Mot
de circonstance à l’occasion de dix ans de la date du 06 Avril
1994 au Rwanda |
6
AVRIL 1994 -
6 AVRIL 2004 : 10 ans d’un événement lugubre ; devoir
de mémoire.
Pourquoi
s’en souvenir ?
Aujourd’hui,
nous avons voulu rendre hommage au Président
Juvénal HABYARIMANA et à tous ceux qui avaient péri avec lui
dans l’avion ainsi qu’à tous ceux qui ont eu à trouver la mort à la
suite des évènements déclenchés par l’attentat terroriste du 6 avril au
Rwanda.
Nous
avons voulu nous souvenir , chacun en ce qui le concerne de notre parcours
depuis une décennie . Parcours
pleins d’embûches. Parcours miraculeux pour nous les rescapés des différentes
épisodes macabres du calvaire de l’exil. Nous louons l’Eternel qui a su
nous préserver.
Nous
avons voulu éclairer la lanterne de vous autres sur la situation
apocalyptique vécue par les rwandais dans ses aspects les moins médiatisés
jusqu’à présent pour que vous puissiez d’une façon ou d’une autre
apporter votre pierre à l’édifice de la Vérité, de la paix et de la Réconciliation
au Rwanda.
Nous
voulons jeter les jalons d’une nouvelle pensée pour un avenir plus plein
d’espoirs.
Nous
voulons lancer un cri d’appel aux
décideurs de ce monde pour que enfin la vérité puisse éclater au grand
jour , et que les innocents citoyens
puissent retrouver la paix et la liberté.
En
réclamant que toute la lumière soit faite sur l’élément déclencheur du
drame à savoir l’attentat terroriste du 6 Avril 1994, nous n’avons donc
pas l’intention de ressusciter les vieux démons
Le
6 avril 1994 à 20h 25’, l’agression , déclenchée depuis le 1er
Octobre 1990 à partir de l’OUGANDA par d’anciens exilés regroupés au
sein du Front Patriotique Rwandais (FPR), culmine par l’attentat terroriste
contre l’avion présidentiel.
Plusieurs
sources s’accordent sur le fait que tout commence à Dar-es- Salaam en
Tanzanie où un étrange sommet réunissait plusieurs Chefs d’Etat de
l’Afrique Australe sans ordre du jour ni plan de travail précis et dans
lequel le Président Rwandais Juvénal HABYARIMANA et son homologue Burundais
étaient les principaux invités. Le Chef de l’Etat Zaïrois devait faire
partie du groupe mais il s’est désisté pour des raisons de sécurité. En
fait , MOBUTU savait que cette réunion était une farce. Il savait plutôt
qu’elle se terminerait plutôt mal.
Dans
la salle où se réunissaient les Présidents africains, on parlait et
reparlait de tout et de rien. Pour des raisons obscures, ce sommet sans tête
ni queue, qui prétendait traiter de la situation du Burundi, n’en finissait
plus. Le Président Ougandais Yoweri MUSEVENI, arrivé avec deux heures de
retard va multiplier les généralités et les digressions sur la démocratie
et la paix. Le Rwanda tiendra longtemps la vedette au point que le Chef de
l’Etat du Burundi passera son temps à se tordre d’ennui.
HABYARIMANA,
voyant le temps s’écouler, va demander au Président tanzanien MWINYI, qui
accueille la réunion, si son homologue burundais et lui peuvent passer la
nuit en Tanzanie.
Le
Chef de l’Etat tanzanien lui répondra que rien n’a été prévu dans ce
sens. C’est alors que HABYARIMANA dit au Président burundais NTARYAMIRA
Cyprien qu’il vaut mieux partir pour éviter d’arriver trop tard. Cette réunion
de dupes va se terminer comme elle a commencé : dans le brouillard et
l’improvisation, les deux Chefs d’Etat du Rwanda et du Burundi vont se précipiter
à l’aéroport pour prendre l’avion. Juste avant d’embarquer, on leur
tend un communiqué rédigé à la hâte pour qu’ils y apposent leurs
signatures. Ce sera fait immédiatement.
La
teneur de ce communiqué n’a jamais été
publiée . Nous apprendrons toutefois que le Président Juvénal
HABYARIMANA venait de signer la finalisation de la mise en place des autres
Institutions de Transition telles que prévues dans les Accords de Paix
d’Arusha qui avaient consacré la fin de la guerre le 4 Août 1993.
