CENTRE DE LUTTE CONTRE L’IMPUNITE

ET L’INJUSTICE AU RWANDA  (CLIIR)

Boulevard Léopold II, n°227                                                     Bruxelles, le  3 Novembre 2006

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COMMUNIQUE  n° 98/2006

 

Un tribunal GACACA condamne à 27 ans de prison un rescapé qui a perdu sa femme et ses trois enfants pendant le génocide.

 

« Savoir travestir la vérité, marchander des aveux truqués, nouer et exploiter des intrigues, comploter et mentir sont des arts fort pratiqués dans les GACACA » : déclare un juge Tutsi.

 

 

Le 5 octobre 2006, à l’issue de son procès en appel, Monsieur Eugène NGABWA (47 ans) a été condamné arbitrairement à 27 ans de prison par le tribunal GACACA du secteur de MUNANIRA, district GISAGARA, province du Sud au Rwanda

 

Ce rescapé du génocide est un métis Hutu-Tutsi (de père hutu et de mère tutsi) qui a perdu sa femme Yvonne KABAGWIRA (30 ans) et ses trois enfants Germaine Uwamahoro (7 ans), Gakunzi (5 ans) et Gatsinzi (3 ans). Ils ont été noyés dans la rivière Nyabarongo le 21 avril 1994 par les miliciens Hutu du secteur Bugoba dans l’ancienne commune de Taba en préfecture Gitarama alors qu’ils avaient été bloqués depuis le 10/04/1994 chez le beau père d’Eugène Ngabwa, Monsieur BWANAKWELI François (père d’Yvonne). Ce dernier était employé aux Ets Jobanputras à Kigali depuis de longues années. Comme tous les ressortissants originaires de Gitarama, les membres de la famille de Bwanakweli François avaient espéré échapper aux massacres en se réfugiant dans leur commune de Taba, secteur Bugoba, cellule Nyarurama. Le chef de famille Bwanakweli, qui avait accueilli la plupart de ses enfants, a été assassiné par les miliciens Hutu avec sa femme Gaudence Mukakimenyi et ses filles Mukakarangwa Julienne (et son petit garçon), Agathe Benurugo, Yvonne KABAGWIRA (épouse de Eugène NGABWA et ses trois enfants) ainsi que ses fils Oswald Mutanguha et Emmanuel Karara, Il ont été conduits à la rivière Nyabarongo où ils ont été noyés le 21 avril 1994.

 

Eugène Ngabwa a, en outre, perdu son petit frère GAKUNDE Jean Berchmans tué (à l’âge de 27 ans) par les miliciens Hutu à Kibuye où il travaillait comme comptable dans un projet agricole. Il a perdu encore plusieurs membres de sa famille élargie dont ses oncles, ses tantes, ses cousins et cousines qui ont été massacrés notamment à Kigali et à Butare.

 

Le 21 septembre 2006, Eugène Ngabwa avait été condamné à 6 ans de prison pour le meurtre de Monsieur Jean Baptiste RWANDEMA tué le 2 juillet 1994, à un endroit appelé « kw’i TABA » dans le secteur Munanira, district Gisagara près de l’Ecole primaire de Shyanda, par un milicien Hutu nommé Ildephonse UWIHOREYE. Ce dernier est un détenu qui a avoué ce meurtre dans son témoignage livré devant le tribunal Gacaca de la cellule KIMISHIBU pendant la phase de récolte des informations « ikusanyamakuru » au 2ème trimestre 2005. A cette époque, le meurtrier et ces complices (qui ont intercepté, dépouillé et livré Rwandema) n’avaient jamais accusé Eugène Ngabwa ou Emmanuel Iyakaremye avant cette date du 21/09/2006).

