Rwanda : aux origines du génocide.
Un commandant de la Mission des Nations Unies
(MINUAR) parle.(Colonel Marchal)
Plusieurs données et témoignages récents permettent de mieux comprendre les
circonstances du déclenchement du génocide de 1994 au Rwanda. Ainsi le
témoignage du Lieutenant Ruz Ibiza sur l’implication directe du général Kagamé
dans l’attentat contre l’avion des présidents du Rwanda et du Burundi
constitue-t- il un élément d’information majeur. Il éclaire les responsabilité
s dans ce qui fut l’événement déclencheur, voire le fait générateur du
génocide. Dans le même sens, le général Lafourcade s’interrogeait dans « Le
Monde » et dans La Croix sur la stratégie globale du général Kagamé et sur les
raisons de la poursuite de l’offensive de son armée du FPR dans le nord Kivu
(Congo).
Officier supérieur belge, j’ai exercé les
fonctions de commandant du secteur de Kigali au sein de la MINUAR (Mission des
Nations Unies pour le Rwanda) de décembre 93 à avril 94. Je souhaite apporter
ma pierre à la compréhension de ce qui s’est passé avec les éléments suivants,
qui ont étayé ma propre évaluation :
-
les responsables
des Forces Armées Rwandaises (FAR), avec lesquels le Général Dallaire
(commandant de la composante militaire de la MINUAR) et moi-même nous sommes
retrouvés en réunion deux heures après l’attentat, étaient, de toute évidence,
totalement étrangers à cet acte. Les sentiments qui prévalaient à ce moment là
étaient la stupéfaction, l’inquiétude, la crainte que la situation n’échappe à
tout contrôle, et surtout la volonté de mettre sans retard les institutions de
transition en place. En outre, aucun dispositif particulier, destiné à
garantir la réussite d’un éventuel coup d’Etat, n’a eu lieu durant la nuit du
6 au 7 avril 1994 ;
-
par contre
l’offensive du FPR a bel et bien débuté durant cette même nuit ; or pour
amorcer un tel mouvement il est indispensable que des ordres aient été donnés
au préalable et qu’une mise en place des unités de première ligne ait été
effectuée 24 à 48 heures avant le déclenchement des opérations ;
-
aucune offensive
militaire de l’ampleur et de la durée (plus de trois mois) de celle du FPR ne
peut être menée sans la constitution de stocks importants d’équipements et de
matériels pour en assurer l’élan et la continuité ;
-
si le FPR a été
capable d’infiltrer dans Kigali au moins trois bataillons entre le 7 et le 12
avril, sans le moindre combat avec les FAR, il aurait aussi été capable
d’arrêter, si du moins cela avait été sa volonté, les massacres de civiles
innocents ;
-
au contraire,
toutes les tentatives d’aboutir à un cessez-le-feu, pour précisément mettre un
terme à ces massacres, ont essuyé une fin de non recevoir des autorités du FPR ;
-
la pugnacité avec
laquelle ces mêmes autorités ont exigé le départ des troupes étrangères venues
évacuer les expatriés, plutôt que de requérir leur collaboration pour stopper
net les massacres, est éminemment suspecte ; comme si le FPR craignait se voit
contré dans ses plans de conquête par la communauté internationale ;
-
tout aussi
interpellant est la durée de la guerre alors que la haute valeur militaire du
FPR aurait dû permettre une issue beaucoup plus rapide et donc un niveau de
pertes dans la population nettement moindre.
La liste n’est pas exhaustive, mais je pense
qu’elle est suffisamment explicite pour admettre qu’il y a plus qu’une
troublante corrélation entre l’attentat, l’offensive du FPR et les légitimes
interrogations que l’on peut avoir sur la stratégie du général Kagamé.
Quand va-t-on enfin comprendre que l’on se
trompe de combat dans la polémique en cours contre l’action de la France au
Rwanda ? Afin d’éviter que l’honneur des soldats français et belges soit mis
en cause, les autorités politiques de nos pays devraient exiger de l’ONU
qu’une commission d’enquête internationale soit chargée d’identifier les
commanditaires de l’attentat du 6 avril 1994. Qu’est ce qui justifie qu’un
mois et demi à peine après l’assassinat de l’ex-Premier ministre libanais
Rafic Hariri, l’ONU décide la mise sur pied d’une commission d’enquête, alors
que douze ans après l’assassinant de deux chefs d’Etat et, dans son sillage,
la mort de plusieurs millions d’êtres humains, rien n’a été fait pour savoir
qui est à l’origine de cet holocauste ?
Les responsables actuels du Rwanda, qui ont
systématiquement évincé la quasi-totalité des hutus présents au sein des
organes du FPR lors de leur prise de pouvoir, ont au contraire tout fait pour
que la vérité soit cachée. « Insupportable vérité » écrivaient récemment à ce
sujet, MM A.Guichaoua et S.Smith…
Quand la vérité sera connue, et seulement à
ce moment là, on pourra en connaissance de cause porter un jugement de valeur
sur les motivations de l’engagement de la France au coté des Rwandais. A
défaut de preuve contraire irréfutable, je conserverai l’intime conviction que
la France fût un allié loyal du Rwanda, ce qui ne fût pas le cas de tout le
monde.
Colonel Luc Marchal