Falsifier les chiffres, les factures, les rapports est courant dans les services de l'Etat rwandais à qui ces pratiques font perdre des milliards. D'autres Rwandais truquent leurs diplômes pour se faire embaucher. Ces nombreux fraudeurs sont de plus en plus souvent poursuivis.
"Techniquer", ce verbe qui n’existe pas en
français est devenu un verbe rwandais : "techniquer" un rapport ("gutekinika
raporo") ou des chiffres signifie falsifier, présenter de faux rapports ou
chiffres à ses supérieurs hiérarchiques. Dans son rapport 2010-2011, présenté au
parlement rwandais mi-2012, l’auditeur général de l’Etat donne des chiffres
alarmants sur l’argent ainsi volé. Dix milliards et demi de francs rwandais
(environ 17 millions de dollars) ont été perdus dans les falsifications et la
″technique″ des factures et des chiffres, tandis que plus de quatre milliards et
demi (plus de sept millions de dollars) ont été dépensés sans pièce
justificative. Et seuls 106 services publics ont été audités sur les 331
présentés dans le rapport.
L’Etat engage souvent des procès. Mais le retour de l’argent dans ses caisses
semble difficile : ″Le procureur ne montre pas souvent les chiffres exacts de ce
qui doit être remis à l’Etat″ souligne Alphonse Sebazungu, procureur général
adjoint en charge des services du contentieux des affaires civiles. Selon le
procureur général, des enquêtes seraient en cours sur environ 290 agents de
l’Etat pour leur rôle présumé dans des détournements de fonds publics. ″Ce qui
montre qu’il y a un suivi rigoureux de ceux qui vident le Trésor public″, assure
Obadiah Biraro, auditeur général de l’Etat.
Truquer les chiffres pour se faire bien voir
Les ″techniqueurs″ ne trichent pas seulement pour l'argent, certains veulent
aussi se faire bien voir, en particulier les autorités locales, car de mauvais
chiffres peuvent coûter gros. Dans le district Rutsiro à l’ouest du Rwanda, les
autorités du secteur ont été ainsi tous limogés en 2010 pour avoir présenté peu
de chiffres sur les personnes vivant dans les maisons en chaume en cours de
destruction dans tout le pays. Un jeune qui a corrigé les listes d’ubudehe
(catégorisation de chaque citoyen selon le niveau de vie socio-économique) dans
le district Ruhango témoigne qu’on y trouvait des gens sans catégorie : ″Il
fallait souvent appeler les autorités de base qui inventaient la catégorie et te
la dictaient sans aucune référence″. Mais il fallait que le document soit
complet. Tantôt les autorités locales gonflent les chiffres pour se faire bien
voir par leurs supérieurs, tantôt celles des imidugudu (petite entité
administrative), qui travaillent gratuitement ou qui sont peu compétents,
donnent priorité à leurs affaires plutôt qu’aux chiffres et rapports qu’ils
doivent rendre. Ils préfèrent inventer des chiffres plutôt que de passer de
maison en maison pour les collecter.
De faux diplômes de renom
D’autres falsifient les diplômes des écoles secondaires et universités afin de
remplir les conditions exigées pour se faire embaucher. Lors de la rentrée
scolaire ou pendant les vacances, un propriétaire d’un secrétariat public à
Muhanga ne s'étonne plus de voir des élèves venir faire refaire leur bulletin,
"parce qu’ils ont obtenu de mauvaises notes et craignent l'œil mécontent de
leurs parents".
Un médecin de l’Hôpital universitaire de Butare (CHUB) au sud du Rwanda est
poursuivi pour détention d’un diplôme de maitrise douteux, soit disant obtenu à
l’Université libre de Bruxelles (ULB) : ″Nous nous sommes renseignés auprès de
cette université mais elle nous a assuré qu’il ne l’avait pas fréquentée″,
souligne Theos Badege, porte-parole de la police. Curieusement, le diplôme de
médecine interne que le faussaire disait avoir obtenu à l’Université de Kinshasa
et celui de Maitrise en néphrologie de l’ULB avaient tous deux été notifiés au
Rwanda. Ce cas n'est pas isolé.
Le service de notariat au Rwanda est décentralisé au niveau des districts et
parfois au niveau des secteurs. Les documents à notifier sont si nombreux qu’il
est difficile de les vérifier. ″Il suffit de montrer la quittance attestant que
l’on a payé les frais exigés et les documents sont vite arrangés″ souligne un
notaire d’un district au sud, affirmant qu’ils jugent des yeux si le document
est officiel… La falsification des diplômes a augmenté surtout depuis 2003,
quand le gouvernement a exigé que tous les agents des services publics aient au
moins un niveau de licence. Plutôt que d'aller à l'université, certains ont
choisi ces raccourcis…
Les Rwandais sont aujourd'hui plus vigilants sur l'utilisation des fonds
publics. Agaciro Development Fund, un fond national initié en décembre pendant
le dialogue national pour soutenir le budget national collecte des fonds (dans
les institutions publiques et privées, chez les particuliers, etc.) depuis août,
un peu après l’arrêt des aides décidé par certains pays occidentaux accusant le
Rwanda de soutenir le M23 en RDCongo. Plus de 15 milliards de francs rwandais
ont ainsi été collectés jusqu’à ce jour. Les citoyens demandent une gestion
transparente et rigoureuse de cet argent. Le procureur général de la République
les rassure : ″Nous assurons tous les Rwandais que quiconque osera détourner ces
fonds sera frappé par la main de la justice″.
Fulgence Niyonagize