 

Le 19 octobre 2006, Monsieur Emmanuel IYAKAREMYE (cousin de Eugène Ngabwa qui avait été convoqué, lui-aussi, comme témoin à charge dans le procès contre les meurtriers de Rwandema) a été condamné à 25 ans de prison par le même tribunal Gacaca de MUNANIRA parce qu’il a refusé de mentir et de porter de fausses accusations contre son cousin Eugène pour le meurtre de Jean Baptiste Rwandema. Au contraire, Eugène Ngabwa avait tenté de sauver Rwandema en proposant 1000 francs rwandais à ceux qui voulaient le tuer et en allant chercher personnellement le Conseiller de secteur, Monsieur Anastase Mbonigaba, qui devait le sauver. En effet, ce conseiller était connu comme un adversaire des massacreurs. Malheureusement, comme nous y reviendrons plus loin, le Conseiller Mbonigaba, Monsieur Eugène Ngabwa sont arrivés trop tard après le meurtre de Rwandema qui venait d’être tué par le milicien Ildephonse UWIHOREYE.

 

Le complot contre Eugène NGABWA et son cousin Emmanuel IYAKAREMYE a été monté autour du 14/09/2006 :

 

Le 14 septembre 2006, tout au début du complot qui a abouti à l’emprisonnement arbitraire des deux cousins, Eugène Ngabwa et Emmanuel Iyakaremye avaient été convoqués comme simples « témoins à charge » dans le procès des véritables meurtriers de Jean Baptiste Rwandema. Le procès GACACA, qui avait été fixé initialement au 14/09/2006 devant le tribunal du secteur Munanira, était destiné à juger les véritables meurtriers suivants : Messieurs Ildephonse Uwihoreye (le meurtrier) ainsi que Semana, Bimenyimana Jean et Hanganiyaremye Léonard (les complices) qui ont intercepté et dépouillé la victime avant de la conduire à l’abattoir de « kw’i Taba » où UWIHOREYE Ildephonse l’a tuée.

Arrivés sur place le 14/09/2006, le procès fut reporté au 21/09/2006 sous prétexte que les accusés n’avaient pas pu quitter la prison de Karubanda à Butare où ils sont incarcérés. Les deux cousins retournèrent à leur boulot à Kigali. De retour à Kigali et avant la date du 21/09/2006, ils reçurent des convocations les invitant à revenir au procès comme « accusés du meurtre de Rwandema » et non plus comme de «simples témoins » dans le procès des meurtriers comme cela était prévu dans la première audience du 14/09/2006.

 

Le 21 septembre 2006, jour du procès « truqué », les deux cousins « furent traités et accusés comme complices des meurtriers qu’ils avaient contribués à faire arrêter » grâce à leurs témoignages à charge. Pourtant les deux cousins sont allés chercher le Conseiller du secteur qui devait sauver la victime Rwandema s’il ne l’avait pas trouvé déjà mort.

Ils furent condamnés, tous les deux, à 6 ans de prison dont la moitié sera commuée en travaux d’intérêt général (TIG) « imirimo nsimburagifungo » lorsqu’ils auront purgé l’autre moitié en prison. Eugène Ngabwa fut emprisonné le jour même, mais il interjeta appel tout de suite. Son cousin Emmanuel Iyakaremye ne s’était pas présenté ce 21/09/2006 car il était en mission à Gisenyi. Le procès en appel de Eugène Ngabwa fut fixé au 5 octobre 2006 devant le tribunal d’Appel du secteur MUNANIRA, présidé par Mme Astérie MUKAKIBIBI.

 

 

 

 

La vérité sur le meurtre de Jean Baptiste Rwandema le 2/07/1994 :

 

