Une guerre sans fin ?
(Iwacu1.com 12/12/2005)

Au printemps 1994, le monde est stupéfié par les images du déchaînement de fureur et de violence qui s'est emparé d'un petit pays africain, au coeur de la région des Grands Lacs, le Rwanda : les corps d'hommes, de femmes et d'enfants tués à la machette, les charniers dans les villages vidés de leurs habitants, les figures des rescapés horriblement mutilés et traumatisés.

Jamais le continent noir n'avait connu des massacres d'une telle ampleur. Très vite, les médias opposent victimes, les tustis et bourreaux, les hutus ; et ils désignent les coupables de cette folie meurtrière sans précédent, qualifiée de génocide : la communauté internationale, la France Ainsi, l'histoire se fige-t-elle dans une version voulue et imposée par le vainqueur : Paul Kagame, chef des rebelles tustis du Front patriotique rwandais (Fpr). Mais Pierre Péan, auteur de « Noires fureurs, Blancs menteurs » démontre que le génocide de 1994 ne fut qu'un épisode dans une guerre civile et régionale ignorée, plus meurtrière encore, voulue depuis 1990, que le Fpr était prêt à tout pour conquérir le pouvoir à Kigali, y compris à sacrifier Hutus et Tutsi, que Paul Kagame apparaît comme le plus grand criminel de guerre en vie.

La guerre civile rwandaise n'a pas cessé en juillet 1994. Le conflit s'est porté au-delà de la frontière ouest du Rwanda, dans les provinces de l'est du Zaïre. La longue comptabilité des morts, après le génocide des « cent jours », n'a toujours pas pu être arrêtée: Tutsis, Hutus, populations déplacées et réfugiées dans des camps... Le bilan ne fait que commencer. Pourtant, de cette guerre sans fin - pour combien de temps encore?, qui a déstabilisé toute la région des Grands Lacs il n'est rien dit. Malheureusement, le génocide de 1994 n'en constitue qu'un épisode. Qui, bientôt, acceptera de reconsidérer cette guerre dans son ensemble, sur une période longue, depuis l'agression lancée par le Fpr contre le Rwanda en octobre 1990? Qui commencera d'écrire toute l'histoire de ce conflit majeur? Qui reviendra sur la stratégie du Fpr et de son leader Paul Kagame?

Le « plus grand criminel de guerre encore en vie », selon le mot de Reyntjens, a raison de détester la France. Longtemps elle a été le seul véritable obstacle à son entreprise de conquête du pouvoir et d'expansion territoriale - tout au moins d'expansion de son influence régionale - par les massacres et la terreur. Pendant trois années, Paul Kagame a dû ronger son frein: par son entremise diplomatique, par son assistance technique et militaire au gouvernement rwandais, Paris lui barra la route de Kigali et contraignit les deux parties à une tentative de solution politique équilibrée. Kagame ne put user de la force. Jusqu'au 6 avril 1994. Dès le lendemain du coup d'État qui vaut déclenchement des hostilités, parce que Paris, déjà, entrevoit le coût humain de la guerre, le gouvernement français tente de mobiliser la communauté internationale. L'opération Turquoise fut certes décidée tardivement, alors que les massacres avaient déjà dépassé par leur ampleur tout ce que l'entendement humain peut supporter. Cependant, deux mois durant, elle a non seulement arrêté la chasse au Tutsi, mais elle a aussi stoppé la chasse au Hutu sur une partie du territoire rwandais. Cette opération constitua une réelle action d'interposition et de dissuasion dans le conflit. Quelques jours avant de quitter la zone humanitaire sûre (Zhs), les pilotes des Mirages basés à Kisangani ont été tout près de larguer leurs bombes sur les artilleurs du Fpr qui avaient pris pour cibles les camps de réfugiés autour de Goma, en territoire zaïrois. L'amiral Lanxade, chef d'état-major des armées, par la voix du général Lafourcade, leur avait donné l'autorisation, sans avoir à lui en référer, d'utiliser leurs missiles si les forces du Fpr décidaient, malgré les avertissements, de poursuivre leur sinistre besogne de pilonnage des populations civiles. Un vol en rase-mottes suffit à faire comprendre aux lnkotanyi le message français. Aucune bombe made in France n'eut besoin d'être larguée...