Il
est presque 18 H 30 lorsque le
Falcon 50 No 9XR-NN du Président Juvénal HABYARIMANA décolle de
Dar-es-Salaam avec douze passagers à bord.
-
Le Chef de l’Etat Rwandais Juvénal
HABYARIMANA accompagné du Chef
d’état major de l’armée, Déogratias NSABIMANA alias Castard, du
Conseiller à la Présidence, Juvénal RENZAHO, du Secrétaire Particulier du
Président de la République, Elie SAGATWA, du Médecin du Président, le
Docteur Emmanuel AKINGENEYE , de l’officier d’ordonnance, le Major
Thaddée BAGARAGAZA ;
-
Le Chef de l’Etat Burundais, Cyprien
NTARYAMIRA accompagné de deux de ses Ministres : Bernard CIZA et
Cyriaque SIMBIZI ;
-
Les trois français : le major Jacky HERAUD (pilote), le colonel
Jean – Pierre MINABERRY ( copilote)et l’adjudant chef Jean-Marie PERRINE
(officier mécanicien)
Tout
ce monde quitte la Tanzanie sans savoir qu’il savoure les derniers instants
de la vie.
Après
environ deux heures de vol l’avion présidentiel arrive à Kigali. Au moment
où il amorce son atterrissage sur l’Aéroport International Grégoire
KAYIBANDA, un tir de missile le cueille en plein vol. Il semble cependant que
deux missiles aient été tirés et qu’un seul a touché sa cible. Ces
missiles étaient partis d’une ferme située à Masaka, près de la route
Kigali-Kibungo. Comme par miracle , l’appareil s’est écrasé dans le
jardin de la résidence du Chef de l’Etat .
Ainsi
le destin aura - t-il voulu que
le Président Juvénal HABYARIMANA achève sa course dans l’enceinte de son
Palais ?
(Source :
Charles ONANA ; Les secrets du génocide rwandais ; éditions MINSI ;
2001).
A
l’annonce de cet exécrable évènement venant de coûter la vie à douze
personnes dont deux Chefs d’Etats hutus, la grande majorité du peuple fut
consterné et pris de panique mais curieusement certains individus acquis à
l’idéologie démagogique du FPR crièrent eux à la victoire, sautèrent de
joie en clamant haut que le roi des hutus , Kinani ( l’invincible) leur
rempart venait de s’effondrer.
Subitement,
cette mort prit une dimension véritablement symbolique. Cette arrogance et
cette fierté à outrance furent perçues comme une injure provocatrice devant
une situation plutôt triste et douloureuse et brisa le reste de confiance
mutuelle entre les Rwandais, exacerba les tensions
ethniques que du reste les
protagonistes de la guerre du 1er Octobre1990 et des autres guerres
historiques dans leurs stratégies
militaro –politiques , médiatiques et diplomatiques avaient eu tendance à
réveiller ou à susciter.
Il
convient de rappeler que l’attentat du 06 Avril 1994 venait de sortir du
subconscient des Rwandais toute les personnes mortes dans les zones de Byumba
et de Ruhengeri ou sévissait la guerre Du FPR depuis le 1è Octobre 1990 ;
les assassinats des plusieurs personnes dans les zones dites tampons ( Zones sécurisées
entre les deux belligérants : Kidaho, Nkumba, Mutura, Kinihira …)
Cet
attentat a rappelé encore les assassinats macabres en dehors des zones de
combats entre 1992 et 1994 de hautes personnalités parmi lesquelles nous
citons :
-
GAPYISI Emmanuel : Président du Forum pour la Paix et Président
du Mouvement Démocratique Républicain (MDR)
dans la Préfecture de Gikongoro ; assassiné à Kigali en 1993 ;
-
GATABAZI Félicien : Secrétaire Général du Parti Social Démocrate
(PSD) et Personnalité très influente dans sa Préfecture de Butare ;
assassiné à Kigali en Février
1994 ;
-
BUCYANA Martin : Président de la Coalition pour la Défense de la
République (CDR) ; assassiné à Butare en Février 1994, un jour après
Gatabazi Félicien, de retour de chez lui à Cyangugu
-
RWAMBUKA Fidèle : membre du Comité Central du Mouvement Républicain
National pour la Démocratie et le Développement (MRND) ; tué chez lui
dans la zone de Bugesera dan Kigali rural ;
A
cela, il faut ajouter les attentats manqués contre certaines autres
personnalités après Août 1993
notamment :
-
MUGENZI Justin : Président du Parti Libéral (PL) ; de la Préfecture
de Kibungo ;
-
MBONAMPEKA Stanislas : Membre influent du Parti Libéral et ancien
Ministre de la Justice ; de la Préfecture de Ruhengeri
Il
faut noter que toute ces Personnalités assassinées ou ayant échappés aux
attentats sont toutes de l’ethnie Hutu.