En effet, le 2 juillet 1994 vers 5h du matin, jour où fut tué Rwandema, huit (8) personnes effectuaient leur ronde nocturne obligatoire sur leur colline. Il s’agit de Messieurs : Semana, Bimenyimana Jean, Hanganiyaremye Léonard, Théogène fils de Ntirugiribambe Daniel, Hitimana Déogratias alias « Kijyana », Ntabomvura, Emmanuel IYAKAREMYE et Eugène NGABWA. Les véritables meurtriers reconnus comme tels par le tribunal Gacaca de la cellule Kimishibu (secteur Munanira) durant la phase de récolte des informations appelé en kinyarwanda « ikusanyamakuru » sont les suivants : Uwihoreye Ildephonse (qui a tué), Semana, Bimenyimana Jean et Hanganiyaremye Léonard qui ont poursuivi, arrêté et dépouillé la victime. C’est toujours les trois complices de Ildephone Uwihoreye qui ont refusé les 1000 Frw que Eugène Ngabwa leur avaient proposé afin qu’ils laissent partir leur victime Rwandema. Ce dernier venait d’être intercepté près du couvent des Sœurs de Saint Boniface. Il fut dépouillé (de sa couverture, sa veste, son épée et ses souliers), fouillé et trouvé en possession de deux livrets du FPR (Front Patriotique Rwandais). Après leur refus d’échanger leur victime contre les 1000 Frw, Eugène Ngabwa leur proposa ensuite de conduire la victime chez le conseiller du secteur (Anastase Mbonigaba connu pour s’être opposé aux massacres de Tutsi).

 

Les trois complices ont fait semblant d’accepter cette proposition et ils ont monté la colline jusqu’à l’embranchement du chemin qui menait chez le conseiller. Pressentant le danger imminent, Eugène Ngabwa envoya son cousin Emmanuel IYAKAREMYE chercher le conseiller Mbonigaba et lui demander de venir vite secourir Monsieur Rwandema. Iyakaremye est parti chercher le conseiller. Ne voyant pas accourir le conseiller avec son messager Iyakaremye, Eugène NGABWA courut, à son tour, chercher le conseiller et le presser de sauver leur ami Rwandema.

 

Lorsque Eugène courut chercher, à son tour, le conseiller, les trois complices ont préféré conduire leur victime devant les cabarets situés à un endroit appelé « kw’i Taba ». C’est là que se trouvait le grand bourreau Ildephonse Uwihoreye, le meurtrier principal.

 

Lorsque le conseiller, accompagné de Eugène Ngabwa, monta la colline en courant et en criant pour demander aux tueurs de ne pas commettre leur forfait, il trouva le cadavre encore frais de Rwandema.

 

Lorsque Eugène Ngabwa vit, à son tour, le cadavre de la victime qu’il avait tenté de sauver par tous les moyens, il se senti tellement abattu et vidé de toutes ses énergies qu’il alla s’asseoir contre le muret d’un cabaret appartenant à un certain Evariste Tangishaka. La mort de Rwandema a tellement marqué et défiguré Eugène Ngabwa qu’il est devenu méconnaissable. Sa douleur a été racontée et confirmée par son autre témoin à décharge, Madame Béata MUKANKUSI, qui a déclaré devant le tribunal GACACA de la cellule KIMISHIBU : « Lorsque je l’ai vu assis et triste devant le cabaret de Evariste après le meurtre de Rwandema, il était si méconnaissable que j’ai dû demander qui il était (namubonye yigunze imbere ya akabari ka Varisiti, mbaza uwo ari we). Lorsqu’on me dit qu’il s’agissait de lui, j’ai posé la question de savoir si Rwandema ne venait pas d’être débusqué chez les parents d’Eugène (C’est-à-dire chez l’ancien Bourgmestre Antoine BAJYAGAHE). La version de sa question traduit mieux la douleur de Eugène Ngabwa en kinyarwanda « Ese ntibamuvanye iwabo ko mbona ababaye cyane ?».

 

Depuis ce 2 juillet 1994 jusqu’à sa condamnation arbitraire du 21 septembre (à 6 ans de prison) et celle du 5 octobre 2006 (à 27 ans de prison), la douleur, l’impuissance et la colère de n’avoir pas pu sauver Rwandema n’ont jamais quitté Eugène NGABWA qui ne cesse de penser aux siens massacrés pendant la même période du génocide. Voilà, brièvement le récit de la mort de Rwandema, dont les véritables meurtriers ont été identifiés et emprisonnés depuis longtemps, mais que le tribunal Gacaca vient d’imputer à deux témoins innocents.

