LES NOUVEAUX HABITS DE L’EMPEREUR:
ANALYSE JURIDICO-POLITIQUE DE
LA CONSTITUTION RWANDAISE DE 2003
par Filip Reyntjens
Abstract
The
Rwandan constitution adopted by Parliament on 23 April 2003 and approved by
referendum on 26 May 2003 is analysed from a legal and political point of view.
Politically speaking, this text attempts to legitimise the regime dominated by the RPF, in power since mid-1994. The provisions on political parties (in particular the role played by the «Forum of political parties » and the tight control exercised by the Senate and the judiciary) as well as the norms governing the composition and powers of both chambers of Parliament and the executive branch guarantee the entrenchment of the status quo, which is further enhanced by the full control exercised by the RPF over the instruments of administrative and security control.
The text’s technical quality is
poor. Not only does it hide more than it reveals, but it displays many
inconsistencies, a great deal of confusion, legally inadequate formulations and
contradictions between the three languages (Kinyarwanda, French, English) used.
In places it is of a « Byzantine » complexity that will make it difficult to
apply.
This analysis concludes that
the so-called « international community », while knowing full well what its
defects and dangers are, seems to be willing to support the constitutional
process and the elections that will follow it. In so doing, it will be
complicit in preparing the ground for new violence in Rwanda and the Great
Lakes region.
1.
INTRODUCTION
Cette
analyse sommaire de la constitution de la République Rwandaise se veut d’abord
juridique. Il faut cependant admettre que la nature même du droit
constitutionnel rend la distinction avec la politique moins nette que dans
d’autres branches du droit. Afin de ne pas verser dans le positivisme,
j’aborderai également un certain nombres d’aspects politiques, là où cela est
nécessaire dans le contexte spécifique du Rwanda actuel. Un texte
constitutionnel doit en effet être lu à la lumière de la réalité politique
présente et à venir. Ainsi, des dispositions apparemment anodines peuvent se
présenter sous une lumière éclairante, à condition de les
« contextualiser »[1].
Le
texte constitutionnel comporte un grand nombre de dispositions
« classiques » que l’on retrouve dans de nombreuses autres
constitutions et auxquelles je ne m’attarderai pas. Je n’offre dès lors pas un
commentaire de l’ensemble du texte proposé, et je me limiterai à analyser les
dispositions qui doivent retenir l’attention, soit à cause de leur
particularité, soit à cause des difficultés d’application ou d’interprétation,
soit encore à cause des objectifs qu’elles semblent poursuivre ou des
conséquences politiques qu’elles pourraient avoir.
Le
texte, tel qu’adopté par l’Assemblée nationale de transition le 23 avril 2003
et approuvé par une majorité écrasante[2] lors
du référendum du 26 mai 2003, est l’aboutissement d’une succession
d’avant-projets rendus publics en novembre et décembre 2002, et en février
2003. L’évolution qu’a connue le texte est intéressante et renseigne sur les
intention des rédacteurs. J’y attirerai l’attention aux endroits appropriés.
Il
s’agit d’un texte novateur en de nombreux points, assez et parfois très déviant
des modèles connus en droit constitutionnel. Il faut parfois deviner les
intentions des rédacteurs, et en même temps éviter de faire des procès
d’intention. A certains endroits, le texte frappe par son opacité et sa
confusion, à tel point qu’il est parfois difficile de s’imaginer le fonctionnement
concret de certaines de ces dispositions. Dans son ensemble, en dehors de toute
considération politique, la qualité technique du texte demeure faible, même si
des améliorations sont incontestablement intervenues au cours du processus de
rédaction.
2.
TITRE I. DE L’ETAT ET DE LA SOUVERAINETE NATIONALE
L’art.
7 permet la double nationalité et comporte une disposition curieuse (qui
rappelle quelque peu un principe israélien en matière d’obtention de la
nationalité): « Les personnes d’origine rwandaise ont le droit d’acquérir
la nationalité rwandaise, s’ils le demandent ». Alors que les rédacteurs
ont probablement pensé aux populations rwandophones dans certains pays voisins,
notamment en RDC, l’expression « d’origine rwandaise » pose problème puisqu’elle
ne correspond à aucune catégorie juridique[3]. La
disposition n’est pas anodine, puisqu’elle confirme dans un sens le concept de
la « nationalité transfrontalière ». A ce titre, elle renforce
l’idée de la « nationalité douteuse », ce qui n’est pas forcément
dans l’intérêt des Rwandophones dans les pays voisins, puisque la loyauté
nationale de ceux-ci restera ainsi sujette à caution[4].
Dans le
même article, une autre disposition pose un double problème : « Les
Rwandais ou leurs descendants qui, entre le 1er novembre 1959 et le
31 décembre 1994, ont perdu la nationalité rwandaise suite à l’acquisition
d’une nationalité étrangère sont d’office réintégrés dans la nationalité
rwandaise, nonobstant toute disposition légale antérieure, s’ils reviennent s’installer
au Rwanda ». D’une part, puisqu’aucune option n’est laissée aux intéressés
(ils sont « d’office » intégrés), ils perdraient ipso facto leur
nationalité d’adoption, du moins si le pays en question interdit la double
nationalité. De l’autre, la période envisagée (1959-1994) introduit une
distinction entre deux types d’exilés/réfugiés, le « old caseload »
et le « new caseload » ou encore ceux qui ont fui l’ancien régime et
ceux qui ont fui le nouveau. La première catégorie est accueillie dans la
« famille », la seconde en est exclue.
L’art.
8 stipule que « le suffrage est direct ou indirect et secret sauf dans les
cas déterminés par la constitution ou par la loi ». Cette
disposition n’a dès lors pas réellement valeur constitutionnelle, puisque le
législateur ordinaire peut y déroger. Le texte contient d’autres exemples de ce
type de disposition, qui vide la garantie constitutionnelle de sa substance.
