitaire et, dans le cas des soldats zaïrois, de la législation
internationale relative aux droits de l'homme.
- En mai 1997, des centaines de Hutus rwandais non armés ont été massacrés
à Mbandaka et dans le village voisin de Wendji par des soldats de l'AFDL qui se
trouvaient apparemment sous le commandement effectif de l'armée rwandaise
(APR).
- Il ressort d'analyses scientifiques et techniques que des corps ont été
retirés d'une fosse commune à Mbandaka, ce qui corrobore les témoignages
selon lesquels on a essayé de "nettoyer" ces sites avant l'arrivée
de l'Équipe d'enquête.
- L'AFDL a forcé de nombreux civils à s'enfuir dans des conditions extrêmement
dangereuses dans des zones à population très clairsemée et a empêché les
organismes de secours d'avoir accès aux non-combattants malades et blessés,
dans les camps et ailleurs, en violation de l'obligation de recueillir et de
soigner les malades et les blessés, reconnue dans l'article 3 commun aux
Conventions de Genève. Le déni d'une assistance humanitaire aux personnes déplacées
malades et blessées a été systématique et risque fort de constituer un crime
contre l'humanité.
- Les attaques lancées contre les camps dans le Nord-Kivu en 1996 avaient
pour but, en partie, de contraindre les réfugiés résidant dans les camps à
regagner le Rwanda, mais les circonstances dans lesquelles les attaques contre
les camps à l'intérieur du pays ont été menées en 1997, notamment les opérations
de "nettoyage" entreprises après ces attaques et le massacre des
personnes qui cherchaient à franchir la frontière de la République du Congo,
montrent bien que l'intention était d'éliminer les Hutus rwandais qui étaient
restés au Zaïre. Une interprétation possible de cette phase des opérations
menées par l'AFDL avec l'appui du Rwanda est qu'il avait été décidé d'éliminer
cette partie du groupe ethnique hutu en tant que tel. Si cela est confirmé, il
s'agirait d'un acte de génocide.
- La République démocratique du Congo n'a manifesté aucune inclination à
s'acquitter de l'obligation qui lui incombe, aux termes du droit international,
de mener une enquête pour identifier les responsables de violations graves des
droits de l'homme et de violations graves du droit international commises sur
son territoire, avant et après son arrivée au pouvoir, en vue de les
poursuivre. Les intérêts de la justice ne pourront donc être servis que si
l'on donne à un tribunal international compétence pour connaître de ces
crimes. L'absence de mesures à cet effet confirmerait le sentiment que la
communauté internationale fait preuve de partialité face à ces violations, et
encouragerait des sentiments collectifs de victimisation et de déni de justice,
contribuant au cycle de représailles et à la culture de l'impunité.
Recommandations
L'Équipe d'enquête a notamment formulé les recommandations ci-après :
- L'enquête devrait être poursuivie par un organe judiciaire approprié ou, si
les conditions permettant de l'achever avec un accès complet et sans
restriction à toutes les sources d'information pertinentes dans le pays
existent, par une commission d'enquête. Jusqu'à cette date, toutes preuves et
informations confidentielles obtenues par l'Équipe devraient être conservées
en lieu sûr, conformément aux directives de l'ONU pour les enquêtes relatives
à des allégations de massacre.
- S'il est établi que les conditions permettant d'achever l'enquête sans
entrave existent et si un nouvel organe d'enquête est créé, l'enquête
devrait porter principalement sur les aspects suivants :
a) Les massacres qui se sont produits au cours des combats interethniques dans
le Nord-Kivu et le Sud-Kivu au début de mars 1993;
b) Les graves violations des droits de l'homme qui auraient été commises
dans les camps créés dans l'est du Zaïre au cours de la période allant de
juillet 1994 à octobre 1996;
c) L'étendue de la participation de l'armée rwandaise (APR) aux opérations
militaires menées par les forces rebelles à partir d'octobre 1996;
d) L'étendue de la participation de soldats rwandais et d'autres soldats étrangers,
notamment de mercenaires, aux graves violations des droits de l'homme et du
droit humanitaire commises au cours du conflit armé; et
e) L'intention à l'origine du massacre de Hutus rwandais et zaïrois au Zaïre
à partir d'octobre 1996.
- Si l'enquête est rouverte, tous les États voisins et autres États possédant des informations pertinentes devraient être encouragés à y coopérer en donnant accès aux preuves pertinentes écrites et autres.
- La communauté internationale devrait aider la République démocratique du Congo à établir une institution judiciaire dotée d'un personnel compétent, indépendant et correctement rémunéré qui appliquera les règles de procédure internationalement reconnues. Cette institution devrait renoncer à tous renvois à des tribunaux d'exception.
- La communauté internationale devrait appuyer les programmes de réadaptation des victimes de la guerre et des victimes de violations des droits de l'homme, en donnant la priorité aux plus vulnérables, les programmes visant à atténuer les tensions ethniques et à promouvoir le respect de la dignité essentielle et de l'égalité des droits de toutes les personnes et les programmes visant à appuyer la création d'un système judiciaire indépendant et impartial.
1. Le 17 avril 1998, le Secrétaire général a annoncé qu'il avait décidé de
rappeler l'Équipe d'enquête qu'il avait envoyée en République démocratique
du Congo le 24 août 1997. Cette décision faisait suite à la mise en détention
le 8 avril d'un enquêteur de l'ONU et à la saisie des documents qu'il avait en
sa possession, et visait en partie à réagir à cette violation grave de la
Convention sur les privilèges et immunités des Nations Unies. Cet incident
marquait le comble d'une attitude générale de non-coopération et
d'obstruction systématiquement opposée aux efforts entrepris par l'Équipe
d'enquête pour accomplir sa mission depuis son arrivée en République démocratique
du Congo, 35 semaines auparavant. Le présent rapport rend compte de ces actes
d'obstruction et de cette non-coopération, donne un aperçu de l'origine et du
mandat de l'Équipe, de ses activités et de ses résultats, et présente des
conclusions et des recommandations. L'annexe I rappelle les allégations sur
lesquelles l'Équipe avait l'intention de faire enquête et offre un résumé
moins succinct des informations et des preuves réunies.
[retour à la table des matières]
I. CONTEXTE DE LA FORMATION DE L'ÉQUIPE D'ENQUÊTE
1. Nomination d'un rapporteur spécial par
la Commission des droits de l'homme
2. Le 9 mars 1994 la Commission des droits de l'homme a décidé (résolution
1994/87) de désigner un Rapporteur spécial chargé d'étudier la situation des
droits de l'homme au Zaïre (actuellement République démocratique du Congo
Quand l'AFDL a pris le pouvoir en mai 1997, le nom du pays a changé et la République
du Zaïre a été rebaptisée République démocratique du Congo. Dans tout le
rapport, on a parlé du Zaïre quand les événements considérés s'étaient
produits avant cette date et de la République démocratique du Congo quand ils
se sont produits après.). Le Rapporteur spécial, M. Roberto Garreton, lui a
fait périodiquement rapport sur l'aggravation de la situation des droits
fondamentaux non seulement des Zaïrois, mais aussi des Rwandais déplacés dans
l'est du pays. En avril 1997, à la suite d'allégations graves selon lesquelles
l'Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo-Zaïre (AFDL)
aurait massacré des Hutus rwandais dans l'est du Zaïre, le Rapporteur spécial
s'est rendu dans cette région et a signalé des meurtres massifs de locaux et
de Rwandais déplacés. Il a recommandé à la Commission des droits de l'homme
de charger une commission de mener une enquête sur ces incidents.
2. Création de la Mission commune d'enquête
3. Le 15 avril 1997, la Commission des droits de l'homme a adopté sa résolution
1997/58 portant création d'une mission commune chargée de "faire enquête
sur les allégations de massacres et autres questions touchant les droits de
l'homme soulevées par la situation régnant dans l'est du Zaïre depuis
septembre 1996".
4. La Commission a chargé trois experts indépendants des droits de l'homme
de procéder à l'enquête : le Rapporteur spécial sur la situation des droits
de l'homme au Zaïre, le Rapporteur spécial sur les exécutions
extrajudiciaires, sommaires et arbitraires et un membre du Groupe de travail sur
les disparitions forcées ou involontaires. Le 3 mai, la Mission commune d'enquête,
appuyée par des spécialistes des droits de l'homme, cinq experts légistes et
des fonctionnaires de l'ONU s'est rendue à Kigali (Rwanda), d'où elle espérait
pouvoir passer dans l'est du Zaïre. Mais l'AFDL l'a empêchée de pénétrer
dans ce pays, en soulevant plusieurs objections, dont les deux principales
tenaient primo au fait qu'elle refusait de voir M. Garreton participer à
la Mission, et secundo au fait qu'elle exigeait que la période sur
laquelle porterait l'enquête commence dès 1993.
3. Rencontre entre le Secrétaire général et le Président Kabila
5. Le 3 juin 1997, à l'occasion de la réunion au sommet de l'Organisation de
l'unité africaine tenue à Harare (Zimbabwe), le Secrétaire général de
l'Organisation des Nations Unies a rencontré le Président Laurent-Désiré
Kabila. Ils se sont accordés à reconnaître qu'il était important et urgent
d'enquêter sur les allégations de violations graves des droits de l'homme et
du droit international humanitaire. Par la suite, le Président Kabila a accepté
l'organisation en République démocratique du Congo d'une enquête de l'ONU,
devant se dérouler en deux temps : une équipe avancée arriverait dans le pays
le 20 juin, suivie par les autres membres de la Mission le 7 juillet.
6. L'équipe avancée (soit huit personnes : spécialistes des droits de
l'homme, personnel de secrétariat et experts légistes) est arrivée à
Kinshasa le 20 juin pour discuter des dispositions à prendre concrètement pour
la conduite de l'enquête. Après 10 jours de négociations, un projet de
protocole d'accord a été élaboré et un communiqué commun faisant état des
points d'accord et des points de désaccord signé par les deux parties. Le
Gouvernement s'est opposé à la présence de M. Garreton et a insisté pour que
la période sur laquelle porteraient les recherches aille du 20 mars 1993 au 17
mai 1997.
4. Nomination et composition de l'Équipe d'enquête
7. L'Équipe se composait de M. Atsu-Koffi Amega (Togo), chef de l'Équipe, et
de ses adjoints, M. Andrew Chigovera (Zimbabwe) et M. Reed Brody (États-Unis).
