Des réfugiés démunis, sans statut reconnu

Hirondelle News Agency (Lausanne)

6 Mai 2005
Publié sur le web le 6 Mai 2005

 

Songore (nord du Burundi), 6 mai 2005 (FH) - Assise au milieu de ses enfants, ses habits jaunis par l'usure, rapiécés en maints endroits, Uwimana fixe d'un regard méfiant les membres de la délégation rwandaise venus convaincre les réfugiés de retourner chez eux.

Uwimana, une jeune femme au visage aigri par les soucis, fait partie d'un millier de Hutus rwandais hébergés dans le site de Songore, à une quarantaine de kilomètres du chef- lieu de la province de Ngozi (nord du Burundi). Ils ont fui la région de Butare (sud du Rwanda), cédant aux «rumeurs» de persécution et à l'intimidation de leurs voisins tutsis, disent-ils.

Les officiels rwandais déclarent néanmoins que les réfugiés ont peur de comparaître devant les juridictions semi- traditionnelles, les Gacaca, créées pour juger les suspects de génocide.

Songore abrite un camp de fortune, hâtivement aménagé par des organisations humanitaires. Depuis quelques temps, le transfert par le Haut commissariat des Nations unies pour les réfugies (HCR) vers «des zones plus sûres», loin de la frontière commune avec le Rwanda, a été suspendu.

Avant la réunion bipartite Burundi-Rwanda tenue à Ngozi 27 avril, certains réfugiés avaient déjà été transférés à Mishiha (province Cankuzo, est ), près de la frontière avec la Tanzanie.

«Demandeurs d'asile»

Les fuyards, regroupés dans des sites près de la frontière avec le Rwanda, ne sont pas officiellement reconnus comme réfugiés par le HCR, même si cette organisation leur apporte assistance par le biais de différentes structures humanitaires partenaires.

«Ce ne sont pas des réfugiés comme tels, ce sont des 'demandeurs d'asile'», a déclaré vendredi à l'agence Hirondelle Catherine Lune (France), chargée de l'information au HCR- Burundi. Lors de la réunion de Ngozi, le Burundi s'est engagé à ne pas leur accorder le statut de réfugiés.

«Nous sommes des laissés-pour-compte», chuchote Uwimana, entourée de ses trois enfants affamés, résignée et incertaine du sort qui l'attend au milieu des collines de Songore.

Le 2 mai, Uwimana et ses 'co-habitants' attendent l'aide des ONGs, qui n'arrive pas. Les bébés crient dans les bras impuissants de leurs mamans. «Un bébé est décédé avant-hier», affirme un agent du camp. De faim ou de maladie ou des deux à la fois, il n'en sait rien.

Tout près de là, dans la cour, le secrétaire exécutif de la province de Butare, Aimable Twagiramutara, tente de convaincre ses administrés par un discours qui laisse cependant indifférents plusieurs d'entre eux.

«Vous avez été victimes de rumeurs, il n'y a pas de plan de tuer la population au Rwanda», assure-t-il, avant de poursuivre: «Notre seul ennemi commun, c'est la pauvreté que nous devons combattre ensemble chez nous, chez vous, au village et pas ici».

«Il perd son temps, nous n'allons pas quitter ce lieu, nous allons mourir ici», déclare Mukeshimana, sur un ton ferme, à quelques mètres seulement du lieu où Twagiramutara prononce son discours. Nombre de réfugiés n'écoutent pas, ils ont le regard tourné vers la route en terre battue qui mène au camp, dans l'espoir de voir arriver ce qui les tient à cœur: des véhicules chargés de vivres.

Selon Luna, le nombre de 'demandeurs d'asile' a atteint les «sept mille». Elle s'est cependant gardée de donner des détails sur le coût de l'opération.

Elle a fui son mari tutsi

Outre Songore, d'autres sites de fortune ont été érigés dans plusieurs endroits au nord du Burundi. A la paroisse de Nyamurenza, à vingt quatre kilomètres de Ngozi, quelques six cents réfugiés ont élu domicile dans les enceintes d'une école primaire.

Alors que la campagne de sensibilisation au retour bat son plein, Gaspard Siborurema, d'un physique plutôt frêle, extenué par le voyage à pied, vient d'arriver avec ses compagnons d'infortune. Ils sont environ une dizaine.

Les yeux hagards, Siborurema est encore sous le choc. «Ils viennent de me chasser de ma propriété», confie-t-il, sans qu'une question lui ait été posée, faisant allusion à ses voisins tutsis restés sur les collines. «Je n'en pouvais plus, j'ai décidé de partir», ajoute-t-il.

Poussée par «ses amis» du camp, Vénantie (pseudonyme) s'avance timidement. «Je suis mariée à un Tutsi, je l'ai laissé avec ses deux enfants», confie-t-elle à son tour, tout aussi effrayée que Siborurema.

La raison qui a poussé Venantie à plier bagages, abandonnant ses enfants, n'a rien à voir avec les querelles domestiques habituelles. «Mon mari me cachait quelque chose, il voulait me tuer», a-t-elle affirmé, disant que le secret lui avait été révélé par une amie, une rescapée du génocide anti-tutsi de 1994. D'après le témoignage de Vénantie, son mari cachait chez ses amis une petite houe et un long couteau. Il avait également fait confectionner un bracelet et une bague comme «signes distinctifs» que les Tutsis doivent porter «le moment venu [celui des massacres]».

D'autres réfugiés ont fait des allégations similaires. Hirondelle n'a pu confirmer ou infirmer cela auprès d'une source indépendante.

La présence des réfugiés à l'école primaire de Nyamurenza, en cette période scolaire, inquiète l'administrateur de la commune. «C'est un problème réel, nous prions pour qu'un site approprié soit vite trouvé», soupire Jean de Dieu Bitariho.

«Certains d'entre nous dorment carrément à l'extérieur, sous un froid hivernal», dira un jeune réfugié, avant de disparaître derrière le hangar qui sert d'abri à sa famille.

Un responsable en charge des réfugiés au ministère burundais de l'intérieur, le colonel Didace Nzikoruriho, estime cependant que 500 Rwandais ont déjà regagné leur pays depuis le lancement de la campagne de sensibilisation au retour le 28 avril. Côté Rwanda, on indique que ce sont près de 2.000 réfugiés qui ont traversé la rivière Akanyaru en sens inverse.