Autre
exemple d’une disposition dont la portée juridique est contestable, l’art. 9
prévoit « l’attribution d’au moins trente pour cent des postes aux femmes
dans les instances de prise de décision ». La notion « instance de
prise de décision » n’est nulle part définie en droit rwandais et on est
en droit de se demander comment pareille obligation pourrait être imposée. Une
femme pourrait-elle saisir la justice au cas où moins de 30% de femmes feraient
partie du gouvernement, du commandement de l’armée ou de la direction d’une
entreprise publique, pour ne citer que ces exemples ? Même si le texte est
formulé non pas comme une recommandation programmatique, mais comme une
obligation devant être respectée dès l’entrée en vigueur de la constitution,
cela paraît peu probable et, en réalité, impossible à réaliser.
3. TITRE II. DES DROITS FONDAMENTAUX DE LA PERSONNE ET DES DROITS ET DEVOIRS DES CITOYENS
Dans un
domaine politiquement délicat et potentiellement répressif, les dispositions
des art. 13 et 33, par leur nature vague et imprécise, ouvrent la porte grande
ouverte aux abus et au délit d’opition. L’art. 13 porte que « [l]e
révisionnisme, le négationnisme et la banalisation du génocide sont punis par
la loi », tandis que l’art. 33 stipule que « [t]oute propagande à
caractère ethnique, régionaliste, raciste ou basée sur toute autre forme de division
est punie par la loi ». Des dispositions de ce genre ne sont pas de nature
à être directement applicables et nécessitent dès lors un ancrage détaillé en
droit pénal, faute de quoi l’expérience apprend que l’arbitraire n’est jamais
loin. L’expérience du passé récent et l’utilisation abusive faite de la
notion de « divisionnisme » (cf. ma chronique politique ailleurs dans
cet Annuaire) sert évidemment d’avertissement. La mission d’observation
électorale de l’Union Européenne voit bien les dangers; elle recommande
« de réexaminer la loi du 18 décembre 2001 sur la discrimination et le
sectarisme, de préciser les interdictions de comportements qu’elle comprend et
d’asseoir le principe que ce qui n’est pas interdit est admis »[5].
4.
TITRE III. DES FORMATIONS POLITIQUES
Les articles
52 à 59 traitent des partis politiques[6].
L’art. 52 dispose que « [l]es structures dirigeantes des formations
politiques ont leurs sièges uniquement au niveau national, au niveau de la
Province et de la Ville de Kigali ». L’interdiction d’organisation des
partis au niveau local a une double conséquence importante: d’une part, elle
est fondamentalement contraire à l’option de la décentralisation et de la
démocratie locale à laquelle, du moins verbalement, souscrit le régime; de
l’autre, puisque le FPR est organisé au niveau local à travers l’administration
décentralisée, les abakada et les Local Defense Forces, cette
disposition constitue un handicap considérable pour les partis autres que le
FPR, alors que -du moins au moment des élections- la réalité de la vie
politique se déroule aux niveaux des cellules, des secteurs et des districts.
Cette disposition confirme une situation existante, où les partis sont réduits
à des « clubs » cantonnés à Kigali. Difficile dans ces conditions de
construire une citoyenneté pour l’écrasante majorité des Rwandais.
Quelque
peu en écho à la constitution burundaise de 1992, l’art. 54 stipule que les
formations politiques « doivent constamment refléter, dans le recrutement
de leurs adhérents, la composition de leurs organes de direction et dans tout
leur fonctionnement et leurs activités, l’unité de la nation rwandaise et la
promotion du ‘gender’ ». Même si, contrairement à la mention du genre,
cela n’est pas dit explicitement, il s’agit d’une référence aux problèmes ethnique
et régional. Face à l’option du régime de rejeter les identités ethniques se
pose néanmoins la question de savoir ce que « refléter l’unité
nationale » signifie: concrètement, combien de Hutu, de Tutsi et de Twa
faut-il dans les organes de direction? Faute de dispositions plus précises et,
en fin de compte, de classifications et de quota ethniques[7], cette
disposition ne peut être réellement appliquée si ce n’est pour intervenir dans
le fonctionnement interne des partis politiques, notamment par le biais de la
Haute Cour de la République, du Sénat, de la Cour suprême et du « Forum de
concertation » (voir infra).
La
« discipline des partis » est organisée de façon contraignante à
divers niveaux. D’après l’art. 55, en cas de « manquement grave d’une
formation politique aux obligations contenues dans les dispositions des
articles 52, 53 et 54 », le Sénat (dont nous verrons par la suite
l’étendue des pouvoirs) peut saisir la Haute Cour de la République et, en
appel, la Cour suprême (cf. infra). Dépendant de la « gravité du
manquement » (sans que ce manquement ne soit toutefois clairement défini),
l’éventail des sanctions va de l’avertissement solennel à la dissolution.
L’art.
