Rwanda: L'expulsion controversée des Tanzaniens rwandophones
Inter Press Service (Johannesburg)
24 Février 2007
Publié sur le web le 26 Février 2007
Population-Rwanda :
Des milliers de Tanzaniens d'expression rwandophone sont en train d'être rapatriés de la Tanzanie vers le Rwanda alors la plupart de ces rapatriés revendiquent la nationalité tanzanienne et ne connaissent le Rwanda que par la langue et l'histoire.
Selon le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), les personnes expulsées de Tanzanie seraient environ 60.000. Et leur rapatriement a commencé depuis mai 2006.
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Plusieurs analystes au Rwanda pointent du doigt le gouvernement de Kigali qui aurait exigé le retour de ces Tanzaniens rwandophones pour un motif qui reste encore à élucider, malgré les dénégations des officiels rwandais.
Les mêmes sources indiquent que depuis peu, les autorités tanzaniennes ont procédé à l'arrestation massive et à l'expulsion des ressortissants rwandophones qui seraient des éleveurs pour la plupart. Ils vivent derrière leurs troupeaux, ne connaissant le Rwanda -- qu'ils n'ont jamais visité -- que par la culture et l'histoire que leur racontent leurs parents plus vieux.
"La majorité de ces ressortissants ne sont ni immigrés, ni réfugiés, car ils ont toujours vécu dans ce pays (la Tanzanie), sauf qu'ils étaient considérés comme des citoyens de seconde zone", affirme Bosco Nsamaza, un avocat basé à Kigali, la capitale rwandaise. "Ils ont vécu en Tanzanie depuis la nuit des temps".
Certains historiens affirment que ces rwandophones habitaient cette partie -- devenue la Tanzanie -- depuis les années 1800, bien avant la période coloniale.
Dans sa thèse de doctorat intitulée "Le gros bétail et la société rwandaise dans le 19ème siècle", l'historien rwandais Jean Népomuscène Nkurikiyimfura explique que la grande Tanzanie, avant d'être dessinée par les colonisateurs britanniques, était constituée au départ de royaumes et chefferies disparates sans aucun lien entre eux".
Nkurikiyimfura affirme qu'en dehors du royaume de Karagwe frontalier et proche du Rwanda actuel tant par la culture et la langue, les populations rwandaises et tanzaniennes habitant cette région avaient eu des rapports tantôt pacifiques tantôt belliqueux, mais qu'elles avaient entretenu pendant des siècles des relations d'échanges de biens.
C'est plus tard que les colonisateurs belges et anglais sont arrivés pour partager et séparer les territoires rwandais et tanzanien.
Ce sont les natifs de la région du Gisaka, dans le sud est du Rwanda tout près de la frontière tanzanienne, qui sont en train d'être expulsés vers le Rwanda.
Selon certains analystes à Kigali et des Tanzaniens rwandophones, qui vivaient depuis longtemps à Kigali, la capitale rwandaise, et sont informés de ce qui passe des deux côtés de la frontière, les autorités rwandaises auraient réclamé le retour de ces rwandophones.
Pour Patrick Nyirimigabo, un bibliothécaire qui a longtemps travaillé dans des organisations non gouvernementales tanzaniennes de développement rural, il est surprenant que ces expulsions se fassent au moment où le Rwanda entre dans la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'est.
Cette communauté comprenait à l'origine la Tanzanie, le Kenya et l'Ouganda. Elle a admis en novembre 2006 le Rwanda et le Burundi, deux autres pays des Grands Lacs.
Jean Bosco Barame, un avocat basé à Kigali, affirme que même dans l'hypothèse de la contestation de la nationalité tanzanienne de ces expulsés, leur statut de membre de la communauté est-africaine protégerait du harcèlement policier ces ressortissants écartelés entre les deux pays. "Le principe fondamental reposant sur la libre circulation des personnes et des biens est complètement violé", dit-il à IPS.
Barame s'interroge également sur l'opportunité du Rwanda à exiger le retour de ces Tanzaniens rwandaphones dans un pays confronté à la pression démographique. La population du Rwanda est de 9.058.392 habitants sur une superficie est de 26.338 kilomètres carrés, ce qui en fait l'une des plus fortes densités au monde.