 

Eugène NGABWA est un rescapé métis Hutu-Tutsi 

 

Son père Hutu, Monsieur BAJYAGAHE Antoine a été bourgmestre de la commune Shyanda de 1977 à 1985. Après une année de repos, il fut nommé Juge du Tribunal de Canton de Shyanda jusqu’à son décès par maladie en décembre 1993. Avant de devenir bourgmestre, il a d’abord été enseignant, puis inspecteur scolaire du secteur scolaire Mbazi et Shyanda depuis les années 1960 jusqu’à sa nomination comme bourgmestre. C’était un homme très apprécié par la population et qui a fort développé cette région, notamment par la multiplication des écoles primaires dès les premières années de l’indépendance du Rwanda le 1er juillet 1962.

La mère de Eugène NGABWA, Consensa NYIRABACYURA, est une veuve Tutsi âgée actuellement d’environ 70 ans. Malgré les menaces qui pesaient sur elle et ses enfants pendant le génocide, elle a caché, avec ses enfants et à ses risques et périls, les personnes suivantes : Agathe NYIRANEZA et son mari Patrick SENTORE, Félicité KAYITESI, Anastasie, RUGEMA et Joséphine MUHIMPUNDU qui ont tous survécu au génocide rwandais de 1994.

 

Son parcours tragique pendant le génocide mérite d’être rappelé en détails ici :

 

- Le 06/04/1994, Eugène Ngabwa, sa femme et ses deux plus jeunes enfants étaient chez eux à Kicukiro dans la cellule Kagina à Kigali.

- Le 10/04/1994, il a pu trouver un véhicule pour évacuer sa femme, deux de ses trois enfants et une belle sœur qui vivait avec eux. Les militaires gouvernementaux l’ont empêché de partir avec sa famille. Mais, comme sa fille aînée, Germaine Uwamahoro (7 ans), était chez son grand père maternel à Bugoba, Remera-Rukoma en commune Taba, son épouse Yvonne Kabagwira est allée la chercher à Bugoba.

- Le 21/04/1994, la femme et les enfants d’Eugène NGABWA furent noyés avec la famille de ses beaux parents dans la rivière Nyabarongo. Seuls les membres qui étaient absents eurent la vie sauve.

- Le 23/04/1994, Eugène Ngabwa a réussi à quitter Kigali et est arrivé à Bugoba pour aller récupérer sa famille et rentrer dans son propre village natal de Kimishibu, à Shyanda, Butare. Il trouva le domicile de son beau père vide et saccagé, et tous les membres assassinés par noyade comme décrit plus haut.

- Le 27/04/1994, il arriva,  tout à fait dégoûté, dans son village de Shyanda (Butare) après un périple de 4 jours. Malgré sa douleur, il fut obligé de faire des rondes nocturnes 3 fois par semaine selon les ordres des autorités gouvernementales. C’est pendant ses rondes qu’il pouvait s’informer et savoir si sa famille serait attaquée pour avoir caché des Tutsi menacés.

- Vers fin Mai 1994, pendant une nuit pluvieuse, Monsieur Jean Baptiste RWANDEMA un ami intime de leur famille, est venu au domicile parental de Eugène Ngabwa (chez Bajyagahe) et leur a demandé de lui montrer le chemin qui conduit chez leur voisine Marguerite NYIRABANGAMWABO. Il voulait voir sa fille qui s’y était cachée. Eugène Ngabwa et ses deux petits frères Louis GATAMA et Etienne MUGANZA ont accompagné Rwandema jusque chez Marguerite. Cette dernière voulait bien le cacher mais elle expliqua qu’elle n’avait pas de quoi les nourrir. Les trois frères promirent de leur apporter la nourriture et c’est leur maman Consensa qui les approvisionnait très tôt le matin à l’aube.

- A partir de fin mai jusqu’au 2 juillet 1994, aucun des trois frères (les fils Bajyagahe) n’est plus retourné voir Rwandema et sa fille. Aucune attaque ne les a jamais visés dans leur cachette. Seule la maman d’Eugène apportait de la nourriture chez Marguerite très tôt le matin afin que personne ne puisse la voir, la suivre et découvrir la cachette de Rwandema.

