Samedi 3 septembre 2011603/09/Sep/201115:07
Dans quelques jours, Nicolas
Sarkozy recevra en grande
pompe Kagamé, le Président
rwandais qui accuse la France,
et notamment Alain Juppé, le
ministre français des affaires
étrangères de complicité avec
les génocidaires.
Parallèlement, des croisés en
lien avec le régime rwandais
traquent des Hutus présumés
génocidaires en tentant de
forcer la main à la justice
française. Pierre Péan dénonce
leurs actions.
Pierre Péan
Alors que Nicolas Sarkozy
s’apprête à dérouler le
tapis rouge à Paul Kagame,
le dictateur rwandais qui
accuse l’armée française et
quelques responsables
politiques, dont Alain
Juppé, de complicité de
génocide, le régime de
Kigali fait feu de tout bois
pour traquer en France ceux
qu’il désigne comme des «
génocidaires ».
Il dispose pour cela de deux
dénonciateurs de Hutus. En
liaison étroite avec Martin
Ngoga, procureur général de
la République du Rwanda, et
Tony Kuramba, chef de la
section rwandaise
d’Interpol, Alain Gauthier
et Jean-François Dupaquier
traquent les prétendus
génocidaires installés en
France avec des méthodes
dignes de la Stasi : ils
harcèlent les maires des
communes où vivent les
Rwandais «
recherchés » par Kigali,
envoient des lettres
infâmantes sur les avocats
qui osent les défendre, et
sur les gens qui, comme moi,
ne partagent pas leur
analyse de la tragédie
rwandaise. Et ce qui est
beaucoup plus grave, ils
rendent la vie impossible à
des Rwandais installés en
France. J’ai vécu de près le
harcèlement dont sont
victimes le père Wenceslas
Munyeshyaka, le docteur
Eugène Rwamucyo et plus
récemment un Rwandais
habitant à quelques
centaines de mètres de chez
moi, à Bouffémont.
Courroies de transmission du
pouvoir rwandais, ils sont
devenus les principaux
interlocuteurs de la Justice
française, mais aussi des
législateurs et de la
presse. Sous les habits
respectables des Wiesenthal
et Klarsfeld qui ont
construit eux-même des fonds
d’archives impressionnant,
avec pour seul souci la
justice et la vérité, ils
ont réussi à dissimuler leur
tenue de délateurs. De plus,
le génocide rwandais n’a
rien d’assimilable à la
Shoah. Une instruction en
Espagne et
un
rapport de l’ONU
parlent d’un possible crime
de génocide commis par le
régime FPR de Kigali contre
les Hutus, pourchassés
jusqu’en République
démocratique du Congo.
De façon naïve et/ou lâche,
les décideurs politiques
français font comme si le
régime de Kigali était
démocratique et que sa
justice fonctionnait selon
les mêmes critères de
séparation des pouvoirs et
d’indépendance qui valent en
France. Or la justice
rwandaise est un des
instruments utilisés par le
pouvoir pour contrôler les
Hutus de la diaspora, en
particulier en France : sur
eux pèse la menace que, du
jour au lendemain, leur vie
bascule, s’ils sont accusés
de crime de génocide. Sont
notamment visés les membres
de cette diaspora qui
pourraient avoir les moyens
de fédérer une opposition au
régime de Kigali.
Alain Gauthier a créé avec
sa femme, Daphroza
Mukarumongi, cousine du chef
d’état-major rwandais, une
petite entreprise familiale
de traque dénommée Collectif
des Parties civiles
rwandaises (CPCR). Tous les
deux ont d’abord milité,
après 1990, pour la victoire
du FPR et, après la victoire
de Paul Kagame en 1994,
madame Gauthier est devenue
la présidente de la
Communauté rwandaise de
France (composée en réalité
de Tutsis partisans du FPR),
en même temps qu’une
militante active de
l’association IBUKA. Par
souci d’efficacité, le
couple crée en 2001 le CPCR,
association dont les statuts
vont lui permettre de se
porter partie civile contre
les présumés génocidaires et
qui va lui permettre de
relayer en France des
traques judiciaires décidées
à Kigali.
Instituteur retraité,
Gauthier consacre tout son
temps et toute son énergie à
cette chasse. Il se rend
fréquemment au Rwanda, où il
a accès à toutes les
procédures en cours et
assiste souvent aux séances
de gacaca, cette juridiction
traditionnelle sans
magistrat ni avocat qui est
censée juger près d’un
million de Hutus, « petites
mains » du génocide. Une
fois son marché fait, tandis
que Martin Ngoga lance des
demandes d’extradition et
que Tony Kuramba fait
acheminer les éléments pour
qu’Interpol inscrive les
fiches de recherche
correspondantes, Gauthier
revient en France, porte
plainte contre les cibles
définies à Kigali et leur
pourrit la vie : il commence
par organiser un tapage
médiatique qui aboutit
souvent à la perte du
travail par les personnes
visées, à un passage en
prison et à l’impossibilité
d’obtenir un titre de
séjour. Le CPCR affiche sur
Internet les 16 dossiers
qu’il suit, et ne cache pas
son lien intime avec le
ministère de la Justice du
Rwanda. L’entreprise CPCR
est souvent aidée par le
couple Dupaquier.
Jean-François Dupaquier est
journaliste, marié à une
Rwandaise tutsie militante
FPR depuis longtemps. C’est
Dupaquier qui, après avoir «
pourri » l’existence du
père Wenceslas depuis une
quinzaine d’années, a
organisé avec le maire de
Sannois (95) l’arrestation
illégale, le 26 mai 2010, du
docteur Eugène Rwamucyo.
Lequel qui avait déjà perdu
son travail à la suite d’une
campagne médiatique.
Rwamucyo a passé tout l’été
2010 en prison.
Même si parmi l’ensemble des
Hutus réfugiés en France se
cachent probablement des
personnes impliquées dans le
génocide, les Gauthier et
les Dupaquier n’ont
néanmoins aucune légitimité
à se substituer à la Justice
de notre pays qui fait son
travail, en dépit de ce
qu’ils en pensent.
A lire dans Marianne N° 750
: Rwanda. Juppé aux abonnés
absents, par Jean-Dominique
Merchet (p.53).