Le dixième anniversaire du génocide sonne-t-il le glas du FPR?
Eugène Ndahayo
En ce mois d'avril 2004, le Rwanda commémore pour la dixième fois
l'anniversaire du «génocide rwandais», selon la formule de la résolution ad
hoc de l'ONU, du «génocide des Tutsi» selon l'expression consacrée par
l'usage.
Au Rwanda et partout dans le monde des cérémonies sont programmées pour honorer la mémoire des victimes mais aussi des débats sont organisés pour essayer de panser les blessures mais aussi de penser le Rwanda de l'avenir.
Est-ce le début de la fin?
Grâce à un travail soutenu de recherche, visant à établir la vérité sur le génocide, entrepris par ceux qui refusent le manichéisme simplificateur du «bon Tutsi» et du «méchant Hutu» et suite aux révélations le 10 mars 2004 dans le quotidien français Le Monde au sujet de l'enquête anti-terroriste menée par le Juge Jean-Louis Bruguière sur l'attentat du 06 avril 1994, considéré comme le déclencheur du génocide, et dont la responsabilité incombe à Paul KAGAME, l'actuel président de la République, l'opinion a été littéralement stupéfaite de découvrir qu'il y a deux histoires du génocide : l'histoire officielle, menteuse, puis l'histoire secrète, où sont les véritables causes des événements. Des voix dans le monde commencent ainsi à s'élever pour sinon poser des questions mais plus encore pour exiger que lumière soit faite sur toutes les dimensions de la tragédie et que l'histoire du Rwanda cesse d'être écrite par des criminels.
Avec le rapport Bruguière et avec les témoignages multiples et circonstanciés des proches du FPR sur la cruauté impitoyable des ses cohortes avant, pendant et après le génocide, sur le cynisme et la résolution inébranlable du chef du FPR de tout sacrifier au pouvoir, l'époque où la victoire du FPR sur l'ancien régime était un soulagement pour la communauté internationale et où les images de l'apocalypse étaient bien trop crues pour livrer autre chose qu'elles-mêmes est révolue. Tout le monde veut désormais savoir la vérité.
Pour avoir pris la lourde décision d'abattre l'avion du président Habyarimana, le régime du FPR doit assumer sa responsabilité dans le déclenchement du génocide, mais aussi pour avoir sacrifié au prestige personnel et au pouvoir et de n'avoir eu aucun respect humain vis-à-vis de ceux-là mêmes pour qui il affirmait hier avoir pris les armes (le 1er octobre 1990) et dont il prétend aujourd'hui être le représentant et le défenseur légitime.
Conscientes des conséquences politiques et juridiques de cette vérité longtemps occultée, les autorités rwandaises se sont parées de leurs meilleures armes:
1- L'intimidation vis-à-vis de la communauté internationale coupable d'avoir cyniquement abandonné les victimes à leur propre sort. Mais cette attaque est surtout dirigée contre la France, accusée à son tour d'avoir armé les génocidaires Hutu. Le régime FPR oublie cependant de dire qui a armé ses propres tueurs ! A moins que l'on veuille nous faire croire qu'il y a de «gentils» tueurs et de «méchants» tueurs. Rejeter toute la responsabilité sur la France exonère-t-il le FPR de sa propre responsabilité dans l'attentat qui a mis le feu aux poudres ou dans le massacre de plusieurs centaines de milliers de Hutus de 1990 à 1994 et au lendemain de son arrivée au pouvoir? Qu'en est-il de celle de la MINUAR soupçonnée d'avoir facilité au FPR l'acheminement des armes dans la capitale, de celle de l'Onu qui a non seulement retiré ses soldats dès les premiers jours du génocide mais aussi pendant dix ans a fait obstruction à l'enquête sur l'attentat, ou encore de celle de la Belgique, de la Grande Bretagne, des Etats-Unis, de l'Ouganda, etc. que le régime de Kigali ne veut même pas évoquer uniquement parce que ces pays l'ont soutenu dans son entreprise de conquête et de prise du pouvoir! Le peuple rwandais a besoin de la vérité, de toute la vérité, rien que la vérité et quelles que soient les accointances et non des règlements de comptes où il faut parfois se boucher le nez avant de plonger.
