Sud - INTERNATIONAL

" La maison Mauritanie est menacée par le feu "
Me Diabira Maroufa et Mohamed Abdallahi Ould Kharchy: opposants mauritaniens


Après la campagne pour l’élection présidentielle mauritanienne qui s’est soldée, le 7 novembre dernier, par la victoire du président sortant, Maaouya Ould Sid’Ahmed Taya, l’opposition entre dans une nouvelle campagne. Celle qui déborde les frontières de la Mauritanie et qui a pour but d’informer, d’expliquer et de sensibiliser l’opinion internationale. D’abord sur la situation en Mauritanie mais surtout sur les risques d’explosion qu’encourt ce pays assis sur une poudrière. Ainsi, avant que l’irréparable ne se produise, l’opposition mauritanienne s’est fait un devoir de sortir du pays pour rencontrer tous ceux qui peuvent et surtout doivent l’écouter. Pour des raisons politiques, géographiques, historiques, sociales et culturelles, premier et meilleur point de chute ne p ouvait être trouvé que le Sénégal.

C’est dans ce cadre que l’ambassadeur Mohamed Abdallahi Ould Kharchy et Me Diabira Maroufa, respectivement conseiller politique et diplomatique et conseiller juridique de l’ancien président, Mohamed Khouna Ould Haidallah, candidat à l’élection présidentielle aujourd’hui en prison pour " atteinte à la sûreté de l’Etat " ont séjourné à Dakar. " La maison Mauritanie est menacée par le feu. Et la maison Mauritanie, c’est aussi la maison Sénégal. Entre le Sénégal et la Mauritanie, nous ne voyons pas de frontières physiques. C’est la raison pour laquelle nous voulions exprimer nos inquiétudes, les partager avec nos frères sénégalais parce que nous sortons d’une élection qui s’est déroulée de manière chaotique où le suffrage des Mauritaniens a été confisqué où, dans la précipitation, un gouvernement s’est déclaré vainqueur malgré la fraude massive qui a été constatée et malgré la violence qui a accompagné cette élection ", a ind iqué Me Diabira Maroufa, avocat à la Cour et ancien bâtonnier de l’ordre des avocats. " Il est donc important que, lorsqu’il y a des menaces contre la paix, nous venions solliciter l’intervention de nos frères, la compréhension de nos frères du Sénégal. A tous les niveaux, nous sommes demandeurs d’une certaine écoute ", renchérit-il.

L’élection présidentielle en Mauritanie est finie et on peut même la ranger dans le rayon des souvenirs parce que le Conseil constitutionnel a définitivement rendu son verdict. Ould Taya est officiellement déclaré vainqueur du scrutin avec 67,02%. Il a même chargé le Premier ministre de constituer un nouveau gouvernement. Quelle réaction avez-vous par rapport à cette situation ?

Me DIABIRA MAROUFA : Pour que cette élection s’inscrive aujourd’hui dans le passé, il eut fallu qu’elle se déroulât dans une certaine ambiance, qu’elle respectât un certain nombre de formes que vous savez. Le président Ould Haidallah a été arrêté avant même que les délais de recours ne soient épuisés. Alors, peut-on parler de passé quand on a empêché un candidat de faire valoir son droit ? Peut-on parler de passé quand les trois autres candidats au changement, dans une déclaration commune rendue publique le 8 novembre (lendemain du scrutin, Ndlr), ont affirmé que cette élection est entachée de fraudes massives, d’irrégularités ? Si les candidats qui étaient en liberté n’ont pas déféré ces résultats au Conseil constitutionnel, le président Ould Haidallah en a été empêché dans la mesure où il a été arrêté avant la fin des délais de recours. Cette élection, nous ne pouvons pas l’inscrire dans le passé, dans la mesure où c’est à sa suite que le président Ould Haidallah est détenu aujourd’hui de façon irrégulière. Et naturellement, nous sommes convaincus que moralement, le peuple mauritanien ne peut accepter que cette élection entérine aujourd’hui la poursuite de l’action d’un gouvernement que chacun désigne comme totalement illégitime parce que ne sortant pas légitimement de l’expression des Mauritaniens.

Mais sur le plan strictement juridique, vous n’avez plus d’autres recours puisque les décisions du Conseil constitutionnel, vous le savez, ne sont pas susceptibles de recours. Qu’est-ce que vous pouvez faire d’autre pour annuler cette élection ?

OULD KHARCHY : Une chose est de parler des élections, une autre est de penser à la situation dans le pays. La situation qui s’est créée aujourd’hui et qui se maintient dans notre pays est, à mes yeux, aussi sinon plus importante que l’élection qui en est la cause. C’est cette situation qui nous préoccupe et que nous sommes venus expliquer et partager avec nos frères sénégalais. Il s’agit des risques réels d’implosion tant sur le plan politique que sécuritaire dans notre pays. C’est ce qui nous préoccupe le plus aujourd’hui. Car, s’il y a le feu en Mauritanie, le Sénégal ne sera pas épargné.

