Alphonse Krugger
09.04.04
La cérémonie du 7 avril en mémoire aux victimes du génocide rwandais est,
juste dans sa conception, dangereuse dans son contenu et surtout injuste dans sa
pratique.
Je fais une affirmation grave que je voulais illustrer par cet exemple :
En mars 2003, je me suis rendu à Kigali au Rwanda et j'ai rencontré plusieurs personnes et personnalités. J'ai été ému par l'histoire de Charles, un ancien enseignant originaire de Byumba.
Charles a quitté sa préfecture en 1992, sa femme, ses enfants, ses parents, ses voisins tous ont été tués (il est inutile de revenir sur l'identité des assassins, ils se reconnaîtront).
Il vit à Kigali dans le dénuement total physique et moral. Il a toujours peur comme la majorité des hutu accusés à tord ou à raison d'être des meurtriers.
Quand le 7 avril approche, il est très inquiet, il déprime souvent car on ne parle que des victimes du génocide, des tutsi. Lui hutu n'a rien à dire, car les hutu ont tué.
Lorsqu'il est retourné chez lui, à l'occasion du recensement de la population, il a eu la confirmation que c'est lui seul le «rescapé» de toute une colline.
Non loin de chez lui près du bureau communal, les ossements des membres de sa famille étaient exposés au public. Il a reconnu le bracelet en cuivre que portait sa femme, la pipe de son vieux père et d'autres habits de ses enfants, séchés dans le sang.
Le catéchiste de la colline voisine, lui a dit de ne rien dire, car tout le monde s'est mis d'accord que se sont des victimes tutsi. C'est avec la mort dans l'âme qu'il est rentré à Kigali.
Sa voisine (à Kigali) qui se prénomme Marie Rose, elle est tutsi, elle a eu la chance, toute sa famille est en vie. Ils ont été protégés par un des chefs interahamwe prénommé Fulgence.
Marie Rose est conviée à toutes les cérémonies de souvenirs du génocide, elle est d'ailleurs membre d'une association qui défend les intérêts des victimes du génocide, Ubuka.
Quand je lui ai demandé pourquoi elle avait toutes ces considérations, et pour quelles raisons elle n'a pas associé son voisin Charles à ses activités, elle m'a regardé et m'a dit que je n'avais rien compris.
Avant mon départ elle m'a dit: «C'est vrai que Charles est un rescapé, moi je ne le suis pas. Mais ici tout tutsi est rescapé, tout hutu est génocidaire. Ce n'est pas nous, c'est nos dirigeants qui l'ont fait et j'ai peur pour l'avenir».
Charles lui m'a dit avec une tristesse mélangée de haine: «J'ai honte de vivre, les ossements de ma famille sont exposés aux intempéries sans aucune considération..... Je vous affirme qu'être hutu est un crime de génocide, je mérite de mourir».
Il est malhonnête de parler de reconciliation au Rwanda d'aujourd'hui