A l’intérieur des prisons du Rwanda
Les prisons rwandaises connues abritent officiellement plus de 120.000 détenus. A cela il faut ajouter un nombre indéterminé de prisonniers dans les cachots éparpillés sur tout le territoire et gérés par les membres de la Local Defence ‘‘Abakada’’.
Les prisons rwandaises sont qualifiées par bon nombre d’observateurs, et à juste titre, de « prisons-mouroirs ». Le taux de mortalité et de morbidité y très est élevé. Selon les rapports du « Bureau de la démocratie, des droits humains et du travail » du Département d’État des États-Unis d’Amérique, des dizaines de milliers de détenus arbitrairement arrêtés et illégalement détenus dans les prisons rwandaises surchargées sont morts sans jugement dans les mains de l'État. Ce Département a recensé 860 décès en 1997, 3.300 décès en 1998, 1.148 décès en 1999, 1100 décès en 2000, 708 décès en 2001. Comme bon nombre de prisonniers n'étaient pas officiellement enregistrés, ces chiffres macabres ne révèlent que le bout de l'iceberg.
Ceux qui ne meurent pas vivent dans conditions très inhumaines et subissent à la longue les effets débilitants du chargement carcéral. Les témoignages de ceux qui ont pu sortir de cet enfer donnent de la chair de poule.
Des prisons surpeuplées
C’est une première dans l’histoire de la coopération mondiale mais le Rwanda a demandé des aides pour construire des prisons. Et il en a reçu. Pourtant, il a rejeté l’offre faite par des pays amis pour renforcer la justice rwandaise par des magistrats étrangers car il était estimé qu’il faudrait à la justice ordinaire plus d'un siècle pour les juger tous les détenus.
Le régime du FPR est passé entre temps à la vitesse supérieure et partout où il y avait de la place, il y a érigé des prisons. Des dépôts immenses des marchandises, des hangars des usines, tout cela sert de nouvelles prisons.
La surpopulation des prisons rwandaises s’expliquent par le fait que leur capacité d’accueil était de 18000 places avant l’avènement du FPR au Rwanda en 1994. Aujourd’hui les mêmes infrastructures accueillent plus de 100.000 détenus.
La prison de Kigali a été construite en 1930 pour une capacité d’accueil de 480 personnes. Elle abrite aujourd’hui environs de 11.000 détenus. La majorité des prisonniers sont ainsi entassés dans la cour intérieure. Vu leur nombre élevé, une certaine synchronisation est respectée par les prisonniers dans leur vécu quotidien. Personne ne peut s’allonger : tout le monde est debout ou tout le monde est assis. Pour se tourner, c’est tout le monde en même temps et dans la même direction. Aucune autre alternative n’est possible. Dans ces conditions, c’est la loi de la nature qui s’applique : les plus faibles succombent après quelques mois. Les plus résistants en gardent des séquelles irréversibles. Le témoignage de Mr F. sur ces conditions de détention est poignant. Il a passé 6 ans dans la prison de Kigali. Il marche grâce à une canne et fait des pas à la manière d’un astronaute dans l’apesanteur.
L’abbé K. a été appréhendé en 1998. Il a été enfermé dans un cachot exigu avec 16 personnes. Dix d’entre elles sont mortes de suffocation. Car pour approcher le petit trou d’air, il fallait jouer les coudes. Grâce aux connaissances il été emmené dans la prison de Gikondo. Présenté au Tribunal, il a été condamné à mort en Première Instance. Il a eu de la chance de bénéficier d’un avocat et a été acquitté en Appel. Il vit actuellement en Italie. Quand je l’ai rencontré, il m’a raconté son histoire pour me convaincre de prier Dieu car ses grâce aux prières, m’a-t-il dit, qu’il échappé à la mort du cachot et à la sentence du Tribunal.
Une organisation de type maffieux
Il existe une certaine catégorie de prisonniers triés sur le volet et recommandés aux responsables des prisons par des procureurs, des substituts ou des agents de la DMI. Ils reçoivent alors des pouvoirs et deviennent incontournables. Ils ont toute la latitude de sortir de la prison comme et d’y revenir à leur aise. Ils sont en contact permanent avec les gardiens de prison. Ils sont les maîtres des lieux la nuit quand le portail de la prison vient d’être fermé. Ce sont des sortes de ‘‘Caïds’’. A leur tête se trouve le KAPITA, le chef suprême.
Les ‘‘Caïds’’ sont omnipotents. Sans eux, aucune transaction entre la prison et l’extérieur n’est possible. Ainsi, un prisonnier qui a des biens ou qui a des membres de famille pouvant l’aider, passe par les caïds. Ils se chargent alors des contacts, recueillent l’argent et clôturent la transaction moyennant fiances naturellement. Ils gagnent ainsi des sommes colossales car certains prisonniers vendent, à partir de la prison, leurs biens immeubles pour pouvoir survivre. Cet argent leur permet d’abord d’entretenir de bonnes relations avec le chef et ensuite de pouvoir s’acheter où s’allonger ou se faire livrer des repas pour compléter l’alimentation maigre et insuffisante de la prison. Les Caïds sont des véritables marchands de sommeils. Ils mettent main basse sur les rares ‘‘lits’’ qui sont en prison et les louent à prix d’or.
Pour que ce réseau maffieux continue à fonctionner, le KAPITA doit verser régulièrement une partie de ces recettes non seulement aux responsables de la prison mais également aux procureurs et autres substituts car c’est dans des parquets que tout se traite : ces magistrats signent des convocations bidons, ce qui permet à tel ou tel prisonnier de sortir et de rencontrer soit sa femme, soit un ami ou un autre membre de la famille et surtout d’avoir quelques heures de répit à l’extérieur de l’enfer carcéral.