- Le 01/07/1994, les soldats du Front Patriotique Rwandais (FPR) sont arrivés à Shyanda et se sont installés à Save. La population commença à fuir, notamment ceux qui avaient tué des Tutsi et pillé leurs biens.

- Le 02/07/1994, vers 5h du matin, Eugène Ngabwa était en train d’effectuer la ronde nocturne obligatoire avec 7 autres personnes de son voisinage : Semana, Bimenyimana Jean, Hanganiyaremye Léonard, Théogène fils de Ntirugiribambe Daniel, Hitimana Déogratias alias « Kijyana », Ntabomvura, Emmanuel IYAKAREMYE. Rwandema fut aperçu par Ntabomvura qui s’est exclamé en disant : « je vois quelqu’un ». Rwandema tenta de fuir, mais il fut poursuivi et intercepté par SEMANA et NTABOMVURA qui savaient mieux courir et qui l’ont rattrapé sur le petit pont situé dans la vallée non loin du couvent des Sœurs Saint Boniface. Lorsque Eugène Ngabwa et le reste du groupe arriva au petit pont, les deux complices avaient déjà dépouillé Rwandema de sa couverture, ses souliers, sa veste et son épée (inkota) et voulaient le tuer. Eugène Ngabwa reconnut qu’il s’agissait de Rwandema, professeur au Groupe Scolaire de Save et ami de longue date de  ses parents. Il leur proposa en vain 1000 Francs rwandais pour qu’ils le laissent s’en aller. En continuant à le fouiller, ils trouvèrent les deux livrets du FPR et se retournèrent aussitôt contre Eugène Ngabwa en lui reprochant de défendre un militant du FPR pris la main dans le sac. Se rappelant que sa femme, ses enfants et ses proches parents ont péri de la même façon, il ne se découragea pas et tenta de sauver Rwandema par tous les moyens que nous avons déjà énumérés dans le chapitre ci-haut cité et consacré sur le meurtre de Jean Baptiste RWANDEMA.

 

La chronologie des différentes audiences du procès des meurtriers de J.Baptiste Rwandema :

 

1) La phase de récolte des informations « ikusanyamakuru » a commencé début 2005 dans la cellule KIMISHIBU, secteur Munanira. Les meurtriers de RWANDEMA sont venus livrer leurs témoignages à cette époque comme c’était une obligation imposée à tous les citoyens rwandais. SEMANA, BIMENYIMANA Jean, HANGANIYAREMYE Léonard, Emmanuel IYAKAREMYE et Ildephonse UWIHOREYE (le meurtrier) ont confirmé qu’ils ont tué leur victime bien avant l’arrivée de Eugène NGABWA et le conseiller du Secteur Anastase MBONIGABA. A cette époque, ils ont avoué leur crime et n’ont accusé personne d’autre.

Semana, Bimenyimana Jean et Hanganiyaremye Léonard ont reconnu avoir refusé les 1000 francs rwandais offerts par Eugène Ngabwa qui les suppliait de laisser partir Rwandema. De tous les témoignages à charge et à décharge, recueillis pendant cette phase, aucun témoin n’évoqué la moindre participation aux massacres ou à la chasse à l’homme des deux cousins Eugène Ngabwa et Emmanuel Iyakaremye. C’était l’époque où les meurtriers et les témoins disaient la vérité sur les événements qui ont eu lieu sur leur colline. Personne n’a osé mentir car tous les témoins présents ont pu s’exprimer librement à cette époque.

Eugène NGABWA et Emmanuel IYAKAREMYE ont tous donné leurs témoignages à charge et à décharge qui ont été consignés par écrit, recoupés et acceptés par le tribunal GACACA de la cellule Kimishibu.

Des témoins ont reconnu que Eugène Ngabwa, son cousin Iyakaremye et d’autres ont aidé Madame Madeleine MUKARWIGEMA (épouse de Rwandema) à identifier et à faire arrêter les véritables meurtriers de son époux. Ils ont avoué et sont emprisonnés à Butare.

