Génocide rwandais : "les dysfonctionnements sont intervenus à tous les niveaux"

André Guichaoua, sociologue | LEMONDE.FR | 11.01.12 | 20h29 • Mis à jour le 11.01.12 | 20h44

  Près de dix-huit ans après la fin du génocide rwandais, de nouveaux éléments avancés par le juge français Marc Trévidic suggèrent que des Hutus extrémistes pourraient être à l'origine de l'attentat du 6 avril 1994 contre l'avion du président Juvénal Habyarimana, point de départ des massacres.

Jusqu'à présent, la thèse qui désignait l'actuel président du Rwanda, Paul Kagamé, comme instigateur de l'attaque prévalait. Le sociologue André Guichaoua, témoin des événements en 1994, avait lui-même qualifié de "certaine" cette version des faits. Aujourd'hui, s'il se félicite que le dossier soit relancé grâce à ces nouvelles informations, il déplore les dysfonctionnements d'un dossier judiciaire qui "sont intervenus à tous les niveaux".

Que change la publication de ce nouveau rapport d'expertise présenté mardi 10 janvier par le juge Marc Trévidic ?

Premier élément, et le plus important à mon sens, c'est que le dossier est aujourd'hui relancé pour de bon. Ces nouveaux éléments, qui ont fait l'objet d'investigations scientifiques, rouvrent le jeu, en quelque sorte. Il faut s'en féliciter, car cela démontre que les juges sont en mesure de mener des enquêtes et d'apporter des faits établis inédits, qui permettent d'enclencher des débats contradictoires.

Mais il importe désormais de valider les hypothèses qu'impliquent ces nouveaux éléments. Je salue d'ailleurs la décision de M. Trévidic d'avoir proposé un délai de trois mois qui devrait ouvrir la voie à une procédure contradictoire, à des enquêtes complémentaires ou encore à des procédures d'appel. Au terme de cette démarche, il se prononcera sur ces rapports et sur ce que tout le monde veut désormais savoir : qui sont les auteurs de l'attentat ? Une question qui impose une grande prudence aujourd'hui, d'autant que ce dossier provoque des scénarios quasiment conspirationnistes.

Vous avez vous-même affirmé que le président du Rwanda, Paul Kagamé, était à l'origine de l'attentat du 6 avril 1994. Quel est votre sentiment par rapport à ce revirement de la justice française ?

Je ne suis pas chargé des enquêtes. En tant que témoin expert au Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), si je devais m'offusquer de toute conclusion qui ne correspond pas à ce que je pense, je n'en finirais plus. Mais pour l'instant, j'ai quand même l'impression que beaucoup de discours sont tenus un peu abusivement, alors qu'en l'état, le rapport n'indique pas qui sont les auteurs, et ne disculpent pas non plus ceux qui étaient mis en cause jusqu'à maintenant. Ca ne veut pas dire que ça ne se fera pas, mais pour l'instant, on n'a pas ces éléments, et il faut respecter le rythme et les procédures de la justice.

Aujourd'hui, il y a des questions que je continue de me poser après ce rapport. Si on valide l'idée que ce sont donc des Hutus qui sont à l'origine de l'attentat du 6 avril 1994, il reste des zones d'ombre. Il y a deux thèses généralement évoquées à ce sujet. La première, c'est que la belle-famille du président serait à l'origine de l'attentat. Mais le seul qui aurait été en mesure d'organiser l'affaire, le colonel Elie Sagatwaagatwa, demi-frère de la veuve Habyarimana, est mort avec le président dans l'attentat. C'est donc difficile d'accorder du crédit à cette idée. La deuxième thèse, c'est celle des officiers extrémistes, mais le chef d'état-major est lui aussi mort dans l'attentat. A mon sens, ce ne sont pas des "djihadistes", je ne pense pas qu'ils se soient sacrifiés pour leur cause. Il faudra donc avancer des éléments précis pour étayer ces thèses, et je les attends avec impatience.

Ces nouvelles informations illustrent-elles les dysfonctionnements de la justice française sur le dossier rwandais ?

Il faut souligner que les dysfonctionnements sont intervenus à tous les niveaux. Déjà, notons que si les procureurs du TPIR avaient voulu assumer ces faits, on n'en serait pas là aujourd'hui. Si la France, partie prenante dans ce dossier, ne s'était pas retrouvée chargée de l'enquête, on aurait certainement pu éviter bien des polémiques et des dysfonctionnements.

Ensuite, les autorités rwandaises se sont quand même toujours opposées à ce que le tribunal pénal prenne en charge le dossier, et ont toujours systématiquement bloqué les enquêtes. Aujourd'hui encore, la collaboration s'est faite, mais sur la base de nouvelles hypothèses qui convenaient davantage à Kigali.