En août 1994, les militaires de Turquoise quittèrent le pays. Dès lors, Paul Kagame sut exploiter à fond le sentiment de culpabilité d'une communauté internationale déjà meurtrie de n'avoir cessé de répéter «Plus jamais ça» lorsque l'ex-Yougoslavie s'entre-déchirait au coeur de l'Europe, et qui se réveillait soudain confrontée à un désastre humain plus considérable encore. Elle n'avait pas su arrêter le génocide? Lui, Paul Kagame, le « libérateur» y avait mis un terme. En s'en remettant au vainqueur, elle lui laissa les mains libres, lui accordqnt un permis de chasse au Hutu non seulement sur l'intégralIté du territoire rwandais, mais aussi sur celui de l'État voisin, le Zaïre. L'Apr traquera le gibier hutu jusque dans les lointaines forêts du Congo-Zaïre... La communauté internationale a détourné les yeux. Il ne faut rien dire, rien voir, rien entendre.

Elle ne lui demanda pas de comptes sur le bilan de la guerre civile et ses 1,1 million de morts, ses 2 millions de réfugiés, son million de déplacés à l'intérieur et ses centaines de milliers de traumatisés. La politique de Kagame a reçu un blanc-seing: le dictateur «gère» comme bon lui semble la question «hutu ». À l'intérieur du Rwanda, son déni de l'ethnisme lui sert à asseoir l'hégémonie des Tutsis pro-Fpr. Les élites hutu n'ont pas cessé d'être harcelées, emprisonnées, décimées: arrestations, disparitions et intimidations d'opposants et de ceux qui sont considérés comme tels sont le lot quotidien des Hutus. Tout Hutu est potentiellement classable parmi les «génocidaires ». Il suffit que le pouvoir de Kigali l'inscrive sur une liste, et la traque commence. Dans la région des Grands Lacs, depuis 1994, les droits de l'homme sont bafoués en toute impunité. Y règne une insécurité générale, si ce n'est bien souvent une guerre larvée qui chasse les populations rurales de leurs villages, les arrache de leurs champs et les jette dans la misère. La communauté internationale, comme paralysée, ne trouve rien à redire à cette désastreuse situation. L'existence même du rapport Gersony, document interne du Haut-Commissariat aux réfugiés rédigé en 1994 et qui concluait à des «massacres systématiques de grande ampleur de civils non armés» perpétrés par l'Armée patriotique rwandaise lors de la prise de pouvoir du Fpr, a été niée jusqu'en 2004. Depuis, on reconnaît qu'il existe, mais personne à l'Onu ne sait où il se trouve! L'Onu a une fois de plus été incapable d'arrêter les massacres de réfugiés hutu par les mêmes soldats de l'Apr, sous le fallacieux prétexte que ceux-là étaient des miliciens «génocidaires ».

Et, comble d'une odieuse ironie, la justice internationale, incarnée par le Tribunal pénal international du Rwanda à Arusha, cède constamment aux pressions de Kigali, refuse catégoriquement toute investigation mettant en cause le gouvernement en place et les militaires du Fpr. Le 28 août 2003, Paul Kagame a ainsi réussi à évincer Carla deI Ponte, procureur près le Tpir. Ce tribunal s'est jusqu'à aujourd'hui déconsidéré en écartant toute enquête sur l'attentat perpétré contre le Falcon 50 - que la plupart des experts considèrent désormais comme le facteur déclenchant des génocides. Pourtant, le jour où il sera formellement prouvé que Kagame a, en toute connaissance de cause, fait exploser l'avion présidentiel, c'en sera fini des faux-semblants et de l'équilibre de la terreur que le dictateur rwandais a imposé à tous. Y compris à Kofi Annan lui-même qui, dans une lettre au Conseil de sécurité du 29 juin 1998, reconnaissait que Laurent-Désiré Kabila, l'homme installé à Kinshasa par Kagame, avait empêché l'Onu de mener une enquête sur les massacres commis dans l'Est du Zaïre par les militaires Fpr: « Il est profondément regrettable que, entre la date où elle a été déployée pour la première fois, en août 1997, et son retrait en 1998, l'équipe n'ait pas été autorisée à accomplir sa mission pleinement et sans entrave. Néanmoins, en dépit des difficultés décrites dans le rapport, l'équipe a pu parvenir à un certain nombre de conclusions qui sont étayées par de solides preuves. Deux de ces conclusions retiennent l'attention: « La première est que toutes les parties aux violences qui ont déchiré le Zaïre, en particulier ses provinces orientales, durant la période de l'examen, ont commis de graves violations des droits de l'homme ou du droit international humanitaire.

