EXCLUSIF
RWANDA :
AUTOPSIE D’UN GENOCIDE
Par
Christian Hoche et Jean-François Uitlander
C’est un abcès qui ne se referme pas . Un silence qui s’éternise
. Et des fantômes qui continuent de hanter la conscience des hommes . Il y a
dix ans, le génocide rwandais, provoqué par l’attentat contre le
chef de l’Etat ,Juvénal Habyarimana, faisait plus de 800 OOO morts.
Pour expliquer ce « crime des crimes », une version a fini , à
l’usure , par s’imposer : ces massacres planifiés
, visant les Hutus modérés et surtout la minorité tutsie, furent
commis par les milices extrémistes des Interahamwe, les nervis de la présidence
, encouragés par l’Akazu (la maisonnette), le surnom donné
aux proches du défunt
chef de l’Etat . Jusqu’au bout , ces escadrons de la mort furent discrétement
soutenus par la France , liée
au Rwanda depuis 1975 par un accord secret de défense.
Polémiques indécentes et manipulées: d’un côté, les bons,
c’est-à-dire le Front patriotique
rwandais (FPR) et ses valeureux combattants de la démocratie ; de
l’autre , les mauvais, autrement dit l’équipe au pouvoir à Kigali,
soutenue par une « Françafrique » forcément diabolisée.
Cette vision politiquement correcte est
radicalement battue en brèche par André Guichaoua
( Le Monde du 7 mai 2 004) et par un dissident du FPR pour lequel, «
si Habyarimana a planifié le génocide, c’est Kagamé , l’actuel président
du Rwanda qui
a permis le passage à l’acte ». Guichaoua n’est pas un
inconnu . Il est l’un des plus grands africanistes français, expert-témoin
auprès du Tribunal Pénal international d’Arusha (TPIR), et n’a jamais
caché son opposition virulente au régime de Juvénal Habyarimana ni sa
sympathie passée pour le Front patriotique rwandais. Or ,il
révèle que la procureur du TPIR, la très médiatique Carla del
Ponte, a refusé en octobre
2 002 , de verser au dossier
d’instruction, un rapport établi par des officiers rwandais, Ce document démontrait
l’implication de Paul Kagamé dans l’attentat du 7 avril 1994 contre le
Falcon 50 présidentiel qui coûta la vie à Juvénal Habyarimana et qui
« libéra les forces les plus
fanatiques chez l’ennemi ». Ce compte-rendu , en forme de réquisitoire
a été , depuis lors , transmis au juge français Jean-Louis Bruguière
, saisi du dossier de l’assassinat , qui en aurait fait son miel.
Cette pièce à conviction reprend pour l’essentiel , le témoignage
de Vénuste, dit Abdul Ruzibiza, sergent dans l’Armée patriotique rwandaise
et tueur occasionnel pour le compte du FPR, aujourd’hui réfugié dans un
pays scandinave. Rédigé en langue kinyarwanda
, ce texte , dont Marianne a pu en prendre connaissance , constitue
l’une des meilleures descriptions de l’intérieur du FPR et de ses
méthodes qui n’ont rien à envier à celles des Khmers rouges. On découvre
en le lisant , un mouvement qui
tient moins du mouvement de libération nationale que d’une secte animée
d’une ahurissante frénésie homicide .
Bien avant ce funeste mois d’avril 1994,
le Front patriotique rwandais se livre à des meurtres d’opposants
politiques dans le seul but de provoquer l’Apocalypse . Il s’agit pour lui
de provoquer un bain de sang qui accélerait sa prise du pouvoir .Formé
majoritairement d’exilés tutsi en Ouganda, au Zaïre, en Tanzanie et au
Burundi , il recrute aussi des Tutsi installés
au Rwanda . Ces derniers « devaient
attendre au moins deux ans avant de mériter
la moindre confiance. Même chose
pour se hisser dans la hiérarchie militaire
, car le commandement était monopolisé par des Tutsi venus
d’Ouganda dans la proportion de 95% ».
En
octobre 1990 , les milices du FPR , à partir de leur sanctuaire ougandais
, tentent de s’infiltrer à la frontière rwandaise . Repoussés ,
les assaillants décident de se
venger en se livrant à des représailles sur la population locale . «
Voilà comment on s’y prenait , explique Abdul Ruzibiza . Une fois qu’ils
avaient transporter nos blessés
et nos morts , nous leur faisions creuser leur propre tombe . Parfois ,
nous leur ordonnions de s’entretuer jusqu’au dernier
. Autrement, les gens étaient
enchaînées bras liés aux jambes. On leur brisait le crâne avec une
vieille houe, on leur enfonçait des coups de couteaux dans les côtes
jusqu’à ce que mort s’ensuive ».