M. Brody a démissionné en novembre 1997, M. Chigovera en février 1998. Ils
ont été remplacés par M. Paul Laberge (Canada) et M. Daniel O'Donnell
(Irlande et États-Unis), nommés en février 1998.
8. Le personnel d'appui était composé d'un coordonnateur, d'un groupe des investigations, d'un groupe de la sécurité et d'une unité administrative. Le groupe des investigations comptait plusieurs spécialistes des droits de l'homme et experts légistes et un enquêteur de police, qui dirigeait le Service de la gestion de l'information. Le nombre de spécialistes des droits de l'homme a varié, allant jusqu'à sept au maximum. Les experts légistes ne faisaient pas partie du corps permanent de l'Équipe, mais on faisait appel à leurs services lorsqu'il semblait possible de procéder à des exhumations, pendant les premier et deuxième déplacements dans la province de l'Équateur. À plein effectif, l'équipe médico-légale comprenait six experts. En janvier 1998, l'Équipe a reçu le renfort d'un analyste militaire, détaché à son service.
9. Les difficultés rencontrées dans la conduite de l'enquête expliquent le
taux élevé de renouvellement de son personnel. Outre les deux chefs adjoints,
le Coordonnateur a démissionné en décembre et a été remplacé en janvier.
Le chef enquêteur a démissionné en mars et c'est un spécialiste des droits
de l'homme qui a assuré l'intérim.
5. Mandat de l'Équipe d'enquête
10. Dans sa lettre du 15 juillet 1997, le Secrétaire général a défini le
mandat de l'Équipe d'enquête, qui était chargée d'"enquêter sur les
graves violations des droits de l'homme et du droit humanitaire international
qui auraient été commises en République démocratique du Congo (ex-Zaïre)
depuis le 1er mars 1993...", en ajoutant que "la tâche principale de
l'Équipe serait de recueillir et d'analyser les informations, les témoignages
et d'autres éléments de preuve en vue d'établir les faits et la responsabilité
des graves violations en question". En conclusion, le Secrétaire général
insistait sur le fait que "l'enquête serait conforme aux plus hautes
normes d'objectivité, d'indépendance et d'impartialité et que l'Équipe
s'acquitterait de sa tâche dans l'intérêt suprême et exclusif de la vérité,
de la paix et de la réconciliation dans la région". Dans une annexe à
cette lettre, il est précisé que "les méthodes et techniques de l'enquête
seront basées sur les instruments internationaux pertinents en la matière,
dont les Principes de 1995 régissant les enquêtes de l'ONU sur les allégations
relatives à des massacres, la Déclaration de 1992 sur la protection de toutes
les personnes contre les disparitions forcées et les Principes de 1989 relatifs
à la prévention efficace des exécutions extrajudiciaires, arbitraires et
sommaires et aux moyens d'enquêter efficacement sur ces exécutions".
11. En août 1997, l'Équipe a décidé de donner de son mandat l'interprétation
suivante :
D'après la lettre du 15 juillet 1997 que le Secrétaire général a adressée au Président Kabila, l'Équipe d'enquête est notamment chargée du mandat ci-après :
"Enquêter sur les graves violations des droits de l'homme et du droit humanitaire international qui auraient été commises en République démocratique du Congo (ex-Zaïre) depuis le 1er mars 1993 et faire rapport [au Secrétaire général] à la fin de 1997 au plus tard. La principale tâche de l'Équipe d'enquête sera de recueillir et d'analyser les informations, les témoignages et d'autres éléments de preuve en vue d'établir les faits et la responsabilité des graves violations en question.
D'après la lettre du Secrétaire général au Président Kabila, ce mandat
visait :
"a) Ratione materiae : Les allégations faisant état de violations
massives des droits de l'homme, tout spécialement du droit à la vie, résultant
d'exécutions extrajudiciaires, sommaires et arbitraires, de traitements
inhumains ou dégradants et de massacres. Dans ce contexte, les éléments de
preuve devront être analysés eu égard à l'article 2 de la Convention pour la
prévention et la répression du crime de génocide. Il conviendra aussi de déterminer
si les Principes VI b) et c) des Principes de droit international consacrés par
le Statut du Tribunal de Nuremberg et par le jugement de ce tribunal sont
applicables et si les dispositions de l'article 3 commun aux Conventions de Genève
pour la protection des victimes de la guerre n'ont pas été respectées;
b) Ratione loci : Tout le territoire de la République démocratique du Congo;
c) Ratione temporis : La période comprise entre le 1er mars 1993 et la date à laquelle le rapport sera remis au Secrétaire général;
d) Ratione personae : Dans la mesure du possible, l'identité de
toutes personnes impliquées dans des violations massives des droits de l'homme
et/ou du droit international humanitaire commises dans le territoire."
6. Obligations juridiques de la République démocratique du Congo
12. La République démocratique du Congo est partie à de nombreux instruments
internationaux concernant les droits de l'homme, notamment le Pacte
international relatif aux droits civils et politiques et le Pacte international
relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, tous deux de 1966; la
Convention de 1948 pour la prévention et la répression du crime de génocide;
la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés et le Protocole de 1967;
la Convention internationale de 1965 sur l'élimination de toutes les formes de
discrimination raciale, la Convention de 1979 sur l'élimination de toutes les
formes de discrimination à l'égard des femmes et la Convention de 1989
relative aux droits de l'enfant. Elle est partie aux quatre Conventions de Genève
de 1949 et au Protocole I, mais pas au Protocole II relatif à la protection des
victimes des conflits armés non internationaux.
13. L'expression "graves violations des droits de l'homme", utilisée par le Secrétaire général pour définir le mandat de l'Équipe d'enquête, revêt un caractère général et flexible. D'une façon générale, elle est censée viser les violations du droit à la vie et à l'intégrité physique. Elle peut également comprendre les atteintes à d'autres droits fondamentaux de l'homme, notamment si de telles atteintes sont systématiques et motivées par une forme de discrimination interdite en droit international. Aux fins du présent rapport, les mentions des normes de l'ONU concernant les exécutions, massacres et disparitions figurant dans l'annexe à la lettre du Secrétaire général impliquent clairement que les violations du droit à la vie sont au centre de ce mandat.
14. L'expression "violations graves du droit international
humanitaire" est analogue à l'expression "infractions graves",
dont le sens est bien circonscrit. Les Conventions de Genève définissent les
infractions graves comme comportant "l'homicide intentionnel, la torture ou
les traitements inhumains ... le fait de causer intentionnellement de grandes
souffrances ou de porter des atteintes graves à l'intégrité physique ou à la
santé, la déportation ou le transfert illégaux, le fait de priver une
personne de son droit d'être jugée régulièrement et impartialement, les
prises d'otages et la destruction et l'appropriation de biens non justifiées
par des nécessités militaires et exécutées sur une grande échelle"
Première Convention, art. 50; deuxième Convention, art. 51; troisième
Convention, art. 130; quatrième Convention, art. 147.. En vertu de ces
conventions, tous les États parties ont l'obligation juridique de rechercher
les personnes prévenues d'avoir commis, ou d'avoir ordonné de commettre, ces
infractions graves et, soit de les poursuivre, soit de les remettre pour
jugement à une juridiction qui les poursuivra Articles 49, 50, 129 et 146 des
quatre Conventions, respectivement..
15. Le devoir qu'a l'Équipe d'enquêter "conformément aux normes
d'objectivité et d'impartialité les plus élevées" l'oblige à accorder
une attention égale à des événements comparables, quelle que soit l'identité
de l'auteur de l'infraction. Ceci soulève une question de technique juridique,
car la plupart des experts en matière de droits de l'homme sont d'avis que, le
droit international relatif aux droits de l'homme ne liant que les États, seuls
les actes commis par les États, ou que l'on peut attribuer à un État, peuvent
êtrestricto sensu considérés comme des violations des droits de
l'homme. Ce n'est pas le cas en ce qui concerne le droit international
humanitaire, qui s'applique à toutes les parties à un conflit armé, même
totalement indépendantes de tout État.
16. Pour ce qui est du droit international humanitaire, une autre question se pose, celle de savoir si le conflit qui a éclaté en 1996 devrait être considéré comme non international. Ce conflit peut être considéré comme interne, ou non international, en ceci que les forces alignées contre le Gouvernement établi de ce qui s'appelait alors le Zaïre étaient placées sous la direction de l'AFDL, qui était à l'époque un mouvement insurrectionnel dont le principal objectif était de renverser le gouvernement en place. Cependant, les parties intéressées reconnaissent que des éléments des forces armées d'au moins un pays voisin, le Rwanda, ont participé activement au conflit, poursuivant pour l'essentiel leurs propres objectifs, notamment celui d'éliminer une menace à la sécurité nationale du Rwanda fondée sur la présence d'importants groupes armés hostiles dans les zones frontalières. Il est certain que ce conflit avait des dimensions tant nationales qu'internationales. Il y avait en fait convergence de deux conflits, tous deux essentiellement internes - l'un entre l'AFDL et le Gouvernement zaïrois, l'autre opposant le Gouvernement rwandais aux vestiges des ex-forces armées du Rwanda et des milices politiques armées alliées, l'interahamwe, se déroulant en grande partie sur le territoire d'un État voisin. Ces deux conflits étaient intimement liés, les forces de l'AFDL et l'armée rwandaise agissant souvent, notamment, comme une force unique. Il existe aussi des éléments de preuve de la participation d'éléments des forces armées d'autres pays aux côtés des rebelles, ainsi que de la participation de mercenaires aux côtés de ce qui était alors le Gouvernement zaïrois, mais beaucoup de questions fondamentales sur la nature et l'étendue de la participation étrangère restent sans réponse encore aujourd'hui. Pour résumer, l'Équipe n'a pas pu obtenir d'éléments de preuve suffisants sur le rôle des forces armées étrangères pour déterminer si l'aspect international du conflit était primordial, au point qu'il convienne de le considérer comme un conflit international au sens du droit international humanitaire. En conséquence, les normes retenues aux fins du présent rapport sont celles de l'article 3 commun aux Conventions de Genève, qui s'appliquent à tous les conflits armés, internes comme internationaux. Aux termes de cet article, les meurtres arbitraires et sans discrimination, les atteintes portées à l'intégrité physique, les traitements dégradants ou inhumains et les prises d'otages sont prohibés, les blessés et les malades devant être "recueillis et soignés".
