Vénuste Abdul Ruzibiza, le
témoin surprise
Colette
Brackman
Grand, souple, s’exprimant dans un français impeccable, Vénuste Abdul
Ruzibiza est le témoin clé du dossier du juge Bruguière. En mai dernier, à
la veille de l’opération « Artemis » qui vit l’armée française se déployer
à Bunia dans l’Ituri, nous l’avions rencontré à Kampala. Sans trop se
faire prier, il nous avait expliqué qu’en 1994, il faisait partie de
l’unité spéciale du FPR infiltrée dans Kigali, le fameux « network
commando » qui s’était chargé d’abattre l’avion du président
Habyarimana.
A l’époque, il était prêt à « vendre » son récit à qui aurait
voulu en faire un livre et il était déjà en contact avec les Français.
Ruzibiza n’était guère avare de détails, mais sur certains points, comme
le lieu d’où le missile avait été tiré (la colline de Massaka), il ne
nous paraissait pas convaincant et certaines de ses déclarations étaient
contradictoires.
Des anciens compagnons d’armes, membres du FPR à l’époque,
devaient nous expliquer que Ruzibiza, passé du bataillon 59 au bataillon 9 où
il avait le grade de lieutenant se trouvait, en avril 94, à Butare sur la
frontière ougandaise. Et donc pas dans la capitale. Par la suite, accusé de
malversations financières, il se réfugia en Ouganda. A Kampala, Ruzibiza fut
mis en contact avec la DGSE (les services français de la sécurité extérieure)
et en 2003 il fut même question de le faire participer à une offensive menée
par les FDLR (« Forces démocratiques pour la libération du Rwanda »,
mouvement d’opposition armé au régime de Kigali), offensive qui aurait eu
lieu au moment où l’opération « Artemis » se déployait à Bunia et
bloquait les rebelles pro-rwandais de l’UPC (Union des patriotes congolais).
Le président ougandais Museveni s’étant opposé à cette opération,
Ruzibiza, aujourd’hui réfugié en Norvège, fut envoyé à Paris où, protégé
par la DGSE, il collabora à l’enquête du juge Bruguière.
Du côté ougandais, cependant, les informations de Ruzibiza sont jugées
parfaitement crédibles. Elles corroborent le fait que le FPR, depuis 1990,
disposait de missiles sol-air d’origine soviétique, qui lui avaient été cédés
par l’armée ougandaise et avaient été utilisés contre deux appareils
Cessna, dans la région du Mutara, entraînant la mort du commandant Augustin
Ruberana.
Les milieux militaires ougandais affirment aujourd’hui qu’ils
savaient parfaitement qu’en 94 le FPR, censé disposer de six cents hommes
au CND (le Parlement rwandais) avait en réalité deux mille hommes disséminés
dans Kigali. Par contre, ils assurent que l’attentat les a pris par
surprise, que le président Museveni a désapprouvé ce type d’action (comme
il devait par la suite condamner l’assassinat de Kisase Ngandu, un compagnon
de Laurent Désiré Kabila, liquidé en janvier 97 par des hommes du même «
network » dirigé par le commandant Nziza).
A Kampala, on assure aujourd’hui que le recours aux assassinats
politiques est l’une des raisons de la brouille entre les présidents
Museveni et Kagame.