Avec
la fin des incursions en territoire rwandais et la prise de contrôle
de zones gouvernementales , les soudards du FPR
reçurent l’ordre, toujours selon
le témoignage d’ Abdul », de
« tuer toute la
population sans épargner qui que ce soit » . Un ordre verbal
formulé par Paul Kagamé en kyniarwanda et en swahili .
Après la tenue , en 1993 , d ‘élections
pour remplacer les conseils communaux dans la zone démilitarisée , le
FPR découvrit avec stupeur que le scrutin avait été massivement remporté
par le MRND , l’ancien parti unique .Il décréta que la démocratie était
« manière de Blancs »
et qu’il convenait donc de s’emparer du pouvoir par la force .
C’est dans ces conditions qu’il fit rentrer au Rwanda
d’importants stocks d’armes entreposés dans des caches « afin
de procéder à un assaut
final » programmé
dès septembre 1993. Quant au Network,
l’escadron de la mort exerçant à Kigali ( où le FPR avait installé un
bataillon de 600 hommes dans les locaux de l’ancien Parlement) ,
il reçut l’ordre d’abattre plusieurs chefs de l’opposition
hostiles à Habyarimana mais qui refusaient de collaborer avec un FPR
compromis par trop d’horreurs ...
Dans sa déposition, Abdul
Ruzibiza révèle que la décision d’abattre Habyarimana fut prise le 31
mars 1994 à Mulindi, dans le nord du pays où le FPR avait installé son QG
dans les locaux d’une usine de thé. C’est là que les principaux
officiers du FPR , stationnés à Kigali , avaient été rapatriès dès la
dernière semaine de mars pour préparer l’offensive finale .
. Assistaient à cette réunion Paul Kagamé, le colonel Kayumba
Nyamwasa, le lieutenant-colonel James Kabarebe, le colonel Théoneste Lizinde,
le major Jacob Tumwina et le capitaine Charles Kanamka. La communauté
internationale avait adressé aux parties en présence un ultimatum fixant au
8 avril la date limite pour la mise en place des institutions de transition prévus
par les accords d’Arusha, faute de quoi le détachement de l’ONU au
Rwanda, la Minuar, plierait bagages. Cest alors que le FPR décida de passer
à l’offensive, sachant pertinemment que « les
rapports de ses agents à
Kigali s’accordaient tous un point : l’assassinat
d’une personnalité de premier plan provoquerait l’étincelle de
l’extermination immédiate des Tutsi ». Peu importait. Kagamé et
les siens détestaient les Tutsi restés au Rwanda après 1959 : «
Tout Tutsi né au Rwanda ,précise
Addul Ruzibiza , ne pouvait susciter la confiance du FPR .S’il
est tué et que nous pouvons imputer sa mort au régime, c’était
autant pour nous ». Cette haine
coûta la vie aux Bagogwe de Mudinde et aux Tutsi de Kabtwa à Gisenyi
, ces derniers étant assassinés par un commando FPR
,alors que les premiers étaient abandonnés à leur triste sort .
Transfuge du FPR , Abdul Ruzibiza est le premier, à notre
connaissance, en dépit des travaux pionniers de Charles Onana à fournir la
composition du commando qui tira sur le Falcon 50 de Juvénal Habyarimana des
missiles soviétiques Sam 16
provenant des stocks de l’armée ougandaise. Placé sous les ordres
du major Ruzahaza, ce groupe comprenait l’adjudant Eugène Safari ,
le sergent Moses Nsenga, le sergent Tumushukuru, l’adjudant Stanley
Rwamapasi, l’adjudant Seromba, le soldat Joseph Nzabamwita, le major Birasa,
le sergent Didier Mazimpaka, le capitaine Frank Nziza, le caporal Eric
Hakizimana, le sergent Potiano Ntambara et le sergent Aloys Ruyenzi, dont la
plupart sont encore vivants et, pour certains réfugiés en Ouganda. Le
caporal Eric Hakizimana aurait «
effectué le premier tir sur l’appareil , il le toucha à son aile droite
sans le descendre, il pouvait encore atterrir sur l’aéroport, ce fut le
deuxième tir qui l’acheva », deuxième salve
tirée par le capitaine
Frank Nziza.
Ce furent les nuits des longues machettes .
Pendant trois mois , le
pays des « Mille Collines » va puer la mort . Abdul Ruzibiza
affirme que les troupes FPR cantonnées au Parlement, rejointes par d’autres
unités, ont reçu l’ordre,
alors qu’elles en avaient les moyens, de ne pas intervenir pour sauver leurs
frères et parents parce le génocide constituait la pièce maitresse de la
conquête du pouvoir . Notre témoin écrit des lignes de nature à provoquer
la nausée : « La
seule ville de Kigali comptait plus de 12 000 hommes de troupes Inkotanyi
(FPR), et malgré cela, les gens continuaient à être massacrés (…) Il est
écœurant de constater que pendant que le sang de nos parents continuait à
couler , les Afande (chefs) donnaient à leurs troupes le droit de piller .
