RWANDA: Extrait du rapport 2003 d'Amnesty International
RÉPUBLIQUE RWANDAISE
CAPITALE : Kigali
SUPERFICIE : 26 338 km²
POPULATION : 8,1 millions
CHEF de l’ÉTAT : Paul Kagamé
CHEF du GOUVERNEMENT : Bernard Makuza
PEINE DE MORT : maintenue
COUR PÉNALE INTERNATIONALE : Statut de Rome non signé
Des « disparitions », des arrestations arbitraires, des mises en détention
illégales, des actes de torture et des mauvais traitements contre des détenus
ont été signalés cette année. Au moins 40 personnes ont été condamnées à
mort pour des crimes commis pendant le génocide de 1994 ; aucune exécution
n’a eu lieu. À la fin de 2002, on comptait environ 112 000 personnes en
détention ; environ 100 000 d’entre elles étaient soupçonnées
d’avoir pris part au génocide. Nombre de détenus étaient incarcérés
depuis longtemps sans inculpation ni jugement, dans des conditions
s’apparentant à une forme de traitement cruel, inhumain ou dégradant. Les
procès de personnes soupçonnées de génocide se sont poursuivis devant le
Tribunal pénal international pour le Rwanda, qui siégeait à Arusha, en
Tanzanie. Dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC), l’armée
rwandaise et ses alliés ont tué des civils, commis des actes de torture –
notamment des viols – et ont été à l’origine de « disparitions » ;
en outre, ils ont systématiquement harcelé les défenseurs des droits humains.
Nombre d’auteurs de violations des droits humains commises aussi bien au
Rwanda que dans l’est de la RDC, notamment les agents des forces de sécurité,
ont continué à jouir de l’impunité. Les graves atteintes aux droits humains
perpétrées par des membres des forces de sécurité de l’État étaient généralement
passées sous silence. Plusieurs personnes ont été arrêtées en raison de
leurs liens présumés avec des personnalités de l’opposition.
Contexte
Le Rwanda a connu un climat de plus grande sécurité cette année, car il n’a
fait l’objet d’aucune nouvelle attaque de la part des groupes armés
d’opposition. Néanmoins, la permanente obsession sécuritaire a donné lieu
à de nouvelles atteintes aux droits humains. En juillet, les gouvernements du
Rwanda et de la RDC ont signé un accord bilatéral. Le gouvernement rwandais
s’est engagé à retirer ses troupes, tandis que la RDC promettait de
regrouper, désarmer et rapatrier les combattants des groupes armés
d’opposition rwandais. La Mission de l'Organisation des Nations unies en République
démocratique du Congo (MONUC) a confirmé le retrait complet des troupes
rwandaises le 4 octobre – retrait vérifié par le Mécanisme de vérification
de la tierce partie le 24 octobre. Mais de nombreux témoignages ont fait état
du retour subséquent de soldats rwandais en RDC.
Un projet de Constitution a été soumis à l’Assemblée nationale le 7
novembre, et un référendum constitutionnel devait avoir lieu au mois de mars
2003. Par ailleurs, des élections législatives et présidentielle sont prévues
en 2003. Rien n’indiquait que la nouvelle Constitution autoriserait les
groupes d’opposition à participer pleinement à ces élections. Le
gouvernement conservait un contrôle quasi complet sur l’ensemble du pays,
tant du point de vue politique et militaire qu’économique, réduisant au
silence toute critique ou tentative de mise en cause de son autorité.
À la fin de l’année, les 23 478 Rwandais réfugiés en Tanzanie avaient
presque tous été rapatriés. Ce rapatriement est intervenu à la suite de
consultations informelles entre le gouvernement de Tanzanie, celui du Rwanda et
le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR).
Au mois d’août, le gouvernement rwandais a commencé à renvoyer de force une
partie des réfugiés congolais – ils étaient plus de 30 000, composés
majoritairement de Tutsi originaires de la région du Kivu – qui avaient fui
la RDC en 1995 et en 1996 pour échapper aux persécutions des milices
Interahamwe. À la mi-septembre, quelque 8 500 réfugiés avaient été
renvoyés chez eux. Le HCR a protesté contre ces renvois. Les autorités
locales rwandaises et les responsables du Rassemblement congolais pour la démocratie–Goma
(RDC–Goma), un groupe armé d’opposition soutenu par les Rwandais, auraient
exercé des pressions sur ces gens pour qu’ils rejoignent les rangs du
RDC–Goma. L’opération de renvoi forcé se poursuivait à la fin de l’année,
quoique à un rythme moins soutenu.
