Polémique sur un attentat
(Liberation 06/04/2005)


Chaque 6 avril, au moment de commémorer le génocide de 1994 au Rwanda, c'est la même chose. Des révélations «fracassantes» sont censées jeter un nouveau jour. Cette année, c'est le colonel Luc Marchal qui s'y colle. L'ex-chef du contingent belge de la Minuar, la force de l'ONU qui a assisté impuissante au massacre de 800 000 civils tutsis et opposants hutus, accuse aujourd'hui le Front patriotique rwandais (FPR) de l'actuel président Paul Kagame d'avoir abattu l'avion présidentiel au soir du 6 avril 1994 au-dessus de la capitale Kigali, donnant le coup d'envoi du génocide. La charge est grave. Elle reprend la thèse du juge Bruguière, chargé d'instruire l'enquête française, d'après des fuites publiées l'année dernière par le Monde.

Le témoignage de Marchal, qui porte comme une croix l'assassinat de dix de ses hommes et le retrait honteux des Casques bleus belges, s'appuie sur des déductions plus que des révélations. «Comment se fait-il que le FPR ait fait mouvement avant même l'attentat ? s'interroge-t-il. Comment expliquer qu'il ait mis trois mois à prendre Kigali alors qu'il en avait les moyens ?» La conclusion fait froid dans le dos : Marchal accuse «les Tutsis de l'extérieur (le FPR de Kagame, ndlr) d'avoir provoqué l'élimination des Tutsis de l'intérieur pour prendre leur place et renverser le régime hutu de Juvénal Habyarimana». En outre, il accuse les Etats-Unis d'avoir supervisé, voire élaboré, cette machination pour damer le pion à la France et s'emparer des richesses de l'Afrique centrale. Aujourd'hui encore, Washington empêcherait que la vérité éclate. Le FPR, qui voit dans les «révélations» de Marchal (1) un nouveau mauvais coup des autorités françaises, a répliqué en demandant que certaines «autorités politiques et militaires françaises» soient poursuivies pour leur implication dans le génocide.

Après la contrition lyrique du général Roméo Dallaire, ex-commandant de la Minuar, et l'incompétence cynique affichée par Jacques-Roger Booh Booh, ex-représentant spécial de l'ONU, c'est au tour de Marchal de chercher à se dédouaner de la tragédie rwandaise. Par l'élucubration géopolitique.

Par Christophe AYAD

mercredi 06 avril 2005 (Liberation - 06:00)

(1) Silence sur un attentat, le scandale du génocide rwandais, dir. par C. Onana, éd. Duboiris.




 

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