Fosses communes en RDC: des habitants témoignent des
"massacres de 1996" (TEMOIGNAGES)
AFP
RUTSHURU (RDC), 5 oct (AFP) - Après
la découverte de fosses communes à Rutshuru (Nord-Kivu), dans l'est de la République
démocratique du Congo (RDC), plusieurs habitants de la ville ont accepté de
raconter, sous le couvert de l'anonymat, "les massacres de 1996".
Tous les témoignages recueillis par l'AFP relatent deux grands massacres,
survenus dans la région de Rutshuru, les 30 octobre et 18 novembre 1996,
alors qu'un mouvement de rébellion soutenu par le Rwanda prenait le contrôle
de l'est de l'ex-Zaïre.
Selon des rescapés ou des proches de victimes, des milliers de Hutus
congolais ont été assassinés par des militaires tutsis - congolais et
rwandais - membres de l'Alliance des forces démocratiques pour la libération
(AFDL) qui allait sept mois plus tard aboutir à la chute du régime de
Mobutu.
Voici les récits de deux habitants de Rutshuru, membres de la communauté
hutue:
Georges, habitant de Rutshuru, a perdu son fils aîné (17 ans) et deux de ses
frères (22 et 24 ans) le 30 octobre 1996. Il se trouvait dans une commune
voisine quand les habitants ont été convoqués à "une grande réunion".
"Le matin du 30 octobre, les nouvelles autorités de la ville ont
convoqué tous les habitants à une grande réunion au stade de Rutshuru. On a
utilisé le tam-tam pour appeler les gens qui étaient dans les champs.
Vers 15H00, le stade était plein. On pense qu'il y avait 2.000 personnes, de
Rutshuru et des collines voisines. Vers 17H00, des gens ont été emmenés à
la prison centrale, d'autres ont été répartis par groupes dans des maisons.
Dans la maison où se trouvait mon fils et mes frères, il y avait 280 hommes
et 32 femmes. Les militaires ont commencé à appeler les gens par communauté.
Seuls les hutus sont restés, les autres ont pu partir.
Alors on a commencé à ligoter tout le monde. Un homme a été attaché avec
sa propre chemise parce qu'il n'y avait plus assez de corde. Les gens ont
commencé à prier. Depuis une semaine, on voyait les militaires creuser de
grands trous dans la ville. Deux hommes seulement ont réussi à s'échapper
et nous ont raconté les détails.
Après cela, les gens ont été emmenés vers les carrières de sable. Là, on
les faisait asseoir près des trous déjà creusés, on les frappait au front
et à la nuque à coups de +foca foca+ (une petite masse) et on les jetait
dans les fosses.
Ceux qui ont fait ça étaient des Tutsis congolais et des militaires
rwandais. Mais ce sont les Congolais qui les ont guidé, parce qu'ils
connaissaient les gens et les lieux".
Pierre, habitant de Rutshuru, se trouvait à Mugogo, une localité à environ
20 km plus au nord, où il s'était rendu le 18 novembre 1996, "jour de
marché".
"C'était le marché du lundi. Je buvais un verre dans une boutique du
marché quand les militaires sont arrivés. J'avais entendu parler du massacre
du 30 octobre et je suis vite sorti. Je me suis caché derrière la boutique
d'à côté, qui était vide, juste au moment où une camionnette arrivait
remplie de villageois, amenés au marché pour participer à un soit-disant
+meeting populaire+.
La place a été rapidement encerclée. Tout le monde a dû s'allonger, face
contre terre. Les militaires ont utilisé des houes. Quand les gens ont
compris ce qui se passait, ils ont commencé à s'enfuir et ont été tués à
coups de fusils.
J'ai fui vers l'Ouganda (à environ 20 km au nord-est). Je suis revenu le
mercredi, j'ai vu le marché rempli de cadavres, des centaines de cadavres,
qui n'avaient pas encore été enlevés".