« Disparitions »
Bien que des dizaines de « disparitions » aient été signalées,
aucune enquête indépendante n’a été menée. Parmi les personnes « disparues »,
beaucoup avaient servi au sein des forces de sécurité ou étaient des
sympathisants présumés de partis d’opposition.
* François Matabaro, un soldat du 23e bataillon des Forces de défense
rwandaises, a « disparu » le 29 octobre. Il avait apparemment quitté
sans autorisation le camp militaire de Kigali pour retourner chez ses parents.
Huit hommes en civil, dont certains étaient armés, sont venus l’arrêter au
domicile des parents de sa femme. François Matabaro a été vu pour la dernière
fois alors qu’un homme armé le forçait à monter à bord d’un véhicule.
L’Auditorat militaire et les responsables du camp militaire de Kigali ont dit
à la famille qu’ils ignoraient tout de cette affaire.
Détention arbitraire
Plusieurs personnes soupçonnées d’avoir critiqué le gouvernement ou d’être
en lien avec des détracteurs du pouvoir en place ont été détenues sans
inculpation ni jugement.
* Le 24 avril, 11 personnes ont été arrêtées dans la commune de Gaseke
(province de Gisenyi). Au mois de mai, 13 autres personnes étaient interpellées
dans la ville de Kigali, apparemment en raison des liens – parfaitement légaux
et non violents – que toutes entretenaient avec l’ancien président et
personnalité de l’opposition Pasteur Bizimungu, qui était emprisonné (voir
plus loin). Toutes ces personnes, sauf six, avaient été relâchées à la fin
de l’année ; deux d’entre elles auraient été contraintes de signer des
aveux avant d’être remises en liberté.
Torture et mauvais traitements
Des personnes ont été passées à tabac par les forces de sécurité à la
suite de leur arrestation. Étaient plus particulièrement visées les personnes
soupçonnées d’être en contact avec l’un ou l’autre des partis
d’opposition. La plupart étaient détenues dans des conditions de
surpopulation et d’hygiène effroyables s’apparentant à une forme de
traitement cruel, inhumain ou dégradant, et qui ont causé la mort de plusieurs
d’entre elles. Des femmes auraient été victimes de brutalités et de
violences sexuelles, y compris de viols. Selon certaines informations, des
personnes ayant avoué avoir commis des crimes pendant le génocide ou ayant
participé à des activités politiques illégales auraient fait ces « aveux »
sous la contrainte. En outre, dans le but d’obtenir d’elles des informations
mettant en cause leurs maris, des femmes auraient été soumises à des décharges
électriques et violées.
* Jean Kayiranga a été arrêté en février 1995 pour le meurtre d’un jeune
garçon, Kalisa, durant le génocide. Lors de son procès, qui s’est ouvert à
Gitarama le 24 juillet 2001, cet homme est revenu sur ses « aveux »,
déclarant qu’ils lui avaient été arrachés sous la torture. Plusieurs témoins
ont en outre affirmé qu’il n’était pas présent au moment du meurtre. Le
11 février, Jean Kayiranga a été acquitté.
Procès pour génocide
Au cours de l’année, quelque 1 300 personnes ont été jugées pour des
faits liés au génocide de 1994, soit environ le même nombre qu’en 2001. À
la fin de 2002, les chambres spécialisées, qui ont commencé à fonctionner en
décembre 1996, avaient jugé quelque 7 700 personnes soupçonnées
d’avoir pris part au génocide. Dans de nombreux cas, les procès n’ont pas
respecté les normes internationales en matière d’équité. Au moins 40 accusés
ont été condamnés à mort, mais il n’y a pas eu d’exécution.
Le nombre relativement peu important de procès tenus au cours de l’année
s’expliquait par l’interruption provisoire de la transmission des dossiers
aux juges, le transfert de détenus devant des chambres itinérantes, le désengagement
progressif d’Avocats sans frontières et d’autres organismes non
gouvernementaux qui aidaient les tribunaux dans leurs tâches, et de la mise en
place des tribunaux gacaca.
Tribunaux gacaca
Pendant six semaines à partir du 6 avril, quelque 254 162 magistrats non
professionnels appelés à siéger dans des tribunaux gacaca ont reçu durant
plusieurs jours une formation destinée à les familiariser avec les principes
élémentaires du droit, la gestion des groupes, le règlement des conflits, la
déontologie judiciaire et le comportement à adopter vis-à-vis des victimes de
traumatismes.
Les tribunaux gacaca, mis en place le 18 juin, n’ont véritablement commencé
à fonctionner que dans 73 cellules pilotes, choisies afin que l’on y expérimente
ce système de justice communautaire. Le 25 novembre, 673 autres cellules
accueillaient des tribunaux gacaca, et il était prévu que 8 258 autres
tribunaux soient en activité en mars 2003.