56 institutionnalise le « Forum de concertation des formations
politiques » qui existe depuis plusieurs années et qui est ainsi érigé en
organe constitutionnel. A la lumière tant de l’expérience du passé que des
compétences accordées au Forum, celui-ci risque de rester un organe de contrôle
de l’organisation et des activités des partis politiques. Cependant les
pouvoirs accordés au Forum ont changé au fur et à mesure de l’évolution du
texte. Alors qu’une version antérieure prévoyait qu’il était compétent
notamment pour « assurer la discipline des (…) formations
politiques », ce pouvoir a été tempéré, puisque le Forum est désormais
chargé de « servir de cadre de médiation en cas de conflit au sein d’une
formation politique, à la demande de cette dernière ». Cependant, c’est un
« conflit » au sein du MDR par ailleurs inspiré par le FPR, qui a débouché
sur sa dissolution[8]. Par
le passé, le Forum a servi à contrôler les partis et à éliminer des hommes
politiques « déviants » (le dernier cas en date est celui du
président du PDC Jean Népomuscène Nayinzira en novembre 2002). Il est dès lors
peu probable qu’une vie politique compétitive soit compatible avec cette chape
de plomb dominée par le FPR. J’ai dit dans ma chronique politique ailleurs dans
cet Annuaire que le Forum est comparé par une source du rapport de
l’USAID au comité central d’un parti unique[9]. Il
est vrai que le régime préfère le « consensus » à la compétition,
mais ce consensus signifie en fait la volonté du FPR.
L’art.
58 prévoit que le président de la République et le président de la Chambre des
députés proviennent de formations politiques différentes. Une version
antérieure incluait le premier ministre dans cette liste ; celui-ci peut
désormais être membre du même parti que le président. Il est superflu de dire
que ce parti sera selon toute vraisemblance le FPR.
5. TITRE III. DES POUVOIRS
5.1. Pouvoir
législatif
L’art.
62 dispose que le pouvoir législatif est exercé par le parlement. Or, par le
biais de l’initiative législative attribuée au gouvernement, prévue par l’art.
92, de la promulgation de la loi par le Président de la République, prévue par
l’art. 108, et l’exercice par lui d’un droit de véto suspensif, également prévu
par l’art. 108, le président et le gouvernement participent au pouvoir
législatif, dont ils constituent la deuxième branche[10]. Le
pouvoir législatif est dès lors exercé par les deux chambres du parlement, par
le gouvernement « en conseil des ministres » et par le Chef de
l’Etat.
L’art.
76 prévoit que la Chambre des députés est composée de 80 membres, dont le
mandat est de cinq ans. Cependant 27 députés ne sont pas élus directement: 24
femmes sont désignées, à raison de deux par province et la ville de Kigali, par
les conseils de district, des villes et de la ville de Kigali, auxquels
s’ajoutent les comités exécutifs des structures des femmes à divers niveaux; en
outre, deux députés sont désignés par le Conseil national de la Jeunesse et un
membre est désigné par la Fédération des Associations des Handicapés. Les
conseils de district et de ville et les comités exécutifs des structures
féminines sont fortement dominés par le FPR. D’après l’art. 77, les 53 membres
élus directement le sont au scrutin de liste bloquée, ce qui signifie que les
électeurs ne peuvent pas modifier l’ordre des listes. Or les listes sont
composées « dans le respect du principe de l’unité nationale énoncé aux
articles 9 et 54 de la présente constitution » (l’art. 9 fait référence
aux « divisions ethniques et régionales »); puisque les
circonscriptions seront probablement provinciales (l’avant-projet est muet sur
ce point), c’est sans doute aux composantes ethniques qu’il est ici fait
allusion. Ceci pose un problème politique et juridique, déjà signalé plus haut.
Politiquement, l’« équilibre » comme principe de constitution de
listes est contraire au cœur même des options du régime, qui rejette l’ethnicité
et même la référence aux ethnies. Juridiquement, en l’absence d’identifications
ethniques, il est impossible de déterminer l’appartenance ethnique des
candidats; et même si on le faisait, en l’absence de « quota »,
combien de Hutu, de Tutsi et de Twa faut-il sur une liste et quelle doit être
leur place sur cette liste pour que celle-ci soit « composée dans le
respect du principe de l’unité nationale »?[11] Il va
de soi que ceci ouvre la porte à l’arbitraire du Forum de concertation, chargé
notamment de « consolider l’unité nationale », mais également du
Sénat, de la Haute Cour de la République et de la Cour suprême (cf. supra).
L’art. 77 ajoute que les listes pour les 53
membres élus directement doivent
respecter le « principe d’égal accès des femmes et des hommes aux mandats
électoraux et fonctions électives ». Lu ainsi, cela signifie qu’en plus
des 24 sièges garantis aux femmes en vertu de l’art. 76, la moitié des sièges à
pourvoir par le scrutin direct reviendrait également à celles-ci; plus de 60%
des députés seraient alors des femmes. On peut supposer que cela n’est pas
l’intention du constituant, mais cette contradiction illustre à quel point le
texte est techniquement défaillant.
L’art.
77 détermine enfin un seuil électoral : une liste n’obtenant pas 5% des
suffrages exprimés à l’échelle nationale ne peut siéger à la Chambre. Le texte
a ici connu une amélioration constante. Dans une première version, le parti
n’obtenant pas 5% était « dissout d’office », tandis qu’une version
suivante prévoyait qu’il était « suspendu pendant cette
législature ». Le texte définitif, qui vise à éviter l’éparpillement
excessif et est à ce titre utilisé ailleurs, est devenu parfaitement
raisonnable.
La
composition du sénat est prévue par l’art. 82. Cette chambre, qui compte 26
membres dont le mandat est de huit ans, est entièrement désignée et non pas
élue. Les institutions compétentes pour procéder à ces désignations (conseils
de district, des villes et de la ville de Kigali, président de la République,
Forum de concertation, universités et instituts supérieurs publics et privés)
sont toutes largement dominées par le FPR. Trente pour cent au moins des
sénateurs doivent être des femmes[12] et les
anciens chefs d’Etat « qui en font une (sic) demande » en sont
également membre[13].
