CENTRE
DE LUTTE CONTRE L’IMPUNITE
ET
L’INJUSTICE AU RWANDA
BP
141 Bruxelles 3
Bruxelles,
le 10 avril 2006
1030
BRUXELLES
Tél/Fax :
32.81.60.11.13
GSM:
32.476.70.15.69
e-mail :cliir2004@yahoo.fr
Lettre
ouverte à Monsieur Armand De DECKER, Ministre de
la
Coopération
belge au Développement.
Concerne :
Les cérémonies du 6 avril 2006 devant
le mémorial dédié à toutes les victimes
du
génocide rwandais sans aucune distinction.
Monsieur le
Ministre,
Le Centre de Lutte contre l’Impunité et l’Injustice au Rwanda
(CLIIR) est indigné par votre communiqué de presse du 7 avril 2006 réagissant
à la manifestation organisée le 6 avril 2006 par le COSAR (Collectif du 6
avril) en collaboration avec
la SOCIRWA
(Société Civile Rwandaise en exil) et le CLIIR.
Le Centre est particulièrement peiné de lire que vous traitez les
organisateurs de la manifestation de « négationnistes », sans
aucune mise en relief de leurs motivations et en l’absence de toute déclaration
dans leur chef, pouvant trahir un quelconque sentiment « négationniste »,
à moins que le mot n’ait été vidé de son sens.
Votre
communiqué du 7 avril 2006, qui nous qualifie d’opposants rwandais négationnistes,
confirme sans équivoque que vous n’oeuvrez pas pour la réconciliation des
rwandais, mais plutôt pour un certain courant qui veut réécrire
l’histoire de la tragédie rwandaise en fonction des intérêts du vainqueur
de la guerre, en l’occurrence le Front Patriotique Rwandais et son chef le Général
Paul KAGAME.
En effet,
Monsieur le Ministre, comme notre Centre l’a toujours dit, la réconciliation
du peuple rwandais ne sera possible que si les rwandais, toutes les
composantes ethniques confondues, reconnaissent leur responsabilité dans le
drame qui a frappé le pays au cours de la décennie 90. Et nous pensons que
cette étape devrait être appuyée, entre autres,
par les pays qui hébergent les réfugiés,
surtout lorsque les rescapes du génocide, hutu, tutsi et twa, se
mettent ensemble pour commémorer ce génocide qui a emporté autant de vies
humaines innocentes.
Il
est donc surprenant et regrettable, qu’un membre du gouvernement belge, qui
s’est toujours défendu de tout parti pris, qualifie
de « négationnistes » des gens qui commémorent
pacifiquement la mémoire des victimes rwandaises du génocide de 1994, sans
distinction aucune et sans aucune provocation de qui que ce soit. Vous aurez
remarqué au passage que les manifestants n’étaient d’ailleurs pas que
Hutu, comme vous semblez l’insinuer.
Vouloir
satisfaire les autorités politiques rwandaises en appuyant la commémoration
faite par les exilés tutsis, qui ne pensent qu’aux seuls morts tutsi alors
que tous les groupes ethniques ont été endeuillés par ce drame (le rapport
de l’ONU qui a reconnu ce génocide parle d’ailleurs de génocide
rwandais), ne fait que encourager la haine et les divisions entre les
rwandais. En tant qu’ancienne
puissance coloniale,
la Belgique
devrait être la première à lutter pour une véritable
réconciliation du peuple rwandais, qui transcende tous les courants et qui
donne à chacun le droit de pleurer ses morts.
Monsieur
le Ministre, comme vous pouvez le constater vous même, le discours annexé
à la présente qui a été prononcé le 06/04/2006 au mémorial du génocide
par le président du COSAR, Monsieur Albert Rukerantare, ne contient aucun élément
de négationnisme du génocide. Dans la mesure où le drame a commencé le
06/04/1994 et non le 07/04/1994, nous ne voyons nullement en quoi commémorer
le génocide rwandais le 06 avril constitue un négationnisme si grave au
point de nécessiter le vote d’une loi au parlement.