Des préoccupations se sont toutefois exprimées quant à la capacité de ces
tribunaux à se conformer aux normes internationales élémentaires en matière
d’équité des procès, notamment en ce qui concerne l’égalité de
traitement de la défense et de l’accusation, la compétence, l’indépendance
et l’impartialité des magistrats, et les moyens de protéger efficacement
toutes les personnes appelées à participer aux séances et aux audiences
gacaca.
Le Tribunal pénal international pour le Rwanda
Les procès de personnes soupçonnées d’avoir joué un rôle majeur dans le génocide
se sont poursuivis devant le Tribunal pénal international pour le Rwanda (le
Tribunal). À la fin de l’année 2002, 61 personnes étaient en détention.
Sept procès concernant 22 accusés étaient toujours en cours fin décembre ;
deux d’entre eux avaient débuté en 2000, et trois en 2001. En juin et en août
se sont achevés deux procès ouverts respectivement en 2000 et en 2001, mais
les jugements définitifs n’avaient pas encore été rendus à la fin de
l’année 2002.
L’Angola, le Cameroun, la RDC et la Tanzanie ont arrêté cinq suspects qui
ont été remis au Tribunal pour être jugés. En 2000, le Congrès américain
avait modifié son programme intitulé Rewards for Justice (Récompenses pour
aider la justice) de façon à y inclure l’interpellation des personnes mises
en accusation par le Tribunal. En juin et en juillet, le programme a été élargi
afin de permettre l’arrestation de personnes vivant au Kenya ou en RDC. Deux
personnes auraient été arrêtées grâce à ce programme.
Le Tribunal a procédé en juillet à quatre réformes destinées à accélérer
les procédures et faire en sorte que les affaires importantes soient jugées
avant 2008, date prévue pour la clôture du Tribunal. Désormais, le Tribunal
est habilité à transférer des personnes mises en accusation vers des
juridictions nationales susceptibles de les poursuivre, à désigner un avocat
dans une affaire si cela était dans l’intérêt de la justice, et à accepter
les déclarations écrites aussi bien que les dépositions orales.
Au mois de juin, le gouvernement rwandais a modifié sa réglementation relative
aux déplacements des témoins appelés à déposer devant le Tribunal, dans le
but, semble-t-il, de retarder le déroulement des procès. Deux procès en cours
ont été ajournés à plusieurs reprises en raison de l’absence des témoins.
En août, dans une lettre adressée au Conseil de sécurité des Nations unies,
la présidente du Tribunal accusait le gouvernement rwandais de ne pas vouloir
coopérer avec le Tribunal. En réponse, le gouvernement a stigmatisé « la
mauvaise gestion, l’incompétence et la corruption » du Tribunal. Le
gouvernement a en outre déclaré qu’il n’aiderait pas le procureur du
Tribunal à enquêter sur les crimes de guerre présumés commis par les soldats
de l’Armée patriotique rwandaise (APR) durant le génocide et au cours du
conflit armé qui avait porté l’actuel gouvernement au pouvoir.
Justice internationale
Cette année encore, d’autres États ont fait juger par leur juridiction
nationale ou ont expulsé de leur territoire des personnes accusées
d’infractions liées au génocide de 1994.
* En janvier, un homme d’affaires et deux religieuses catholiques condamnés
à des peines d’emprisonnement à Bruxelles le 8 juin 2001 pour des crimes de
guerre commis pendant le génocide, et qui demandaient une révision de leur
procès, ont vu leurs pourvois rejeté par la Cour de cassation belge. En
juillet, les deux religieuses ont introduit une requête auprès de la Cour
européenne des droits de l’homme en affirmant que la Belgique n’avait pas
respecté leurs droits au titre de la Convention européenne des droits de
l’homme. L’affaire était toujours pendante fin 2002.
* À la fin de l’année, un Rwandais arrêté aux États- Unis en décembre
2001 et accusé de génocide était toujours en détention dans l’attente de
son expulsion. C’était la première affaire de ce type traitée par les
services américains d’immigration et de naturalisation.
Liberté d’expression
La presse et l’opposition politique, mais également tout élément de la société
civile exprimant une opinion différente de celle du gouvernement ou critique à
son égard, étaient en permanence exposés au risque de voir leur liberté
d’expression mise en cause. L’autocensure était généralisée, et il était
impossible, notamment pour les journalistes, d’aborder certains sujets. Au
cours de l’année, un certain nombre de journalistes ont été écroués,
expulsés ou contraints à l’exil.
