Relations
bilatérales : Défense des droits universels ou de l’intérêt national ?
(ARIB.INFO 04/03/2006)
Mardi 28 février, le
professeur Filip REYNTJENS effectuait une sortie médiatique dans deux
journaux belges suite à l’affaire de l’avion de la SN Brussels Airlines
cloué au sol pendant 3 jours à Kigali, pour des raisons dites « techniques
» (cf. @rib News, 24, 25 et 27/02/06 ; 1, 2 et 3/03/06).
Selon le Prof. de l’Université d’Anvers, analyste de la région des
Grands Lacs, le Premier ministre (belge) Guy VERHOFSTADT aurait utilisé un
langage musclé à l’égard du Président Paul KAGAME afin d’obtenir la «
libération » de l’airbus de SN Brussels Airlines, s’appuyant notamment
sur un communiqué du 24 février brandissant la menace d’une révision de
l’aide belge au développement au Rwanda. Quelques mois plus tôt, le
Gouvernement belge avait également exercé de fortes pressions pour obtenir
la remise du Père Guy THEUNIS, jugé pour complicité de génocide au Rwanda,
à la justice belge.
Dr. REYNTJENS écrit dans De Standaard qu’apparemment les ministres belges
ne montrent leurs muscles que lorsque les intérêts belges sont en jeu. Et
d’invoquer un rapport d’Amnesty International de juillet 2005, intitulé
« Democratic Republic of Congo: arming the east », selon lequel un DC8 de la
société rwandaise Silverback Cargo Freighters, qui est retenu au sol à
Zaventem (Bruxelles) depuis août 2005, transportait des armes de l’Europe
de l’Est vers le Rwanda. Silverback louait également un appareil à une
autre société transportant du coltan pillé en République Démocratique du
Congo vers l’Allemagne. C’est plutôt cette affaire, selon lui, qui serait
au centre de la récente dispute rwando-belge. Le Professeur estime que ces
activités-là sont bien plus sérieuses que les manquements techniques, qui
de surcroît ne peuvent étonner personne lorsque l’on sait, citant toujours
Amnesty International, que Silverback a acheté ses deux DC8 au prix
symbolique de 10 dollar la pièce. Mais la Belgique ne s’est apparemment pas
souciée de cela, poursuit-il.
Et REYNTJENS de dénoncer : le fait que le Gouvernement belge n’ait jamais
menacé lorsque, pendant les douze dernières années, le régime rwandais
assassinait des centaines de milliers de ses concitoyens, violait à grande échelle
les droits de l’homme, éliminait l’opposition, la société civile et la
presse indépendante, organisait en 2003 une fraude électorale massive et
attaquait à deux reprises son voisin congolais et se trouvait ainsi à la
base d’un drame humanitaire ayant coûté la vie à quatre millions de
personnes.
Les 25 millions d’Euro que la Belgique dépense annuellement à la coopération
au développement avec le Rwanda ne servent-ils donc de monnaie d’échange
que lorsque la Belgique elle-même se trouve gênée par un régime
totalitaire, s’interroge-t-il. Que des millions de Rwandais et de Congolais
doivent y courber l’échine ne provoque pour ainsi dire aucune émotion, écrit-il
encore en substance.
Interrogé par Roger HUISMAN pour le journal Het Belang Van Limburg sur les
relations belgo-rwandaises, suite aux frictions des affaires du Père blanc
Guy THEUNIS et de l’Airbus de la compagnie belge, Filip REYNTJENS rappelle
que les relations bilatérales entre les deux pays ont très longtemps été
plutôt bonnes. Les récentes affaires y mettent un bémol. A présent, le
Rwanda s’est clairement marché sur ses propres pieds, dénotant beaucoup de
nervosité ainsi qu’une conduite irrationnelle, estime REYNTJENS. Kigali
serait très frustrée par les suites données à l’affaire THEUNIS depuis
son retour en Belgique. S’il ne fait aucun doute pour REYNTJENS que le Père
blanc est innocent des accusations portées contre lui par la justice
rwandaise, Kigali constate aujourd’hui que la justice belge ne le poursuivra
pas, contrairement aux promesses faites au moment de son extradition.
Irritation supplémentaire, le missionnaire catholique belge qui officiait au
Rwanda de 1970 à 1994 et avait été emprisonné de septembre à novembre
2005 à Kigali, s’est vu décerner le « Prix pour la paix » de Kerk en
Leven (ce sui signifie « Eglise et Vie ») pour son travail dans les domaines
des droits de l’homme, de la paix et de la justice, par l’Archevêque de
Gand (Belgique), Monseigneur Luc VAN LOOY.
Filip REYNTJENS observe aussi une grande tension au sein du régime de Kigali.
L’arrestation l’an dernier du colonel Patrick KAREGEYA, un ancien proche
confident de KAGAME, relâché depuis mais dont on n’apprend plus rien, en
est un signe. Couplé à cela : le limogeage de l’ancien chef d’Etat-Major,
ensuite nommé ambassadeur en Inde. Cet homme refusait de partir pour New
Delhi, mais au lendemain de l’arrestation de KAREGEYA, il s’est empressé
de prendre l’avion …
Roger HUISMAN demande alors au professeur si, dans ces circonstances défavorables,
Kigali ne pourrait pas effectuer une fuite en avant, comme lors de ses précédentes
agressions en République Démocratique du Congo, notamment en vue des
prochaines élections en RDC où les vassaux congolais de Kigali n’ont
pratiquement aucune chance de tirer leur épingle du jeu ?
La probabilité est faible, répond REYNTJENS, non parce que les Rwandais ne
le souhaitent pas, mais parce qu’ils n’oseront plus recommencer. Les Américains
sont très attentifs. A chaque fois que Kigali entame des préparatifs
d’agression de la RDC, un coup de fil univoque retentit de Washington. Il y
a une ligne à ne pas franchir. Alors ils s’adressent aux frêles petits frères,
tels que la Belgique. Mais comme dans l’affaire THEUNIS, la Belgique a pu bénéficier
dans l’affaire de l’Airbus du soutien d’alliés. Combien même faut-il
accorder à Karel DE GUCHT (ministre belge des Affaires Extérieures), le crédit
de la victoire diplomatique dans l’affaire THEUNIS, poursuit REYNTJENS, sans
le soutien américain le prêtre n’aurait pas été libéré si rapidement.
Jusqu’à présent le régime de Kigali a été peu inquiété. Les limites
du crédit-génocide, d’un traitement bienveillant en raison du génocide,
sont atteintes, conclut-il. (JLO, d’après De Standaard et Het Belang Van
Limburg, 28/02/06, libres traductions)
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