« La seconde est que les tueries auxquelles se sont livrés l'Afdl et ses alliés, y compris les éléments de l'Armée patriotique rwandaise, constituent des crimes contre l'humanité, tout comme un déni d'assistance humanitaire aux réfugiés hutus. Les membres de l'équipe pensent que certains de ces meurtres peuvent constituer des actes de génocide. » L'Afdl et ses alliés? En 1997, un mouvement armé regroupant des Rwandais et des Congolais voit le jour sous le nom d'Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo (Afdl). Son objectif affiché est de libérer le Zaïre de la dictature de Mobutu. L'Afdl, qui préconise la lutte armée, place à sa tête Laurent-Désiré Kabila, vieil opposant au maréchal Mobutu. Avec un Congolais à sa tête, l'Alliance cherche surtout à dissimuler la forte présence militaire rwandaise dans ses rangs.

Car le véritable chef de l'Afdl est basé à Kigali et n'est autre que Paul Kagame, qui a pris soin de placer son bras droit, James Kabarebe, aux côtés de Kabila. L'Alliance entreprend la « libération », forme de reconquête de l'immense Zaïre, depuis les régions de l'Est. James Kabarebe était l'homme responsable des attaques des camps des réfugiés hutu au Zaïre en 1997, où près de deux millions de Rwandais furent massacrés; il est alors épaulé par un certain Joseph Kabila, que l'on appelle à ce moment Joseph Kanambe... Kabarebe est chargé de mener les opérations militaires qui vont conduire à la chute du président Mobutu en mai 1997.

En refusant l'enquête de l'Onu, Kabila a tout simplement voulu éviter à son mentor les conséquences des découvertes des charniers de l'Est du Zaïre.

Mais Paul Kagame pourra-t-il encore maintenir longtemps un semblant de légitimité en faisant obstruction à toute enquête? Il semblerait que le temps soit venu de faire la lumière sur ses crimes.

Dès que l'enquête du juge Bruguière, chargé d'instruire les conditions de la mort du personnel de bord du Falcon 50 de Juvénal Habyarimana, sera rendue publique, ses conclusions devraient commencer de lézarder l'édifice de la version officielle; la conspiration du silence ne devrait plus être longtemps tenable, qui entoure les agissements monstrueux d'un mouvement, puis d'un régime. Certes, aux yeux de ceux qui toujours préfèrent la mauvaise foi à la reconnaissance de leurs erreurs et de leurs égarements pro-Fpr, qui ne sauraient donc accepter que l'État français ne soit pas toujours dirigé par les intentions et les intérêts les plus vils, l'enquête présentera une grande faiblesse: elle aura été menée par un juge français; elle ne manquera donc pas d'être violemment contestée, comme ce fut le cas lorsque Le Monde publia, à la suite de fuites, quelques-uns de ses éléments. Mais Paul Kagame ne pourra bientôt plus faire donner la même argumentation -la complicité génocidaire -, car la justice espagnole devrait, dans les prochains mois, délivrer des mandats d'arrêt internationaux contre des membres de son entourage, en particulier contre James Kabarebe, son chef d'état-major et principal collaborateur. Ses proches, inculpés, devront répondre des assassinats de ressortissants espagnols. En quoi l'Espagne pourrait-elle être suspectée ou accusée de complicité de génocide? Elle, qui n'a envoyé au Rwanda que des missionnaires, des religieuses et des humanitaires . . .