17. Étant donné l'ampleur potentielle de son mandat et l'existence des
questions susmentionnées concernant l'applicabilité des normes juridiques
internationales, l'Équipe a décidé d'adopter des directives opérationnelles
provisoires concernant la portée de l'enquête. Ces directives prévoyaient que
les efforts déployés pour obtenir des informations sur de graves violations
des droits de l'homme et du droit international humanitaire porteraient
essentiellement sur le droit à la vie, notamment les exécutions sommaires et
arbitraires, et tout particulièrement le massacre de groupes de personnes non
armées; les décès imputables aux conditions dans lesquelles des populations
ont été contraintes de fuir (épuisement, famine, maladies non soignées,
noyades, par exemple) et les décès résultant de l'utilisation de civils comme
boucliers.
18. En ce qui concerne les autres violations de l'intégrité physique, l'Équipe
a décidé que la priorité serait donnée aux viols et aux autres formes de
violence sexuelle, parce qu'il s'agit d'un type particulièrement monstrueux de
violation de l'intégrité physique qui constitue aussi un traitement dégradant
et inhumain. Les autres formes de torture n'ont pas été retenues comme objet
central de l'enquête parce que, si les décès dus à des méthodes cruelles et
inhumaines étaient monnaie courante, peu d'allégations de torture dans
d'autres circonstances constituant une violation séparée ou distincte des
droits de l'homme ont été formulées.
19. Un grand nombre d'acteurs ont été accusés d'avoir commis des massacres
et autres atrocités en République démocratique du Congo au cours de la période
sur laquelle porte le mandat de l'Équipe, notamment les forces armées de ce
qui était alors le Zaïre et du Rwanda, les ex-forces armées du Zaïre et du
Rwanda, les mouvements insurrectionnels, les milices tribales, les milices liées
aux partis politiques et de simples foules de civils Le nom de l'armée
rwandaise a changé après le changement de gouvernement, en juillet 1994 : à
cette date, les Forces armées rwandaises sont devenues l'Armée patriotique
rwandaise, mais des membres de l'ancienne armée ont continuer à fonctionner en
tant que force militaire après s'être enfuis dans l'est du Zaïre. Dans tout
le rapport, on a donc ajouté l'acronyme FAR ou APR chaque fois qu'il était
question de l'armée rwandaise pour que l'on voit bien de quelle force il
s'agit.. La question de savoir quelles normes internationales appliquer à ces
acteurs n'est pas simple. Mais la décision prise par l'Équipe de focaliser
l'enquête sur les violations du droit à la vie et les atteintes à l'intégrité
physique simplifie quelque peu le problème, puisqu'il existe d'étroits parallèles
entre le droit international relatif aux droits de l'homme et le droit
humanitaire dans ces domaines particuliers. Lorsque l'auteur présumé est un
membre des forces armées, un haut fonctionnaire ou autre agent d'un État, les
normes énoncées dans les instruments relatifs aux droits de l'homme sont
applicables. Si l'auteur présumé est un membre d'un mouvement insurrectionnel,
c'est le droit international humanitaire qui est applicable. Le droit
international humanitaire est également applicable aux forces armées d'un
gouvernement qui a été déposé à l'issue d'une insurrection, si ces forces
armées continuent d'opérer en tant que force militaire. Dans le cas d'actes
commis par d'autres acteurs, par exemple une population civile, la question qui
se pose est de savoir si ceux-ci ont agi à l'instigation de, ou avec
l'assentiment ou l'accord de quelque fonctionnaire ou autorité publique. Si un
tel lien peut être établi, l'acte commis peut constituer une violation des
droits de l'homme; sinon, il peut s'agir d'une simple infraction pénale,
n'entrant pas dans le cadre du mandat de l'Équipe.
7. Conditions régissant l'enquête énumérées dans la lettre
du Secrétaire général datée du 15 juillet 1997
20. L'annexe à la lettre du Secrétaire général spécifie que les membres et
le personnel de l'Équipe jouissent des privilèges et immunités prévus par la
Convention de 1946 sur les privilèges et immunités des Nations Unies - ratifiée
par la République démocratique du Congo en 1964 -, notant expressément que
ces privilèges et immunités "s'appliquent aussi à tous les documents et
preuves matérielles compilés ou recueillis au cours de l'enquête".
L'annexe énumère par ailleurs neuf engagements pris par le Gouvernement en ce
qui concerne la conduite de l'enquête. On peut les résumer ainsi :
a) Garantir la sécurité de tous les membres de l'Équipe;
b) Garantir la sécurité des locaux et des installations de l'Équipe;
c) N'épargner aucun effort, si la situation en matière de sécurité devait provisoirement entraver la liberté de circulation ou d'enquête, pour instaurer des conditions permettant à l'Équipe de s'acquitter entièrement de son mandat;
d) Garantir le libre accès à tous les lieux du territoire national que l'Équipe souhaite visiter;
e) Garantir le libre accès à toutes les sources d'information;
f) Protéger tous les lieux où se sont produits des massacres et où se
trouvent des fosses communes afin de préserver les éléments de preuve;
g) Autoriser les communications privées, confidentielles, avec les témoins;
h) Garantir que les témoins et autres personnes, congolais ou étrangers,
avec lesquels l'Équipe entre en contact ne seront pas, de ce fait, exposés à
des menaces, harcèlements, châtiments ou poursuites judiciaires;
i) Faciliter les entrées et sorties du personnel de l'Équipe et de son matériel,
en particulier aux postes frontière.
[retour à la table des matières]
II. OBSTACLES RENCONTRÉS PAR L'ÉQUIPE D'ENQUÊTE
A. Août-octobre 1997
21. Les relations entre l'Équipe et le Gouvernement de la République démocratique
du Congo ont été amplement marquées par des difficultés créées à la fois
par le Gouvernement et par des instances non gouvernementales. Des obstacles
sont apparus pendant tout le cours de son séjour dans le pays. À travers des
messages ambigus sinon contradictoires, par le biais de la presse et en usant de
divers artifices de langage, le Gouvernement s'est employé à remettre en
question les assurances qu'il avait données pour la réalisation de la mission.
Il a notamment formulé des objections relatives à la composition de l'Équipe,
à l'étendue de son mandat, à l'intégrité et à l'impartialité de son chef,
et à la violation de la souveraineté territoriale de la République. Le
Gouvernement a, en outre, procédé à l'arrestation ou à l'intimidation de témoins
potentiels. Enfin, une manifestation du Comité des forces vives mettant en
cause la présence de l'Équipe d'enquête a eu lieu le samedi 30 août 1997 à
Kinshasa. Les divers aspects de la stratégie d'obstruction du Gouvernement sont
examinés ci-dessous par ordre chronologique.
22. Dans une lettre datée du 18 août 1997, le Ministre de la reconstruction nationale et de la planification des urgences a informé le Secrétaire général que le Gouvernement n'était pas disposé à accueillir les quatre fonctionnaires de l'ONU chargés d'assurer la sécurité de l'Équipe dans la mesure où il s'en chargeait lui-même. Le Ministre a en outre prétendu que la liste des membres de l'Équipe n'avait pas été communiquée dans les délais requis, c'est-à-dire 10 jours avant l'arrivée de l'Équipe à Kinshasa, afin que les services d'identification gouvernementaux puissent prendre des dispositions pour l'entrée de l'Équipe sur le territoire.
23. Le 27 août 1997, après l'arrivée de l'Équipe d'enquête à Kinshasa, le Gouvernement a, dans un courrier au Secrétaire général, exprimé le souhait que les enquêtes de la Commission de l'ONU se fassent en même temps que celle de la Commission de l'OUA; il a de nouveau fait objection à la présence d'agents de la sécurité au sein de l'Équipe et demandé leur remplacement avant que la Commission ne soit à pied d'oeuvre. Le Gouvernement estimant, par ailleurs, que le Togo, dont est ressortissant M. Atsu-Koffi Amega, avait des accointances avec le régime du maréchal Mobutu, a exigé le remplacement de M. Amega par une personne d'un État "neutre". Ces objections sont intervenues alors que l'Équipe avait à la même date demandé par écrit à rencontrer les autorités pour examiner les modalités de leur coopération. Une réponse téléphonique a été donnée par le Ministre de la reconstruction nationale et de la planification des urgences qui proposait une rencontre, à l'hôtel Intercontinental, le 28 août dans l'après-midi. Mais, face aux objections du Gouvernement et s'étant rendu compte qu'une conférence de presse avait été convoquée le même jour, au même endroit et à la même heure, l'Équipe a décliné l'invitation.
24. Au cours de cette conférence de presse, le Ministre de la reconstruction nationale et de la planification des urgences, M. Étienne-Richard Mbaya, qu'entouraient ses collègues Célestin Lwangi, Ministre de la justice, Jean-Baptiste Sondji, Ministre de la santé, Mwenzé Kongolo, Ministre de l'intérieur, Bizima Karaha, Ministre des affaires étrangères, Thomas Kanza, Ministre de la coopération internationale et Raphaël Ghenda, Ministre de l'information, de la presse et des affaires culturelles, a réitéré avec virulence les objections du Gouvernement. Il a déclaré en substance que :
- Dans sa lettre du 11 août 1997, le Secrétaire général de l'ONU avait communiqué la composition d'une équipe de 27 membres au sein de laquelle figuraient quatre fonctionnaires chargés de la sécurité, ce qui constituait une violation flagrante des dispositions du protocole du 30 juillet 1997 entre la République démocratique du Congo et l'Équipe préparatoire des Nations Unies;
- Le délai de 10 jours convenu pour la communication de la liste des membres de l'Équipe d'enquête avant leur arrivée à Kinshasa n'avait pas été respecté;
- Le Gouvernement exigeait que les enquêtes de la Commission de l'ONU se fassent en même temps que celle de l'OUA conformément à un accord verbal entre le Secrétaire général de l'ONU et le chef de l'État congolais, lors de la Conférence des chefs d'État et de gouvernement de l'OUA tenue à Harare en juin 1997;
- La situation qui prévalait au Kivu et plus particulièrement à Masisi et
Kalehe ne permettait pas au Gouvernement d'assumer pleinement ses engagements en
matière de sécurité dans cette région.