Enfin, ça pose effectivement un certain nombre de questions sur la manière dont les choses ont été instruites à l'époque par le juge Bruguière. N'oublions pas tout de même qu'elles correspondent aussi à des rapports bien particuliers à l'époque. Un certain nombre de personnes ont payé de leur vie le fait d'avoir fourni des témoignages sur ce dossier, des procédures de protection incroyables ont dû être mises en place... Un contexte difficile pour mener des investigations. Même les derniers communiqués de la présidence rwandaise sur les jugements du TPIR accusaient directement le tribunal de servir de porte-voix des génocidaires. Ça tranche un peu avec l'exaltation qui prévaut aujourd'hui parce qu'une décision semble accréditer une thèse. Je crois surtout qu'aujourd'hui il faut respecter la justice, quand elle travaille sur la base de débats et de confrontations. Si elle ne travaille pas sur ces bases, ce n'est pas de la bonne justice, et ça il faut le dire aussi.

Propos recueillis par Charlotte Chabas

 

 

 

 Le jeu à l'occidentale pour des naïfs

·         Ismaïl Mbonigaba    

Le rapport Trévidic devrait ouvrir les petits yeux aux Rwandais, plutôt que de les affoler comme si pour les uns le monde était né aujourd'hui, ou devait mourir demain pour les autres. Tout le monde sait sans doute que le maître de l'échiquier de Kigali n'est ni Habyarimana ni Kagame. Ce dernier a beau jubiler et s'attribuer fièrement la victoire qui l'a porté au pouvoir après l'attentat qui a envoyé le premier ad patres, son auréole brille ou s'assombrit au gré de la sorcellerie occidentale!
Tenez! Un illuminé du nom de Jean-Louis Bruguière clamait, dans la foulée de l'assassinat de Juvénal Habyarimana, qu'il avait vu le coupable du crime ayant déclenché le génocide rwandais. Levée de bouclier dans le camps des Batutsi quand ce juge antiterroriste français  a désigné Paul Kagame, autoproclamé sauveur des Batutsi du monde antier. Dans le camp des Bahutu, le juge en fin de carrière est vénéré comme un véritable envoyé de Dieu le Père. Naïveté, naïveté... M. Bruguière a brandi des mandats d'arrêt contre les collaborateurs de Kagame, ce dernier étant lui-même visé mais protégé par l'immunité présidentielle, mais le spectaculaire show de Roza wacu à Paris a démontré comment ces mandats ne sont que des épouvantails à corbeaux!
Puisque le génocide rwandais est quand-même un truc avec lequel on peut faire un business, les Occidentaux ne manquent pas d'astuces de bercer les victimes de tous bords en les maintenant dans un suspens éternel, le temps d'obtenir ce qui leur avait été refusé au temps de Habyarimana ou de puiser tranquillement les richesses d'un Congo ingouvernable. Quand ça commence à friser le scandale, les magiciens occidentaux revoient leurs tactiques: le blâme change de camp et la partie commence de plus belle. Hier les Bahutu souriaient, aujourd'hui c'est le tour des Batutsi!
En accusant Kagame, les Français mettait l'homme fort de Kigali sous pression, et ce dernier a dû débourser de gros montants pour créer l'illusion d'arracher un "mea culpa" de la bouche de Sarkozy. En identifiant vaguement le lieu de tir du missile de fabrication soviétique qui a abattu le Falcon 50, faisant croire à la culpabilité des Bahutu proche du président défunt, les Français qui étaient ses principaux alliés n'ont d'autre objectif que de mettre à genoux tous les protagonistes de la question rwandaise. Totale diversion. Les Français devraient clairement montrer leur rôle dans toute cette saga. Sans mentionner explicitement qui a tiré le missile, le successeur de M. Bruguière veut de nouveau tester la naïveté des Batutsi. Attendons voir si M. Trévidic lancera bientôt les mandats d'arrêt contre les Ex-FAR dont certains sont de nouveaux collabos de Paul Kagame.
Voyons donc! Ceci arrive au moment où une lueur de confiance commençait à se dessiner à l'horizon entre les deux camps, Bahutu et Batutsi de l'opposition étant arrivés à un certain niveau d'entente qui en définitive est susceptible de venir à bout du problème. Avec les récentes révélations de l'ancien bras droit de Paul Kagame, le Dr Théogène Rudasingwa, il est évident que les filet se serraient autour du poisson, et maintenant les illuminés viennent de brouiller les cartes! Dites-moi, chers compatriotes, à qui de nous profite ce jeu occidental

Ismail Mbonigaba