2- Le régime, acculé dans ses retranchements, essaie aussi de renverser la vapeur en s'adonnant, par l'emploi médité, calculé, méthodique de la perfidie froide et de la propagande la plus hypocrite (simultanément ou tour à tour), à son exercice favori: écrire l'histoire du génocide sous le mode victimaire et héroïque.
Le dogme est encore solide, et ses défenseurs pleins de bonne conscience et/ou de cynisme ne supportent pas qu'on le remette en cause. Ainsi, avec une belle unanimité, la majorité des médias comme du monde intellectuel s'efforcent de passer sous silence certains faits gênants, susceptibles de ternir un si magnifique tableau à l'occasion de cette commémoration. Tout ce qui peut rappeler la responsabilité du FPR dans la catastrophe qui s'est abattue sur notre pays est à bannir: aucun mot sur l'attaque du 1er octobre 1990 et sur les centaines de milliers de morts victimes de cette attaque; aucun mot sur les massacres ethniquement ciblés du FPR dans son entreprise de prise du pouvoir à partir d'avril 1994 et après; aucun mot sur les centaines de milliers de réfugiés pourchassés comme des animaux sauvages par la soldatesque du régime de Kigali en RDCongo; aucun mot sur les trois millions (et plus) de congolais victimes de l'appétit démesuré et de l'ethno-nationalisme de l'homme fort de Kigali; aucun mot sur la terreur et l'oppression exercées par le régime pour soumettre, de gré ou de force, le peuple rwandais aux exigences d'une dictature militaro-ethniste.
Au contraire, Kigali et ses suppôts nous vantent, dans un concert d'autosatisfaction, les mérites d'une démocratisation sans précédent depuis l'indépendance du pays; d'une bonne gouvernance unique en Afrique; d'une volonté de justice et de réconciliation exemplaire.
Or, quiconque tant soit peu s'intéresse à ce qui se passe au Rwanda ne tarde pas à découvrir que le régime dit démocratique de Kigali n'a de démocratique que le nom et certaines formes de surface. Il s'agit d'une vaste hypocrisie où règnent l'arbitraire, la terreur, la corruption, les inégalités,... L'égalité fictive des citoyens ne résiste pas aux classes sociales, au clientélisme, à l'ethnisme, au népotisme. Les dirigeants réels ne sont pas élus. La démocratie reste une fiction imposée au bout du canon et à la force des baïonnettes: la mascarade d'élections présidentielles et législatives truquées et entachées d'irrégularités d'août-octobre 2003, où l'opposition intérieure et extérieure a été exclue par une constitution taillée sur mesure et une loi électorale liberticide et antidémocratique ne visaient qu'à légitimer et à renforcer la mainmise totale de KAGAME et ses associés sur les institutions et sur toute la vie nationale. Par peur de perdre, le régime s'était préalablement protégé par des mécanismes légaux automatiques pour réguler et éliminer "naturellement" tout ce qui aurait pu lui nuire.
Les libertés sont surtout réservées aux proches du régime, les contestataires ne peuvent pas trop en user. Le citoyen rwandais est libre, à condition de penser et de faire ce que le système attend de lui. Dans la pratique, les gens ordinaires n'ont aucun pouvoir et sont à la merci des appareils policiers ou bureaucratiques. La justice est à la botte des militaires et des extrémistes du FPR, où les aveux sont arrachés soit à la torture soit par le chantage d'une réduction de peine ou d'une libération; une adaptation des «procès de Moscou» en quelque sorte.
La soi-disant bonne gouvernance n'est au service que d'une clique de criminels mafieux; le prétendu redressement «sans précédent» est une illusion, la réalité étant la misère généralisée pour plus de 95% de la population dont plus de 70% vivent avec moins d'un dollar par jour.
La seule réconciliation prêchée est celle fondée sur la soumission. Dès sa victoire militaire sur l'ancien régime, le FPR préfère régner par la terreur et la violence à l'aide de l'armée et de ses cadres et de sa milice. Que ses sujets le détestent, cela n'est pas son souci du moment qu'ils tremblent et qu'ils obéissent. Ainsi, pour s'imposer, il n'hésite pas à massacrer massivement, à emprisonner, à torturer et exécuter tous ceux qui s'opposent trop à lui ou tous ceux qu'il considère comme pouvant s'opposer à lui. Certaines exécutions ont pu se faire par un vernis de légalité (mascarade de procès), mais le plus souvent, les opposants réels ou supposés sont éliminés sans se gêner, directement par des militaires, par des agents du régime ou par des milices qui lui sont liées (LDF). Cette terreur a amené les Rwandais à renoncer à leur liberté pour la sécurité, le confort, l'oubli d'eux-mêmes et des réalités gênantes.
