Rwanda : des millions pour s’acheter une image
Par Jean Mitari |
Le gouvernement rwandais a signé en 2009 un contrat avec le groupe Racepoint, une agence américaine des relations publiques, pour que celle-ci «conçoive et implante une campagne promotionnelle» afin de promouvoir une autre image du Rwanda. Racepoint a lancé dans ce cadre, deux communautés internet, Rwanda Fact Check et Friends of Rwanda. Coût de l’opération ? Plus de trente cinq millions de francs Rwandais (50.000$) par mois, et ce sur 18mois.. Rappelons qu’au Rwanda le salaire moyen d’un enseignant est de 40 000 FRW (50$), deux fois moins ce que gagne une marchande de légume sur la marché. Pourquoi dépenser autant pour s’acheter une image pour un pays à moyens limités, dépendant à plus de 60% du budget de son gouvernement à des aides extérieurs?
Slate.fr nous annonce que plusieurs autres dictateurs font appel aux services des agences des relations publiques occidentales pour redorer leur blason. C’est surtout le cas de plusieurs dictateurs arabes, qui face aux critiques des médias locaux et internationaux, et alors que les émeutes et ses victimes se multipliaient, ont fait appel à ces agences de relations publiques occidentales pour contrer l’image déplorable de leur régime. A Bahreïn, au Yémen et en Syrie, ce sont Qorvis Communication basée à Washington ou encore Bel Pottinger basée à Londres qui sont intervenues. Al Jazeera a consacré un reportage aux méthodes de ces agences. Le média dénonce certains journalistes américains qui ont accepté les invitations de ces agences, sont allés par exemple interviewer Mouammar Kadhafi tous frais payés, sans même mentionner ce fait dans leurs articles.
Le groupe Racepoint a beaucoup à faire en ce qui concerne le Rwanda. En effet, le régime de Kigali avec à sa tête le général Paul Kagame, est épinglé par le rapport des Nations-Unies sur les massacres des réfugies au Congo, dénoncé régulièrement pour son caractère répressif et autoritaire, blâmé pour les restrictions qu’il impose à la liberté d’expression. Le pays est dirigé d’une main de fer sans partage depuis bientôt 18 ans, par un dictateur qualifié souvent de » pire dictateur encore en activité », voire de « Hitler africain », pour ses crimes commis au Rwanda et au Congo, crimes que le rapport des nations unies (mapping report) sorti en 2010 dit qu’ils pourraient être assimilés à un génocide. L’objectif principal du régime nous annonce le site http://www.theglobeandmail.com, est de contrer les critiques très vives envers le régime, venant principalement des organisations de défense des droits de l’homme comme Amnesty International, les organisations défendant les journalistes comme Reporter sans Frontières, et surtout contrecarrer des nombreuses critiques venant de nombreux immigrés rwandais vivant un peu partout dans le monde, et relayées par plusieurs médias. Pour le régime de Kigali, s’acheter une bonne image parait indispensable puisque le pays survit grâce à des aides qui souvent sont conditionnées au respect des principes démocratiques. La logique est ainsi, « faute d’être une démocratie, et de ne pas avoir l’intention d’en devenir, achetons-nous une image d’une démocratie« .
C’est Kenneth Roth, le directeur exécutif de Human Rights, sur son compte twitter qui a sans doute le mieux synthétisé l’esprit du gouvernement du FPR « Au lieu de cesser la répression, le Rwanda engage une compagnie de relation publics couteuse pour aider à prétendre qu’il le fait ».
Le Rwanda est également souvent salué de toute part comme model économique en Afrique : taux de croissance élevé, progrès dans la lutte contre le paludisme, lutte contre la corruption, campagne massive d’alphabétisation, progrès dans l’éducation, les femmes plus nombreuses au parlement, etc. C’est cette image que les maitres du pays veulent bien montrer et promouvoir à l’ étranger à grand frais.
On se demande cependant comment, les professionnels en image de Racepoint, arriveront-ils à gommer les dérives autoritaires exacerbées du régime ? Comment arriveront-ils à dissimuler les assassinats politiques, les accusations d’implication de hauts dirigeants dont le Président dans des crimes de masse, la répression contre les journalistes, les arrestations arbitraires, les enlèvements et tortures ?
Pourquoi le régime ne fait –il pas comme la junte birmane, qui vient d’améliorer l’image du pays, en libérant plusieurs opposants politiques dont Aung San Suu Kyi, et en procédant à des reformes spectaculaires devant conduire à une véritable démocratie au sens large?
Jean Mitari
Jambonews.net