Le
sénat dispose de très importantes prérogatives. En matière législative, il vote
toutes les lois importantes; il désigne en outre ou approuve la nomination et
la promotion dans de hautes fonctions de l’Etat. A l’opposé de la chambre des
députés, le sénat ne peut en outre pas être dissout. Alors que l’art. 60
stipule que le président de la Chambre des députés ne peut provenir du même
parti que le président de la République, cela n’est pas prévu pour le président
du Sénat. Enfin, le fait que l’art. 107 prévoit que c’est le président du sénat
qui assure l’interim du président de la République illustre bien l’importance
accordée à cette chambre. L’étendue des compétences du sénat et leur caractère
parfois très vague (cf. la référence aux art. 9 et 54 dans l’art. 87) feront
dès lors de lui, avec le Forum de concertation, la Haute Cour de la République
et la Cour suprême, le chien de garde institutionnel du FPR.
Observons
encore que l’art. 82 prévoit que le Président de la République désigne huit
sénateurs en veillant « à ce que soit assurée la représentation de la
communauté nationale historiquement la plus défavorisée ». On peut
supposer qu’il s’agit des Twa, mais un texte à portée juridique se doit de le
dire explicitement; se pose en outre la question déjà soulevée plus haut au
sujet de la formalisation des appartenances ethniques.
Au
sujet de l’exercice du pouvoir législatif, relevons enfin la disposition
bizarre de l’art. 96. Il prévoit que l’interprétation authentique des lois, qui
appartient au Parlement, peut être demandée par le gouvernement, un membre de
l’une ou l’autre chambre ou l’Ordre des avocats, mais pas par les juridictions.
Ceci étonne, puisque ce sont ces dernières, confrontées à des problèmes
d’interprétation dans des cas d’espèce, qui ont sans doute le plus besoin de
cet instrument. Elles n’ont sans doute, comme « toute personne
intéressée », qu’à demander l’interprétation authentique « par
l’intermédiaire des membres du Parlement ou de l’Ordre des Avocats »…
5.2. Pouvoir exécutif
Le
Président de la République est élu au suffrage universel direct et secret à la
majorité relative des suffrages exprimés (art. 100) pour un mandat de sept ans
renouvelable une seule fois (art. 101). Une des conditions imposées aux
candidats par l’art. 99 est de « [r]ésider sur le territoire du Rwanda au
moment du dépôt de sa candidature ». Etant donné que l’opposition
intérieure est clandestine ou en détention et que l’opposition qui s’exprime et
s’organise se trouve à l’extérieur, cette disposition va limiter sérieusement
la concurrence face au président en exercice. Deux autres conditions,
introduites tardivement dans le processus de rédaction, ont trait à la
nationalité. Que le candidat ne puisse « pas détenir une autre
nationalité » est raisonnable, mais qu’il doive également « être de
nationalité rwandaise d’origine » est une nouvelle illustration des
défaillances techniques du texte. En effet, la nationalité rwandaise n’existait
pas juridiquement avant 1962 : Paul Kagame, né en 1957, ne remplit dès lors
pas cette condition, tout comme les autres Rwandais âgés de plus de 41 ans.
La
composition du gouvernement et ses relations avec le parlement sont d’une
grande complexité. L’art. 116 prévoit que le premier ministre est nommé et
démis par le président de la République. Les autres membres du gouvernement
sont nommés et démis par le président de la République sur proposition du
premier ministre. Cependant, son choix est limité, puisque « [l]es membres
du gouvernement sont choisis au sein des formations politiques en tenant compte
de la répartition des sièges à la Chambre des députés ». On peut supposer
que cela signifie que les partis seront représentés au gouvernement
proportionnellement à leur force au parlement. L’art. 116 ajoute que
« [t]outefois, le parti politique[14]
majoritaire à la Chambre des députés ne peut pas dépasser 50% de tous les
membres du gouvernement »; il n’est pas du tout clair ce que signifie
« parti majoritaire » et le texte semble implicitement supposer qu’un
parti aura la majorité à la Chambre, ce qui n’est pas forcément garanti[15]. En
outre, vu la composition hétérogène de la Chambre, il est possible que des
membres non élus directement ou des indépendants ne soient membre d’aucun
parti. L’arithmétique risque, ici aussi, d’être très complexe.
La
formule du « gouvernement d’union nationale » est habituellement
utilisée pour gérer une transition (cf. le mécanisme prévu par l’accord
d’Arusha en 1993), mais celle-ci est justement censée prendre fin en juillet
2003. On voit difficilement comment un gouvernement qui est le reflet de
l’ensemble du parlement pourrait mener une politique cohérente, sauf s’il est
dominé par le « consensus » imposé par un acteur, en l’occurrence le
FPR. Dans la pratique, les choses ne seront dès lors pas si difficiles…
Alors
que l’art. 117 s’inspire du système français de la double responsabilité du
gouvernement, envers tant le président de la République que le parlement, en
réalité l’application de cette disposition sera difficilement mise en pratique
pour plusieurs raisons. D’abord, au niveau de la responsabilité envers le
Président, puisque son corrolaire -le droit dont dispose le Président de
révoquer le gouvernement- n’est pas prévu (l’art. 116 ne dispose que
« [l]e Président de la République prend acte de la démission du
Gouvernement lui présentée par le Premier Ministre »); en d’autres termes,
le Chef de l’Etat ne dispose pas de l’instrument pour sanctionner cette
responsabilité. Il est vrai cependant qu’il n’en aura pas besoin, puisque
l’art. 120 (cf. infra) lui permet de s’en passer.
Ensuite,
au niveau de la responsabilité envers le parlement, puisque le gouvernement, vu
sa composition proportionnelle, devrait être le reflet du parlement dans son
ensemble, mais également à cause du mécanisme de prise de décision au sein du
gouvernement. L’art. 120 dispose simplement que « le Conseil des Ministres
fonctionne sur base du principe de la solidarité gouvernementale ». Pour
comprendre ce paragraphe en apparance anodin, il faut rappeler le cheminement
qu’a connu cet article. Dans sa version de décembre 2002, le texte (ancien art.