25. Pourtant, les 1er et 11 août 1997, le Secrétaire général avait écrit au
Président Kabila pour l'informer de la composition de l'Équipe et aucune
objection à la nomination de M. Atsu-Koffi Amega comme chef de cette équipe ne
lui avait été signifiée. En outre, le Secrétaire général avait précisé
qu'il était d'usage d'affecter aux missions d'enquête des Nations Unies des
agents chargés d'assurer la liaison entre la mission et les agents de sécurité
locaux ainsi que de remplir des fonctions en matière de transmissions et de
logistique.
26. Dans sa lettre du 29 août 1997 au Président Kabila, le Secrétaire général
a fermement rejeté les conditions posées par le Gouvernement en soulignant que
"leur imposition ne peut être perçue que comme une réticence de la part
[du Gouvernement] à accepter l'enquête (...)". "Des promesses ont été
faites et des assurances ont été données et l'on cherche à revenir sur ces
promesses et sur ces assurances", a-t-il ajouté. Le Secrétaire général
a donc indiqué que si les autorités n'autorisaient pas la mission à commencer
ses travaux le mardi 2 septembre 1997 à midi (heure locale) au plus tard, elle
serait retirée et compte en serait rendu au Conseil de sécurité.
27. Le lundi 1er septembre 1997, au cours d'une conversation téléphonique
avec le Secrétaire général, M. Bizima Karaha, Ministre des affaires étrangères,
a dit que son gouvernement retirait ses objections. Le Secrétaire général
avait alors demandé que ces assurances soient communiquées par écrit. Le 3
septembre 1997, à 22 h 30, l'Équipe a reçu une lettre signée du Ministre Étienne-Richard
Mbaya, l'invitant à une réunion le lendemain 4 septembre à 9 h 30. Au cours
de cette réunion, que la presse a couverte pendant les 15 premières minutes,
M. Mbaya a rejeté l'interprétation de l'entretien du Secrétaire général
avec M. Karaha et ajouté que la mission ne recevrait pas la lettre promise par
le Ministre des affaires étrangères dans la mesure où les conditions stipulées
dans la précédente lettre que lui et M. Kongolo avaient envoyée à M. Amega
continuaient de refléter la position officielle du Gouvernement.
28. MM. Kongolo et Mbaya ont en outre sévèrement reproché à l'Équipe
d'avoir violé la souveraineté nationale de la République démocratique du
Congo en ne respectant pas l'accord entre l'ONU et leur Gouvernement entre
l'annonce officielle et l'arrivée dans le pays, en entrant "illégalement"
et en introduisant dans le pays, qui se trouvait en guerre, des officiers de sécurité.
M. Mbaya a reproché à l'Équipe d'avoir un mandat politique alors que l'enquête
devait être technique.
29. Entre le 4 et le 10 septembre 1997 des tractations diplomatiques entre le
Secrétaire général et les autorités de la République démocratique du Congo
ont eu lieu afin de tenter de sortir de l'impasse.
30. Le 4 septembre, le Secrétaire général a renouvelé sa demande d'éclaircissements
sur la position du Gouvernement afin que la mission puisse commencer ses travaux
le samedi 6 septembre 1997 à midi au plus tard, faute de quoi il se verrait
obligé d'interrompre la mission.
31. Le 6 septembre, le Président Kabila a répondu au Secrétaire général en
réitérant que son gouvernement acceptait le principe d'une enquête de l'ONU
à l'est du pays. Toutefois, il a fait observer avec regret que la Commission
avait violé la souveraineté de la République démocratique du Congo et s'était
immiscée dans la politique interne du pays en "s'engageant manifestement
dans les pourparlers avec les soi-disant opposants politiques". Il a
souligné qu'à deux reprises les lettres du Secrétaire général (celles du 29
août et du 4 septembre 1997) contenaient un ultimatum, ce qui était
inacceptable pour un gouvernement souverain et indépendant.
32. Le 8 septembre, M. Amega a sollicité une rencontre avec le Ministre de la
reconstruction nationale pour lui faire part du désir de l'Équipe d'effectuer
son premier déplacement sur le terrain (envisagé pour le 11 septembre) et
aborder la question de la coopération avec le Gouvernement.
33. Le 10 septembre, le Ministre de la reconstruction nationale et de la planification des urgences a convoqué l'Équipe à une réunion, le 11 septembre, avec le Comité interministériel de liaison, afin de discuter des modalités de la coopération avec le Gouvernement. L'Équipe a ainsi participé à trois réunions les 11 et 12 septembre, au cours desquelles elle a constaté qu'aux objections initiales étaient venues se greffer de nouvelles divergences. Celles-ci portaient sur l'aire d'investigation, la durée de l'enquête, le rôle du comité de liaison, les ressources à affecter au fonctionnement de ce comité. Les positions des deux parties pouvaient être résumées comme suit :
1) Aire d'investigation : La position de l'Équipe était que l'enquête
devait couvrir toute l'étendue du territoire, alors que le Gouvernement voulait
qu'elle se limite uniquement à l'est du pays.
2) Période couverte par l'enquête : Alors que l'Équipe soutenait que
la période couverte par son mandat allait du 1er mars 1993 au 31 décembre
1997, date du dépôt de son rapport, le Gouvernement, dans une interview en présence
de la presse le 16 septembre 1997, indiquait que la période couverte allait du
20 mars 1993 au 17 mai 1997.
3) Durée de la mission : Le mandat fixait la date de présentation du
rapport au 31 décembre 1997. L'Équipe pensait que cette date était simplement
indicative et qu'elle dépendait de la progression de l'enquête. Le
Gouvernement, quant à lui, déclarait qu'il s'agissait d'une date impérative.
4) Rôle du comité de liaison : Pour l'Équipe, le mot
"facilitation", auquel se référait le mandat, excluait toute
participation à tous les stades de l'enquête, alors que le Gouvernement
l'entendait dans le sens contraire.
5) Budget du comité de liaison : La présentation d'un budget était
inattendue, car selon le mandat, l'Équipe était uniquement appelée à mettre
à la disposition du Comité interministériel de liaison les moyens logistiques
et l'équipement nécessaires.
34. Informé de la persistance des désaccords avec le Gouvernement, le Secrétaire
général a écrit au Président Kabila le 12 septembre 1997 afin de trouver un
terrain d'entente. Il a parallèlement encouragé l'Équipe à demander
l'autorisation de se déployer dans la région de Mbandaka dès le 17 septembre
afin de commencer son enquête sur le terrain. Mais, au cours d'une réunion
tenue le 15 septembre, le Ministre de la reconstruction nationale et de la
planification des urgences a rejeté cette requête et accusé l'Équipe de
persister dans sa violation de la souveraineté nationale de la République démocratique
du Congo et d'entraver la réalisation de l'enquête par son attitude. Il a réaffirmé
dans une déclaration à la presse que les positions du Gouvernement n'avaient
pas varié.
35. Confronté à l'impossibilité de surmonter les obstacles posés par le
Gouvernement, le Secrétaire général a décidé le mercredi 1er octobre 1997
de rappeler son Équipe d'enquête à New York pour des consultations, en
attendant une clarification de la politique de la République démocratique du
Congo, le personnel d'appui étant maintenu à Kinshasa. L'Équipe a quitté la
capitale le vendredi 3 octobre au soir.
36. Le 5 octobre 1997, le Ministre de l'intérieur, M. Mwenze Kongolo, a déclaré
à la presse que "l'insistance" de l'Équipe d'enquête à se rendre
à Mbandaka était motivée par sa volonté de rencontrer environ 1 000
combattants des ex-Forces armées rwandaises cachés dans la forêt, dans la
province de l'Équateur, avec un grand nombre de réfugiés qu'ils avaient pris
en otages. "Il y a lieu de croire que cette commission préfère aller
traiter avec nos ennemis cachés en forêt, les armes à la main, au lieu de
respecter les engagements pris dans le protocole d'accord conjoint avec le
Gouvernement" a renchéri le Ministre.
37. Plusieurs déclarations des autorités à la presse visaient à établir un lien entre la présence de l'Équipe à Kinshasa et le conflit qui avait lieu dans la République du Congo (Brazzaville). À diverses occasions, ces autorités ont prétendu que la communauté internationale et l'ONU s'acharnaient sur la République démocratique du Congo au lieu de se préoccuper de la situation dans la République du Congo.
38. Le samedi 30 août 1997, une manifestation contre la présence de la
mission d'enquête a été organisée par un comité dit des "Forces vives
pour l'éveil du nationalisme congolais". Apparemment spontanée, cette
manifestation qui regroupait environ 5 000 personnes avait été préparée en
prévision de la mission, si l'on en juge par sa bonne organisation et les
banderoles bien imprimées sur lesquelles on pouvait lire les slogans suivants
lors du passage du cortège devant l'hôtel Intercontinental, au quartier Gombé,
où résidaient les membres de l'Équipe : "Non à l'ONU"; "Non
à Koffi Amega, Mobutiste corrompu"; "Non à Kofi Annan xénophobe";
"Non à la Commission d'enquête manipulée par des puissances étrangères".
39. Dans une lettre adressée au Secrétaire général, dont copie a été
remise à l'Ambassadeur des États-Unis à Kinshasa, ledit comité prétendant
s'exprimer au nom du peuple congolais, reprenait les arguments du Gouvernement
quant à la prétendue violation du protocole d'accord et à la partialité du
chef de l'Équipe. Ainsi, "le Peuple congolais émet d'ores et déjà des réserves
quant à la fiabilité et à l'objectivité des conclusions auxquelles pourrait
aboutir la Commission."
40. Accueillant la manifestation au Palais du Peuple, le Président Kabila a
feint d'être surpris par un mouvement qu'il a, dans son discours, présenté
comme spontané, pour ensuite dénoncer en termes vagues l'immixtion de
puissances étrangères dans les affaires intérieures de la République démocratique
du Congo. Certes, l'Équipe n'a pas été nommément désignée, mais le propos
de M. Kabila s'adressait aussi indirectement à elle, perçue comme le canal
liant les revendications de l'opposition intérieure à l'intervention extérieure.
[retour à la table des matières]
41. L'Équipe est retournée à Kinshasa le 11 novembre 1997 et a commencé à
préparer son déploiement dans la province de l'Équateur. Selon plusieurs
sources, plusieurs centaines de Rwandais qui avaient fui l'est du Zaïre à la
suite des attaques contre les camps qui s'y trouvaient, avaient été tués dans
la ville de Mbandaka et le village voisin de Wendji en mai 1997. Bien que le
nombre de victimes dans cette région soit peu élevé par rapport au nombre
total de personnes qui auraient été tuées pendant et après les attaques
contre les camps, il avait été décidé d'y commencer l'enquête sur le
terrain pour plusieurs raisons. Les informations relatives aux circonstances
dans lesquelles ces massacres avaient eu lieu étaient catégoriques, s'agissant
en particulier de l'identité des forces responsables et du fait que les
victimes n'étaient pas armées. On disposait de renseignements précis sur
l'emplacement des charniers et, contrairement aux provinces de l'est, il n'avait
pas été signalé de combats dans la région.
