07-01-2010
par Jean de la Croix Tabaro
Rwanda
Sud Rwanda : la misère fait de la résistance
(Syfia Grands Lacs/Rwanda) Les habitants de certains villages du sud du Rwanda sont dans une misère sans nom : ils vivent dans des huttes où il pleut, ne mangent qu'un maigre repas par jour. Les autorités locales sont accusées de ne rien faire pour les aider et les empêchent de construire eux-mêmes leurs maisons.
Il est midi, l'heure de la rentrée des champs. Les agriculteurs de la cellule
Ruvugizo à Gisagara au sud du Rwanda, houes sur les épaules, rentrent sous leurs
toits de paille. Pas de fumée dans la vingtaine de huttes. "Nous ne mangeons que
rarement ici", note une maman assise devant sa case. Contrairement à d'autres
villages du pays, à la place de l'étable et de la cuisine, on ne voit dans
l'enclos qu'un bâti en bois destiné au séchage des récoltes, qui supporte
quelques kilos de manioc, qui attendent le mortier.
Cultiver toute l'année les champs des autres est le lot de nombre de ces
démunis. Uzamukunda Béata, une divorcée, a la charge de sa mère et de son fils
de 12 ans. Pour les nourrir, elle travaille les terres de voisins et reçoit 500
Frw (1 $) par jour ou un kilo de haricots. Elle en trie les graines de bonne
qualité pour la semence et consomme la mauvaise : "Un kilo de haricots au
manioc, c'est que nous consommons pour trois jours", confie Béata. Les plus âgés
attendent souvent leur nourriture de leurs enfants et petits-enfants. "Du riz et
de la viande ! Je n'en mange jamais, même pas à l'occasion des fêtes comme Noël
et la Bonne année. Où trouverais-je de l'argent pour m'en procurer ? Chez moi,
tous les jours sont les mêmes, toujours sombres…", déclare Nyamvura Sara, une
septuagénaire.
S'abriter sous un parapluie dans sa hutte
Cette pauvreté frappe surtout les femmes et des enfants. Les hommes qui gagnent
un peu d'argent, au lieu de le partager dans la famille, le dépensent en alcool.
Face à cette misère, la population crie fort que certains programmes destinés à
les aider profitent plus aux nantis qu'à eux. Lors de la 7e rencontre du
dialogue national, tenue en fin d'année, il a ainsi été dit que plus de 7 000
vaches du programme "Une vache, une famille", qui octroie une vache à chaque
famille pauvre, ont bénéficié à des personnes aux revenus moyens et aux
autorités locales.
"Ma maison s'est écroulée le mois passé à la suite des pluies torrentielles,
mais les autorités locales ne m'ont pas encore aidé à en construire une autre.
J'attends leur assistance puisque moi, je n'ai pas de moyens", explique une mère
qui loge dans une hutte et souhaite vivre sous un toit qui ne laisse pas passer
la pluie. "Imaginez ! Il y a des familles qui, dans leur maison, doivent
s'abriter sous des parapluies quand il pleut" s'exclame le maire du district de
Bugesera, à l'est du pays, en appelant à la solidarité tous les habitants de sa
région.
Difficile de construire
Ceux qui vivent dans ces huttes accusent les autorités d'être responsables de
cette situation. Depuis 2005, en effet, pour protéger l'environnement, la
fabrication des tuiles n'est autorisée qu'aux seules coopératives. "Nous sommes
empêchés, bon sang ! Pas question de prendre l'argile, ni de couper le bois", se
désole un habitant de Gisagara, qui dit que s'il y était autorisé, il pourrait
construire sa propre maison avec son revenu journalier de 500 Frw : "Je peux me
débrouiller seul avec les tuiles puisque les tôles sont très chères". "Jamais !
rétorque Karekezi Léandre, le maire de ce district. La fabrication des tuiles
doit passer par les coopératives, ce qui nous évitera de gaspiller du bois et de
l'argile et nous permettra de sauvegarder notre environnement" . Et d'ajouter
que ces personnes ne fournissent aucun effort : "Depuis une année, nous leur
avons demandé d'élever les murs des maisons pour que nous puissions les soutenir
pour la toiture, mais ils ne l'ont pas fait."
"À quoi bon vivre dans une maison à tôles sans rien à se mettre sous la dent",
disent aussi certains habitants des ménages vulnérables du secteur Mukindo qui
avaient bénéficié, en 2007, grâce à la Compassion (une Ong œuvrant dans la
région) de maisons durables couvertes de tôles. Ils ont enlevé et vendu ces
tôles pour acheter des tuiles. Le reste de l'argent, disent-ils, leur a servi,
pour un temps, à se nourrir. Le gouvernement prévoit que toutes les maisons en
paille soient remplacées d'ici la fin de l'année 2010 par des habitations en
matériaux durables.
Le taux d'extrême pauvreté dans ces régions du sud du Rwanda est estimé à 45 %.
Les familles ont en moyenne quatre enfants, les terres sont acides, le fumier
rare. Le gouvernement prévoit un Produit national brut par habitant (PNB) à 900
$ pour 2020. Actuellement, il est d'environ 200 $ au Rwanda, soit la moitié de
celui de la Tanzanie et plus de 4 000 fois moins que celui des USA.