123) disposait en effet que le gouvernement décide par consensus; faute de
consensus, « le Président de la République tranche souverainement ».
Or, en plus du pouvoir exorbitant ainsi attribué à celui-ci, il n’était pas
responsable devant le parlement. Face aux critiques, la version de février 2003
(ancien art. 119) introduit la formule retenue aujourd’hui, mais assortie d’une
note infrapaginale[16],
expliquant la notion de « solidarité gouvernementale » :
« (…) le Ministre qui n’est pas d’accord avec le Président ou le Premier
Ministre doit démissionner ». Ce n’est pourtant pas là le sens de la
solidarité gouvernementale : l’adage « se soumettre ou se
démettre » signifie que le membre du gouvernement qui est en désaccord
avec le consensus qui s’est dégagé au conseil des ministres doit soit rester
solidaire, soit démissionner, mais pas du tout que tout ministre doit être
d’accord avec le « chef » ; si ce dernier ne parvient pas à rallier le
consensus autour de ses propositions, c’est au contraire à lui de « se
soumettre ou se démettre ». La note infrapaginale a disparu dans la
constitution adoptée, mais elle est remplacée dans le corps du texte par un
nouveau paragraphe qui dit que « un arrêté présidentiel détermine le
fonctionnement, la composition et le mode de prise de décision[17] du
Conseil des Ministres ». En réalité, sans que cela soit dit dans la
constitution, on en est donc revenu à la note infrapaginale et au principe que
le président de la République « tranche souverainement », puisqu’il
n’a qu’à l’écrire en termes nets ou voilés dans son arrêté[18].
La
combinaison de la composition proportionnelle du gouvernement, la prise de
décision par consensus au sein de celui-ci et la pré-éminence du président de
la République politiquement irresponsable, rend parfaitement théorique la
responsabilité politique du gouvernement devant le parlement. Tout ceci ne
posera pas de problèmes aussi longtemps que la constitution restera un
instrument symbolique; en revanche, lorsqu’elle sera amenée à gérer des
rapports de force conflictuels -fonction qui constitue le véritable sens d’une
constitution-, elle s’avérera futile. Je reviendrai sur ce point dans la
conclusion.
5.3. Rapports entre les
pouvoirs législatif et exécutif
Ce qui
précède relève en réalité de ces rapports, mais n’est pas repris sous les
dispositions (art. 126-139) qui y ont trait. Cependant, il faut ici attirer
l’attention sur les dispositions concernant l’état de guerre, de siège et
d’urgence quelque peu cachées dans ce chapitre.
Contrairement
à la version précédente du texte, qui disposait que « la déclaration de
guerre est autorisée par le Parlement, statuant à la majorité des deux-tiers
des membres de chaque Chambre » (ancien art. 136, version février 2003),
l’art. 136 stipule aujourd’hui simplement que « le Président de la
République a le droit de déclarer la guerre et d’en informer le Parlement dans
un délai ne dépassant pas sept jours ». A part la rédaction défectueuse
(qui fait penser que le président de la République a le droit -et non le
devoir- d’informer le parlement), cette compétence tout à fait considérable
peut ainsi être exercée sans aucun débat, même au sein du gouvernement (cette
matière n’étant pas énumérée parmi celles débattues et encore moins décidées en
conseil des ministres)[19]. A la
lumière de cette formulation, la phrase suivante de cet article (« Le
Parlement statue à la majorité simple des membres de chaque Chambre ») est
dénuée de tout sens juridique.
Les dispositions des art. 137-139 sur l’état
de siège et d’urgence sont dangereusement floues et la distinction entre ces
deux états d’exception n’est pas clairement définie. En outre, il semble bien
que, d’après un projet de loi sur la réglementation des partis politiques, la période
de transition soit comprise dans la notion de période
« exceptionnelle » pendant laquelle les partis sont soumis à des
restrictions qui rendent illusoire toute campagne politique. Dans ces
conditions, « la campagne électorale de juin-juillet 2003 ne sera guère
plus qu’une farce »[20].
Observons par ailleurs que, d’un point de vue structurel, ces dispositions ne
devraient pas se trouver au chapitre consacré aux rapports entre les pouvoirs
législatif et exécutif.
La Cour
suprême devient unique, sans division en sections. Alors que ses compétences
sont classiques, quelques observations s’imposent. D’après l’art. 145, 4°, le
contrôle de la constitutionnalité a priori des traités et accords
internationaux et des lois organiques se fait à la demande du président de la
République, des présidents des chambres du parlement ou d’un cinquième des
députés ou sénateurs. L’art. 145, 3° reprend les lois organiques et ajoute les
réglements d’ordre intérieur des chambres du parlement, mais ne dit rien sur la
saisine et la distinction avec le 4° est floue. Le contentieux constitutionnel a
posteriori n’est que sommairement réglé, le texte de l’art. 145, 5° se
limitant à dire que « statuer sur les recours en inconstitutionnalité des lois
et décrets-lois » est une des compétences de la Cour. Le point 6 du
même article omet de dire sur demande de qui la Cour tranche les conflits
d’attribution; la référence aux « différentes institutions de
l’Etat » est trop vague (formulée ainsi, elle pourrait, par exemple,
inclure des conflits d’attribution entre juridictions, différents services de
sécurité ou départements ministériels). Chose curieuse, contrairement à des
versions antérieures du texte, le contentieux administratif semble avoir
complètement disparu. Le recours en annulation des actes illégaux du pouvoir
exécutif deviendrait ainsi exclu.