42. En raison de négociations laborieuses sur les modalités du déplacement
et du temps qu'il a fallu pour obtenir les documents de voyage nécessaires, le
premier déplacement en dehors de Kinshasa a dû être reporté de trois
semaines. Selon les informations reçues, pendant la deuxième moitié de
novembre et la première semaine de décembre, les autorités militaires et
civiles se sont employées à effacer les traces de charniers. Le 8 décembre,
les enquêteurs ont enfin pu se rendre à Mbandaka.
43. À leur arrivée à Mbandaka, durant la deuxième semaine de décembre, les
enquêteurs ont été accueillis par des manifestations contre l'Équipe d'enquête
et l'ONU en général. Les autorités ont qualifié ces manifestations de
"spontanées" mais il y a de fortes raisons de croire qu'elles étaient
en fait organisées par le Gouvernement. Les banderoles utilisées par les
manifestants avaient été imprimées à Kinshasa et transportées à Mbandaka
par les agents mêmes du Gouvernement qui étaient chargés d'assurer la liaison
avec l'Équipe d'enquête et de faciliter son travail. À Mbandaka, elles
avaient été remises à des responsables locaux qui les avaient distribuées à
la population locale en l'incitant à manifester contre l'Équipe.
44. Il y a eu une deuxième manifestation contre l'Équipe d'enquête à
Mbandaka et deux autres dans le village de Wendji. Là, les manifestants
exigeaient que les enquêteurs versent des contributions en espèces et en
nature pour pouvoir interroger la population locale. La dernière manifestation
a eu lieu à l'extérieur de la base temporaire de l'Équipe à Mbandaka. La
radio locale d'obédience gouvernementale avait diffusé un message d'après
lequel les habitants qui se présenteraient à la base seraient remboursés par
l'ONU des pertes subies (par exemple biens volés, etc.) à la suite du passage
des réfugiés en 1996. Lorsque les personnes rassemblées devant la base
avaient appris que ces informations étaient totalement infondées, elles étaient
devenues hostiles; pourtant, les policiers présents n'avaient quasiment rien
fait pour disperser la foule. Le chef de la sécurité de l'Équipe a décidé
d'évacuer les enquêteurs car il craignait pour leur sécurité vu le risque
d'une escalade de la violence.
45. Le 19 décembre, une lettre a été envoyée au chef du Comité de
liaison interministériel, dans laquelle les divers obstacles auxquels l'Équipe
s'était heurtée étaient décrits en détail; l'attention y était appelée
sur le fait que ces conditions étaient incompatibles avec les garanties énoncées
dans la lettre du Secrétaire général en date du 15 juillet 1997 et il était
demandé au Gouvernement de réaffirmer sa volonté de prendre certaines mesures
pour permettre à l'Équipe de s'acquitter de son mandat. Dans sa réponse, le
Ministre a qualifié d'infondées les plaintes de l'Équipe. Outre qu'il a rejeté
comme inexacte la version des faits donnée par l'Équipe et refusé de prendre
les engagements demandés concernant la non-ingérence dans ses travaux, il a même
accusé l'Équipe d'encourager des violations des droits de l'homme. Le Comité
de liaison a déclaré qu'il serait "antidémocratique" d'intervenir
dans les manifestations dirigées contre l'Équipe et que ce serait commettre un
"génocide culturel" que d'obliger la population locale à laisser l'Équipe
faire son travail sans respecter de prétendues traditions locales. Fait révélateur,
le Ministre a déclaré : "le Gouvernement a pris des engagements sur les
principes de l'enquête et non sur les modalités de sa faisabilité et de sa
factabilité".
[retour à la table des matières]
46. En janvier, le Ministre qui dirigeait le Comité de liaison interministériel
s'est vu confier un autre ministère de sorte qu'on ne savait plus qui était
chargé de la liaison avec l'Équipe. Il a fallu en conséquence près d'un mois
pour obtenir l'autorisation de retourner à Mbandaka. Lorsque les enquêteurs
ont pu enfin s'y rendre, le 8 février, il est vite devenu apparent qu'une
campagne d'intimidation avait été lancée contre les témoins et les témoins
potentiels. Des responsables locaux avaient fait le tour des régions où les
enquêteurs envisageaient de se rendre, avant l'arrivée de ces derniers, pour
avertir les habitants qu'ils ne devaient pas leur parler. Des agents en civil
suivaient constamment les enquêteurs et les personnes qui parlaient à ces
derniers étaient invariablement interrogées par des membres des services de
renseignement ou des forces de l'ordre, si bien que les habitants n'étaient pas
très disposés à avoir le moindre contact avec les enquêteurs. Les trois cas
les plus importants d'intimidation de témoins et d'immixtion dans les activités
des enquêteurs qui se sont produits au cours de ce déploiement peuvent être résumés
comme suit :
47. Le 16 février, un enquêteur avait pris rendez-vous avec un prêtre pour le jour suivant. Le lendemain matin le prêtre a été arrêté, conduit à l'Agence nationale de renseignement (ANR) et interrogé pendant toute la journée de sorte qu'il n'a pu rencontrer l'enquêteur. Son interrogatoire a duré quelques jours, mais les autorités ont nié tout rapport entre l'interrogatoire et la demande de rendez-vous de l'Équipe.
48. Le 21 février, une enquêtrice s'est rendue au domicile d'un journaliste local. Peu après son arrivée, un homme en civil est entré dans la maison, a accusé l'enquêtrice d'"activité suspecte" et exigé qu'elle décline son identité tout en refusant de le faire lui-même. D'autres hommes sont arrivés et ont demandé à l'enquêtrice de les accompagner. Elle a refusé et est retournée à la base de l'Équipe sans avoir pu parler au journaliste. Celui-ci a été arrêté et placé en garde à vue aux fins d'interrogatoire le lendemain. Après sa remise en liberté, il s'est caché. Sa femme a refusé de dire aux enquêteurs de l'ONU où il se trouvait et les a accusés d'être à l'origine de son arrestation. Le journaliste aurait été menacé de mort. Il est rentré chez lui quelques semaines plus tard. La raison officielle de son interrogatoire est qu'il avait publié un article diffamatoire sur le Gouverneur.
49. Dans une note verbale adressée au Gouvernement le 26 février, il a été signalé que l'Équipe était "extrêmement préoccupée" par ces incidents, qui étaient incompatibles avec les garanties énoncées dans la lettre du Secrétaire général en date du 15 juillet 1997. Plus généralement, il a été demandé qu'il soit fait en sorte que les enquêteurs ne soient plus suivis en permanence car cela "a créé un climat de méfiance et d'intimidation dans la population, chose qui entrave la conduite du travail selon des critères de confidentialité et d'indépendance". Une réponse a été reçue le 6 mars. Au lieu de donner les assurances demandées, le Ministre a déclaré que l'interrogatoire des deux témoins potentiels "n'avait rien à voir avec l'enquête (de l'Équipe)" et a accusé les enquêteurs en ces termes : "au lieu de s'occuper correctement des tâches qui leur sont dévolues par leur mandat [ils] veulent s'immiscer dans les affaires intérieures de notre État...".
50. Le troisième incident concernait la Croix-Rouge congolaise. Le 27 février,
une réunion entre un enquêteur et plusieurs membres de la Croix-Rouge locale a
été interrompue par le chef de la police, qui a informé l'enquêteur qu'il
n'avait pas le droit d'être là et, faisant des gestes menaçants, lui a ordonné
de quitter les lieux. Une note verbale de protestation contre cette ingérence
dans le travail de l'Équipe a été envoyée le 3 mars, mais aucune réponse
n'a jamais été reçue.
51. Ces mesures ont été tout à fait efficaces pour ce qui est d'intimider la
population. Étant donné la rareté des témoignages et l'inquiétude
croissante de l'Équipe pour la sécurité des personnes qu'elle avait rencontrées,
il a été décidé de ne plus chercher à recueillir des témoignages dans
cette province et de se concentrer sur l'excavation des sites où l'on soupçonnait
l'existence de charniers.
expertises scientifiques
52. Une équipe d'experts légistes est arrivée dans la République démocratique
du Congo le 10 mars 1998. Elle a reçu l'autorisation de se rendre à Mbandaka
six jours plus tard. Une fois à Mbandaka, elle a encore perdu une journée à
attendre d'être reçue par le Gouverneur, qui avait insisté pour rencontrer
les nouveaux arrivants avant qu'ils commencent leurs travaux.
53. Le 18 mars, l'équipe d'experts légistes s'est rendue sur un site situé dans le village de Wendji, à quelque 20 km de Mbandaka, qui correspondait tout à fait à la description qui en avait été faite par deux témoins. Les travaux d'exploration réalisés dans l'un des charniers supposés sur le site en question ont permis de conclure qu'un ou plusieurs corps y avaient été ensevelis pendant plusieurs mois, mais en avaient été retirés. Ayant eu confirmation de l'existence d'au moins un charnier à cet endroit, l'équipe d'experts légistes est repartie, prévoyant de revenir le lendemain pour dégager et délimiter la zone en prévision des travaux d'excavation. L'agent chargé de la sécurité de l'Équipe sur le terrain est allé voir le chef du village pour discuter avec lui des modalités de recrutement de manoeuvres pour aider l'Équipe.
54. Le lendemain, les enquêteurs ont été empêchés de retourner au village par une foule de plusieurs centaines de personnes armées de lances, de machettes et autres armes analogues, qui prétendait que l'Équipe avait profané un cimetière et volé le corps d'un chef et d'un enfant. Le Gouverneur est venu au village, à la demande de l'Équipe, et a offert de faire office de médiateur. Les négociations ont commencé le même jour et se sont poursuivies jusqu'à la tombée de la nuit. Les villageois ont exigé des excuses écrites pour la prétendue profanation des tombes du chef et de l'enfant et la restitution de leurs dépouilles. Il était impossible de satisfaire à cette demande puisque cela ne correspondait pas à la réalité. Le Gouverneur a conseillé à l'Équipe de ne pas revenir sur le site tant que les négociations avec les villageois n'auraient pas abouti, mais lui a donné l'assurance qu'elle pourrait travailler ailleurs dans la province.