Cet
attentat du 6 Avril 1994 mit donc le feu aux poudres et fit sombrer le pays
dans le chaos le plus total et les débordements les plus inhumains ou
sauvages.
Le
FPR dont un bataillon de 600 militaires avaient été cantonnés au Palais du
Parlement (CND) à Kigali
dans le cadre du processus de paix, reprit la guerre et la gagna trois
mois après avec un bilan trop
lourd.
Dans
le rang des dégâts matériels et humains : des millions de morts, des
milliers de blessés et mutilés, des milliers de prisonniers et de personnes
disparues, des familles disloquées ; la guerre et cette tragique
situation ont fait des milliers de déplacés à l’intérieur du Rwanda et
d’exilés dans les pays frontaliers, principalement la RDC et la TANZANIE,
l’OUGANDA, le BURUNDI et ailleurs dans le monde.
L’attaque
de la RDC (Ex-Zaïre) en Octobre – Novembre 1996 par le FPR sous la
couverture d’une rébellion interne des « Banyamurenge » :Tutsi
de la RDC, regroupé plus tard dans
l’Alliance des Forces Démocratique de Libération compte dans son triste
bilan la destruction de camps de réfugiés de l’Est de la RDC, le massacre
de centaines de milliers de personnes innocentes, le retour forcé et dans la
plus grande insécurité de ceux qui ont été encerclés qui ont échappé à
la mort.
Ceux
qui ont échappé à ce retour forcé n’ont eu qu’à prendre la voie de la
forêt équatoriale où ils ont été aussi pourchassés comme du gibier,
torturés et massacrés.
Les
rescapés de ces massacres répétés ont été dispersés : certains
restent enfouis dans les forêts de la RDC d’où ils sont encore dans
l’orbite de la chasse à l’homme du pouvoir de Kigali, d’autres ont pu
regagner les pays frontaliers de la RDC.
C’est
dans ce contexte que la République du Congo a enregistré un bon nombre de
ces rescapés vers Avril-Mai 1997.
En
République du Congo, comme partout ailleurs, ces Réfugiés ne sont pas
encore remis de leur odyssée, ils gardent les stigmates de leurs traumatismes
et traînent encore l’état de chagrin et de deuil.
Le
système FPR actuellement au pouvoir, exploitant le drame rwandais à son
profit a entrepris d’inculquer
sa vision des faits.
Cette
vision semble privilégier l’idée d’une seule portion de la population
seule victime innocente des malheureux évènements, l’autre étant
globalement considérée comme bourreau, coupable de tout.
La
même vision voit dans les membres du FPR présentée comme
‘’victimes’’, ou ‘’ libérateurs’’ qui sont
investis de tous les pouvoirs du monde pour poursuivre en vue d’anéantir
si non de détruire toute volonté ou toute
revendication perçue comme étant une émanation de
l’autre camp diabolisée par tous.
Sous
cet angle, la société semble catégorisée en deux classes distinctes: celle
des innocentes victimes, victorieuse et celle des bourreaux vaincus, humiliée
soumise à une justice du vainqueur sur le vaincu.
Ainsi,
partant de cette vision le système FPR se croit en droit de monopoliser le
pouvoir et fait tout pour se fermer à une quelconque ouverture.
Les
non inclus à son système son obligés d’accepter leur étiquette de
bourreaux, coupables, vaincus humiliés et tout le chantage qui leur est fait.
Appelés à courber l’échine sans velléités revendicatrices ou de véritable
opposition devant le sort que leur détermine le système de justice du
vainqueur sur le vaincu.
Cette
prétention arrogante de se comporter en système pur et
malheureusement le soutien inconditionnel et la bénédiction de certaines
grandes puissances à cette politique laisse le champ libre à tous les extrémismes.
Par
ailleurs, l’espoir qu’avait suscité la mise en place du Tribunal Pénal
International sur le Rwanda (TPIR) dont l’une des missions est de contribuer
à la réconciliation nationale et au rétablissement de la paix, commence à
s’estomper.
