Question
rwandaise : les contre-feux
(Libre
antenne 30/05/2006)
Soumis régulièrement à de nouvelles révélations
embarrassantes en rapport avec la tragédie rwandaise de 1994, Paul Kagame et
ses courtisans – au Canada ou ailleurs – s’efforcent de faire diversion.
Face à l’incendie qui menace leur ligne de défense jusqu’ici présentée
à l’opinion publique, les autorités de Kigali tentent, au travers d’un réseau
très agile et qui s’est avéré extrêmement efficace dans l’art de
l’intoxication et la manipulation, d’allumer des contre-feux en agitant le
spectre du « révisionnisme » ou « négationnisme ». D’une part, contre
les médias ou des personnalités crédibles (chercheurs ou journalistes-enquêteurs)
qui voudraient élucider les tenants et aboutissants de la tragédie
rwandaise; et, d’autre part, contre des Canadiens originaires de la région
des Grands Lacs africains qui se sont récemment mobilisés pour dénoncer la
venue de Kagame au Canada.
À l’examen, je retiens quatre exemples frappants pour illustrer mon propos.
Premier exemple, la réaction de l’Ambassadeur du Rwanda à Ottawa, relayée
par Jean Kamanzi –au nom du Réseau mondial des Rwandais de la diaspora
(section Canada) –, dans le sillage de la visite controversée de Kagame au
Canada. Ces messieurs, mus par la faim insatiable de salir la réputation de
ceux qui ne partagent pas leur opinion au sujet de la ténébreuse question
rwandaise, qualifient de «nostalgiques de l’ancien régime», leurs
compatriotes Rwandais rassemblés au sein du Congrès rwandais du Canada pour
avoir osé dénoncer les crimes commis par Kagame. Mais ces propos cachent
bien mal le malaise profond au sein des partisans du Front patriotique
rwandais (FPR) –le mouvement rebelle tutsi dirigé par Paul Kagame lors de
l’invasion du Rwanda en 1990– de plus en plus inquiets de voir leur
argumentaire se fissurer à la faveur de nouveaux éléments concordants qui
incriminent Kagame pour son rôle dans le cataclysme rwandais de 1994.
Deuxième exemple, l’attaque en règle par Pierre Bigras (Montréal) du
journaliste français Pierre Péan, auteur du livre «Noires fureurs, blancs
menteurs, Rwanda 1990-1994» (Éditions Fayard, 2005), ainsi que de la Société
Radio-Canada et des journalistes de l’émission Zone libre (confer le
reportage «Mystère Corneille»), Raymond Saint-Pierre en tête, traités de
« révisionnisme ».
Un mot très court, pour le bénéfice du lecteur, à propos de cet ouvrage de
Pierre Péan. Le livre nous apprend que ce sont Kagame et le FPR qui portent
la responsabilité première dans la tragédie rwandaise de 1994. Prêt à
tout pour prendre le pouvoir au Rwanda, Kagame aurait assassiné le président
Habyarimana en sachant que ce geste allait déclencher le chaos et que les
Tutsis de l'intérieur en paieraient le prix suprême, victimes de délirantes
représailles des extrémistes Hutus. Il y eut bel et bien une folie meurtrière
qui a emporté les Tutsis de l'intérieur et des milliers de Hutus. Ces
meurtres innommables ont été, à juste titre, qualifiés par les
Nations-Unies de «génocide rwandais». Personne ne nie ce génocide et les
auteurs doivent en porter la responsabilité. Ce qui est nouveau dans cette
triste histoire, c’est le témoignage accablant, avec une précision «chirurgicale»,
du lieutenant Abdul Ruzibiza, ancien compagnon d’armes de monsieur Kagame,
dans le livre «Rwanda : l’histoire secrète» (Éditions du Panama, 2005)
qui met à nu les nombreux crimes que le FPR a commis pour la conquête du
pouvoir. Hier présenté comme un héros, Paul Kagame est aujourd’hui un
homme aux mains maculées de sang.
Le journaliste québécois Raymond Saint-Pierre, s’étant abondamment inspiré
des témoignages des anciens officiers du FPR (les lieutenants Ruzibiza et
Ruyenzi), au terme de deux ans de recherche intensive, est arrivé aux
conclusions que Radio-Canada nous a présentées dans son émission Zone libre
du 21 avril dernier, à travers laquelle un ensemble d’éléments
concordants ne laissaient planer aucun doute sur la responsabilité de Paul
Kagame dans la tragédie rwandaise qui eut pour détonateur, rappelons-le,
l’attentat du 06 avril 1994 contre le chef de l’État rwandais de l’époque.
Peut-on, dès lors, reprocher à ces chercheurs et/ou journalistes d’avoir
fait leur devoir en donnant, après des années harassantes de recherche et
d’enquête, un faisceau d’indices –certes encombrants pour Kagame et ses
supporters– susceptibles d’éclairer la lanterne du public qui ne cherche
qu’à mieux saisir la question rwandaise ?