La
Haute Cour de la République est une innovation bizarre, dont le constituant ne
semble pas très bien savoir quoi faire. Alors que des versions précédentes du
texte tentaient de lui donner une certaine substance qui était cependant mal
définie, l’art. 149 du texte final ne définit plus rien et laisse tout au
législateur. En effet, la Haute Cour « est compétente pour connaître au premier
degré de certains crimes et des infractions particulières à caractère
transfrontalier définies par la loi (…) Elle est aussi compétente pour
connaître au premier degré de certaines affaires administrarives (…) Elle
connaît en appel et en dernier ressort, dans les conditions définies par la loi,
des affaires jugées par d’autres juridictions ». La seule compétence
définie concerne le contentieux des partis politiques (cf. supra) :
« Elle juge au premier degré les affaires pour violation par les
formations politiques des articles 52, 53 et 54 de la présente
constitution ». A part cette dernière compétence, dont nous avons vu
l’impact sur le fonctionnement des partis politiques, cet article confus ne
permet pas de comprendre le rôle de cette haute juridiction, ni ses rapports
avec la Cour suprême. La référence à « certaines affaires
administratives », signifie-t-elle que le contentieux administratif, et
notamment le recours en annulation, « disparu » au niveau de la Cour
suprême, est réintroduit ici ? Et que penser de la compétence en
matière d’infractions « transfrontalières », terme qui veut
probablement dire « commises à l’étranger », sans qu’il soit précisé
de quelles infractions il s’agit, alors que le texte semble introduire la
compétence universelle ?
Les
dispositions sur le Ministère public ont connu une évolution considérable à
travers les différentes versions du texte. Initialement relevant du pouvoir
judiciaire et non du pouvoir exécutif et jouissant d’une autonomie totale,
ensuite ramené au sein du pouvoir exécutif et agissant sous l’autorité du
ministre de la Justice, la solution retenue dans le texte final tente de
concilier ces deux options. D’une part, le parquet est unique (art. 160:
« Il est institué un Ministère public appelé ‘Parquet Général de la
République’ chargé notamment[21]
de la poursuite des infractions sur tout le territoire national ») et il
jouit de l’autonomie de gestion administrative et financière. D’après l’art.
161, les parquets aux niveaux des provinces et de la ville de Kigali sont des
« services décentralisés » ; en outre « le Procureur
Général peut donner des injonctions écrites à tout Procureur et Officier du
Ministère Public ». D’autre part, « le Parquet Général de la
République est placé sous l’autorité du Ministre ayant la Justice dans ses attributions »,
qui peut « donner des injonctions écrites de poursuite ou de non poursuite
au Procureur Général de la République » (art. 162). A moins que les deux
personnages s’entendent bien, pareille distribution de compétences est de
nature à déclencher une « guerre des chefs »[22].
6. IMPERFECTIONS
TECHNIQUES
D’un
point de vue légistique, le texte est fort défaillant, même s’il s’est amélioré
d’une version à l’autre. J’ai déjà relevé quelques exemples. Puisqu’il serait
fastidieux de citer toutes les imperfections, je me limiterai à quelques
illustrations :
- La
concordance entre les textes en français et anglais[23] fait
parfois défaut[24] ;
- L’art.
60 dispose que « l’Etat doit veiller à ce que les mandats et fonctions au
sein des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire soient exercés par des
personnes ayant les capacités et l’intégrité nécessaires (…) »; en l’absence de
désignation de l’organe compétent, cette disposition est dénuée de sens
juridique; cette formulation est également utilisée ailleurs[25];
- L’art.
73 prévoit que « chaque Chambre du Parlement vote une loi organique
portant son règlement d’ordre intérieur » ; pour qu’il puisse s’agir
d’une loi, l’autre chambre devrait également l’adopter et le pouvoir exécutif
interviendrait par la voie de la promulgation. La version anglaise de l’article
(« Each Chamber of Parliament shall adopt its internal rules and
regulations ») correspond mieux à la notion de règlement d’ordre
intérieur ;
- Art.
79: la répartition des sièges restants est inapplicable en l’absence de
fixation des circonscriptions électorales;
- Art.
111 et 112: le président de la République « prend » des arrêtés; lui
faire « signer » des arrêtés comme le fait le texte, est un non sens
juridique, sauf s’il doit signer des arrêtés pris par le gouvernement, ce qui
n’est manifestement pas l’intention du constituant;
- L’art.
118, 7° stipule que le premier ministre « contresigne les lois adoptées
par le Parlement et promulguées par le Président de la République » ;
ceci est évidemment un non-sens : ce que le premier ministre contresigne,
c’est l’acte de promulgation du président de la République[26] ;
- L’art.
194 est particulièrement déplorable, puisqu’il dispose que « [l]e
référendum portant adoption de la présente constitution et la promulgation de
celle-ci doivent avoir lieu avant le 19 juillet 2003. La promulgation par le
Président de la République met fin à la période de transition ». Or,
l’art. 203 le rappelle explicitement, le référendum précède l’entrée en vigueur
de la constitution; cette disposition d’un projet n’a dès lors aucune
valeur juridique; lorsque cette disposition aura acquis une portée juridique,
elle sera caduque, puisque le référendum aura eu lieu avant que cette
disposition n’entre en vigueur. Observons également que, contrairement à ce que
cet article affirme, la promulgation de la constitution ne met pas fin à la
période de transition ; celle-ci ne vient à terme qu’à l’issue des
élections présidentielles et législatives.
7. CONCLUSION
Je me
suis limité à attirer l’attention sur un certain nombre d’aspects frappants de
cette constitution. Je n’ai effleuré que quelques-unes des nombreuses
imperfections et lacunes techniques. A lire le texte, on se pose la question si
le Rwanda a fait appel à ses juristes spécialisés en droit constitutionnel.