Tout a commencé par la grève de la faim de 42 jours de Juan Carrero, candidat au prix Nobel de la paix, menée au début de 1997 pour dénoncer les massacres perpétrés au Congo et qui se déroulaient dans l'indifférence générale. Le 18 janvier 1997, au neuvième jour de sa grève, 1'Armée patriotique rwandaise tua trois ressortissants espagnols de Médecins du Monde. Autour de Juan Carrero a été créé un Forum international pour la vérité et la justice en Afrique des Grands Lacs, qui a été rejoint par Adolfo Pérez Esquivel, prix Nobel de la paix argentin. Après quatre ans d'enquête en Europe, en Afrique et aux États-Unis, le Forum a déposé plainte, le 22 février 2005, contre James Kabarebe, chef d'état-major de l'Apr et plus proche collaborateur de Paul Kagame, et contre neuf autres militaires rwandais, pour l'assassinat de neuf Espagnols au Rwanda et en Rdc (deux missionnaires, quatre frères maristes, trois membres de l'Ong Médecins du Monde). Se sont joints à cette plainte Cynthia McKinney, congressiste américaine, ex-envoyée spéciale du président Clinton pour négocier avec Kabila les conditions de sa prise du pouvoir; les familles des victimes, trois villes espagnoles et de nombreuses associations.

« Durant ces quatre années, nous n'avons pas voulu faire de théorie, explique Jordi Palou-Loverdos, l'avocat porte-parole des victimes et du Forum. Nous avons cherché à réunir des preuves, c'est-à-dire des témoignages et des documents qui puissent être pris en compte par un juge ayant pouvoir d'instruire. Pour le moment, nous avons offert au Juge 41 témoIns qui sont protégés, des Hutus comme des Tutsis, et qui connaissent les auteurs des crimes commis contre les Espagnols, les Rwandais ou les Congolais. Pour leur sécurité, nous avons déposé leur témoignage auprès de notaires assermentés en Europe et aux États-Unis. Ceux-ci ont instruction de livrer leur témoignage s'ils venaient à être assassinés. Nous avons aussi des témoins occidentaux, c'est-à-dire des personnes qui ont mené des enquêtes approfondies et qui ont eu une connaissance directe des faits.

«Notre plainte est plus large que l'attentat contre le Falcon 50 qui fait l'objet d'une enquête du juge Bruguière.» Elle concerne les crimes «contre les Espagnols» et «les crimes contre les Rwandais et les Congolais commis entre le 1er janvier 1990 et juillet 2002».

Liens Pertinents

Afrique Centrale
Rwanda
Conflit, Paix et Sécurité



« Les enquêteurs espagnols estiment que, de 1990 à 2004, près de sept millions de personnes ont été tuées. Selon l'organisation International Rescue Committee, cité par le Forum, près de quatre millions de personnes sont mortes directement ou indirectement à cause du conflit en Rdc. Allant bien au- delà de l'enquête Bruguière, les plaintes espagnoles veulent montrer que, derrière l'objectif affiché de renverser Mobutu, il y avait la volonté de Kagame et de son entourage de criminels de piller les richesses de l'est du Congo (or, diamants et surtout le coltan, qui entre dans la fabrication des téléphones portables, des missiles, etc.) où interviennent de grandes firmes multinationales. »

Paul Kagame et tous les blancs menteurs qui l'ont soutenu ont du souci à se faire. Vient le temps où toutes les manipulations déployées autour de la souffrance humaine seront mises au jour. Kagame et son entourage apparaîtront alors pour ce qu'ils sont, des criminels de guerre doublés de chefs mafieux responsables de millions de morts, qui ont pour longtemps déstabilisé l'Afrique centrale et asservi leur propre peuple.

Le Potentiel (Kinshasa)

OPINION
12 Décembre 2005
Publié sur le web le 12 Décembre 2005

Pierre Péan
Kinshasa
© Copyright Iwacu1.com