Robin Philpot
Auteur de Ça ne s'est pas passé comme ça à Kigali (Les
Intouchables, 2003)
Édition du
lundi 19 janvier 2004
Le mot «négationnisme», qui a paru tardivement dans Le Petit Robert -- depuis 1990 seulement --, décrit une position idéologique odieuse consistant à nier l'existence des fours crématoires et, partant, le génocide des Juifs par l'Allemagne nazie. Il fait suite à la publication de textes en ce sens dans les années 1980, notamment par des gens proche du Front national en France. Quarante ans s'étaient écoulés depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale alors qu'il avait été établi hors de tout doute qu'un élément central de la politique des nazis, depuis leur accession au pouvoir en 1933, consistait à éliminer les Juifs.
Transposer ce terme, et tout ce qu'il évoque,
au débat sur la tragédie rwandaise est devenu une mode -- étonnamment même
chez certains professeurs, dont MM. Joyal, Tellier et Trudel dans leurs textes
publiés par Le Devoir la semaine dernière -- pour empêcher de douter,
d'examiner la preuve, de poser des questions, d'analyser le vocabulaire, de
prendre la parole et de chercher les causes d'une crise de grande envergure
qui a entraîné, d'abord au Rwanda et ensuite au Congo, des millions de
morts. Il s'agit ni plus ni moins d'un bâillon.
La vérité historique absolue et définitive aura été décrétée dès 1994
par des «historiens de l'immédiat» -- certains chercheurs sur le Rwanda se
définissent ainsi -- et gare à ceux et à celles qui osent dire : mais
peut-être ça ne s'est pas passé comme ça.
Rejet catégorique
Dans aucun de mes écrits, ai-je nié qu'il y ait eu des tueries massives, même
parfois à caractère ethnique. Par contre, je rejette catégoriquement
l'utilisation abusive du terme «génocide», entre autres, parce que cela
exonère l'un des belligérants de la guerre, l'armée du Front patriotique
rwandais, dont la stratégie politique, ficelée et appliquée bien avant
avril 1994, visait à profiter de la culpabilité européenne et américaine
à l'égard du génocide juif pour obtenir des appuis et renverser le
gouvernement Habyarimana du Rwanda.
Le FPR justifiait toutes ses offensives et exactions meurtrières contre la
population civile rwandaise, surtout Hutu, entre 1990 et 1994, en évoquant un
génocide qui aurait été en cours depuis l'indépendance du Rwanda.
Je me permets de paraphraser l'ancien ministre de la Justice des États-Unis,
M. Ramsey Clark, qui, par ailleurs, avait assisté au Tribunal de Nuremberg établi
pour juger les dirigeants nazis. «Crier au génocide, dit-il, c'est comme
crier au meurtre. Tout le monde peut crier au meurtre, sans que cela ne prouve
qu'il y a eu meurtre. Il ne fait pas de doute que l'utilisation du terme génocide
de façon si massive et sans définition dans le discours public sur le Rwanda
ne vise qu'à démoniser et à déshumaniser les Hutus.
«L'insistance sur l'idée qu'il n'y avait qu'un seul groupe ethnique qui a
comploté pour détruire tous les membres d'un autre groupe est contraire à
l'expérience et à tout ce qui est possible. C'est une tentative de fabriquer
un consensus dans l'opinion internationale pour condamner la vaste majorité
du peuple rwandais.»
Ramsey Clark ajoute : «On parle de Tutsis et de cette invention, les
Hutus modérés, ce qui veut dire, probablement, des Hutus qui ont appuyé le
FPR. Ce faisant, on refuse de traiter la catastrophe sur le plan politique,
mais seulement ethnique, ce qui est terriblement trompeur. Tout le monde sait
que c'est une lutte politique qui n'a pas cessé depuis l'époque coloniale.»