 

2) Dans le procès du 21/09/2006, les témoins à charge ont modifié leurs déclarations dans le but de faire condamner les deux témoins à charge, Eugène NGABWA et Emmanuel IYAKAREMYE.

Les témoins à décharge ont maintenu leurs témoignages à décharge en faveur des deux nouveaux accusés arbitrairement. Il s’agit des témoins suivants :

Madame Béata MUKANKUSI a confirmé que Rwandema a été tué bien avant l’arrivée du Conseiller Anastase Mbonigaba qui est monté en courant et en criant qu’il ne fallait pas le tuer. Eugène Ngabwa est arrivé quelques minutes après le Conseiller qui a trouvé Rwandema déjà mort.

Madame Diyoniziyo (épouse de Monsieur Denis), qui habite sur les lieux du meurtre et qui est accourue pour voir la victime abattue, a reconnu qu’il s’agissait de Rwandema qu’elle connaissait. Les autres témoins lui ont confirmé qu’il a été tué par Ildephone Uwihoreye. Elle a confirmé qu’elle n’a ni vu le Conseiller ni Eugène Ngabwa sur les lieux au moment du crime.

Son mari Diyoniziyo (Denis) a confirmé le témoignage de son épouse et a dénoncé le faux témoignage du meurtrier Ildephonse Uwihoreye  qui calomniait le conseiller en disant que c’est lui qui a ordonné le meurtre de Rwandema. Il a expliqué par contre que Ildephonse a volé la dot de la fille du Conseiller pendant le génocide et que c’est pour cette raison qu’il cherche à le salir.

Monsieur SINDIKUBWABO Charles a déclaré avoir vu Monsieur Ntabomvura vendre les souliers de Rwandema à son petit frère (de Charles) qui a refusé de les acheter.

 

3) Dans le procès du 05/10/2006, les témoins à charge ont continué d’accuser Eugène Ngabwa avec quelques légères modifications.

La nouveauté de cette audience c’est la « volonté de nuire » manifestée par Madeleine MUKARWIGEMA (épouse de Rwandema) et sa fille qui ont calomnié, sans vergogne, Eugène Ngabwa. Madeleine a dit que Eugène et ses frères avaient refusé de cacher son mari chez eux alors qu’ils avaient beaucoup de moyens. Elle affirme qu’ils l’ont conduit chez une pauvre vieille dame avec l’intention d’aller détruire sa hutte. Mme Madeleine a également déclaré que la vieille Marguerite (qui a caché son mari et sa fille) lui a dit que les fils de Bajyagahe n’ont jamais cessé de l’attaquer en lui disant que si elle continuait à cacher des gens, cela risquerait de lui coûter cher. Paradoxalement, Madeleine a néanmoins remercié Eugène d’avoir aidé son mari Rwandema à survivre quelques jours de plus.

 

La fille de Rwandema, qui s’était cachée avec son père chez Marguerite, a déclaré que depuis que son père l’avait rejointe, les fils de Bajyagahe n’ont jamais cessé de les menacer.

 

Les témoins à décharge ont apporté un nouvel éclairage et de nouveaux témoignages qui démontent le complot contre Eugène Ngabwa :

 

MUKANKUSI Béata a ajouté à son témoignage un fait nouveau. Elle a accusé Ildephonse Uwihoreye d’être venu chez elle à trois reprises pour lui demander de changer son témoignage en affirmant que Eugène et le conseiller avaient assisté au meurtre de Rwandema. Elle lui a répondu qu’elle ne peut pas mentir.

CONSOLATA a confirmé avoir entendu, en personne, SEMANA dire qu’ils allaient nier que Eugène Ngabwa leur avait proposé les 1000 francs rwandais pour qu’ils laissent partir Rwandema.

 

NGENDABANGA Alexis a confirmé que lors de son entretien tenu à la source d’eau (Iriba) avec Bimenyimana Jean et Hanganiyaremye Léonard, ceux-ci lui ont déclaré que Eugène Ngabwa devait être emprisonné parce qu’il ne leur a rien apporté à la prison. Ils disaient qu’ils allaient nier avoir reçu la proposition d’Eugène de leur donner de l’argent pour sauver Rwandema. Ils ont dit également qu’ils allaient dire qu’ils étaient tous allés voir le conseiller.