Le règne du FPR est en vérité une longue période de guerre et de génocide permanent qui mérite le label de l'une des barbaries les mieux organisées. N'en déplaise à ses défenseurs, le FPR est indéfendable. Il est indéfendable politiquement, moralement et juridiquement. Et il se trouve qu'aujourd'hui ce ne sont pas seulement les Rwandais qui le disent mais l'acte d'accusation est aussi proférée par tous les peuples de la région des Grands Lacs, les Congolais en tête.
Et plus les jours passent, plus le FPR est de plus en plus impuissant à se justifier; et de plus en plus il se réfugie dans une hypocrisie d'autant plus odieuse qu'il a de moins en moins de chance de convaincre malgré un maniement si habile du mensonge et de la manipulation. Il ne suffit pas de parler de constitution, d'élections libres, de libertés publiques, de droit et de justice indépendante... pour se croire autorisé à s'appeler démocratie L'habit ne fait pas le moine et une enveloppe ne fait pas le contenu, dit-on. Le bon fonctionnement de la démocratie est inséparable du respect d'un certain nombre de libertés fondamentales, notamment des libertés de pensée, d'expression (presse, réunion), de déplacement, d'association, et de la diffusion de l'instruction et de la bonne organisation de l'information des citoyens. Définie comme étant le gouvernement du peuple par lui-même, elle suppose aussi le contrôle de ce gouvernement par le peuple ou ses représentants.
Sous toutes les latitudes, un régime à parti unique, n'admettant aucune opposition organisée, dans lequel le pouvoir politique dirige souverainement et même tend à confisquer la totalité des activités de la société qu'il domine, un régime qui s'accoquine fort bien avec des criminels et des tyrans sanguinaires ne peut en aucun cas être qualifié de démocratie. C'est tout simplement une dictature de type totalitaire. C'est ça le FPR!
3- Issu du mouvement marxiste , le FPR connaît l'importance de l'idéologie dans le contrôle des esprits. L'idéologie est pour le FPR l'instrument de justification et d'explication de l'existence de son régime et de la domination qu'il exerce. Celle du FPR forme un tout cohérent et fournit une explication du monde social, politique et économique, avec les clefs du bien et du mal, c'est-à-dire la possibilité de juger, de sanctionner les déviances et les infractions à la ligne officielle.
Cette idéologie repose sur la négation de l'histoire et de ses processus . Ainsi, depuis que le FPR a pris le pouvoir, il ne cesse de dire qu'avant lui tout a très mal marché et de promettre de détruire la cause des souffrances du peuple rwandais. Ces souffrances, dit-il, ont commencé avec la révolution de 1959 qu'il présente comme la cause originaire de la violence génocidaire de 1994! Le FPR affirme, obéissant en cela à une logique psychopathologique, que la volonté de Dieu et le sens de l'Histoire soutiennent les Tutsi dans leur volonté de survie! N'entend-on pas effectivement certains appeler les Tutsi les «fils d'Imana»? N'a-t-on entendu le Président Kagame, lors de sa campagne électorale d'août 2003, oser affirmer que le Rwanda avait cessé d'exister entre 1959 et 1994 (période où les Tutsi n'étaient pas aux commandes), et que lui il était là pour achever sinon poursuivre l'oeuvre de ses ancêtres! Une preuve si besoin en était que, quel qu'ait été le discours moral et démocratique du FPR dès l'attaque du 1er octobre 1990 sur le droit de retour de réfugiés injustement chassés de leur pays, le FPR a conquis le Rwanda par la conviction que les Tutsi étaient une «race» supérieure et née pour commander.