Monsieur le
Ministre,
En attendant
de vous envoyer prochainement un mémorandum
détaillé sur la nécessité d’un débat sans complaisance sur l’histoire
du génocide rwandais, nous nous permettons de vous faire des observations
suivantes :
1)
Notre Centre estime que personne n’a le droit d’interdire aux rescapés
Batwa et Bahutu du génocide rwandais à
commémorer, en Belgique comme partout ailleurs dans le monde, la mémoire de
toutes les victimes rwandaises, comme nous l’avons fait le 6 avril 2006. Ce
qui est par contre interdit au Rwanda car les autorités imposent la commémoration
des seules victimes Tutsi. Or, les victimes du génocide rwandais
(terme utilisé par l’ONU) ne se résument pas aux seules victimes tutsi.
Nous affirmons sans ambiguïté que ce génocide a emporté des milliers de
personnes dans les trois ethnies du Rwanda.
Depuis le 6
avril 2005, le COSAR, en collaboration avec
la SOCIRWA
, organise chaque 6 avril une cérémonie pour
honorer toutes les victimes (Tutsi, Hutu, Twa) du génocide rwandais.
Ce que les rescapés tutsi, regroupés dans l’association « IBUKA, Mémoire
et Justice », ne font pas le 7 avril de chaque année car ils sont préoccupés
par les seules victimes tutsi.
La majorité
de nos manifestants du 06/04/2006 sont des jeunes enfants qui avaient moins de
5 ans en avril 1994 tels qu’ils sont décrits dans la déclaration (annexée
à la présente) de Monsieur Déo MUSHAYIDI, un rescapé tutsi qui s’est
associé à ces cérémonies du 6 et 7 avril 2006.
Comme vous
pouvez le lire dans son discours annexé à la présente, Monsieur Déo
Mushayidi rappelle aux lecteurs de sa lettre ouverte qu’il a commémoré la
mémoire des victimes le 6 avril 2006 pour des raisons évidentes suivantes :
« Parce
que je considère que le 06/04/1994 restera à jamais tristement mémorable
dans les annales de l’histoire politique du Rwanda ;
Parce
que je suis intimement convaincu que l’attentat du 06/04/1994, en emportant
les Présidents Juvénal Habyarimana du Rwanda et son homologue Cyprien
Ntaryamira du Burundi sans épargner tout l’équipage de l’avion qui les
transportait, aura déclenché des événements qui ont tout chamboulé dans
ma propre vie et dans celles des millions d’autres tant au Rwanda que dans
la région voire dans le monde entier.(…)
J’ai
remarqué tant à Woluwé Saint Pierre qu’au Palais de justice, des enfants
de 12 ans ou parfois moins. Des jeunes de 15 à 25 ans ou plus, visages
perplexes reflétant une incompréhension au bord de la révolte. Je les ai
observés et cela m’a donné à réfléchir.
Quel
héritage politique, dans les conditions actuelles, entendrions-nous léguer
à ces jeunes générations et à celles de demain ? Comment peut-on persévérer
dans ces politiques irresponsables et criminelles qui figent ou poussent des
personnes voire des pans entiers de la société dans des positions
dangereuses ?
De
manière diverse, bien que parfois maladroitement, les Rwandais, toutes catégories
confondues, réclament de plus en plus un espace de dialogue.
C’est qu’ils se sentent à l’étroit dans ces catégories imposées et
convenues sans que personne n’ait cru nécessaire de recueillir leur avis.