 

NYANDWI a déclaré qu’il n’a pas assisté au meurtre de Rwandema mais que les témoins présents lui ont confirmé que Eugène et le conseiller n’ont pas assisté au meurtre. Il a confirmé que c’est Eugène Ngabwa qui a aidé la veuve de Rwandema, Madeleine, à faire emprisonner les meurtriers de son mari.

 

Eugène, le fils de la vieille Marguerite NYIRABANGAMWABO, chez qui étaient cachés Rwandema et sa fille, a confirmé que Rwandema est arrivé chez eux  pendant la nuit et sous la pluie vers 20h ou 20h30. Ils avaient une lampe torche. Il a affirmé avoir ouvert la porte à quatre hommes. Il s’agissait des trois fils de Bajyagahe : Eugène Ngabwa, Louis Gatama et Etienne Muganza qui accompagnaient leur ami Rwandema. Ils ont accueilli Rwandema qu’ils connaissaient et qui venait voir sa fille déjà cachée chez eux. Il a confirmé que la famille Bajyagahe leur a fourni du sucre, de la farine de sorgho, des pommes de terre, des haricots et d’autres vivres. Il a ajouté qu’aucun des fils de Bajyagahe n’est plus revenu chez eux. Que tous les vivres ont été apportés par leur mère Consensa toujours très tôt le matin.

 

KAYITESI Félicité, qui a été cachée par la famille d’Eugène avec d’autres, a déclaré que Rwandema n’était pas venu pour demander refuge chez Bajyagahe. Il est venu leur demander son chemin pour arriver chez la vieille Marguerite. Kayitesi confirme que c’est Eugène Ngabwa et ses petits frères qui ont conduit Rwandema là bas.

Au sujet du meurtre de Rwandema, Kayitesi affirme avoir entendu Eugène Ngabwa raconter comment il avait offert 1000 Frw aux meurtriers de Rwandema pour qu’ils le laissent partir. Elle l’a entendu aussi raconter comment il est allé chercher le conseiller qui est arrivé sur le lieu du meurtre trop tard. Kayitesi estime que : «si le témoignage de Eugène Ngabwa est resté invariable depuis 12 ans, c’est qu’il est conforme à la vérité. Sinon l’intéressé ne pouvait pas imaginer qu’il serait amené à répéter fidèlement la même version après autant d’années».

 

Dans ses arguments pour se défendre, Eugène Ngabwa a nié avoir dit à Rwandema qu’ils allaient le conduire chez le conseiller parce qu’il venait d’être pris en flagrant délit. Il a affirmé, par contre, que lorsque les meurtriers ont découvert les deux livrets du FPR, ils lui ont reproché violemment d’avoir voulu protéger la victime en leur donnant de l’argent et en appelant au secours le conseiller. Mais les meurtriers se félicitaient de l’avoir tué avant l’arrivée du conseiller.

Eugène a confirmé avoir demandé aux meurtriers de ne pas tuer Rwandema mais de le conduire chez le Conseiller qui devait trancher dans cette affaire.

Il a déclaré fausses les déclarations de ceux qui les accusent d’avoir refusé de cacher Rwandema chez ses parents. Il a expliqué que Rwandema n’est pas venu chez eux pour chercher refuge mais qu’il cherchait à rejoindre sa fille chez Marguerite. Mais que suite à l’obscurité de la nuit et à la pluie, il est venu demander de l’aide pour trouver le chemin qui mène chez Marguerite. Eugène a clôturé son témoignage en affirmant qu’aucune attaque n’a été menée chez la vieille Marguerite. Ce qui a été confirmé par le petit fils de Marguerite.

