POLITIQUE :
La tension monte encore entre le Congo et le Rwanda
Par Juakali Kambale
KINSHASA, 27 avr (IPS) -
Le ministre congolais des Affaires étrangères, Antoine Ghonda, a exigé,
lundi à Kinshasa, le retrait des troupes rwandaises du territoire de la République
démocratique du Congo (RDC), indiquant qu'il saisirait le Conseil de sécurité
des Nations Unies.
La tension est montée d'un cran dans les difficiles relations entre la RDC et
le Rwanda, du 24 au 26 avril, à la suite d'une incursion des troupes
rwandaises dans la province congolaise du Nord-Kivu, frontalière avec le
Rwanda, à l'est.
Depuis la commémoration, au Rwanda, le 6 avril, du 10ème anniversaire du génocide,
différentes organisations non gouvernementales locales en RDC n'ont cessé de
dénoncer des incursions des troupes rwandaises sur le territoire congolais. Vérification
faite, la Mission d'observation de l'ONU au Congo (MONUC) a confirmé les
faits à Bunagana, une localité située non loin de frontière rwandaise,
dans la province du Nord-Kivu.
''En fait, nos éléments étaient en mission pour vérifier les informations
faisant état d'incursions sur le territoire rwandais, de soldats des
ex-Forces armées rwandaises (FAR) hostiles au régime en place à Kigali
lorsqu'ils sont tombés nez à nez avec les éléments des forces régulières
rwandaises, le mardi, 21 avril 2004'', a déclaré, Hamadoun Touré,
porte-parole de la MONUC, samedi (24 avril) à Kinshasa, la capitale
congolaise.
''Les militaires rwandais ont dit aux éléments de la MONUC qu'ils étaient
à la recherche des éléments ex-FAR et du FDLR (Front démocratique de libération
du Rwanda), et leur ont demandé de se retirer. Ce que nos éléments ont
fait. Il faut éviter des incidents inutiles'', a ajouté Touré.
C'est la première fois que la MONUC confirme formellement une présence des
troupes rwandaises sur le territoire congolais depuis leur retrait officiel en
novembre 2002.
La réaction du Rwanda a été très virulente contre la MONUC. ''Nous n'avons
aucun homme en RDC'', s'est insurgé le porte-parole de l'Armée de défense
rwandaise, le colonel Patrick Karegaya, interrogé, depuis Kinshasa, par Radio
Okapi, la radio de la MONUC. ''Nous attendons que la MONUC vienne nous
apporter la preuve de ses accusations'', a-t-il ajouté.
Le ministre rwandais des Affaires étrangères, Charles Murigande, a eu la même
réaction, mais en termes moins diplomatiques. ''La MONUC peut faire des
erreurs. C'est une institution composée d'êtres humains. Ce qui s'est passé
à Bunagana, c'est que la MONUC s'est trouvée avec une unité de l'armée
congolaise dirigé par des officiers parlant le Kinyarwanda. Nous attendons,
ici à Kigali, le commandant de la MONUC qui doit nous apporter la preuve de
ses mensonges''.
Le représentant spécial du secrétaire général de l'ONU et chef de la
MONUC, William Swing, se trouve à Kigali, la capitale rwandaise, depuis le
lundi (26 avril), pour des pourparlers avec les autorités rwandaises à ce
sujet.
La situation paraît suffisamment alarmante pour que le chef de la MONUC
s'investisse personnellement. Le dimanche (25 avril), Swing a adressé deux
lettres officielles aux ministres des Affaires étrangères du Rwanda et du
Congo, demandant aux deux pays de trouver une issue diplomatique à la
situation. ''Les bruits de botte, qui se font entendre à l'est du pays, sont
un mauvais présage pour la suite de la transition'', a-t-il écrit.
Ces incidents surviennent alors qu'on s'attendait à une normalisation des
relations diplomatiques entre la RDC et le Rwanda. Au cours des festivités
marquant les dix ans du génocide rwandais, le président rwandais, Paul Kagamé,
avait déclaré aux journalistes congolais qui couvraient l'événement qu'il
ne voyait aucun inconvénient à se rendre bientôt à Kinshasa et qu'il n'en
voulait pas particulièrement au peuple congolais.
A Kinshasa, les Congolais, qui s'étaient déjà réjouis du climat de dégel
politique entre les deux capitales, s'étonnent que dans le même temps, le
Rwanda envoie ses troupes sur leur territoire, en dépit des accords signés
entre les deux pays, à Pretoria, en novembre 2003.
Pour Vital Kamerhe, ministre congolais de l'Information, le Rwanda vient de
procéder à une violation grave des accords de Pretoria : ''Le Rwanda s'était
engagé, à Pretoria, à quitter définitivement le Congo et à ne plus y
retourner'', a-t-il déclaré.
''Il n'a jamais été question que le gouvernement de la RDC commence à
courir derrière les Interahamwe (ex-milices rwandais). Ce à quoi les deux
pays s'étaient engagés à faire, c'était de collaborer, chacun dans
l'espace qu'il contrôlait, au moment de la signature de l'accord, avec la
MONUC dans le cadre du désarmement et du rapatriement des groupes armés.
Nous l'avons fait dans le territoire que nous contrôlions, mais le Rwanda n'a
jamais fait le moindre bilan du territoire qu'il contrôlait'', a affirmé
Kamerhe.
Visiblement, le Rwanda et la RDC n'ont pas la même compréhension de l'accord
qu'ils avaient, tous les deux, signé à Pretoria, car le ministre rwandais
des Affaires étrangères soutient que l'accord demandait au gouvernement
congolais de désarmer et de rapatrier tous les ex-FAR et milices interahamwe
au Rwanda.
Les journaux de la capitale congolaise ont beaucoup titré sur ces incidents
de Bunagana depuis lundi. D'une manière générale, ils félicitent la MONUC
d'avoir confirmé ce qu'ils ont toujours dénoncé, mais s'étonnent ''que les
éléments de la MONUC aient battu en retraite devant les troupes rwandaises
trouvées à Bunagana au lieu de les prier de repasser la frontière''.
Gervais Chiralwira, de la société civile du Sud-Kivu, se dit satisfait de
voir enfin l'ONU confirmer les plaintes de la base. ''On nous a toujours traités
d'alarmistes quand nous dénonçons les incursions rwandaises sur le
territoire congolais. Cette présence rwandaise sur notre sol ne vise pas
autre chose que la déstabilisation des institutions au moment où nous devons
nous concentrer sur le processus électoral''. La transition doit s'achever en
RDC par des élections générales en 2005.
Concernant la présence d'éléments présumés du FDRL, prétexte des
incursions rwandaises sur son territoire, le Congo propose la mise sur pied
d'une commission d'enquête indépendante, sous la houlette de la MONUC, ''en
vue d'éclairer l'opinion sur l'existence éventuelle des incursions des
groupes armés en territoire rwandais'', indique un communiqué du ministère
congolais des Affaires étrangères, rendu public le 25 avril à Kinshasa.
(FIN/2004)