55. Cependant, le lendemain la police a empêché les experts légistes de se rendre sur l'emplacement supposé d'un autre charnier situé près de Mbandaka. Plus tard dans l'après-midi, le Gouverneur a insisté pour que les négociations avec les villageois continuent et a déclaré que tant qu'elles n'auraient pas abouti à un compromis acceptable pour les villageois, il ne pourrait garantir la sécurité des enquêteurs où que ce soit dans la province. Il a fait cette déclaration en présence de membres de la police, de l'armée et des services de renseignement ainsi que des mêmes individus qui étaient à la tête de la manifestation contre les enquêteurs, la veille. Compte tenu des menaces implicites qui pesaient sur la sécurité des enquêteurs et de l'impossibilité de poursuivre les expertises dans de telles circonstances, l'Équipe a décidé de se retirer de Mbandaka et de concentrer son action sur les provinces de l'est.
56. Lorsqu'il a été décidé de renoncer à enquêter dans la province de
l'Équateur, il restait 10 semaines à courir avant l'expiration du mandat.
Craignant beaucoup qu'il ne lui soit impossible d'effectuer une enquête
suffisamment approfondie dans les délais restants si les problèmes
administratifs, les manifestations hostiles et autres incidents du même genre
ne cessaient pas, l'Équipe a demandé à rencontrer les ministres responsables.
Elle a envoyé une note de rappel une semaine plus tard. Elle n'avait toujours
pas reçu de réponse au moment où s'est produit l'incident grave suivant. Bien
que le Gouvernement n'ait pas répondu à la note verbale, des hauts
fonctionnaires ont réitéré à la télévision nationale les allégations
infondées selon lesquelles les tombes d'un chef et d'un enfant avaient été
profanées.
[retour à la table des matières]
57. L'Équipe a décidé de se rendre à Goma, capitale de la province du
Nord-Kivu, parce que cette province avait été le théâtre d'une partie des
nombreux massacres qui se seraient produits en 1996 et 1997, et parce que les
conditions de sécurité, tout en étant problématiques, n'y étaient pas aussi
mauvaises qu'au Sud-Kivu. Quand l'Équipe est arrivée, le 19 mars 1998, il est
apparu que les retards et les manoeuvres d'intimidation qui avaient caractérisé
les deux déplacements à Mbandaka risquaient de se répéter. Il a fallu
attendre près d'une semaine pour rencontrer le Gouverneur, et le personnel a été
suivi à tout moment, tandis que les personnes qui avaient été en contact avec
lui étaient systématiquement interrogées. Au moins un témoin a décidé de
se cacher à la suite d'un tel interrogatoire. Le 24 mars, un entretien avec le
représentant du PNUD à Goma, un fonctionnaire ayant la nationalité du pays, a
été interrompu lorsque celui-ci a été prié d'urgence de se rendre dans les
bureaux provinciaux de l'ANR, où il a été interrogé jusqu'au soir. Le
lendemain, la réunion avec le Gouverneur, longtemps remise, a finalement eu
lieu et une ferme protestation contre de telles pratiques a été émise.
58. La protestation a paru produire un certain effet mais, peu après que les témoins
ont commencé à venir au bureau de l'Équipe pour des entretiens, il est devenu
évident qu'un bon nombre étaient suivis et, dans certains cas, interrogés
systématiquement par l'ANR. Tout en étant pleinement conscientes de ce risque,
des dizaines de personnes ont continué à venir dans les bureaux pour parler à
l'Équipe de ce qu'elles savaient ou de se dont elles avaient été témoins
durant la période correspondant au mandat de l'Équipe.
59. Le dimanche 29 mars, un enquêteur qui était un ancien fonctionnaire de
l'Opération de l'ONU pour les droits de l'homme au Rwanda a franchi la frontière
pour se rendre à Gisenyi (Rwanda) à titre privé. Possédant un visa pour la République
démocratique du Congo dans son laissez-passer des Nations Unies et un visa pour
le Rwanda dans son passeport national, il a présenté les deux documents aux
fonctionnaires de l'immigration congolais, qui ont apposé un tampon de sortie
sur son laissez-passer. Pourtant, peu après son entrée au Rwanda, il a été
abordé par des fonctionnaires congolais qui lui ont demandé de retourner à
leur bureau avec eux "pour répondre à quelques questions". Il a
alors été détenu sans pouvoir communiquer avec l'extérieur durant environ
trois heures. Les autorités ont saisi son laissez-passer des Nations Unies et
son passeport national ainsi que le document de voyage congolais délivré au
personnel de l'Équipe.
60. L'un des chefs adjoints de l'Équipe a rencontré le Vice-Ministre de
l'intérieur, chargé de l'ordre public et de la sécurité, pour demander la
restitution des documents d'identité de l'enquêteur, mais il a été avisé
que l'affaire avait été transmise au Cabinet du Président à Kinshasa. À
Kinshasa, le chef de la Mission a pris contact avec divers responsables, dont le
chef de cabinet du Président, mais sans pouvoir obtenir satisfaction. Pendant
ce temps, l'enquêteur a continué de travailler à Goma. La seule explication
qui ait été donnée au sujet de la confiscation des documents a été que
l'utilisation des deux documents de voyage était "suspecte".
61. Le mardi 7 avril, à 11 h 30, un fonctionnaire de l'immigration a informé
l'enquêteur qu'il devait prendre le vol de 14 heures pour Kinshasa. Divers
contacts avec de hauts fonctionnaires congolais à Kinshasa ont eu lieu dans les
heures précédant son expulsion du Nord-Kivu, mais en vain. Le passeport et le
laissez-passer des Nations Unies de l'enquêteur lui ont été restitués à
Goma, pour être confisqués de nouveau à son arrivée à Kinshasa, où il a été
détenu à l'aéroport par l'Agence nationale de renseignements (ANR).
62. L'enquêteur a passé la nuit à l'aéroport, accompagné de fonctionnaires de sécurité de l'ONU qui ont dû s'opposer physiquement à la saisie de ses bagages. À un moment, les fonctionnaires congolais ont dégainé leurs armes. Les conversations avec l'administration congolaise ont révélé que son but principal était d'obtenir les documents et les disques d'ordinateur qui contenaient des renseignements hautement confidentiels, et notamment des dépositions de témoins. Aux environs de 5 h 30, le 8 avril, l'enquêteur a été transféré dans une petite pièce fermée à clef et des documents et disquettes de l'ONU ont été retirés de ses bagages. Les documents, mais non pas les disquettes, ont été remis dans ses bagages vers 10 heures. En milieu de journée, il a été transféré au siège de l'ANR. Les responsables de la sécurité de l'ONU n'ont pas été informés de l'endroit vers lequel il était transféré et ont été empêchés de suivre le convoi. L'enquêteur a été tenu au secret jusqu'à sa libération à 16 h 15. Les autorités congolaises ont fait des photocopies des documents des Nations Unies.
63. Les interrogatoires des personnes qui avaient été en contact avec l'Équipe,
y compris le personnel des Nations Unies, se sont poursuivis après que l'enquêteur
a été expulsé de Goma.
[retour à la table des matières]
64. Le nombre des témoignages recueillis par l'Équipe durant les 35 semaines
écoulées entre son arrivée en août 1997 et son départ en avril 1998 est très
peu élevé. Moins de 20 témoignages ont été recueillis à Goma et autant à
Mbandaka. Dans cette dernière localité, la grande majorité des témoignages a
fait état de viols et de violences commis par des Rwandais en fuite à travers
la région; seule une petite poignée de personnes ont accepté de donner des
renseignements sur les massacres qui ont suivi. Moins de 10 témoignages ont été
recueillis à Kinshasa.
65. Au total, moins de 200 témoignages ont été recueillis par l'Équipe
d'enquête, y compris ceux qui ont été consignés par les spécialistes de médecine
légale dans leur rapport de 1997 sur l'est du Zaïre.
66. L'équipe de médecine légale, qui a pourtant passé plus d'un mois dans le
pays, n'a pu procéder qu'à un examen préliminaire d'un seul site en un après-midi.
Ses travaux ont néanmoins procuré d'importants éléments confirmant qu'un
effort avait été fait pour enlever des corps de ce site particulier.
67. Étant donné les difficultés éprouvées pour mener une enquête en République
démocratique du Congo, quatre missions se sont rendues dans des pays voisins
pour interroger des témoins : deux en République du Congo, une en République
centrafricaine et une en Angola.
68. La première mission en République du Congo a eu lieu du 9 au 12 septembre 1997. Deux enquêteurs se sont rendus dans un camp de réfugiés et ont recueilli environ 25 témoignages.
69. Une seconde mission en République du Congo a eu lieu du 26 au 30 janvier
1998, tandis que l'Équipe attendait l'autorisation de déployer des enquêteurs
en République démocratique du Congo. Plus de 40 témoignages ont été reçus
lors de visites à deux camps de réfugiés.
70. Une mission en République centrafricaine a eu lieu du 8 au 14 février.
Deux enquêteurs y ont participé, recueillant environ 25 témoignages.
71. La mission en Angola s'est déroulée du 9 au 16 mars. Elle a permis à deux
enquêteurs de recueillir une vingtaine de témoignages dans un camp de réfugiés.
72. Outre le petit nombre de témoignages obtenus, en République démocratique
du Congo et dans les pays voisins, de témoins directs des événements relevant
de son mandat, l'Équipe a aussi reçu des renseignements importants sous forme
de documents, de photographies, d'enregistrements et de notes d'entretien. Les
sources comprennent des organisations congolaises et des ressortissants étrangers
qui étaient présents dans le pays durant tout ou partie de la période considérée,
parmi lesquels des journalistes, des diplomates et d'autres sources dignes de
foi. L'Équipe a évalué soigneusement la crédibilité de ces renseignements.
Dans la mesure où l'information est originale, c'est-à-dire où elle n'a pas
été publiée précédemment et répond aux normes acceptées de crédibilité,
les renseignements ont été enregistrés et seront gardés strictement
confidentiels jusqu'à ce qu'il soit possible d'entreprendre une enquête complète,
libre et impartiale sur les événements relevant du mandat de l'Équipe d'enquête.