 

CONCLUSION : La condamnation arbitraire des deux cousins, ci haut cités, confirme le détournement des tribunaux Gacaca par le « pouvoir occulte » des extrémistes Tutsi qui ne sont motivés que par « la volonté de nuire et de détruire des Hutu innocents ». Ce détournement criminel a été dénoncé dans notre Communiqué n°80/2005 du 18 mars 2005 intitulé : « Les tribunaux GACACA sont détournés, contrôlés et paralysés par les chefs militaires et politiques du FPR impliqués dans le génocide rwandais ».

D’après les reportages de la BBC et de la Vox of America (VOA) diffusés le 21 septembre 2004, les enquêtes des juridictions GACACA montraient que dans les 118 secteurs où les Gacaca-pilotes avaient déjà commencé, plus de 500.000 suspects du génocide avaient été enregistrés. Selon les estimations officielles, à cette époque, quand les principales enquêtes seront clôturées par les tribunaux Gacaca, le nombre de personnes suspectées d’avoir pris part au génocide devrait être de 761.448. Ces prévisions se confirment aujourd’hui. Au cours de sa conférence de presse du 18/10/2006 à Kigali, Madame Domitille Mukantaganzwa, Secrétaire exécutive du Service National des Juridictions Gacaca, a annoncé que 694.614 suspects ont été enregistrés dans les 6.300 tribunaux Gacaca des Cellules. Ce chiffre augmentera lorsque seront comptabilisées les statistiques des 2000 tribunaux Gacaca, qui n’ont pas encore envoyé leurs chiffres des suspects. Les Gacaca sont devenus une arme judiciaire pour exclure et neutraliser, par la prison, tous les Hutu que le FPR voudra détruire. 

 

RECOMMANDATIONS : Le Centre recommande instamment :

 

1) Que les témoignages des témoins à décharge soient pris en compte dans ce procès de Eugène Ngabwa afin de ne pas condamner un innocent et que les tribunaux Gacaca ne perdent pas une fois de plus leur crédibilité.

2) Que Messieurs Eugène NGABWA et son cousin Emmanuel IYAKAREMYE soient libérés immédiatement et sans conditions puisqu’ils n’ont commis aucun crime et sont innocents.

3) Que Madame Astérie MUKAKIBIBI, président du tribunal Gacaca d’appel de Munanira, soit sanctionnée pour avoir couvert ouvertement un complot contre des innocents.

4) Que l’art de mentir et de manipuler les témoins du génocide et les détenus « en aveux » soit banni des juridictions GACACA, avant qu’il ne provoque de nouveaux conflits au sein de la population.

5) Que tous les témoins à décharge soient protégés contre toute pression et contre le harcèlement des « syndicats de délateurs » et de toutes les forces négatives qui exploitent les tribunaux GACACA pour violer les droits humains et les libertés publiques.

6) Que les autorités rwandaises respectent l’esprit et les principes de la juridiction traditionnelle Gacaca qui est fondée sur la recherche de la vérité et non sur l’art de mentir et de comploter contre des innocents. Elle est exprimée dans les proverbes suivants :

- « ukuri guca muziko ntigushye » (la vérité en sort intacte même si elle passe à travers le feu).
- « ujya gukiza abavandimwe arararama » (celui qui est amené à trancher un différend entre deux frères, se garde de les regarder).
- « Ababurana ari babiri umwe aba yigiza nkana » (dans un différend opposant deux personnes, l'une d'elles le fait exprès, elle sait qu'elle doit perdre)

 

Pour le Centre, MATATA Joseph, Coordinateur

 

 

 

 

 

Le Centre de Lutte contre l’Impunité et l’Injustice au Rwanda est une association de défense des droits humains basée en Belgique, créée le 18 août 1995. Ses membres sont des militants des droits humains de longue date. Certains ont été actifs au sein d’associations rwandaises de défense des droits humains et ont participé à l’enquête CLADHO/Kanyarwanda sur le génocide de 1994. Lorsqu’ils ont commencé à enquêter sur les crimes du régime rwandais actuel, ils ont subi des menaces et ont été contraints de s’exiler à l’étranger où ils poursuivent leur engagement en faveur des droits humains.



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