Ils étouffent sous cette chape de plomb sous laquelle ploie un peuple privé
de parole et de liberté. Ils aspirent à la discussion et au débat. Ils
veulent savoir et comprendre ce qui leur est arrivé... »
Monsieur
le Ministre,
Il
serait malsain pour un pays démocratique comme
la Belgique
, de proposer une loi
interdisant à une partie des exilés rwandais de continuer les débats sur le
génocide rwandais. Vous feriez exactement comme le régime de Kigali, qui
interdit tout débat politique. Est-ce le signal que vous voulez donner aux
jeunes démocraties ?
Cette
tentative de museler une partie des rwandais vivant en Belgique est décrit
par Déo MUSHAYIDI dans ces termes: «…
Ce peuple tant manipulé, brisé et meurtri et sur lequel une classe politique
irresponsable tente aujourd’hui de se décharger notamment à travers les
« gacaca », cet instrument au service de l’Etat FPR
par lequel il croit, impunément, imposer une justice à sens unique.
Ce peuple veut désormais vivre et vivre libre…).
2)
Le FPR du président Paul KAGAME n’a pas arrêté le génocide mais il y a
participé activement. Le
seul pays qui a sauvé des Tutsi et des Hutu est
la France
qui a imposé avec l’accord
de l’ONU une zone turquoise qui a permis aux réfugiés hutu d’atteindre
l’ex-Zaïre alors que le FPR avait prévu de les anéantir à l’intérieur
du Rwanda en les encerclant à Cyangugu et à Gisenyi.
La France
a sauvé également les
survivants tutsi de
la Zone
turquoise.
L’histoire
« truquée » du génocide permet d’exercer un chantage permanent
sur l’Eglise catholique (décapitée depuis le 05/06/1994 par l’assassinat
de 4 évêques et des dizaines de religieux) et sur
la France
parce que le juge
antiterroriste Bruguière a mis en cause le Président Kagame dans
l’attentat terroriste du 6 avril 1994. Seule
une commission vérité, justice et réconciliation pourra déterminer les
responsabilités des uns et des autres.
Déo
MUSHAYIDI dénonce le musellement du peuple rwandais dans ces termes : Si
sans distinction, tous ceux et celles qui osent bousculer ces schémas
convenus (l’histoire truquée,
ndlr) doivent être inculpés de négationnisme ou de révisionnisme du génocide
de 1994, alors je devrais l’être et j’assumerai.
J’assume
totalement mon geste (commémoration
du 6 avril, ndlr) que je dédie à la mémoire
de tous les innocents, de quelque bord qu’ils soient qui, sans haine ni
rancune, ont péri injustement de la folie meurtrière de leurs semblables.
Une folie encouragée et encadrée par un Etat indigne de ce nom, et par des
belligérants qui tous, dans leurs choix politiques, tactiques et stratégiques,
auront dramatiquement dépassé les bornes. Une folie face à laquelle, lâche
et démissionnaire, cette même Communauté internationale semble
aujourd’hui chercher à imposer aux Rwandais la dictature des vainqueurs,
feignant d’ignorer qu’aucun armistice crédible ne fut signé dans la
guerre du Rwanda ».
Donc,
« le grand
ennemi de la vérité, est très souvent non le mensonge délibéré,
artificiel et malhonnête, mais le mythe persistant, convaincant et irréaliste ».
Cette définition, empruntée au président américain John Kennedy
(dans son discours de remise des diplômes à l’Université de Yale, le 11
juin 1962) illustre très bien combien le mythe selon lequel le FPR a arrêté
le génocide est le plus grand obstacle à la vérité, à la justice et à la
réconciliation. Ce discours démontre ce mythe que le FPR et ses parrains ont
imposé au monde entier.
3)
Nous n’avons à aucun moment nié que les Tutsi aient été victimes du génocide
rwandais de 1994. Mais nous ne pouvons tolérer que les autres victimes de ce
génocide soient jetées aux oubliettes, comme si leur sang n’était pas
aussi rouge. La discrimination des victimes Hutu et Twa du génocide rwandais
telle que vulgarisée par l’ambassadeur du Rwanda
en Belgique, Monsieur Joseph BONESHA est le véritable mal qui entrave toute réconciliation
au Rwanda.