Les renseignements obtenus de sources publiques qui sont jugés crédibles ont
été utilisés seulement pour rédiger la partie du rapport qui contient un résumé
des allégations.
[retour à la table des matières]
73. Les vexations subies par les membres de l'Équipe et les obstacles créés délibérément
pour empêcher l'Équipe d'exercer correctement son mandat, obligent à conclure
que le Gouvernement de la République démocratique du Congo n'avait pas
l'intention d'accepter la mission de l'Équipe d'enquête du Secrétaire général
et qu'il s'est contenté de feindre une volonté de coopérer avec l'Équipe.
74. Il est exact que le Président de la République a fait une déclaration,
suivie de déclarations de plusieurs ministres, indiquant que l'Équipe serait
entièrement libre de remplir sa tâche, sans aucune ingérence, dans l'ensemble
du pays; cependant, ces déclarations sont restées lettre morte. Les actions et
réactions sur le terrain ont été totalement différentes. En bref, le
Gouvernement de la République démocratique du Congo ne voulait pas de la
mission d'enquête et, contrairement aux dispositions du mandat du Secrétaire général
du 15 juillet 1997 et de son annexe, n'a pas apporté sa pleine et entière coopération.
75. Il est devenu évident pour l'Équipe qu'un fossé profond sépare le Gouvernement de la République démocratique du Congo de l'Organisation des Nations Unies qu'il accuse d'être à l'origine de tous ses problèmes depuis l'indépendance, acquise en 1960, le Gouvernement invoquant de ce fait constamment "la souveraineté et la dignité nationales". L'attitude parfois hostile du Gouvernement envers certaines organisations humanitaires internationales illustre particulièrement bien la situation. Elle est conforme au refus du Gouvernement de coopérer pleinement avec l'Équipe.
76. Bien qu'il soit impossible de confirmer ou d'infirmer la plupart des allégations
qui ont été faites au sujet de violations graves des droits de l'homme et du
droit humanitaire durant la période qui correspond à son mandat, l'Équipe a
pu parvenir aux conclusions qui figurent ci-dessous. Ces conclusions ont une
portée restreinte. Pour l'essentiel, l'Équipe a pu confirmer que certains
types de violations graves se sont effectivement produites, qu'elles ont eu lieu
dans certaines régions et durant certaines périodes. Dans la plupart des cas,
il est possible d'arriver à des conclusions générales quant aux forces qui
ont participé directement aux violations et, dans quelques cas, des
renseignements ont été reçus au sujet de l'identité de certains individus
particuliers ou de certaines unités militaires. Il n'a généralement pas été
possible de quantifier ces violations, c'est-à-dire de déterminer avec un degré
de certitude raisonnable le nombre des victimes ni même le nombre des types
particuliers de violations, comme les massacres. Souvent, les renseignements
recueillis proviennent d'un petit nombre d'informateurs qui, dans de nombreux
cas mais pas toujours, ont été eux-mêmes victimes des violations. Pour
comprendre plus complètement et plus précisément ce qui s'est passé durant
ces cinq ans, il faudrait être en mesure de corroborer les témoignages par des
déclarations de témoins impartiaux et par des preuves médico-légales. La
coopération des responsables militaires et politiques de la République démocratique
du Congo, du Rwanda et peut-être d'autres pays, et l'accès aux archives
publiques seraient nécessaires pour tirer des conclusions plus précises au
sujet de la responsabilité des violations qui ont eu lieu. Les conclusions
exposées ci-dessous démontrent clairement qu'il faut poursuivre l'enquête et
indiquent dans quelle direction les travaux devraient s'orienter.
77. En 1993, la violence a éclaté entre groupes ethniques dans la région de
Masisi, au Nord-Kivu. Cependant, l'Équipe ne peut aboutir à aucune conclusion
quant au nombre des victimes ni quant à l'identité des responsables.
78. Durant la période allant de juillet 1994 à octobre 1996, certains des Hutus rwandais qui s'étaient réfugiés au Nord-Kivu et qui résidaient dans des camps dans la région de Goma ont commis des crimes, notamment d'homicide, contre la population locale. Les mécanismes de répression étaient hors de fonctionnement et aucune mesure concrète n'a été prise pour identifier et poursuivre les auteurs.
79. Des attaques transfrontalières contre les camps en territoire zaïrois
se sont produites au Nord-Kivu et au Sud-Kivu en 1995 et 1996. Elles ont fait un
nombre inconnu de morts parmi les résidents civils des camps et parmi les
forces de sécurité zaïroises qui gardaient les camps. Le nombre de ces
incidents, le nombre des victimes et l'identité des forces attaquantes ne sont
pas connus.
80. Les camps installés avec l'aide du Haut Commissaire des Nations Unies pour
les réfugiés au Nord-Kivu et au Sud-Kivu ont été attaqués systématiquement
par des forces militaires de la mi-octobre à la mi-novembre 1996. La population
d'un grand nombre de camps comprenait à la fois des réfugiés non armés et
des soldats et des milices armés. Les attaques ont provoqué de lourdes pertes
parmi la population civile. Dans certains cas, des personnes non armées,
notamment des femmes et des enfants, ont été exécutées délibérément au
cours de telles attaques. Au camp de Mugunga, des centaines de personnes sans
armes ont été faites prisonnières et exécutées. Les troupes de l'AFDL ont
joué un rôle prédominant dans les attaques contre les camps et les hauts
responsables du Gouvernement rwandais ont admis publiquement que le Rwanda avait
participé à ces opérations.
81. Les attaques contre ces camps ont décidé des centaines de milliers de Hutus rwandais à rentrer au Rwanda et des centaines de milliers d'autres à fuir vers l'intérieur du Zaïre. Un grand nombre de personnes qui se sont enfuies ont été pourchassées et tuées délibérément par les forces de l'AFDL et les milices Mai-Mai. Dans un cas, les troupes de l'AFDL ont tué plusieurs Hutus rwandais blessés dans les locaux d'un hôpital. L'étendue de la participation rwandaise dans les massacres de résidents des camps qui avaient pris la fuite n'est pas suffisamment documentée.
82. Durant cette période, une série de massacres de civils dans des villages Hutus zaïrois du Nord-Kivu a commencé, apparemment parce que les groupes victimes étaient soupçonnés de sympathiser avec les Hutus rwandais en fuite ou de les aider. Ces massacres se sont poursuivis au moins jusqu'en mars 1997.
83. Des personnes non armées ont été délibérément assassinées lors de la prise de Goma par les membres de l'AFDL. Les victimes ont été notamment des hommes soupçonnés d'être des déserteurs de l'armée zaïroise (FAZ) et des civils.
84. Les soldats zaïrois fuyant les combats ont dévalisé et parfois tué des civils non armés.
85. D'anciens soldats de l'Armée patriotique rwandaise et des membres des
milices interahamwe fuyant les camps attaqués se sont également livrés à des
pillages et ont tué des civils non armés.
86. En février, mars et avril, plusieurs camps installés à l'intérieur du
pays pour accueillir les populations qui avaient fui les attaques contre les
camps du Nord-Kivu et du Sud-Kivu ont été attaqués. Des dizaines de milliers
de Hutus rwandais ont disparu à la suite des attaques contre Amisi,
Tingi-Tingi, Kasese et Obilo. Les troupes de l'AFDL ont délibérément tué des
groupes de civils non armés qui fuyaient les attaques. Le nombre des victimes
et l'étendue de la participation rwandaise aux attaques ne sont pas connus.
87. En mai 1997, des Hutus rwandais ont été massacrés à Mbandaka et dans le village voisin de Wendji. Les victimes n'étaient pas armées et se sont comptées par centaines. Le massacre a été commis par des troupes de l'AFDL, apparemment sous le commandement de fait de l'armée rwandaise (APR).
88. Les assassinats de Hutus rwandais et zaïrois par l'AFDL et les Mai-Mai
au Nord-Kivu et au Sud-Kivu se sont poursuivis durant cette période. En avril,
des troupes de l'AFDL ont enlevé un certain nombre de mineurs hutus rwandais
non accompagnés et les adultes qui s'occupaient d'eux dans un hôpital à
Lwiro, au Sud-Kivu, où les enfants étaient traités contre la malnutrition.
Ils ont été détenus dans des conditions inhumaines et frappés.
89. Les preuves médico-légales indiquent que des corps ont été retirés
d'une fosse commune à Mbandaka et corroborent donc les témoignages selon
lesquels un "nettoyage" de ces sites a eu lieu juste avant l'arrivée
de l'Équipe d'enquête dans cette région. Les preuves sont insuffisantes pour
établir dans quelle mesure la même manoeuvre a eu lieu aussi dans d'autres régions,
bien que de nombreuses indications crédibles qui ont été recueillies suggèrent
fortement que c'est en effet ce qui s'est passé.
a) Violations des droits de l'homme commises par l'armée zaïroise
90. Les actes de pillage et l'assassinat de civils commis par des soldats zaïrois
battant en retraite après le lancement de l'offensive de l'AFDL et jusqu'à la
saisie du pouvoir par celle-ci en mai 1997 constituent de graves violations du
droit à la vie et aux biens, protégé en vertu des traités sur les droits de
l'homme ratifiés par le Zaïre et garanti également par la Déclaration
universelle des droits de l'homme. Les assassinats, en particulier, violent
aussi le droit international humanitaire comme indiqué ci-dessous.
b) Massacres commis durant les violences interethniques
91. Les combats entre milices ethniques qui ont éclaté au Nord-Kivu et au Sud-Kivu en 1993 ont été suffisamment sérieux pour déclencher l'application de l'article 3 commun des Conventions de Genève, ratifiées par le Zaïre, qui vise les conflits armés non internationaux. En conséquence, le massacre délibéré de civils non armés par les groupes susmentionnés durant cette période peut être considéré comme une violation grave du droit international humanitaire.
c) Assassinats de civils lors des attaques de l'AFDL contre les camps
92. L'exécution délibérée de civils non armés durant et après les
attaques menées par les troupes de l'AFDL contre des camps de Rwandais déplacés
viole également l'article 3 commun des Conventions de Genève.
d) Autres violations graves du droit humanitaire commises par l'AFDL
93. L'AFDL s'est rendue également responsable d'autres violations du droit
international humanitaire, parmi lesquelles la détention d'enfants mal nourris
qui étaient en traitement dans un hôpital, l'assassinat de patients blessés
dans un autre hôpital, les coups et blessures infligés au personnel infirmier
de ces hôpitaux et l'assassinat de membres de ce personnel, le refus aux
organismes de secours de l'accès aux camps de personnes déplacées comptant de
nombreux malades et blessés et la violation de l'obligation de recueillir et de
soigner les malades et les blessés comme l'exige l'article 3 commun.