Vous paraissez très alarmistes sur la situation en Mauritanie. Mais au regard de ce qui se passe sur le terrain, les faits semblent vous contredire. Depuis la campagne électorale jusqu’aujourd’hui, en dépit des arrestations qui ont eu lieu, le pays vit dans un calme, on dirait même étrange. Est-ce que votre démarche n’est pas une manière de préparer l’opinion nationale et internationale à une éventuelle violence que vous voulez provoquer ?

Me DIABIRA MAROUFA : Nous nous sommes engagés dans un changement de gouvernement, un changement pour la réconciliation des Mauritaniens à travers la candidature du président Ould Haidallah. Or, toutes les réponses que nous avons eues de la part des autorités, ce sont des réponses de violence. Nous ne sommes pas auteurs et nous ne sommes pas candidats à la violence. Vous savez qu’au mois de juin, il y a eu une tentative de coup d’Etat. C’est la preuve que nous sommes dans une situation où les populations subissent continuellement la violence. Il n’est pas exclu qu’il y ait des candidats qui pourraient répondre à cette violence par la violence. Il est donc de notre responsabilité de nous lever et de barrer le chemin à la violence d’Etat qui se vit et qui s’écrit à travers tous les actes qui sont posés par le gouvernement de la République islamique de Mauritanie.

Et puis, sachez que si, jusqu’à présent, il n’y a pas de violences, c’est parce qu’à notre niveau, nous conduisons dans la responsabilité l’ensemble des démarches pour éviter de répondre justement à la violence d’Etat. Mais, lorsque vous prenez un ancien président de la République, au milieu de ses militants en arrivant avec des dizaines de policiers armés, lorsque vous arrêtez sans mandat, un ami, un supporter d’un candidat à la présidence de la République à coups de grenades lacrymogènes, ne créez-vous pas sciemment une situation de violence physique ? L’opposition a gardé le sens de ses responsabilités, a gardé le sens de la mesure. Mais jusqu’à quand ? C’est par rapport à tout cela que je dis qu’il y a une atmosphère de violence qui est créée et qui est le fait du gouvernement.

Dans votre campagne de sensibilisation sur la situation en Mauritanie, est-ce que vous avez rencontré le président Abdoulaye Wade ?
Me DIABIRA MAROUFA : Non, nous ne l’avons pas rencontré. Mais, nous avons rencontré beaucoup de Sénégalais.
Avez-vous sollicité une rencontre avec lui ?
Me DIABIRA MAROUFA : Nous souhaitons le rencontrer suivant sa disponibilité. Nous avons manifesté notre souhait de pouvoir le rencontrer dans les formes qui nous paraissaient les plus efficaces dans ce contexte-là. Dommage que cette discrétion, une démarche faite… (beaucoup d’hésitations, ensuite long silence) de… (longue hésitation encore) discrétion simplement…


Avez-vous entrepris une démarche officielle dans ce sens ?
Me DIABIRA MAROUFA : Qu’est-ce que vous entendez par démarche officielle ?
Introduire auprès de son cabinet une demande officielle qui sera consignée dans son carnet d’audience.
Me DIABIRA MAROUFA : Nous avons des amis au Sénégal qui portent un intérêt extrêmement important à la Mauritanie qui ont encouragé cette démarche et qui nous ont suggéré que ce serait une très bonne chose par rapport à notre présence que nous puissions être disponibles pour rencontrer le président Abdoulaye Wade. Nous sommes disponibles et nous attendons qu’un signe nous soit fait.


Le président Abdoulaye Wade est l’un des tout premiers chefs d’Etat à adresser une lettre de félicitation à Ould Taya pour sa réélection. Comment réagissez-vous par rapport à cela ?
OULD KHARCHY : (long silence) Oui nous avons constaté effectivement que le président Abdoulaye Wade est l’un des premiers chefs d’Etat à avoir félicité Ould Taya. Nous l’avons remarqué et nous avons noté tout simplement. La remarque a été faite.
Avez-vous une appréciation particulière sur ce message et surtout sur la promptitude avec laquelle il a été envoyé à Ould Taya ?
OULD KHARCHY : Nous avons remarqué. C’est tout.

Me Diabira, vous qui êtes le conseiller juridique de Ould Haidallah, votre candidat a été arrêté et mis en prison pour atteinte à la sûreté de l’Etat. Quel est votre avis là-dessus ?
Me DIABIRA MAROUFA : Je vais être clair. Jamais, jamais, ni par discours, ni par actes posés, ni par attitude, le candidat Ould Haidallah n’a tenté ou même eu l’intention de prendre le pouvoir par la force. D’ailleurs en avait-il besoin ? Je crois que non, parce que tout simplement ce pouvoir lui est acquis par l’expression du suffrage des Mauritaniens. Nous avons fait une campagne. Cette campagne a révélé que la Mauritanie entière s’est levée pour le changement. Ce changement s’inscrit dans la réconciliation des Mauritaniens qui, depuis 19 ans, ont été divisés, frustrés.