En effet, la
déclaration de l'ambassadeur a été prononcée le 7 avril 2006 à
l'ambassade du Rwanda à Bruxelles en présence de représentants de la
Chambre et du Sénat belge, du Ministre belge de la Défense, mais aussi
d'associations de victimes Tutsi du génocide et des membres de familles des
dix paras assassinés au Rwanda. Cette cérémonie, qui a débuté par une
minute de silence, aurait dû avoir lieu au rond-point Vandendriessche à
Woluwe-Saint-Pierre. Mais pour le régime du FPR, le fait que des rwandais
aient été au mémorial le 06 avril constitue une profanation.
Il a donc
annoncé aux autorités belges que ce mémorial ne pourra plus, à ses
yeux, représenter la mémoire des victimes du génocide, mais plutôt une
humiliation posthume (...). Il a, dans la foulée, promis qu'une nouvelle
stèle sera bientôt érigée à un
autre endroit, sans donner plus de précisions.
4)
Monsieur le Ministre,
Nous
ne sommes pas les seuls à combattre cette discrimination des victimes du génocide
par le régime FPR. Voici les propos du Colonel Luc MARCHAL qui a commémoré
toutes les victimes rwandaises le 6 avril 2006 devant le mémorial du génocide
à Woluwe St Pierre : « J'ai
voulu exprimer mon sentiment à l'esprit de recueillement et au devoir de mémoire
promus par les organisateurs de la commémoration qui m'ont invité…
Quand on dit génocide, il faut aller au-delà de la période 1994, voire après
la prise de pouvoir par le FPR, pour se rendre compte que des populations des
deux côtés, hutu et tutsi, continuent à souffrir de massacres à grande échelle…
Nous voulons savoir quel a été le facteur déclenchant du génocide ».
Le COSAR,
la
SOCIRWA
et le CLIIR ne cesseront jamais de réclamer la mise en place d’une « Commission
vérité, justice et réconciliation » dont le président rwandais
Paul Kagame et ses parrains occidentaux ont peur.
5)
Comme la jeune démocratie burundaise se prépare à créer une commission vérité
sur les massacres cycliques qui ont endeuillé le Burundi depuis 40 ans, vous
devriez, en tant que Ministre belge de
la Coopération
au développement, aider le peuple rwandais à
l’établissement de la vérité avant de proposer des lois qui punissent
ceux qui refusent de se plier à une « histoire
truquée » sur le génocide rwandais. Tous les millions d’euros
que
la Belgique
débloque chaque année pour financer les
juridictions GACACA ne serviront qu’à maintenir le peuple rwandais sous le
joug d’une junte militaire que constituent les chefs militaires et
politiques du FPR.
Enfin, nous
vous informons de la manifestation pacifique prévue le Vendredi 21 avril 2006
de 13h à 15h devant votre Ministre pour dénoncer les erreurs que les autorités
belges continuent de commettre dans le dossier rwandais. Car nous pensons que
la Belgique
peut faire mieux qu’intimider ceux qui veulent
la vérité, la justice, la paix et la réconciliation. A cette occasion, nous
vous informerons aussi que les Rwandais et Belges, décidés à commémorer
toutes les victimes du génocide rwandais sans aucune distinction, sont prêts
à violer n’importe quelle loi qu’ils estimeraient raciste, terroriste ou
liberticide dès sa promulgation.
Nous vous
prions d’agréer, Monsieur le Ministre, notre haute considération.
Pour le
Centre, MATATA Joseph, Coordinateur.
Copie
pour information :
-
Monsieur le Premier Ministre
-
Monsieur le Ministre ( tous )
-
Monsieur le Président du
Parti ( tous )
-
Monsieur le Sénateur (tous)
-
Monsieur le Député ( tous )
-
Toutes les organisations qui
s’intéressent à
l’histoire du génocide rwandais