Kagame et son armée ne peuvent facilement se dédouaner de ces faits
troublants. Que l’on se le dise une fois pour toutes : mettre en lumière
les responsabilités de tous les protagonistes dans la tragédie rwandaise
n’est synonyme ni de «révisionnisme» ni de «négationnisme». Comme
disait A. Camus, mal nommer les choses, c'est ajouter aux malheurs du monde…
Il faudrait donc une enquête approfondie, dégagée de l’arithmétique
politique partisane, dans le but d’établir la vérité et faire triompher
la justice. Est-ce trop demander?
Troisième exemple, les amalgames de Pierre Bigras (voir le site www.obsac.com
) qui, tel un véritable porte-parole de l’Ambassade du Rwanda au Canada et
du FPR, assimile les Canadiens originaires de la région des Grands Lacs
africains, non partisans de l’idéologie du FPR, aux membres de groupes armés.
Ici, nous sommes en présence de propos qui dépassent les bornes. Dans la
triste histoire de la tragédie rwandaise, monsieur Bigras devrait se défier
des amalgames, se prémunir des raccourcis et des faux-semblants. Ceci porte
un nom : exercer son métier avec professionnalisme. En lieu et place
d’observer un tel comportement, Pierre Bigras s’adonne à une diatribe
mensongère contre les membres d’une communauté dont le seul «péché»
est d’avoir exprimé librement leur opinion, dans les limites permises par
la loi canadienne, selon l’idée qu’ils se font des évènements qui
ensanglantent leurs pays d’origine. Est-ce devenu un crime de lèse-majesté
que d’exprimer son opposition au régime de terreur instauré par Paul
Kagame ? Quoi de plus normal, dans un pays qui garantit les libertés
individuelles, pour de simples citoyens –ayant tout laissé derrière pour
avoir la vie sauve–, de dire leur opposition aux visées politiques de
Kagame dont les desseins funèbres se soldent par un bilan très lourd en
termes de pertes en vies humaines ?
Les écrits de Pierre Bigras en rapport avec les évènements qui déchirent
la région des Grands Lacs africains ne laissent présager un éventuel
recentrage de sa part. Homme de certitudes, incapable d’avouer une erreur
quelconque d’appréciation, inapte à faire une autocritique, convaincu que
ses intuitions sont les bonnes et que celles des autres sont futiles, Pierre
Bigras ne donne aucun signe de vouloir tempérer ses jugements fortuits ou
s’amender. Mais nous respectons son opinion. Qu’il veuille, à son tour,
respecter celle des autres, quand bien même opposée à ses convictions
profondes.
Enfin, le quatrième exemple concerne la publication récente par Kigali
d’une nouvelle liste «des suspects du génocide». Nous l’avons dit, les
auteurs du génocide rwandais doivent être responsables de leurs gestes. Mais
il est inacceptable de voir Kagame –un criminel de guerre avéré aux
commandes d’un gouvernement aux abois qui, ne tolérant aucune opinion
divergente, sème la mort et la désolation–, se livrer à la chasse aux
sorcières alors que son régime regorgent de responsables –jamais inquiétés–
sur lesquels pèsent de lourdes charges de crimes contre l’humanité.
Personne n’est dupe, la meilleure défense, c’est l’attaque! En rendant
publique une liste de «nouveaux suspects», Kigali cherche à brouiller les
cartes et freiner l’élan de ses opposants, devant l’évolution des procédures
judiciaires qui pourraient, dans un avenir peut-être plus rapproché que
l’on ne le croit, viser le FPR et Kagame lui-même.
Toutes les initiatives ci-haut mentionnées, visiblement avancées sur
instruction de Kigali, visent à détourner l’opinion publique de son
attention dans sa quête de démêler le vrai du faux et rendre plus compréhensible
ce qui est apparu jusqu’ici indéchiffrable quant aux auteurs de
l’attentat du 06 avril 1994, catalyseur de la tragédie rwandaise.
Ne voilà-t-il pas que Paul Kagame et ses partisans sont engagés dans une
ronde infernale de la maîtrise d'un bateau qui prend l'eau? Au tragique point
de rupture actuel que le public est obligé d'opérer suite à un faisceau d'éléments
nouveaux qui convergent vers la responsabilité de Kagame et de son armée
dans les évènements qui ont endeuillé le Rwanda en 1994, force est de
constater que les partisans de Kagame ont intégré des compétences qui ne résistent
plus à la complication qu’ils ont eux-mêmes engendrée.
Mais une question demeure : vers qui l’opinion internationale devra-t-elle
se tourner une fois lassée des faux-fuyants lui servis par la dérive
totalitaire du régime de Kagame avec ses caisses de résonance établies au
Canada ou ailleurs? Allez savoir! Il est à imaginer que cette opinion pourra
encore compter sur les idéologues au pouvoir à Kigali. Chose plausible, elle
pourrait compter sur l’élite rwandaise ayant fui ce régime et désormais réfugiée
un peu partout dans le monde. Mais cela dépendra bien d'elle. Il faudra que
cette élite soit une voix qui porte et qui rend inaudibles les sirènes qui
se sont, depuis une quinzaine d’années, arrogé le monopole de la vérité.
Dr. Augustin Baziramwabo
Gatineau, Québec, Canada
Mai 2006