Quelle explication donnez-vous donc au document officiel rendu public par les autorités, intitulé " Grab 1 " et qui accuse Ould Haidallah de vouloir faire un coup d’Etat ?
Me DIABIRA MAROUFA : D’abord le document " Grab 1 " n’a pas été trouvé en possession de Ould Haidallah encore moins un membre de son staff. Le document " Grab 1 " est une fabrication des services de sécurité qui l’ont brandi comme étant la preuve qu’ils détiennent que Ould Haidallah voulait faire un coup d’Etat. Voilà un document dans lequel on trouve comme éléments de preuves, pour déstabiliser un régime, des bonbonnes pour faire des graffitis, des tracts à distribuer à des ministres ou à des militaires. Tout cela avec un budget de 4 000 dollars. Pensez-vous que c’est avec ces éléments qu’on va faire un coup d’Etat. Il faut être sérieux. C’est parce que tout simplement le président Ould Taya ne pouvait pas gagner ces élections, alors il a créé cette histoire pour confisquer le pouvoir. C’est aussi simple que cela.

Lors d’une perquisition à son domicile, des armes ont été trouvées. A quel usage étaient-elles destinées ?
Me DIABIRA MAROUFA : Le président Haidallah est un militaire. C’est un de nos meilleurs officiers et le premier officier qui a fait Saint-Cyr dans sa génération. Ould Haidallah a fait la campagne du Sahara. Il s’est illustré comme un soldat courageux qui a mené une guerre avec tout le sérieux qu’on peut imaginer de la part d’un officier. Ould Haidallah avait ramené de cette guerre une arme. C’est un fusil léger, une Kalachnikov qu’il gardait en souvenir de cette guerre. Cette arme est connue des autorités, je vous le dis, je l’affirme parce que pendant que le président Ould Haidallah était détenu, comme c’est généralement le cas dans les familles, les enfants après avoir découvert l’arme, l’ont prise pour faire des tirs au bord de la mer. La police une fois au courant, s’est saisie de l’arme, l’a confisquée un moment et puis l’a restituée au président Ould Haidallah. Donc, on savait que cette arme existait. Il y a eu une deuxième arme qui est un prêt des autorités mauritaniennes comme dans d’autres pays où ces pratiques existent. Cette deuxième arme lui a donc été prêtée par la garde républicaine mauritanienne. Donc, comme vous le voyez, ces armes retrouvées chez Ould Haidallah n’étaient pas achetées pour la circonstance et mieux elles étaient connues des autorités mauritaniennes.
OULD KHARCHY : J’ajoute à cela, qu’en Mauritanie, le problème d’armes est un problème mineur. Il y a énormément de Mauritaniens qui ont chacun une arme à domicile. Alors si Ould Haidallah devait faire un coup d’Etat avec deux armes légères avec pour seules munitions sept balles pour l’une et dix pour l’autre, toutes rouillées, dans ces conditions, tous les Mauritaniens feraient un coup d’Etat. La réalité est qu’il fallait arrêter ce processus électoral par n’importe quel moyen et puis on n’a pas trouvé mieux que cette sordide histoire de coup d’Etat qui, du reste, ne convainc personne, ni à l’intérieur, ni à l’extérieur.

Le procureur de la République a officiellement confirmé les charges retenues contre Ould Haidallah en dépit de tout ce que vous avez dit. Vous qui êtes son conseiller juridique, Me Diabira, qu’est-ce que vous craignez pour votre candidat et quelles sont les actions que vous comptez mener pour faire annuler la décision ?
Me DIABIRA MAROUFA : Sur le plan judiciaire, je suis triste pour la Mauritanie parce que voilà un pays où un ancien président de la République croupit en prison sur la base d’un simple billet, qui n’est ni un mandat, ni un titre de détention. Il en est de même sur le statut de l’ensemble de ses amis. Le procureur de la République auquel le collectif des avocats s’est adressé a affirmé et continue d’affirmer qu’il n’y a pas de dossier dans l’Etat actuel des choses. Nous en sommes encore au stade de l’enquête préliminaire. C’est-à-dire la phase la plus nébuleuse d’une situation judiciaire. Mais, je suis étonné que ce même procureur de la République procède par conférence de presse pour accuser notre client. Ce n’est pas sérieux. Ce n’est pas sérieux d’autant plus les charges qu’il brandit pour accuser Ould Haidallah ne peuvent même pas être prises en considération par les services de sécurité à plus forte raison un système judiciaire. J’ai pitié du procureur.


Propos recueillis par
Oumar KOURESSY
et Saphie LY--Sud quotidien du 17/11/2003