En
effet, le TIPR est apparemment tombé dans le piège de la partialité. On
dirait qu’il travaille sous l’influence de la vision ethniciste du conflit
ou de marchandages politiques.
Jusqu’à
présent les personnes inculpées, arrêtées et détenues appartiennent
toutes à une seule et même ethnie hutue.
La
Procureur Madame Carla Del Ponte qui voulait interroger certains hommes du
Front Patriotique Rwandais (FPR) et qui s’intéressait à l’enquête sur
l’attentat du 06 Avril 1994 ; n’a pas été du goût de tout le
monde. Elle a été transférée du tribunal d’Arusha (Tanzanie) à celui de
la Haye (ex Yougoslavie) curieusement en Août 2003, à la veille des élections
Présidentielles du Rwanda, par le conseil de Sécurité des Nations Unies.
Elle a été remplacée par le Gambien Hassan BOUBACAR Jialow.
Suivra
t-il la même ligne? Ouvrira t-il une enquête sur l’attentat du 06 Avril et
les massacres qui l’ont suivi?
Si
rien ne change, la réconciliation et la paix véritable auxquels devraient
aboutir la justice de ce Tribunal risque d’être un vœu pieux.
Par
ailleurs, il convient d’insister encore sur le fait que le conflit rwandais
n’est pas à banaliser ou à minimiser.
Ce
qui s’est passé qui se passe encore au Rwanda n’est pas moins profond ou
moins choquant que ce qui se passe dans certains pays africains notamment,
le Burundi, , la République de Côte d’Ivoire ; le Soudan, le Tchad,
la Sierra Léone ou ce qui s’est passé en République Démocratique
du Congo (RDC), en République du Congo, en RCA pour qu’on y passe un coup
d’éponge comme si de rien n’était.
La
Communauté Internationale, les Grandes Puissances, l’Union Africaine les
Organisations Régionales et Sous Régionales, les hommes et les femmes de
bonne volonté ne devraient pas
laisser le Rwanda continuer de
courir avec ce lourd contentieux.
Ce
conflit mérite, comme cela s’est vu sous d’autres cieux, d’être analysé
en profondeur et résolu de la manière la plus largement inclusive, la plus
consensuelle, la plus équitable, humaine et réaliste possible.
Au
risque de voir la société rwandaise se désintégrer
complètement, il est important que les Personnes Eclairées et de
Bonne Volonté puissent amener toutes les forces vives rwandaises de l’intérieur
comme de l’extérieur de toutes les sensibilités à s’asseoir
ensemble, en vue de réfléchir en commun sur leur histoire, sur les réalités
présentes et envisager ensemble pour le Rwanda un avenir avec plus
d’espoirs.
En
conclusion ; il sied de souligner que le 6 avril 1994 , l’assassinat du
Président Juvénal HABYARIMANA a fait vivre et continue de faire vivre le
Rwanda un des drames les plus
tristes de l’ histoire.
Les
quelques bénins clivages sociaux qui existaient se sont considérablement
aggravés à la suite de la guerre d’octobre 1990, et ont atteint leur
paroxysme à l’assassinat du Président et des massacres politico-ethniques
de 1994 et du phénomène de réfugiés avec tous les malheurs endurés.
Cet
état de faits porte encore en lui les germes du conflit qui si l’on n’y
prend pas garde adéquatement risque de continuer d’endeuiller le Rwanda.
Par
ailleurs, s’il est vrai qu’il faille un dialogue pour conduire à la réconciliation ;
il faut noter que cette réconciliation ne peut aller sans pardon mutuel.
Ainsi
ce Dialogue devra se départir de l’idée fausse qui accorde une sorte
d’autorité morale ou de suprématie au système FPR pour avoir, dit-on,
‘’arrêté le génocide’’ et qui de ce fait se pose en censeur, en
justicier, en victime devant qui tous les autres doivent venir reconnaître
leur péché et se faire pardonner. Il faudra comprendre que dans le cas
rwandais il s’agira d’abord d’éclaircir le mystère qui entoure
l’attentat du 6 avril 1994 , aboutir à une reconnaissance non démagogique
des responsabilités des uns et des autres dans la tragédie rwandaise et
traduire les véritables coupables qui qu’ils soient
devant une justice équitable susceptible de favoriser un pardon mutuel
qui ne sera pas dicté par des calculs politiques ou politiciens.
Fait
à Brazzaville, le 6 Avril 2004.
La
Présidente de la Communauté
MUKANTABANA
Séraphine.