* Le 27 janvier et le 2 février, trois membres de l’Association Modeste et
Innocent (AMI) ont été arrêtés et placés en détention à Butare. L’AMI
est une organisation non gouvernementale rwandaise œuvrant en faveur de la paix
et de la réconciliation nationale ; elle tire son nom de deux de ses
fondateurs, Modeste Mungwarareba et Innocent Samusoni. L’un des détenus,
Ignace Ndayahundwa, a été relâché au bout de quelques heure ; les deux
autres, Laurien Ntezimana et Didace Muremangingo, ont été maintenus en détention
pendant près d’un mois avant qu’un tribunal n’estime que les charges
retenues contre eux étaient sans fondement. Leur arrestation aurait eu un
rapport avec l’utilisation, dans un numéro de leur bulletin Ubuntu, du mot
ubuyanja, qui signifie « renouveau, renaissance » et qui est associé
à un parti d’opposition interdit, le Parti démocratique pour le
renouveau-Ubuyanja (PDRUbuyanja). À la fin de l’année, ces trois personnes
demeuraient sous la surveillance des autorités, et l’AMI n’avait pas été
autorisée à reprendre ses activités.
Liberté d’association et de réunion
Le Front patriotique rwandais (FPR) demeurait le seul parti politique autorisé
; les activités de toutes les autres formations politiques continuaient d’être
interdites.
* Pierre Gakwandi, secrétaire général du Mouvement démocratique républicain
(MDR), a été arrêté le 4 janvier après qu’il eut donné une interview
considérée comme une incitation à la « division ethnique ». Il était
toujours incarcéré à la prison centrale de Kigali à la fin de l’année.
* Pasteur Bizimungu et son allié politique Charles Ntakirutinka ont été arrêtés
en avril pour activités politiques illégales, une accusation liée à la création
en mai 2001 du PDR-Ubuyanja. Une cour de première instance a ordonné leur mise
en détention provisoire et la Cour d’appel de Kigali a confirmé leur détention,
bien qu’elle ait reconnu que plusieurs dispositions du Code de procédure pénale
n’avaient pas été respectées lors de leur premier procès. Leur procès,
qui s’est ouvert le 14 octobre, se poursuivait à la fin de l’année ;
les deux hommes devaient répondre de plusieurs accusations, notamment
d’incitation à la désobéissance civile.
Liberté de culte
La situation s’est dégradée en matière de liberté de culte. Les autorités
locales harcelaient les différentes Églises et organisations religieuses, qui
étaient tenues de justifier d’un statut juridique, de célébrer leurs
services dans des lieux de culte reconnus comme tels, et de demander
l’autorisation de célébrer des services ou de tenir des réunions le soir.
En outre, selon certaines informations, les autorités locales refusaient aux témoins
de Jéhovah le droit de réunion et de culte, et des membres de cette Église
ont été arrêtés.
* Sept membres d’une congrégation de l’Association des Églises pentecôtistes
du district de Gikondo, dans la ville de Kigali, ont été arrêtés et détenus
pendant quinze jours en novembre. Les 15 et 22 novembre, des membres de la Force
de police nationale et des Forces de défense locale avaient fait irruption dans
l’église et avaient attaqué les fidèles. À la fin de 2002, personne
n’avait été mis en cause dans cette affaire.
Exactions en République démocratique du Congo
L’APR et le RDC-Goma contrôlaient toujours de larges portions de territoire
dans l’est de la RDC. Ils étaient opposés aux forces régulières
congolaises appuyées par des groupes politiques armés, parmi lesquels
figuraient des rebelles rwandais. Les forces rwandaises et leurs alliés se sont
rendus responsables d’arrestations arbitraires, de mises en détention illégales,
d’exécutions illégales sur la personne de civils, d’actes de torture –
notamment des viols – et de « disparitions » (voir République démocratique
du Congo).
D’après de nombreuses informations, des membres du clergé catholique
auraient été victimes de violations commises par l’APR et les forces du
RDC-Goma soutenues par les Rwandais, notamment d’arrestations arbitraires, de
mises en détention illégales, d’assassinats et de « disparitions ».
En outre, des dignitaires religieux auraient été menacés de mort, des églises
auraient été pillées ou saccagées, et des soldats armés auraient violemment
interrompu des services religieux. Des défenseurs des droits humains et des
militants associatifs ont également été harcelés, placés en détention et
maltraités.
Organisations intergouvernementales
Le Groupe d’experts des Nations unies sur l’exploitation illégale des
ressources naturelles et autres richesses de la République démocratique du
Congo a remis son rapport définitif le 15 octobre. Les auteurs du rapport
faisaient observer que le retrait de l’APR n’avait eu que peu, voire aucune
incidence sur l’exploitation économique des ressources de la RDC par des
groupes criminels liés à l’APR.
Autres documents d’Amnesty International
Rwanda. Gacaca : une question de justice (AFR 47/007/02).