Kigali se débarrasse des pauvres habitants des bidonvilles pour mettre en oeuvre son projet d'infrastructure et de gestion urbaine |
KIGALI, le 15 septembre (IRIN) - A Kigali, la capitale rwandaise, les
nouveaux immeubles sortent de terre comme des champignons. Mais derrière cet
étalage de modernité se cache une réalité moins joyeuse : des milliers habitants
de quartiers pauvres expulsés de leur maison attendent toujours d'être relogés.
« Après des semaines, des mois et des années, la municipalité n'a toujours pas
tenu sa promesse de nous reloger correctement », se plaint Ephraim Kabalisa, un
cordonnier de 41 ans qui vit près de Nyabugogo, un marché de Kigali.
Kabalisa vit actuellement dans une nouvelle agglomération du district de Rulindo
à une vingtaine de kilomètres de Kigali. Dans chaque agglomération, on compte
entre 50 et 70 ménages.
Le gouvernement a mis en place un programme de construction de logement pour
tenter de résoudre le grave problème de logement. Les habitants des bidonvilles
de Kigali ont été expulsés de leurs maisons, celles-ci ayant été rasées pour
laisser place à de nouveaux immeubles, conformément au projet d'infrastructure
et de gestion urbaine (PIGU).
Assis aux côtés de Kabalisa, son fils aîné Andrew Kanani le regarde travailler.
A 15 ans, Kanani est en cours élémentaire dans une école primaire et compte bien
poursuivre ses études. « Non seulement on se fait expulser de notre maison sans
nous proposer une alternative et en plus personne ne nous aide à améliorer nos
conditions de vie », explique le jeune Kanani.
Une indemnisation insuffisante
Dans un récent article de presse, Bonaventure Bizumuremyi, rédacteur en chef
d'un journal indépendant critiquait la mauvaise gestion des fonds et l'absence
de suivi dans la construction des nouveaux logements dans les zones rurales, en
particulier. Et cette situation a créé des désastres au sein des nombreuses
agglomérations notamment chez les personnes expulsées de leurs maisons en ville.
Agnès Nyirahuku, 65 ans, partage cette analyse. Il y a cinq ans elle était
encore une petite commerçante quand l'Etat l'a expropriée de sa maison. Certes,
elle a été dédommagée, mais pas suffisamment pour pouvoir se construire une
autre maison en dehors de la ville. Et pour essayer de trouver une solution au
problème des expropriés, les autorités municipales de Kigali leur ont proposé
des logements dans les nouvelles agglomérations.
« Il n'y a pas les installations sanitaires ni les pôles de développement qu'ils
nous avaient promis, en l'occurrence les écoles, l'électricité, l'eau potable.
La misère engendrée par le chômage est trop fréquente et les autorités ne nous
aident pas à trouver des solutions », explique Nyirahuku.
Selon le rapport 2002 du gouvernement, 90 pour cent des 8,3 millions d'habitants
que compte le Rwanda vivent en milieu rural et depuis le génocide de 1994, un
tiers des ménages est dirigé par une femme ou des enfants.
En outre, le Rwanda a une densité de population de 300 habitants au kilomètre
carré, ce qui pose un réel problème à la politique du gouvernement en matière de
réduction de la pauvreté. Et compte tenu du fait que beaucoup de ménages pauvres
vivent en milieu rural, le gouvernement a réalisé plusieurs études pour
déterminer le nombre exact de Rwandais concernés par cette situation, la toute
dernière étude ayant été menée par le nouvel institut national de la statistique
du Rwanda.
« L'objectif principal de ces études est avant tout de renforcer la capacité du
gouvernement du Rwanda afin qu'il puisse fonder ses décisions sur des
statistiques fiables, dans la coordination de programmes nationaux en faveur des
communautés rurales », a explique Louis Munyakazi, le directeur général de
l'institut.
Une modernisation menée au détriment des pauvres
La décision de moderniser Kigali a été prise après le génocide rwandais de 1994
au cours duquel 937 000 Tutsis et Hutus modérés ont été tués, selon le
gouvernement. Si en théorie la rénovation de la ville est une bonne idée, pour
beaucoup de défavorisés, une telle opération ne profitera qu'aux riches, aux
nantis et aux technocrates.
Fondée en 1907 par des explorateurs allemands, la ville de Kigali a vu sa
population quadrupler entre 1991 et 2002. Aujourd'hui, elle compte 800 000
habitants, selon l'institut national de la statistique.
D'après le recensement effectué en 2004 par ONU-Habitat, la population du Rwanda
est estimée à 8,25 millions habitants. Toutefois, compte tenu du fait que
beaucoup d'expulsés des quartiers pauvres ont été relogés dans des conditions
déplorables, de nouvelles solutions doivent être trouvées car les indemnités
versées au titre de l'expropriation ne sont pas suffisantes.
Pour Madame Aissa Kirabo Kakira, maire de la ville de Kigali, il convient de
faire un effort financier supplémentaire pour le relogement des habitants de ces
bidonvilles.
« Beaucoup de personnes ont été indemnisées, mais elles n'ont pas su gérer
correctement l'argent que nous leur avons versé pour racheter leurs anciennes
propriétés ».
Un militant de la société civile vivant à Kigali et qui a souhaité gardé
l'anonymat, ne partage pas le point de vue du maire.
« La meilleure solution consiste à changer de stratégie plutôt que leur donner
de l'argent. En effet, le produit de la vente des propriétés foncières des
habitants de ces bidonvilles était censé bénéficier aux personnes expulsées de
leur maison ».
Des conditions de logement déplorables
A en croire d'autres sources, bien après la décision de détruire les habitations
précaires des quartiers pauvres de Kigali, beaucoup de travailleurs vivent
désormais dans des conditions de logement déplorables, sans eau potable, ni
électricité, et ne bénéficient plus d'autres infrastructures telles que les
centres médicaux et les établissements scolaires.
Gasigwa Mugabo a 32 ans. Démobilisé de l'armée, il travaille actuellement comme
chauffeur de taxi à Kigali et a dû accepter d'être relogé dans une des nouvelles
agglomérations. Avant de s'installer à quelque 10 kms au nord-est de Kigali,
Mugabo – dont le salaire fait vivre sa femme, sans emploi, et leurs trois
enfants – a été contraint de vendre la parcelle de terrain qu'il avait à Gasabo,
un quartier de la capitale.
« Nous pensions que les conditions de vie allaient s'améliorer, mais la
situation est devenue plus difficile », explique Mugabo. « Je dépense près de la
moitié de mon salaire mensuel, qui est 100 dollars maximum, dans les transports
lorsque je me rends de la maison à mon lieu de travail ».
Pour Rosalie Uwamwiza, vendeuse de fruits et légumes, cette modernisation
effrénée à d'autres conséquences. « On assiste à une recrudescence des vols, de
la prostitution et des agressions. Nos craintes n'ont jamais été prises en
considération par les autorités municipales ».
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