L’actualité en
Europe de l’Est nous rappelle que ce qu’on appelle
généralement la «Communauté Internationale » (en fait les
grandes puissances et leurs traditionnels alliés ainsi que
les instruments de légitimation de leurs actions comme
l’ONU), applique le principe de « deux poids, deux mesures »
aux cas apparemment identiques. C’est ainsi que face aux
informations faisant état de l’entrée des troupes russes
en Ukraine, la même Communauté Internationale est unanime
pour condamner la Russie et brandit la menace des
sanctions qui viendront s’ajouter à celles déjà décrétées
à cause de son soutien supposé aux rebelles russophones
d’Ukraine.
Pourtant des cas d’agressions manifestes et flagrantes ont
déjà eu lieu de part le monde sans que cette même
Communauté Internationale ne lève le petit doigt. Pour
mieux percevoir cette logique de la Communauté
Internationale, prenons l’exemple du Rwanda en la mettant
en parallèle avec des situations similaires et en notant
quelle a été chaque fois la réaction de la Communauté
Internationale.
Irak, Rwanda et Ouganda
Le 02 août 1990, les troupes de l’Irak envahissent le
Koweït. Aussitôt la Communauté Internationale se
mobilise : l’ONU autorise une intervention pour rétablir
l’intégrité territoriale du Koweït en chassant le
troupes de Saddam Hussein, ce qui se traduira par ce qui
restera dans l’histoire comme « La Première Guerre du
Golf ».
Le 01 octobre 1990, les troupes ougandaises commandées par
le vice-ministre de la Défense de l’Ouganda le général
Fred Rwigyema envahissent sans ultimatum le Rwanda. Toute
la presse internationale suit leur avancée et les
envahisseurs ne s’en cachent pas. Étonnamment, aucune
condamnation ne viendra de la Communauté Internationale.
Au contraire, elle tentera de relativiser cette agression
en faisant remarquer que le gros des soldats engagés
avaient des origines rwandaises, donc qu’il faudrait la
considérer comme une « guerre civile »!
En 1996, les troupes rwandaises envahissent la RDC,
détruisent tout sur leur passage, s’emparent des
principales villes dont la capitale Kinshasa. L’officier
rwandais qui commande le corps expéditionnaire, James
Kabarebe, se proclame « Chef d’Etat major de l’Armée
congolaise ». Aucune condamnation ne vient de la
Communauté Internationale. Au contraire, tout au long de
cette conquête, elle n’a cessé de fournir à l’envahisseur
rwandais un appui logistique et en renseignements. Vous
avez dit : deux poids, deux mesures ?
Liban et Rwanda
Le 06 avril 1994, un avion avec à bord les chefs d’Etat
rwandais et burundais est abattu par un missile sol-air
pendant son approche pour atterrir à l’aéroport de Kigali.
Les deux chefs d’Etat, leurs suites ainsi que les membres
de l’équipage de nationalité française périront dans
l’attentat. La Communauté Internationale, en l’occurrence
l’ONU, bloquera toute tentative de connaître les auteurs
de cet attentat. Elle empêchera même le Tribunal Pénal
International pour le Rwanda (TPIR) pourtant créé par elle
officiellement pour poursuivre les auteurs des crimes
commis entre le 01 janvier et le 31 décembre 1994,
d’enquêter sur cet attentat. Le Procureur et les
enquêteurs du TPIR qui tenteront d’enquêter seront blâmés
et relevés de leurs fonctions par l’ONU.
Le 14 février 2005, le Premier Ministre du Liban Rafiq
Hariri meurt dans un attentat suicide qui a fait exploser
sa voiture. Aussitôt la Communauté Internationale est en
émoi. La condamnation est unanime. Une enquête
internationale est exigée. L’ONU met en place un Tribunal
Spécial pour le Liban qui doit juger les auteurs présumés
de cet attentat. Le Tribunal siège encore à La Haye aux
Pays Bas. Vous avez dit : deux poids, deux mesures ?
Mali et Rwanda
Le 04 juillet 1994, le général Paul Kagame s’empare de
la capitale du Rwanda, Kigali, et dissout toutes les
institutions .Cette prise de pouvoir par la force ne fut
pas condamnée par la Communauté Internationale mais au
contraire le général putschiste fut félicité et
encouragé à asseoir sa dictature. Il règne depuis 20 ans
sur un peuple martyrisé dont les cris de douleurs
n’arrivent point à l’oreille de la Communauté
Internationale.
Le 22 mars 2012, le Capitaine Sanogo s’empare de la
capitale du Mali, Bamako, dépose le gouvernement légitime
et dissout toutes les autres institutions. Aussitôt la
Communauté Internationale se met en émoi. La condamnation
est unanime. Elle exige le retour sans délais à l’ordre
constitutionnel. Mis sous pression, le capitaine Sanogo
est obligé de céder le pouvoir quelques mois plus tard.
Vous avez dit : deux poids, deux mesures ?
Rwanda et Zimbabwe
Depuis plusieurs années, le président du Zimbabwe, Robert
Mugabe, a été mis au ban de la Communauté Internationale.
Lui-même et ses proches sont frappés par l’interdiction de
voyager et à d’autres sanctions. La même Communauté
Internationale avait justifié ces mesures par « l’absence
de démocratie » au Zimbabwe. Mais lorsque le président
Mugabe céda le gouvernement à un opposant notoire et
chouchou de la Communauté internationale, rien n’y fut. On
l’accusa alors de ne pas respecter les droits de l’homme
mais sans jamais présenter de cas concrets de ces
violations. On l’accusa ensuite d’organiser des élections
truquées. Mais quand cette Communauté Internationale
supervisa elle-même les élections qui virent son parti
gagner haut la main, rien n’y fut : les sanctions ont été
maintenues au prétexte qu’il a eu le tort de ne pas perdre.
Au Rwanda,
le général Paul Kagame ne tolère aucune contestation. Il
n’hésite pas à tuer ceux qui osent le critiquer ou ceux
qui l’ont fui en allant les assassiner dans leur exil et
il s’en vante. Les disparitions sont journellement
signalées et des cadavres des personnes ligotées sont
régulièrement repêchés dans des lacs et rivières du pays.
Son régime a le triste record de détenir le plus grand
nombre de prisonniers politiques de la région. Son parti
FPR est un parti unique de fait car les autres partis
autorisés pour la consommation externe ne sont que ses
satellites et souvent créés par lui.
Les opposants
en exil qui tentent de rentrer pour l’affronter
politiquement de l’intérieur sont immédiatement arrêtés et
condamnés à de lourdes peines dans des simulacres de
procès (cas de Victoire Ingabire et de Déo Mushayidi).
Curieusement, aucune condamnation de la Communauté
Internationale ne s’est faite entendre. Seuls quelques
rapports des organisations de défense des Droits de
l’Homme comme Human Right Watch ou Amnesty International
sortent de temps en temps en attirant l’attention sur ce
cas de dictature pathologique, mais ils sont vite étouffés
par les campagnes menées par les ténors de cette
Communauté Internationale qui par ailleurs furent à la
base de la création du «monstre politique qu’est Paul
Kagame ».
Vous avez
dit : deux poids, deux mesures ?
Jane Mugeni
Echos d’Afrique