Les sieurs Kaka, Dodo, Ngoga, Bagire, Kayonga étaient tous en compétition
pour le pillage du plus grand nombre de Land Cruisers. Leurs troupes se sont
livréés à la débauche, au pillage du lait Nido, à l’ivresse par les
Carlsberg, le whisky, la Mutzig et la Primus ».
Ce
n’est sans doute pas par hasard si, dès le début des années 90, certains
spécialistes du Rwanda, tels Marie-Roger
Biloa, Charles Onana, le
correspondant de Jeune Afrique ou des journalistes de la presse d’opposition
ougandaise mettaient en garde l’opinion publique internationale contre le
FPR en les qualifiant de « Khmers noirs », effrayés par les
exactions dont ces militants fanatiques, formés dans
la mouvance marxiste-léniniste ,
se montraient coupables . « J’exhorte tous ceux qui dorment encore à
se réveiller , supplie Abdul Ruzibiza . Nous ne pouvons continuer à dormir
dans le sang de nos parents et amis . »
«
Que faisiez-vous pendant le génocide ? »
Le
7 avril dernier, lors des cérémonies commémoratives du dixième
anniversaire de la tragédie rwandaise, Paul Kagamé a publiquement accusé
Paris « d’avoir du sang
sur les mains ». Evoquant le rôle des militaires français stationnés
au pays des Mille collines jusqu’en décembre 1993, il n’a pas craint de
les assimiler à des instructeurs d’Einstazgruppen : « Ils
ont sciemment entraîné et armé les miliciens qui allaient commettre un génocide
et ils savaient qu’ils allaient commettre ce génocide ».
Dans les coulisses du pouvoir à Kigali, la progression de l’enquête
menée par le juge Jean-Louis Bruguière sur les auteurs de l’attentat du 6
avril 1994 contre le président Habyarimana donne des sueurs froides aux
dirigeants actuels . La meilleure défense étant l’attaque, Paul Kagamé a
choisi l’artillerie lourde, cette fois de manière symbolique .Ces
accusations seraient le fait de « faurissoniens » africains
ou africanistes. La diplomatie rwandaise a beaucoup « communiqué »
auprès de certains journalistes amis
pour se justifier . À
Paris, en avril 2 004, les parents des victimes du génocide, rassemblés dans
l’association Ibuka,
n’ont pu manifester au Trocadero sur le parvis
des droits de l’Homme alors
que les « génocidaires »
nostalgiques du régime Habyarimana y ont été autorisés et ont pu tenir
colloque à la Sorbonne.
Nul
n’a cherché à vérifier l’information. Or le colloque organisé par Africa
International et la Fédération des associations rwandaises comptait pour
principaux intervenants Faustin Twagiramungu, Pierre-Céleste Rwigema et
Jean-Marie Vianney Ndagijamana. Trois hommes qui ne sont en rien des génocidaires.
Le premier, membre du Mouvement démocratique républicain et opposant à
Habyarimana, fut le Premier ministre de Paul Kagamé de juillet 1994 à août
1995. Le deuxième occupa les mêmes fonctions d’août 1 995 à février 2
000 et le troisième fut ministre des affaires étrangères de Kagamé de
juillet à octobre 1994. Présentés comme des Hutu modérés adversaires du génocide,
ils commirent toutefois l’erreur de rompre avec l’actuel régime de
Kigali, dénonçant son caractère dictatorial et les éliminations physiques
d’opposants et de choisir l’exil en Belgique ou aux Etats-Unis. Cette
dissidence leur a valu d’être soudain accusés
du crime de génocide, une charge pesant également sur l’ancien chef
d’Etat rwandais de 1994 à 2 001, Pasteur Bizimungu, rallié au FPR dès
1990, emprisonné depuis « pour
avoir embrassé l’idéologie génocidaire » et traduit ces dernières
semaines devant un tribunal.
C’est
la méthode de désinformation stalinienne choisie par Paul Kagamé. Quand les
chancelleries occidentales protestent contre ces aberrations, la réponse est
tout trouvée : « Que faisiez-vous pendant le génocide ?
Pourquoi n’êtes-vous pas intervenus ? ». Un chantage très
efficace auquel font écho les adeptes de la bien-pensance africaniste partis
en lutte contre le « rôle criminel de la France » et dont
les délires d’un Patrick de Saint-Exupéry, déjà évoqués dans Marianne,
sont la manifestation la plus affligeante. Il faut en finir une fois pour
toutes avec ce chantage qui permet à Kagamé de s’auto-déculpabiliser à
peu de frais et qui constitue une insulte
à la mémoire des victimes.
J-F.U.