Des tortures d’un autre genre
Les bastonnades sont monnaie courantes les prisons du Rwanda. Ils sont pratiqués par des militaires qui gardent les prisons. Nuitamment, un prisonnier ciblé pour diverses raisons est extrait de la prison et battu pendant plusieurs heures. C’est durant ces séances de passage à tabac que des gens plaident coupables pour sauver leurs vies ou acceptent d’aller témoigner contre une autre personne que IBUKA ou la DMI veut faire condamner. De tels témoins se produisent régulièrement dans les tribunaux rwandais et au TPIR à Arusha. Une dame vivant en Belgique m’a raconté comment son frère a été appréhendé depuis 1994. Il a été longtemps sans dossier et dernièrement il lui a envoyé le message suivant : « C’est fini pour moi, il faut m’oublier, je vais finir ma vie en prison. J’ai été battu à mort et finalement j’ai accepté de signer que j’ai tué 20 personnes ».
Périodiquement, les militaires ferment des vannes des tuyaux d’eau menant à a la prison. Pendant 2 à 3 jours, la prison est sans eau. Les toilettes se remplissent, les excréments de ces milliers de personnes débordent dans la cour où sont entassés les prisonniers. Ils se vautrent dans ce mélange merdeux. Mon interlocuteur m’a dit que malgré cela, il mangeait quand même. Les plus fragiles tombent malades et souvent la mort suit.
Le Rwanda est pauvre. Il ne peut pas nourrir ces milliers de personnes en détention. Les membres de leurs familles leur viennent au secours. Ils leur apportent à manger. Toute la nourriture est versée dans un grand tonneau rouillé. Avec un long bâton, un militaire la tourne sens dessus dessous ‘‘à la recherche de grenades’’ ou autre matériel prohibé. Un de mes interlocuteurs m’a dit avoir appris que ce bâton serait imbibé d’une solution de plomb et qu’à la longue ce produit serait hautement cancérigène.
A la prison de Rilima au sud de Kigali, un ancien cadre de l’administration publique qui y était m’a raconté comment des gens subissaient des sévices sexuels. Une brique était attachée à une ficelle en nylon et suspendu sur les testicules d’un homme les bras attachés derrière le dos. La souffrance était atroce. Une forme de torture consiste à creuser un trou dans un « umutanga », une sorte de courge sauvage. Celui-ci produit un suc acide. Le prisonnier est invité à y enfoncer son sexe. Les dégâts sont immédiats. La Croix Internationale a été témoin de ces pratiques et en aurait parlé au Président Paul Kagame, selon mon interlocuteur.
Un ancien prisonnier de Gisovu, à Kibuye, m’a dit qu’en 1999 il y a eu un fléau de typhus à la prison. Plus de trois cent personnes en sont mortes. Le Gouvernement n’a parlé que de 40 morts.
Dans la prison de Gitarama, certains prisonniers ont amputés des membres inférieurs. Ayant leurs pieds trempés dans des flaques d’eau salée pendant des mois voire des années, les détenus pourrissaient sur les pieds. Les membres inférieurs gangrénés, leur amputation était le seul moyen de sauver la victime.
Celui qui ne meurt pas en prison, ne sait plus marcher une fois libéré. Il doit se servir des béquilles. Les libérations périodiques médiatisées à outrance sont faites pour donner de la place aux nouveaux prisonniers. Les personnes libérées sont souvent au bord de la mort et certains sortent des fois de la prison sur des brancards.
Des supplices dans des prisons non connues
Dans les camps militaires, des containers y sont déposés et accueillent régulièrement des prisonniers. Faites dans des tôles avec une épaisseur dense, ces caisses métalliques sont régulièrement déplacées avec leurs contenus au gré des tortionnaires de la DMI. Fermées hermétiquement avec de petits trous d’aération, la chaleur y est intense. Pour alléger leur souffrance, les prisonniers sont tous à poils, hommes et femmes. Ils font leurs besoins sur place. Les femmes sont les premières à être atteintes car leurs cycles menstruels dans des conditions hygiéniques déplorables en rajoutent et des infections ne tardent pas à se manifester. Un témoignage recueilli à ce sujet fait état de la mort de la femme du Professeur Runyinya Barabwiliza et de celles de Gatorano Gadi dans ces fameux containers sous les yeux impuissants de leurs maris.
Des containers qui autrefois servaient à stocker le charbon au marché de Gikondo, un des quartiers de la capitale Kigali, ont servi à enfermer les gens à l’arrivée du FPR au pouvoir. Une brigade de gendarmerie a été installée sur les lieux pour la circonstance.
Dans le camp militaire de Kami, dans les environs de Kigali, il existe des tranchées appelées ‘‘INDAKI’’ ou ‘‘GO DOWN’’. C’est là où auraient péri notamment le Colonel Cyiza Augustin et le Député Léonard Hitimana. Voici comment un témoin oculaire a décrit la prison de Kami : « Dans le courant du mois de janvier ou février 1995, je me suis rendu au Camp Kami avec un ami, un chauffeur d’un major de la DMI. Lorsque je suis arrivé au camp Kami, j’ai vu que l’on avait creusé des tranchées et des personnes détenues se trouvaient à l’intérieur de ces tranchées. Elles étaient, les jambes liées, et les poignets étaient entravés par des cordes, attachées à des petits piquets. Les militaires boutaient le feu à des jerricans de 20 litres et laissaient fondre les résidus sur les corps des personnes entravées dans les tranchées ».
©Gaspard Musabyimana, le 25 septembre 2007.