Pourtant le pays en aura grandement besoin, tant ce texte est complexe et sur
de nombreux points techniquement défaillant, contradictoire et flou.
Il
serait difficile, voire impossible de qualifier cette constitution en recourant
aux catégories habituelles du droit constitutionnel comparé. Il ne s’agit pas
d’un régime parlementaire, puisque, même si le gouvernement est
politiquement responsable envers le parlement, il n’engage pas lui-même sa
responsabilité politique, ne fût-ce que parce le président de la République,
par une interprétation singulière de la « solidarité
gouvernementale », y détermine la prise de décision; or le chef de l’Etat
est politiquement irresponsable. De même, la composition du gouvernement,
reflet de la composition de la chambre des députés, empêche la mise en œuvre
des mécanismes associés au régime parlementaire. Enfin, le statut particulier
du sénat, non élu et qui ne peut être dissout, mais qui dispose de pouvoirs
considérables, se situe en porte-à-faux par rapport à ce type de régime. Il ne
s’agit pas non plus d’un régime présidentiel, puisqu’il n’y a pas de
séparation des pouvoirs: le pouvoir exécutif dispose de l’initiative
législative, le président de la République peut dissoudre la chambre et cette
dernière peut contraindre le gouvernement à la démission. Contrairement à
l’affirmation de l’exposé des motifs qui qualifie le régime de
« semi-présidentiel », il s’agit en réalité d’un régime présidentialiste,
puisque le chef de l’Etat intervient dans le processus législatif, peut
dissoudre la chambre, est politiquement irresponsable et domine le
gouvernement. Le régime du parti unique de fait renforce évidemment cette
qualification.
Deux
références viennent à l’esprit lorsqu’on tente de comprendre le sens de
l’exercice constitutionnel et celui électoral qui va le suivre. D’une part,
l’histoire des nouveaux vêtements de l’empereur auquel personne n’osait dire
qu’il était nu comme un ver. De l’autre une référence à l’art surréaliste, et
concrètement à l’œuvre de René Magritte « Ceci n’est pas une pipe ».
On pourrait dire en paraphrasant que, malgré les apparances, ceci n’est pas une
constitution, ou encore que la constitution est pour l’empereur nu une feuille
de vigne. A travers le texte constitutionnel, on sent que les rédacteurs se
sont inspirés des pratiques totalitaires en cours, auxquelles ils tentent de
donner une base juridique. En d’autres termes, cette constitution ne peut
fonctionner que si les rapports de force restent ce qu’ils sont aujourd’hui. Il
suffit de s’imaginer qu’un parti autre que le FPR gagnerait les élections et
que la gestion militaro-sécuritaire prendrait fin, pour se rendre compte du
caractère symbolique de ce texte.
Même
si, après l’extrême catastrophe qu’a connue le Rwanda, l’on peut comprendre la
volonté d’éviter de nouveaux dérappages par la mise en place d’un certain
nombre de gardes-fou, cette constitution, en plus de ses nombreuses
imperfections techniques, est simplement trop complexe, très peu transparente
et, en fin de compte, inapplicable. Tout comme lors des « élections »
locales de mars 2001, le « byzantinisme » juridique est devenu une
stratégie de dissimulation et de camouflage qui peut tromper pendant un certain
temps, mais qui va inéluctablement soulever des problèmes et créer plutôt
qu’éviter les conflits politiques. Les Rwandais ne sont sans doute pas dupes,
mais leurs stratégies d’évitement rendent leur frustration invisible.
Je
crois utile de répéter ici ce que j’ai dit dans ma chronique politique publiée
ailleurs dans cet Annuaire. La « légitimité » acquise par le
régime actuel à l’issue des processus constitutionnel d’abord, électoral
ensuite le renforceront dans sa position que le dialogue politique avec ceux
qui aujourd’hui sont exclus, à l’intérieur (morts, « disparus » ou
silencieux) et à l’extérieur (vocaux), n’est pas nécessaire. En ce sens, ces
deux processus contribueront, ensemble avec le mode de gestion politique
prévalant actuellement au Rwanda[27],
à l’augmentation du potentiel de violence structurelle.
La
« communauté internationale » porte, une nouvelle fois, une écrasante
responsabilité. Il est déjà évident qu’elle privilégie le court terme, tablant
sur la « stabilité » offerte par le régime en place dont elle
souhaite, tout en connaissant ses défauts, la reconduction. Si elle était intelligente
et courageuse, elle exigerait le report des élections et encouragerait à leur
place un véritable dialogue politique. Je ne peux que souscrire à une autre
voix prêchant dans le désert, celle du International Crisis Group qui, évoquant
une « parodie de processus électoral démocratique », conclut que
« [s]i la communauté internationale soutient financièrement les élections,
elle se rendra complice de la consécration du statu quo »[28].
Nous sommes allés, dans cette région des grands lacs, d’un « Munich »
à l’autre; les conséquences humanitaires ont été désastreuses. Au Rwanda, nous
nous engageons dans un autre, les yeux grand ouverts…
Anvers, mai 2003
[1] Il est dès lors utile de lire cette analyse ensemble avec ma « Chronique politique du Rwanda et du Burundi, 2002-2003 », publiée ailleurs dans ce volume.
[2] J’explique le sens qu’il faut donner à ce vote favorable dans ma « Chronique politique du Rwanda et du Burundi, 2002-2003 », ailleurs dans cet Annuaire.
[3] La version antérieure portait : « Les personnes persécutées à l’extérieur du pays à cause de leur origine rwandaise… ».