En cela, d'une part, le prophétisme victimaire du FPR selon lequel depuis 1959 les Tutsi seraient menacés dans leur existence même est un appel à la communauté tutsi à la restauration de la domination des Tutsi sur les Hutu, à être vigilants et à détruire ceux qui les menacent pour éviter la réédition de la parenthèse perturbatrice 1959-1994. En d'autres termes, la survie des Tutsi doit passer par la mort des autres. Tout en se défendant d'être ethniste, malgré les faits, le FPR fonde donc sa survie politique sur une peur existentielle. Ce qui n'est ni plus ni moins une idéologie d'intention ethniste.
D'autre part, présenter globalement et collectivement les Hutu comme étant responsables du génocide et situer le début du génocide en 1959, date à laquelle les Hutu ont retrouvé leur dignité d'êtres humains, après une longue période de chosification et de servitude au profit d'une aristocratie tutsi convaincue d'appartenir à une «race» supérieure, vise à amener les Hutu à se sentir coupables et de ce fait accepter non seulement d'être dominés, mais en plus l'être avec enthousiasme en échange de la non-pousuite. La paix dans l'esclavage en somme!
A cet effet, le régime utilise tous les moyens de persuasion (la terreur et la violence), de conditionnement (camps de rééducation forcés), de mensonge, de manipulation. Et il s'appuie surtout sur le fait que la plupart des gens n'ont pas de vraies exigences et souhaitent se placer sous l'emprise d'un système englobant qui pense et agit pour eux. Avec ce système, celui qui ne se convertira pas finira par sombrer dans le désespoir.
L'idéologie est enseignée à tous et imprègne tous les discours. Elle dispose d'un monopole dans les grands medias et dans le système éducatif. Grâce à la censure (la presse est aux mains du FPR) la presse ne publie que ce qu'il plaît au FPR de laisser paraître. Des comités de censure ont été mis sur pied au niveau des imprimeries de telle sorte que régime connaît d'avance tout ce qui sort pour neutraliser toute influence «néfaste». La presse est obligée d'entrevoir le monde qu'à travers des lunettes colorées que le régime lui a mises devant les yeux. Il y a trois sortes de presse: la presse officielle qui veille à la défense du régime, la presse semi-officielle qui sensibilise les tièdes et les indifférents, la presse qui se donne l'air de faire opposition pour entraîner les vrais opposants à croire en cette opposition, se dévoiler et permettre ainsi au régime de les mâter. Pour donner l'illusion d'une certaine presse indépendante, le régime crée donc à dessein des journaux agressifs en apparence mais qui en réalité n'attaquent que sur les points où «l'homme fort de Kigali» s'est proposé de faire un changement.
Quiconque s'oppose à l'idéologie du FPR est taxé de divisionnisme. Le chantage au divisionnisme, comme le fait d'amalgamer les Hutu à des catégories criminelles (génocidaires de surcroît) est un moyen pour le groupe dirigeant de revendiquer l'exercice illimité du pouvoir ou de contester leur éviction de postes prestigieux ou lucratifs . De la part du FPR, usager du divisionnisme, comme du discours victimaire, est une stratégie efficace pour justifier des exclusions d'une partie de la population et d'exiger des avantages particuliers; en somme un cadre parmi d'autres de la lutte sociale et politique.
A la longue, le FPR veut aboutir à un système où la totalité des gens pensent et agissent de manière conforme à la totalité de son idéologie dans la totalité des secteurs de la vie en embrassant dans une idéologie unique l'ensemble du peuple rwandais, en dominant et en contrôlant totalement et de façon permanente la totalité des individus dans la totalité de leurs existence, en obtenant et conservant l'adhésion et le consentement des dominés (officiellement, KAGAME a été élu avec 95 % des voix et il s'étonne encore de voir que 4,5 % des électeurs n'ont pas voté pour lui en août 2003 et certains sont entrain de le payer très cher) et en éliminant toute possibilité de remise en cause.
Si ce système devait réussir et que les Rwandais intériorisaient l'idéologie du FPR, ils vont tous devenir des flics pires que les agents de l'Etat, des flics qui traquent impitoyablement toute trace de dissidence en eux et autour d'eux.. Plus besoin de répression sanglante exercée par les forces de police, les braves citoyens s'en chargeront de manière encore plus efficace par la surveillance, l'auto-censure et la délation.
Jusque à quand Kagame continuera-t-il à prendre les Rwandais et le monde entier en otage et à jouir de l'impunité? Qui pourra l'arrêter? C'est ça la question!