Tonny Ngaram, un journaliste de Radio-Rwanda, lui aussi originaire de la Tanzanie et détenteur de la double nationalité rwando-tanzanienne, s'interroge sur cette mesure qu'il qualifie de deux poids deux mesures, qui frappe les paysans éleveurs et épargnent les citadins.
"Ces pauvres éleveurs sont expulsés pour la seule raison qu'ils ne connaissent pas leurs droits", observe-t-il, ajoutant que "l'espace urbain se prête peu aux injustices et à l'arbitraire des autorités locales tanzaniennes" .
"C'est une injustice flagrante, car ces sans papiers rwandophones expulsés de la Tanzanie, ont vécu dans ce pays depuis plus de 40 ans, où ils ont contribué au développement du secteur agricole et vétérinaire", affirme Ngaram. Selon lui, la loi tanzanienne leur permet de jouir du droit à l'occupation des terres car la grande majorité de ces expulsés sont détenteurs de papiers d'identité tanzanienne.
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"Ils vivaient bien dans des espaces larges où depuis la nuit des temps, ils s'adonnaient à l'élevage", déclare Godeleive Murekatete, une vieille dame qui a vécu longtemps dans la diaspora rwandaise en Tanzanie.
Cette opinion est partagée par Vivianne Kankindi, une femme rwandophone, expulsée de son village de Karagwe, qui est installée actuellement dans un camp de transit de Ngoma, un district du sud-est du Rwanda.
"Pourquoi nous déporter pour nous parquer dans des endroits insalubres sans avoir planifié les conditions de notre réinstallation? ", interroge anxieusement cette femme quadragénaire, expulsée de la Tanzanie avec ses cinq enfants.
De leur côté, les autorités rwandaises affirment que les allégations dont elles sont accusées n'ont aucun fondement. "Le Rwanda n'a jamais exigé le retour de ces Tanzaniens rwandophones. Néanmoins, le gouvernement n'a d'autre alternative que les accueillir avec les moyens disponibles" , explique à IPS, Charles Murigande, ministre rwandais des Affaires étrangères et de la Coopération régionale.
Mais cette affirmation est contredite par Djuma Maanga, un quinquagénaire expatrié tanzanien, enseignant à l'Institut de science et de technologie de Kigali. "Il n y a aucune raison qui puisse justifier que ces expulsés avaient déjà obtenu la nationalité tanzanienne. C'est une manière de chercher des boucs émissaires pour montrer que leur expulsion est fondée sur un motif politique", dit-il à IPS.
Par ailleurs, une réunion tripartite sur cette affaire a regroupé, en juin 2006 à Kigali, des officiels rwandais, tanzaniens ainsi que les représentants du HCR.
Au cours de cette rencontre, le chef de la délégation de la Tanzanie, Harima Kasunga, a déclaré que la cause principale de l'expulsion de ces rwandophones était notamment liée à une l'insécurité qui prévaut depuis des mois dans cette partie tanzanienne frontalière avec le Rwanda.
Mais cette déclaration tanzanienne est contestée par Murigande. "Il est déplorable que ces Tanzaniens rwandophones continuent d'être chassés, alors que tout le monde reconnaît que ce pays est connu pour son engagement au respect de la charte africaine an matière des droits de l'Homme".
Michel Kalisa, un politologue rwandais, qui a rédigé un travail de fin d'études sur la problématique des réfugiés rwandais en Afrique centrale et de l'est à la fin des années 1990, estime qu'une telle situation est incompréhensible.
"Le statut de ces Tanzaniens rwandophones n'a jamais été contesté car au début des années 70, l'ancien président tanzanien Julius Nyerere leur avait octroyé la nationalité tanzanienne" , affirme Kalisa à IPS. "Depuis des siècles, les Rwandais vivaient en Tanzanie parce qu'ils y avaient constitué des royaumes avant la colonisation" .
De son côté, le HCR se dit préoccupé par ces expulsions. Dans un communiqué publié déjà en novembre 2006, Tane Bamba, représentant du HCR à Kigali, avait déclaré que les populations expulsées n'étaient pas des réfugiés en Tanzanie. "Ils ne sont pas sous le mandat du HCR, mais nous allons intervenir simplement comme tout autre organisation humanitaire face à cette crise".
Commentaire de P. Bagilishya::