[4] Aujourd’hui, de nombreuses personnes « d’origine rwandaise » dans la région ne sont probablement pas intéressées par cette largesse. On songe notamment aux Banyamulenge que le Rwanda a voulu installer contre leur gré au Rwanda fin 1996 et qui s’opposent à la présence rwandaise au Kivu. Ajoutons que le rapatriement forcé de milliers de Banyarwanda tutsi congolais en août-septembre 2002 ne paraît pas correspondre à l’esprit de cette disposition.
[5] Mission d’observation électorale de l’Union Européenne, Référendum constitutionnel, Rwanda 2003, Kigali, s.d., p. 2.
[6] La dernière version de l’avant-projet parlait des
« partis et formations politiques ». Il n’était dit nulle part dans
ce texte où résidait la distinction entre partis et formations. En l’absence de
toute distinction, du point de vue légistique cette formulation était un non
sens. Il n’est pas clair pourquoi les rédacteurs ont finalement opté pour la
notion peu courante de « formation politique ».
[7] Afin d’éviter tout malentendu, il faut préciser que ceci n’est pas un plaidoyer en faveur de « fichages » et de « quota », mais simplement un constat du dilemme soulevé par ce type de disposition. J’ai attiré ailleurs l’attention sur le même problème concernant le Burundi (F. REYNTJENS, Burundi : Prospects for Peace, Londres, Minority Rights Group International, 2000, p. 22-23). Pour une application au Rwanda de mécanismes consociatifs, voir S. VANDEGINSTE et L. HUYSE, « Approches consociatives dans le contexte du Rwanda », in : S. MARYSSE et F. REYNTJENS (Eds.), L’Afrique des grands lacs. Annuaire 1998-1999, Paris, L’Harmattan, 1999, p. 101-123.
[8] On trouvera des données sur cette affaire dans ma
“Chronique politique du Rwanda et du Burundi, 2002-2003”, ailleurs dans cet Annuaire.
[9] USAID, Rwanda Democracy and
Governance Assessment, novembre 2002, p. 50.
[10] On notera que la sanction de la loi par le président de la République agissant en tant que branche du pouvoir législatif, pourtant une pratique constitutionnelle aujourd’hui, a été omis du texte. S’agit-il d’un oubli ou d’une volonté délibérée? Dans le second cas, j’ignore quelle en serait la raison.
[11] Il est nécessaire ici de rappeler la note 7, supra.
[12] Lorsqu’on voit le mode de désignation, trop complexe pour expliquer ici, l’arithmétique risque d’être très complexe.
[13] Cette disposition, nouvellement introduite dans le texte final, fera qu’il ne sera pas possible de respecter le nombre fixe de 26 sénateurs, dès qu’un ancien président réclame son siège.
[14] Inconvénient du traitement de texte, la notion de « parti politique » des versions antérieures a ici survécu. D’un point de vue strictement formel, cette disposition n’a aucune valeur juridique, puisque la constitution ne (re)connaît pas la notion de « parti politique ».
[15] Même s’il y a fort à parier que le FPR obtiendra une grande majorité, mais cela n’a aucune importance puisqu’une constitution ne doit pas être conjoncturelle.
[16] Je ne crois pas me tromper en affirmant que ceci devait être l’unique constitution au monde avec une note en bas de page, dont il serait malaisé de déterminer la portée juridique.
[17] Italiques ajoutées, F.R.
[18] Rappelons que le principe que le président « décide souverainement » est inscrit à l’art. 7 de la Déclaration du FPR du 17 juillet 1994.
[19] Il est vrai -si cette note cynique m’est permise- que le président Kagame a l’habitude de partir en guerre sans l’autorisation du gouvernement ni du parlement…
[20] International Crisis Group, Fin de transition
au Rwanda: une libéralisation politique nécessaire, Nairobi-Bruxelles, 13
novembre 2002, p. 9.
[21] L’utilisation du terme “notamment” est une autre
illustration du caractère techniquement défaillant du texte.
[22] Il est vrai que dans la pratique actuelle, le puissant procureur général G. Gahima est déjà un contre-ministre de la Justice.
[23] Je n’ai pu vérifier la concordance avec la version en kinyarwanda.
[24] Par ex., à l’art. 22 (inviolabilité du domicile), le bout de phrase « à défaut de son consentement » ne se retrouve pas dans la version anglaise; il en est de même à l’art. 26 (mariage) pour le bout de phrase « entre un homme et une femme »; idem à l’article 48 pour « sérieuse et ». Plus grave, puisqu’il s’agit d’un domaine dont nous avons vu l’enjeu dans ma chronique politique ailleurs dans cet Annuaire, à l’art. 54 il est interdit aux formations politiques de s’identifier notamment « à tout autre élément pouvant servir de base de discrimination », ce qui en anglais devient « or any other divisive element »; or en droit, le terme « discrimination » a un sens, ce qui n’est pas le cas pour « divisive ». Je m’abstiens de citer les autres exemples, notamment dans les articles 67 et 73.
[25] L’expression « L’Etat veille à ce que… » se retrouve évidemment dans des chapitres sur les droits économiques, sociaux et culturels de nombreuses déclarations des droits humains, mais il s’agit là de dispositions programmatiques. Ici « L’Etat veille… » a trait à des compétences et pouvoirs précis et juridiquement contraignants.
[26] Rappelons que la sanction n’est pas prévue par la constitution.
[27] Il est ainsi tout à fait révélateur que les
opérations de l’armée rwandaise à l’étranger ni aucun autre point politique
« délicat » (p. ex. violation des libertés, notamment de la presse,
massacres de civils, détention ou départ en exil d’opposants…) n’ont
jamais, à ce jour, fait l’objet du moindre débat au Parlement. Plusieurs
membres du Parlement m’ont dit qu’ils exercent une autocensure au sujet de
thèmes « dont on ne parle pas ».
[28] International Crisis Group, Fin de transition
au Rwanda…, op. cit., p. 9.