e) Assassinats par les milices durant le conflit armé de 1996
94. Les assassinats de civils non armés par les milices interahamwe et Mai-Mai
durant le conflit armé qui a éclaté en octobre 1996 constituent de même de
graves violations du droit international humanitaire.
f) La commission de crimes contre l'humanité
95. Les renseignements recueillis inclinent fortement à considérer qu'au moins les massacres commis par l'AFDL et ses alliés durant la période allant d'octobre 1996 à mai 1997 et le refus d'une aide humanitaire aux Hutus rwandais déplacés ont été des pratiques systématiques, comprenant le meurtre et l'extermination, qui constituent des crimes contre l'humanité tels qu'ils sont définis par les statuts des tribunaux criminels internationaux pour l'ex-Yougoslavie et pour le Rwanda.
g) La nature des massacres
96. Il est clair que, lorsque les camps du Nord-Kivu ont été attaqués, en octobre et novembre 1996, l'un des objectifs était de contraindre les réfugiés résidant dans les camps à regagner le territoire rwandais. Dans une certaine mesure, le retour a été volontaire puisque de nombreux réfugiés authentiques avaient été empêchés de rentrer dans leur pays par les éléments militaires présents dans les camps. Toutefois, il est clair aussi qu'à certains moments et à certains endroits, les attaques perpétrées contre les populations qui avaient quitté les camps et qui fuyaient vers l'ouest en direction de l'intérieur du Zaïre n'avaient pas pour but de les contraindre à rentrer au Rwanda mais bel et bien de les éliminer. C'est particulièrement évident dans le cas des massacres de Wendji et de Mbandaka où un grand nombre de Hutus rwandais à la frontière d'un pays tiers, la République du Congo, ont été tués systématiquement alors qu'un grand nombre d'entre eux tentaient de fuir. Certaines preuves tendent à montrer que l'objectif d'éliminer physiquement les Hutus rwandais qui décidaient de rester au Zaïre plutôt que de rentrer au Rwanda explique la manière dont les attaques contre les camps situés au sud de Kisangani ont été commises, y compris les opérations de "nettoyage" entreprises après les attaques proprement dites. L'intention d'éliminer les Hutus rwandais qui restaient dans le pays se prête à deux interprétations possibles : il s'est agi soit d'une décision d'éliminer ces groupes plutôt que de les rapatrier, pour quelque raison que ce soit, soit d'une décision de les éliminer parce que la suppression des camps séparait concrètement les "bons" Hutus des "mauvais", dans la mesure où ceux qui n'avaient guère participé au génocide de 1994 contre les Tutsis étaient rentrés dans leur pays et ceux qui fuyaient plutôt que de rentrer étaient ceux qui avaient participé au génocide ou qui l'avaient soutenu. Dans les deux cas, le massacre systématique des Hutus qui restaient au Zaïre a été un crime odieux contre l'humanité mais le motif à l'origine des décisions est important pour déterminer si ces meurtres constituent un génocide, c'est-à-dire une décision d'éliminer, en partie, le groupe ethnique hutu. Le motif à l'origine des massacres de Hutus zaïrois au Nord-Kivu est lui aussi important. C'est même l'aspect le plus important du mandat donné à l'Équipe et il nécessite une enquête plus approfondie.
h) Le devoir d'enquêter et de poursuivre
97. La République démocratique du Congo a, en vertu des règles
internationales des droits de l'homme et du droit international humanitaire,
l'obligation juridique d'enquêter sur la responsabilité de toutes les
violations graves des droits de l'homme et des sérieuses infractions au droit
humanitaire qui se sont produites sur son territoire avant et après son
accession au pouvoir, et de poursuivre les personnes contre lesquelles des
preuves dignes de foi sont recueillies devant des tribunaux indépendants et
impartiaux, dans le plein respect du droit de toutes les personnes poursuivies
à un jugement équitable. Jusqu'à présent, la République démocratique du
Congo n'a ni entrepris de le faire, ni manifesté la moindre inclination à agir
de la sorte. Dans ces conditions, les intérêts de la justice ne peuvent être
défendus qu'en donnant compétence à un tribunal international à l'égard de
ces crimes. L'absence de mesures à cet effet encouragerait le sentiment que la
communauté internationale n'est pas prête à réagir aux violations graves des
droits de l'homme et du droit humanitaire avec impartialité et, dans le long
terme, alimenterait les sentiments collectifs de victimisation et de déni de
justice, contribuant au cycle des représailles collectives et incitant à
croire à l'impunité.
i) Le devoir de réparer
98. La République démocratique du Congo a en outre une obligation de réparer
envers les victimes du conflit armé et les victimes des violations graves des
droits de l'homme qui ont précédé et accompagné le conflit, dans la mesure où
elle a les moyens de le faire, avec l'aide internationale si nécessaire.
[retour à la table des matières]
1. Le développement social et économique de la République démocratique du
Congo exige paix et sécurité. Pour établir de telles conditions, il faut
mettre fin au cycle d'impunité qui stimule et encourage toutes les formes de
violence et de violations.
2. En conséquence, les personnes responsables de la violence et des violations
qui ont eu lieu durant la période visée par le mandat de l'Équipe doivent être
recherchées et punies.
3. Comme, pour des motifs indépendants de sa volonté, l'Équipe d'enquête n'a pas eu la possibilité d'enquêter sur toutes les allégations qu'elle a recueillies à diverses sources, les enquêtes doivent être poursuivies par les organes judiciaires ou d'enquête appropriés.
4. La compétence ratione temporis et ratione personae du
Tribunal pénal international pour le Rwanda devrait être élargie de manière
à comprendre "le génocide et les autres violations similaires commises
sur le territoire des États voisins..." :
a) Par quiconque, quelle que soit sa nationalité;
b) Du 1er janvier 1994 au 31 décembre 1997.
5. Les preuves recueillies par l'Équipe, y compris tous renseignements de
nature confidentielle, en particulier ceux qui pourraient mettre en danger la
vie et la sécurité des sources d'information, devront être conservées en
lieu sûr jusqu'à la réalisation des conditions suivantes :
a) Il est établi que les conditions pour achever l'enquête, avec un plein accès,
sans restriction, aux sources d'informations privées et publiques en République
démocratique du Congo et dans le respect des conditions énumérées dans la
lettre du Secrétaire général datée du 15 juillet 1997, existent; ou
b) Les autorités nationales compétentes démontrent sans équivoque leur détermination de poursuivre les personnes responsables des violations graves des droits de l'homme et du droit humanitaire qui se sont produites durant l'ensemble de la période couverte par le mandat de l'Équipe devant des tribunaux indépendants et impartiaux et accordent une pleine protection aux témoins et autres personnes et groupes qui ont procuré des renseignements à l'Équipe d'enquête; ou
c) Le Tribunal international pour le Rwanda ou un tribunal criminel international acquiert compétence pour enquêter sur les violations graves des droits de l'homme et du droit humanitaire qui se sont produites en République démocratique du Congo durant la période allant du 1er janvier 1994 au 31 décembre 1997, quelle que soit la nationalité de leur auteur.
6. Ces preuves et renseignements confidentiels devront être conservés
conformément aux Directives pour la conduite des enquêtes des Nations Unies au
sujet des allégations de massacre.
7. S'il est établi que les conditions permettant d'achever l'enquête avec un
plein accès sans restriction aux sources d'information en République démocratique
du Congo existent, et qu'un nouvel organe d'enquête est créé, l'Équipe
d'enquête actuelle recommande que l'enquête se concentre sur les aspects
suivants :
a) La responsabilité des personnes et de l'État pour les massacres et autres violations graves des droits de l'homme qui ont eu lieu au Nord-Kivu et au Sud-Kivu à partir de mars 1993;
b) Les violations graves des droits de l'homme commises par, ou en collusion
avec, les représentants de l'ancien Gouvernement rwandais qui ont tenu un rôle
d'encadrement dans les camps de l'est du Zaïre durant la période allant de
juillet 1994 à octobre 1996;
c) L'étendue de la participation directe et indirecte de l'armée rwandaise
(APR) aux opérations militaires menées par les forces rebelles en République
démocratique du Congo à partir d'octobre 1996;
d) L'étendue de la participation aux graves violations des droits de l'homme et
du droit international humanitaire prise par des troupes étrangères, y compris
des troupes des pays voisins et des mercenaires;
e) L'intention à l'origine du massacre des Hutus, en particulier les massacres
de Hutus zaïrois au Nord-Kivu et les massacres de Hutus rwandais à l'intérieur
du Zaïre à partir d'octobre 1996.
8. Si l'enquête est rouverte sous les auspices des Nations Unies, l'Équipe recommande que tous les États voisins et les autres États qui possèdent des renseignements sur la commission de violations graves des droits de l'homme et du droit international humanitaire en République démocratique du Congo durant la période considérée et sur la responsabilité de ces violations soient encouragés à coopérer à l'enquête en donnant accès aux preuves pertinentes, écrites et autres.
9. Le Secrétaire général devrait aussi faire tout son possible pour rétablir la confiance en République démocratique du Congo en redéfinissant le rôle et le comportement des organismes et des services de l'Organisation qui opèrent dans le pays. Le Bureau du Haut Commissaire aux droits de l'homme devrait renforcer son bureau extérieur et créer des bureaux provinciaux.
10. La communauté internationale devrait aider la République démocratique du Congo à établir une institution judiciaire dotée d'un personnel compétent, indépendant et correctement rémunéré qui appliquera les règles de procédure reconnues internationalement. Cette institution devrait renoncer à tous renvois aux tribunaux d'exception.
11. La communauté internationale devrait soutenir les programmes de réparation
en faveur des victimes du conflit et des victimes des graves violations des
droits de l'homme, en donnant la priorité aux plus vulnérables, sans aucune
discrimination pour des motifs ethniques, politiques ou autres.
12. La communauté internationale devrait aussi soutenir des programmes tendant
à atténuer les tensions ethniques et à promouvoir le respect de la dignité
essentielle et de l'égalité des droits de toutes les personnes, sans acception
de nationalité ni d'origine ethnique.
13. Le présent rapport et son annexe I devraient être publiés.